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Vingt et Un

Un rugissement épouvantable s’échappa de l’ouverture du tunnel avec la puissance d’une catastrophe naturelle, annonçant l’entrée fracassante de l’Omphalos Dæmonium dans les chambres des féroces morticiens. La physionomie délirante du Léviathan caparaçonné semblait doublement odieuse à Uriel maintenant que le soupçon qui lui trottait depuis un moment dans la tête se confirmait horriblement.

— Il savait…, grogna-t-il d’un ton hargneux.

— Savait quoi ? demanda Pasanius en donnant de la voix pour être entendu au milieu des hurlements de l’Omphalos Dæmonium. Uriel recula vivement, baissant la tête pour éviter les tourbillons de fumée rouge qui présageaient les sarcomata que charriait dans son sillage la colossale machine-démon. Celle-ci s’arrêta dans un crissement de freins devant une plateforme de lithociment maculée de sang qui venait d’apparaître, ses tuyaux d’échappement libérant une pléthore d’âmes dans une déferlante de murmures d’agonie.

— Il savait qu’on oserait le défier, répondit Uriel, écœuré de découvrir qu’on s’était ainsi servi de lui. Il avait prévu qu’on essaierait de détruire le Cœur de Sang.

— Mais alors, pourquoi nous avoir envoyés ici ?

— Parce que, maintenant que la barrière psychique dont parlait Obax Zakayo est tombée, il est libre de se manifester dans l’enceinte même de Khalan-Ghol. Tu te rappelles l’histoire que Seraphys nous a racontée ? Ces démons sont de vieux ennemis et plus rien ne viendra à présent empêcher l’Omphalos Dæmonium d’assouvir sa vengeance. Il va pouvoir faire payer au Cœur de Sang de l’avoir emprisonné dans les entrailles de la machine-démon !

Pasanius se tourna vers le Cœur de Sang, qui avait fini de massacrer les
psykers d’Honsou et s’extirpait maintenant du lac écarlate, attiré par la perspective d’affronter son rival ancestral. La tumultueuse machine d’airain palpita de puissance et se couvrit de brume rouge tandis que ses lourdes portes se soulevaient pour laisser le Bourreau descendre dans un cliquetis de métal, un résidu noir et huileux dégoulinant de ses plaques d’armure.

Le démon Iron Warrior était aussi imposant que dans le souvenir d’Uriel, sa charpente d’autant plus énorme qu’elle avait accumulé d’innombrables pièces d’armure au fil des millénaires. Il portait toujours son vieux tablier carbonisé, qui empestait la viande cuite et que des litres d’un sang antédiluvien avaient rendu rigide.

Une couronne de cornes noires venait orner son heaume cabossé, et Uriel ne fut pas surpris de constater qu’il tenait toujours son effroyable vouge à manche de fer, sa large lame encroûtée par plusieurs éternités de carnages.

Le Cœur de Sang s’esclaffa dans un grondement de tonnerre en voyant le Bourreau s’avancer sur la plateforme.

— C’est à ça que tu es réduit ? hurla-t-il d’un ton hilare. À porter les chairs de ton geôlier ?

— C’est la seule chair fraîche qu’on m’a laissée ! aboya le Bourreau. Mais assez parlé. Je vais réduire ton moi éthéré en charpie !

Les pieds solidement ancrés au sol, le Cœur de Sang leva son énorme hache et fit crépiter son fouet, beuglant des défis sanguinaires au Bourreau. D’épaisses volutes de fumée écarlate fusionnèrent autour du gigantesque Iron Warrior pour se changer en créatures de chair morte parcourues par des courants d’énergie impalpable.

— Les sarcomata ! s’écria Uriel d’un ton rageur, reconnaissant les démons dépourvus de traits qui les avaient portés à bord de l’horrible engin de l’Omphalos Dæmonium. Ils étaient huit à prêter main-forte à leur maître démoniaque, chacun vêtu d’un bleu de chauffe informe et grisâtre, ainsi que de cuissardes renforcées par des jambières en métal rouillé. Ils exhibaient toute une panoplie de poignards, de crochets et de scies à métaux, et à les voir claquer vicieusement des mâchoires, on devinait aisément qu’ils se languissaient d’en faire usage.

