9.
En arrivant à l’hôpital, Jessica trouva Jeremy totalement effondré. Elle se demanda si Mary s’était jamais rendu compte de l’ampleur de l’affection qu’il lui portait.
Les parents de la jeune fille étaient repartis. On avait donné des calmants à sa mère et tous deux étaient allés chercher un peu de réconfort auprès de leurs autres enfants.
Plusieurs étudiants se trouvaient encore dans la salle d’attente, désemparés. Ils finirent par s’en aller à leur tour, en murmurant des paroles de consolation qu’ils savaient dérisoires. Seuls restèrent Jeremy et Nancy.
Jessica se tint un long moment assise avec eux, sans rien dire. Elle avait exprimé toute sa compassion en arrivant et ne savait qu’ajouter. Elle se sentait sidérée, même si elle savait qu’elle n’aurait pas dû l’être. Comment avait–elle pu s’aveugler à ce point ?
L'officier de police qui avait monté la garde toute la nuit n’avait rien vu, rien remarqué de suspect. De son côté, Jeremy expliqua qu’il avait fait des rêves affreux les rares moments où il s’était assoupi, mais qu’il était certain que personne n’était entré dans la chambre.
Il tenait quelque chose dans son poing crispé. Jessica lui desserra les doigts et poussa un cri étranglé en reconnaissant l’objet : c’était la petite croix d’argent de Mary.
Avec effort, elle lui demanda :
— Savez–vous quelles dispositions ses parents ont prises?
Le jeune homme avait les yeux rouges, le visage sali de larmes.
— Ses parents voulaient emmener le corps tout de suite, mais l’hôpital préfère le garder quelques jours.
— Ah bon ?
Il la dévisagea, l’air égaré.
— Ils vont faire une autopsie.
— Je vois…
— Elle est à la morgue, maintenant.
Nancy regarda Jessica d’un air égaré.
— Elle est morte à cause de ce qui s’est passé en Transylvanie…
— Vous avez peur ? lui demanda Jessica avec douceur.
— Oui.
— Alors, venez. Sortons d’ici. Je vous emmène tous les deux manger quelque chose.
— Je ne pourrai rien avaler, dit Jeremy.
— Il le faut pourtant.
— Pourquoi?
— Parce que vous êtes vivant, murmura–t–elle, que vous le vouliez ou non. Et qu’il vous faut faire ce que font tous les vivants.
Elle se mit debout et le tira par la main pour le relever, sans lui laisser le temps de protester.
Nancy, soulagée qu’on fasse preuve d’autorité, se leva aussi.
— Où allons–nous ?
— A mon bureau. Je ferai livrer quelque chose.
Vingt minutes plus tard, assis sur son divan, les deux étudiants attendaient l’arrivée des pizzas. Jeremy avait souhaité une bière et même si Jessica craignait que l’alcool ne le déprime plus encore, elle se dit qu’il y avait bien droit. Elle descendit en courant en acheter un pack.
A présent, le jeune homme buvait sa bière, le regard vide.
Puis, brusquement, il tourna la tête vers elle.
— Il y a vraiment des vampires, vous savez. Pas des malades qui aiment boire du sang. Non, de vrais vampires!
Jessica eut l’air sceptique.
— Vous n’y étiez pas, s’insurgea Nancy. Vous ne pouvez pas comprendre. Mais moi je sais ce que je dis !
Elle regarda Jeremy d’un air malheureux et continua :
— Nous aussi, nous allons mourir… Ils vont s’attaquer à nous, maintenant.
Jessica, qui sentait un frisson glacé lui parcourir le dos, hésita avant de répondre. Elle devait choisir ses mots avec soin.
— Eh bien, dit–elle enfin, admettons que de telles créa– tures existent… Avec–vous été mordus, l’un ou l’autre ?
Jeremy et Nancy se consultèrent du regard.
— Non, fit Nancy.
— Non, reprit Jeremy en écho.
Il y eut un nouveau silence.
— Mon Dieu ! s’écria soudain Jeremy, le teint blême.
— Qu’y a–t–il ?
— Mary va devenir un vampire !
— C'est vrai ! renchérit Nancy. Elle va rejoindre les morts–vivants !
Ses paroles étaient si mélodramatiques qu’elles auraient paru drôles si le contexte n’avait pas été aussi tragique.
— Bon… Ecoutez–moi, recommença Jessica, avec le plus de diplomatie possible. Souvent, la vérité n’est rien d’autre que ce que nous avons envie de croire…
— Epargnez–nous votre blabla psy ! jeta Jeremy avec colère.
— Laissez–moi poursuivre… Si, donc, on considère qu’une chose est vraie, alors elle le devient effectivement, pour soi, dans la vie de tous les jours. Admettons que les vampires existent : donnez–moi la liste des moyens de lutter contre eux.
Nancy et Jeremy échangèrent un regard éberlué.
— Des moyens… comme l’ail, vous voulez dire ? demanda Nancy.
— Oui, comme l’ail. Avez–vous eu une éducation religieuse, l’un et l’autre ?
— Je suis catholique, dit Jeremy.
— Et moi, méthodiste comme Mary, fit Nancy.
— Dans ce cas, vous devriez porter de grands crucifix en argent.
— Et si Mary avait été juive ? questionna Jeremy, soupçonneux.
— J’aurais suggéré une étoile de David…
— Je vois. Ce qui est important, c’est que je croie à ce qui peut arrêter, mettons, un vampire juif, commenta Nancy.
Jessica choisit de nouveau ses mots avec prudence.
— Voici comment on peut présenter les choses. Il existe un Etre suprême, qui représente le Bien absolu. Mais ici–bas, le Bien et le Mal se disputent en permanence la suprématie. Disons que vous êtes tous les deux du côté du Bien et que ce qui a tué Mary est du côté du Mal. En tant que représentants du Bien, vous devez combattre cet adversaire.
— Avec de l’ail ?
— Avec tout ce qui, à votre avis, peut marcher, répondit Jessica.
Il fallait les convaincre qu’ils avaient des armes pour se défendre. Sur ce point, au moins, elle avait l’impression d’avoir réussi.
— Alors, que devons–nous faire maintenant ? reprit Nancy.
— Retournez chez vous, prenez tout ce que vous jugez utile et revenez avec. Je vais tout préparer. Personne ne saura que vous êtes ici.
Elle fit une pause, puis reprit avec un sourire d’ex– cuses :
— Nous allons faire comme dans les vieilles légendes. Alors, surtout, n’invitez personne à entrer. Absolument personne.
— C'est vrai, on dit qu’un vampire ne peut pas entrer si on ne l’invite pas.
— C'est la croyance traditionnelle, acquiesça Jessica.
— Il nous faut de l’eau bénite et des croix.
— Exactement. Quant à moi, je vais veiller à ce que vous passiez une bonne nuit de sommeil, leur promit Jessica.
— J’ai l’impression que je ne dormirai plus jamais, murmura Jeremy.
Jessica posa sa main sur la sienne.
— Je donnerais n’importe quoi pour alléger votre chagrin. Malheureusement, c’est une étape que l’on ne peut éviter. On doit la traverser de bout en bout, mais on doit aussi continuer à vivre. Il y a des gens qui vous aiment. Pensez à la tristesse que vous ressentez : vous ne voudriez pas que vos proches ressentent la même chose, n’est–ce pas ?
Il poussa un profond soupir.
— Je sais que je veux vivre, bien sûr. C'est de l’instinct de survie, non ?
Il avait raison. Diablement raison. Elle signifia son accord avec un petit sourire et un hochement de tête.
Au même instant, on livra les pizzas et les deux jeunes gens furent bien obligés de constater que, malgré tout, ils avaient faim.