Leurs visages purulents rappelaient la peau écorchée des Décharnés, mais si l’on percevait encore chez ces derniers quelque chose d’à peu près humain, les sarcomata n’avaient plus, pour leur part, la moindre trace d’humanité derrière laquelle masquer leur difformité. Un réseau de coutures grossières balafrait leur figure aveugle au-dessus d’une gueule garnie de crocs, et leur langue filiforme frétillait avidement dans l’air.

Uriel se serait attendu à ce que le Cœur de Sang se fende d’une réplique, mais la parole n’entrait pas dans l’équation quand deux démons du Dieu du Sang se rencontraient. Le Cœur de Sang fit de nouveau parler son fouet crépitant, la lanière barbelée entamant le poitrail du Bourreau dans une gerbe d’étincelles. Le démon bardé de fer s’élança de la plateforme en poussant un rugissement et son rival bondit à sa rencontre, les deux puissantes créatures se percutant dans une débauche flamboyante d’énergie warp.

Les machines se fracassaient et les immenses piliers de fer étaient arrachés au gré des estocades que les deux terribles démons s’échangeaient, laissant libre cours à une haine qui les consumait depuis une éternité. Toute la caverne résonnait de la plainte assourdissante de leurs armes infernales, et les parois tremblaient sous le choc de leur combat dantesque.

Uriel s’accroupit contre le bulldozer, prenant conscience que la bataille des démons n’était pas seule responsable de la démolition en cours de l’endroit. Il percevait des coups sourds, comme des bruits d’impacts ébranlant la roche, et sourit intérieurement en devinant ce qu’il se passait.

— La forteresse d’Honsou subit un nouveau bombardement ! cria-t-il.

Pasanius avait l’air dubitatif.

— Le pilonnage d’artillerie doit être sacrément intensif pour qu’on l’entende à cette profondeur, fit-il remarquer.

— En effet, acquiesça Uriel. Toramino doit être en train de mettre dans l’assaut tout ce qu’il a dans le ventre.

Leur lutte acharnée déporta les deux démons jusque dans le lac de sang, leur danse furieuse faisant voler des blocs de rochers et des pièces de machines sur leur passage. Des geysers de sang bouillonnant jaillirent de la surface et une pluie écarlate commença à tomber tandis que les entités maléfiques continuaient de s’entredéchirer.

— Allez, on y va ! hurla Uriel par-dessus le vacarme. Mieux vaut ne pas moisir ici. L’armée de Toramino aura bientôt détruit cet endroit et je ne préfère pas rester à proximité du combat titanesque que se livrent ces deux créatures !

— Où va-t-on ? demanda Pasanius alors que des tas de gravats tombaient des murs pour s’écraser sur le sol en soulevant des nuages de poussière.

— N’importe où, mais loin d’ici ! répondit Uriel en désignant du menton le long passage qui menait à la cage d’ascenseur qu’ils avaient empruntée plus tôt pour descendre des appartements d’Honsou. Si l’ascenseur fonctionne toujours, on peut retrouver l’endroit par lequel ce démon aux yeux d’argent nous a fait pénétrer dans la forteresse.

Il s’agenouilla à côté de Leonid et lui souffla :

— Allez, on lève le camp, colonel. Venez.

Leonid leva les yeux, le regard voilé de larmes, et Uriel vit à cet instant qu’il avait atteint les limites de son endurance. Le colonel secoua la tête.

— Non. Vous, allez-y. Je vais rester ici avec Larana Utorian.

— Pas question qu’on vous laisse ici ! protesta vivement Uriel. Un space marine n’abandonne jamais un frère de bataille.

— Je ne suis pas votre frère de bataille, Uriel, répliqua tristement Leonid en toussant. Même si on réussissait, elle et moi, à se sortir d’ici, on ne survivrait pas plus de quelques jours. Les cancers que les Mechanicus nous ont fait contracter se développent un peu plus chaque jour. La partie est terminée pour nous.

Uriel posa une main sur l’épaule de Leonid, sachant pertinemment qu’il disait juste, mais répugnant à accepter le sacrifice du colonel, comme s’il avait lui-même décidé sciemment de l’abandonner.

— Que l’Empereur soit avec vous, dit-il.

Leonid baissa les yeux vers le visage de Larana Utorian et sourit.

— Je pense qu’Il l’est.