Jeremy mordit une bouchée puis, brusquement, fondit en larmes.
Nancy le prit dans ses bras. Jessica garda le silence, submergée de compassion. Il semblait si profondément malheureux !
Et, aussi, terriblement effrayé.
Bryan traîna son irritation toute la matinée et une bonne partie de l’après–midi, sans cesser de scruter le ciel. Il ne pouvait pas faire grand–chose, à part se maudire pour son impuissance.
Jessica, livide, avait filé à l’hôpital dès qu’il avait eu fini de lui raconter ce qui s’était passé. Elle avait pris sous son aile Jeremy et d’autres étudiants, mais il les connaissait à peine. Il ne pouvait rien leur offrir en guise de consolation.
L'après–midi tira enfin à sa fin. Il avait vérifié les horaires de changement de service des infirmières et, merveille de l’informatique, avait trouvé sur internet un plan détaillé de l’hôpital.
Il y arriva bien en avance pour ce qu’il voulait faire et s’installa d’abord à la cafétéria.
Elle était noire de monde. Parfait… Il prit son temps, guettant l’occasion favorable, tout en faisant semblant de lire le journal. Comme il l’espérait, un jeune aide–soignant finit par oublier son badge sur son plateau et Bryan put le subtiliser discrètement.
Dans un vestiaire, il trouva toute une panoplie de blouses arborant le nom de leur propriétaire. Il n’avait que l’embarras du choix et prit le temps de se demander s’il ressemblait plus à un MacDonald qu’à un De Vries, un Garcia ou un Gustafson. Il décida qu’après tout, l’Amé– rique étant ce qu’elle était, ça n’avait pas d’importance.
Dissimulé sous l’uniforme local, il se lança dans les couloirs d’un pas assuré, se dirigea sans hésiter vers le bon escalier et atteignit enfin la morgue.
C'était triste et froid et aucune technologie moderne n’y pouvait rien. Il ne s’y trouvait qu’un gardien, un jeune homme assis à un bureau, juste derrière la porte, plongé dans un roman de science–fiction. Bryan put lire son nom sur son badge : David Hayes.
A son entrée, le jeune homme leva le nez de son livre d’un air coupable.
— Désolé, marmonna–t–il.
— Aucun problème…
— Merci. Bonsoir, docteur, euh… MacDonald.
— Bonsoir. J’ai besoin d’examiner l’un des corps qui vous ont été apportés aujourd’hui.
— Celui qui a été tué par balles ?
— Non, la jeune fille qui est allée en Europe.
— Deuxième porte à gauche. Ils ont tous une étiquette avec leur nom.
— Merci.
Bryan s’avança. Il venait à peine d’entrer dans la salle que les lumières s’éteignirent. La morgue se retrouva plongée dans une obscurité profonde et glaciale.
***
S'il y avait autopsie, cela voulait dire que le corps de Mary était à la morgue de l’hôpital. Jessica espérait de toutes ses forces que la jeune fille ne soit pas devenue ce qu’elle risquait de devenir, mais elle ne se faisait pas d’illusions. La présence de Bryan MacAllistair à La Nouvelle–Orléans était un indice supplémentaire.
Evidemment, cela n’expliquait pas comment les choses s’étaient passées, alors qu’elle n’était jamais restée seule dans sa chambre… A présent, malheureusement, cela ne changeait rien. Maintenant, il fallait qu’elle retrouve le corps de cette malheureuse.
Cette nuit.
De jour, il y avait bien trop d’allées et venues.
Elle avait failli appeler Sean, puis avait renoncé, préférant ne pas le mêler à cela. Il était bien placé pour obtenir une promotion et ce n’était pas le moment de mettre en danger sa carrière. Elle devrait affronter cette tâche toute seule.
Dans le vestiaire, elle prit une blouse d’aide–soignante de couleur verte. Elle avait pris soin de se faire un badge avec un faux nom. Elle s’empara également d’un seau et d’une serpillière qui empestait le désinfectant. Elle noua un foulard sur sa tête, mit un masque en papier et marmonna quelques mots indistincts, avec l’accent des Caraïbes, à l’homme qui montait la garde à l’entrée de la morgue.
Impossible, bien sûr, de lui demander où reposait le corps qu’elle cherchait. Il faudrait qu’elle le trouve sans aide.
Elle prit sur la gauche et entra dans la première pièce, qui contenait six chariots. Elle lut les noms des cinq premières personnes sur les étiquettes accrochées à leur gros orteil. Le sixième, quoique recouvert d’un drap, était vide.
Puis, soudain, toutes les lumières s’éteignirent d’un coup.
David Hayes étouffa un juron. Qu’est–ce que c’était encore que cela ? Une panne ? Mais alors, pourquoi les lumières de secours ne s’allumaient–elles pas ? L'incident concernait–il tout l’hôpital, ou seulement la morgue ?
Alors qu’il faisait un geste pour se lever, il sentit une main se poser sur son épaule.
— Bonsoir, beau gosse…
Une voix féminine, très douce, langoureuse…
Qui diable, parmi ses connaissances, pouvait venir lui faire du charme dans un lieu pareil, et pendant une coupure de courant ?
Enfin, les ampoules violettes du circuit de secours s’allumèrent en clignotant.
Il écarquilla les yeux : la plus belle créature qu’il ait jamais vue de sa vie se tenait debout devant lui.
Entièrement nue.
Blonde, belle, avec des seins énormes et la taille fine. Pas un gramme de cellulite. Un teint pâle, parfait. Des yeux immenses, à la lueur charnelle.
Elle sourit, lui frôla la bouche du bout des doigts.
— J’attendais l’occasion. Nous sommes seuls, n’est–ce pas?
Non, songea–t–il, ils n’étaient pas seuls. Il avait vu entrer une femme de ménage et un médecin. Sans compter que les lumières allaient se rallumer d’un instant à l’autre… Tant pis ! Il s’en fichait.
— Je t’avais remarqué, reprit–elle à voix basse, faisant courir ses doigts sur son visage.
Il aurait dû lui dire qu’ils n’étaient pas seuls, mais il n’y arrivait pas.
Il avait besoin de ce boulot, qui lui permettait de payer ses études de médecine et qui, en outre, lui plaisait. Il pouvait passer des heures à lire, tranquillement assis à son bureau. C'était de tout repos, bien payé, et ça valait mille fois mieux que de faire la plonge dans un café ou un snack–bar.
Il aurait voulu le lui expliquer, mais ne parvenait pas à articuler le moindre son.
Il pouvait seulement la contempler, les yeux ronds de stupeur.
Elle avait les mains froides… Evidemment. A cause de la climatisation.
Elle sourit, les yeux rivés sur lui.
— Que tu es bête…, dit–elle.
Elle lui embrassa les lèvres. Sa langue était glacée.
Quelque chose n’allait pas.
Pourtant, le baiser se fit insistant et, en dépit de la sensation de froid et de l’atmosphère de la morgue, il sentit ses sens s’enflammer. Instinctivement, il tendit les bras. Bon sang, quel corps ! Et ces lèvres gelées sur les siennes, puis sur son cou…
Bryan s’immobilisa, l’oreille aux aguets. Derrière lui, la porte s’était refermée. Le silence, dans cette obscurité de caveau, paraissait assourdissant.
Puis il entendit quelque chose, un bruissement…
Il comprit alors qu’il n’était pas le seul intrus à s’aven– turer dans le noir.
On était sur ses traces.
Il se déplaça sans bruit, rencontra sous ses doigts un premier chariot, le tâta avec précaution. Il y avait un corps, froid, immobile. Il en fit le tour avec une prudence redoublée.