Uriel acquiesça avant de se détourner tandis que Pasanius s’approchait pour faire ses adieux.

— Je vous souhaite une belle mort, Leonid. Si nous survivons, j’allumerai un cierge pour que votre âme retrouve plus facilement le chemin.

Leonid ne répondit rien. Il berçait le corps ravagé de Larana Utorian dans ses bras.

À court de mots, les Ultramarines se retournèrent et partirent en courant vers l’entrée de la caverne, bravant le déluge de décombres causé par la bataille des démons.

Derrière eux, le colonel Mikhaïl Leonid et le lieutenant Larana Utorian du 383e des dragons de Jouran se serraient fort, pelotonnés dans les bras l’un de l’autre en attendant la mort.

Pasanius tressaillit en sentant un déluge de pierres effondrées s’abattre à proximité, le couvrant de poussière et lui faisant perdre l’équilibre. Pris d’une quinte de toux, il appela Uriel qui avait disparu au milieu des nuages de fumée.

— Ici ! hurla Uriel, et Pasanius se dirigea à tâtons en direction de la source du cri.

Il s’effondra sur le sol en trébuchant sur quelque chose et prit appui sur son bras pour se relever, mais, se souvenant avec un temps de retard qu’il n’avait plus d’avant-bras pour soutenir son poids, il s’écroula une nouvelle fois de tout son long. Maudissant sa bêtise, il finit par voir sur quoi il s’était pris les pieds.

La silhouette gloussante de Sabatier se traînait péniblement sur le sol en quête d’un abri, son corps difforme et couvert de contusions vautré dans la poussière. Il avait un large impact dans le dos, là où la créature qui avait fait irruption par le portail avait fait feu, mais Pasanius constata sans surprise que Sabatier était encore en vie. Après tout, il avait déjà survécu au traitement infligé par Vaanes, qui lui avait brisé le cou telle une branche de bois mort.

L’os fracturé par le renégat saillait toujours de sa nuque, et Pasanius retourna sur le dos le monstre répugnant qui vagissait de douleur et d’épouvante.

— Alors, on la ramène moins maintenant, hein ? lança Pasanius.

— Laissez Sabatier ! Il a jamais fait de mal !

— En effet, observa Pasanius d’un ton hargneux. Il s’est contenté de jubiler pendant qu’on égorgeait mes amis comme des moutons !

Le sergent à large carrure appuya le genou contre la poitrine de Sabatier, son seul poids suffisant à briser les côtes de l’hideuse créature. La gorge du monstre émit un gargouillis immonde, mais Pasanius n’avait pas le moindre scrupule à le faire souffrir. Sabatier avait regardé en ricanant des space marines se faire tuer, et Pasanius savait que pour cela, il méritait de mourir.

Le plaquant toujours au sol avec le genou, il attrapa Sabatier par le cou à l’aide de la main qu’il lui restait et tira dessus.

Le cou du mutant s’étira et Pasanius entendit les tendons craquer avant de finir par lui arracher proprement la tête. Les lèvres de Sabatier continuaient de s’agiter, mais sans plus produire aucun son.

Pasanius ne pouvait être certain d’avoir vraiment tué Sabatier, mais il s’en contrefichait. Lui avoir rendu la monnaie de sa pièce était déjà amplement suffisant. Il se releva et cracha sur le corps saisi de convulsions, piétinant à plusieurs reprises ses membres difformes pour réduire ses os en poussière, avant de se détourner en jetant la tête du mutant vers le lac de sang.

Si jamais Sabatier survivait à cela, il serait au moins bien en peine de rassembler les différentes parties de son corps.

— C’était quoi ? demanda Uriel qui émergeait des nuages de poussière en lui faisant signe de le suivre vers l’entrée du tunnel.

— Rien, répondit Pasanius. Je faisais juste un peu de ménage.

Leonid caressa la joue de Larana Utorian, des larmes ruisselant sur son visage alors que la douleur qui lui brûlait les entrailles depuis qu’il avait été fait prisonnier à Hydra Cordatus lui contractait une nouvelle fois l’estomac. Il savait qu’il n’en avait plus pour longtemps, que les cancers le rongeaient déjà jusqu’à l’os. Et à voir l’état dans lequel se trouvait Larana Utorian, il devinait que ses jours lui étaient à elle aussi comptés.