Un deuxième chariot. Il le contrôla aussi. Une femme, se dit–il. Ce cadavre–là ne bougea pas non plus.
Sur le chariot suivant, la dépouille d’un homme.
Mais le suivant encore était vide !
Jessica resta immobile dans le noir, tendant l’oreille. Elle perçut un frôlement et comprit qu’il y avait quelqu’un d’autre sur les lieux.
Sans doute quelqu’un de l’hôpital, se dit–elle, à moitié convaincue. Soit le gardien, soit quelqu’un de la mainte– nance venu rechercher l’origine de la panne…
Les coupures de courant, cela arrivait, même à l’hôpital. Pourtant, elle savait que cette fois, c’était différent : cette panne était préméditée.
Elle abandonna sa serpillière et son seau et se mit à explorer la pièce avec d’infinies précautions, pour rejoindre le chariot vide.
Elle sentit un nouveau déplacement d’air, devina une présence, toute proche. L'espace d’un instant, la panique la submergea. Pourquoi les ampoules de secours ne s’al– lumaient–elles pas? Elle avait l’impression d’être plongée dans le noir depuis des siècles.
Au bout d’une minute, heureusement, sa raison reprit le dessus. Elle songea à se cacher sous le drap qui recouvrait le chariot vide, mais se retint. Vu l’obscurité qui régnait, cela lui ferait courir un risque encore plus grand.
De nouveau, elle perçut qu’on se déplaçait tout près d’elle. Elle glissa la main dans la poche de sa blouse et serra dans sa paume la croix d’or qu’elle y avait cachée.
En voyant les lumières s’éteindre brusquement, Bryan avait compris qu’il pouvait s’attendre au pire. Il avait eu beau venir à l’avance, il était tout de même trop tard. Il y avait quelqu’un d’autre dans la pièce.
Il discerna dans la pénombre, près du chariot vide, un mouvement imperceptible. Plongeant la main sous sa blouse, il serra les doigts autour de l’épieu qu’il avait apporté, puis se rapprocha à pas de loup. Un nouveau mouvement fit naître un léger courant d’air.
L'intrus l’avait entendu et, à son tour, se rapprochait. Il tira son épieu.
Au même instant, les ampoules de secours s’allumèrent,
jetant une lueur faible dans la pièce.
Il eut juste le temps d’arrêter son geste. Jessica se tenait à côté du chariot vide, agrippant de toutes forces une croix en or. — Vous ! s’écria–t–elle.
— Vous ! fit–il en écho.
Un hurlement retentit dans le bureau du gardien.
Ils s’y précipitèrent. Le jeune Dave, qui lisait encore tranquillement, quelques instants plus tôt, gisait main– tenant sur le sol.
Bryan fonça vers lui, regarda son cou, lui prit le pouls. Il battait encore.
— Appuyez sur l’alarme ! cria–t–il à Jessica.
Elle l’avait déjà fait. Une sonnerie se déclencha bientôt.
Qu’est–ce qu’elle faisait là ? Un peu plus et il la tuait !
Comme il s’y attendait, il y avait des traces de piqûre sur le cou du gardien. Il ôta rapidement sa blouse pour éponger le sang qui perlait à peine. Mary n’était pas allée au bout. Ce qui voulait dire qu’elle s’était éveillée seule. Si un autre vampire, expérimenté, avait été présent pour la guider, Dave serait mort.
Quelque chose, dans toute cette histoire, lui échap– pait. Mary n’aurait jamais dû s’éveiller aussi rapidement. Heureusement, le jeune homme était encore vivant.
Mais pour combien de temps ?
Les battements de son pouls s’affermissaient. Il était jeune, solide. Il avait une chance de s’en tirer, d’autant que les secours n’allaient pas tarder. Par bonheur, ils étaient dans un hôpital !
— Il faut qu’il s’en sorte, dit–il à voix haute.
Jessica ne répondit pas. Bryan leva la tête. La jeune femme n’était plus là.
Mieux valait éviter pour lui aussi d’avoir à expliquer au personnel ce qu’il faisait là, avec une blouse qui ne lui appartenait pas. Il redressa donc Dave, l’appuya contre le bureau, dégagea le col de sa chemise et s’assura qu’il respirait. Il entendit le bang de l’ascenseur, se leva et fonça au fond de la salle, où il avait repéré une issue de secours.
Cela déclencherait une nouvelle alarme, mais au moins, il aurait le temps de filer.
Il fonça au pas de course vers le parking. Il avait juste le temps de s’éclipser avant le remue–ménage affolé qui n’allait pas manquer de suivre.
— Waou ! s’exclama Nancy, quand Jeremy et elle revinrent dans le bureau de Jessica, rue Royal.
Apparemment, ils avaient trouvé en la psychologue quelqu’un qui les croyait enfin. Personne ne les avait pris au sérieux, en Transylvanie. Florenscu moins que les autres, lui qui agitait la main avec agacement à chaque affirmation de Jeremy.
Ce policier croyait–il que ce genre de pratique avait disparu depuis longtemps de son pays et était–il pressé d’en finir pour retourner à des tâches plus sérieuses ? Peut–être se sentait–il tout simplement impuissant ? Peut–être avait–il cru que Mary s’en tirerait, que le maléfice ne pourrait pas la suivre au–delà des mers ?
— Waou… Waou…, répéta Nancy.
Jessica avait suspendu des bouquets d’ail tout autour des portes et des fenêtres, à l’intérieur comme à l’extérieur. Elle avait posé des vases emplis d’eau sur tous les rebords de fenêtre. De l’eau bénite, se dit Jeremy. Il y avait des crucifix absolument partout et, pour faire bonne mesure, Jessica avait sorti aussi une grande étoile de David dans un cadre, une petite statue de Bouddha et une image de Confucius.
Tout avait été disposé comme s’il s’agissait d’un hommage aux différentes religions pratiquées dans le monde.
Jeremy trouva même, sur une chaise, une poupée vaudoue et, ici et là, divers objets indéterminés, des symboles religieux qu’il ne connaissait pas.
Jessica n’était pas là quand ils arrivèrent, mais elle leur avait confié la clé. Un message à leur intention, placé sous deux lourdes croix d’argent, attendait sur son bureau. Ils devaient mettre les croix autour de leur cou et n’ouvrir en aucun cas ni à quiconque les portes et les fenêtres.
Jessica avait également prévu autre chose : des épieux, bien aiguisés.
— Tu te sens en sécurité ? lui demanda Nancy.
— En tout cas, je me sens mieux, répondit–il avec un sourire contraint.
Ils dénichèrent un jeu de cartes et jouèrent un moment, mais ils avaient du mal à se concentrer.
Ils finirent par se dire qu’ils feraient aussi bien de se reposer. Jessica avait préparé des oreillers et des couver– tures sur un divan et un lit d’appoint. Ils s’assoupirent. L'après–midi s’écoula, puis la soirée.
Quand ce fut la nuit, Mary apparut.
Jessica ne quitta pas immédiatement l’hôpital. Après s’être débarrassée de son déguisement, elle fit le tour des urgences, puis du hall d’entrée principal et enfin fouilla méticuleusement tous les étages, feignant de chercher la chambre d’un ami. Le désespoir l’envahit : Mary avait réussi à s’enfuir.
Ce faisant, cependant, elle ne décolérait pas. Tomber sur Bryan MacAllistair, ici, en train de brandir un pieu !
Qui diable était vraiment cet homme ? Qu’est–ce qu’il était venu faire là exactement ?
Il l’avait vue. Que se disait–il, maintenant ? Se posait–il les mêmes questions qu’elle ? Un frisson glacé la parcourut.
Elle finit par abandonner ses recherches. Où que Mary puisse être, elle n’était pas dans l’hôpital.
Une fois à l’extérieur, elle appela Sean.
— Mary s’est réveillée, dit–elle, quand il décrocha. Et elle a disparu.
— Quoi ?
Elle prit une inspiration.
— Tu as bien entendu. Ne pose pas de questions. Crois–moi sur parole et trouve–moi de l’aide !
— Dieu du Ciel ! marmonna–t–il. D’accord.
On était dimanche. Elle le dérangeait alors qu’il était en compagnie de sa femme et de ses enfants. Tant pis. Ce qui se passait était trop grave et Maggie, plus que tout autre, comprendrait parfaitement.
— J’ai installé Jeremy et Nancy dans mon bureau, ajouta–t–elle. A mon avis, Mary va sentir Jeremy et se lancer à sa poursuite.
— Sûrement. J’y vais tout de suite.
— Non, attends ! Moi, j’y vais et toi, tu viens à l’hô– pital. En tant que policier, tu pourras enquêter sur ce qui s’y passe.
— Entendu.
— Sean, tout ça est ma faute !
— Non, Jessica. Aucun de nous n’aurait pu le prévoir.
— Sauf qu’à mon avis…
Elle s’interrompit, fit un grimace et reprit :
— A mon avis, on a choisi de s’attaquer à Mary pour me narguer, moi…
Bryan bouillait de rage, mais ce n’était pas le moment de perdre le nord. Il y avait urgence. Il déambula dans toutes les rues de la ville, à la recherche de Mary, conscient de l’ampleur surhumaine de la tâche, même avec des sens aiguisés comme les siens.
Surtout que la jeune femme connaissait le quartier comme sa poche. Où diable pouvait–elle trouver refuge à cette heure, nue comme elle était ?
La réponse s’imposa : dans un club de strip–tease, rue Bourbon.
— Jeremy !
Perdu dans son rêve, Jeremy entendait son nom.
— Jeremy…
C'était Mary. Il ouvrit les yeux. La voix venait de la fenêtre.
N’y va pas ! lui enjoignit une voix intérieure. Mais il ne put s’en empêcher. Après tout, ce n’était qu’un rêve. Un rêve n’était pas réel et Mary, désormais, n’existait plus qu’en rêve.
Il jeta un coup d’œil vers Nancy, profondément endormie. Lui aussi, d’ailleurs, dormait toujours, puisqu’il pouvait entendre la voix de celle qui avait tellement compté pour lui.
Il s’approcha de la fenêtre festonnée d’ail, protégée par l’eau bénite. En tirant les rideaux, il vit Mary.
Ils étaient au premier étage d’un immeuble du XIXe siècle, mais Mary se dressait derrière la vitre, debout, comme si elle flottait sur l’air.
— Mary ! fit–il d’une voix étranglée.
Elle avait beau être nue comme au premier jour, elle semblait totalement innocente, pure, parfaite.
— J’ai besoin de toi, Jeremy. Je peux compter sur toi, n’est–ce pas ? Il faut que tu m’aides. J’ai froid, j’ai faim. Je suis désespérée…
— Oh, Mary…
— Laisse–moi entrer. Il te suffit d’enlever tous les obstacles.
— Je ne peux pas, Mary. Tu es un vampire, mainte– nant.
— J’ai si froid, Jeremy, si faim ! Je souffre tant ! Jeremy, je t’en prie…
Sa voix implorante lui fendait l’âme.
Et puis, après tout, ce n’était qu’un rêve. Cela n’avait pas d’importance qu’il ouvre la fenêtre, dans son rêve, qu’il enlève tous les objets que Jessica avait disposés pour le rassurer.
Oui, dans un rêve, il pouvait la laisser entrer, la prendre dans ses bras, comme il l’avait toujours voulu…
— Jeremy…
Un rêve. Ce n’était qu’un rêve…
Alors il tendit la main vers la poignée…