Ils étaient les derniers survivants du 383e, et savoir qu’ils allaient mourir ensemble lui était d’un grand réconfort. Il eut une pensée pour les hommes et les femmes de son régiment, se remémorant la dernière fois qu’il avait combattu à leurs côtés lors de la chute de la citadelle. Ils s’étaient tous montrés admirables.

Le commissaire Vauban, honorable guerrier qui s’était avéré si courageux dans l’adversité. Piet Anders, Gunnar Tedeski et Morgan Kristan, ses frères officiers. Et sans oublier le simple soldat Hawke, véritable boulet du régiment qui s’était littéralement transcendé, révélant des trésors insoupçonnés de bravoure qui avaient bien failli sauver la situation.

Ils étaient tous morts à présent. Larana Utorian et lui ne tarderaient plus à les rejoindre.

Le colonel Leonid leva les yeux en entendant un sifflement résonner dans la salle et retint sa respiration, voyant les deux démons émerger du lac de sang d’un pas chancelant. Ils étaient tous deux dans un sale état, le corps mutilé et leurs plaques d’armure lacérées par les coups surpuissants qu’ils s’échangeaient. La violence de leur lutte avait dévasté la majeure partie de la caverne, et des portions entières continuaient de s’effondrer dans une avalanche de rochers et de gravats.

Le Cœur de Sang tituba sous le coup terrible que venait de lui asséner l’Omphalos Dæmonium… ou le Bourreau… Leonid n’était pas bien sûr de comprendre la nuance entre ces deux entités, et doutait même de vouloir la connaître, si tant est qu’il y eût une réelle distinction entre elles.

Le démon Iron Warrior enfonça sa longue vouge dans le flanc découvert du Cœur de Sang, le projetant vers un gigantesque amas de tables mortuaires et de chevalets garnis de cadavres suspendus. Une pluie de corps et de décombres s’abattit avec fracas, et Leonid vit le Bourreau se retourner pour balayer la caverne d’un regard circulaire.

Non, Ultramarines, vous n’allez pas échapper à ma vengeance si facilement…

Leonid poussa un cri en entendant l’horrible voix résonner dans sa tête.

Les sarcomata se repaîtront de vos âmes pour l’éternité !

Leonid vit alors les huit démons serviteurs se volatiliser à nouveau dans l’air, tourbillonnant un instant sous leur forme gazeuse avant de partir à la poursuite d’Uriel et Pasanius.

— Non ! hurla Leonid d’une voix rageuse. Vous ne les aurez pas !

Les sarcomata ignorèrent ses provocations, trop concentrés sur leurs proies, jusqu’à ce que Leonid finisse par se souvenir de leur faible pour tout ce qui était corrompu. Il desserra le col élimé de sa veste d’uniforme et arracha la plaque d’identification de Larana Utorian qui masquait une tumeur cancéreuse se développant sur la veine palpitante de son cou.

Un sang pollué suintait des pores de sa peau, pour venir s’accumuler dans le creux de la clavicule et tremper sa veste d’uniforme. Il en respira les effluves puants et cuivrés avant de hurler :

— Par ici, espèces de saloperies démoniaques ! C’est ça que vous voulez, non ?

À peine les gerbes de son sang contaminé eurent-elles giclées que les comètes de fumée formées par les sarcomata changèrent de cap pour fondre sur lui, attirées par les tumeurs virulentes dévorant ses chairs comme s’il se fut agi de sucreries de premier choix.

Le colonel Leonid se laissa tomber sur le derrière et serra fort Larana Utorian, passant la main dans la poche intérieure de sa veste pour en retirer un objet rond et plat.

— Tous morts, tous morts, tous morts, tous morts…, souffla Larana Utorian dans un murmure.

— Oui, acquiesça Leonid. Et nous aussi.

Une brume rouge d’une moiteur écœurante les enveloppa pour disparaître aussitôt, laissant les deux Jourans à la merci des sarcomata assoiffés de cancers qui les encerclaient. Le contact sur leur peau était répugnant, évoquant une nuée d’asticots frétillants tandis qu’ils caressaient amoureusement leurs tumeurs enflées.

Les démons se mirent à mordre leurs chairs malades et il poussa un hurlement de douleur.

L’espace d’un bref instant, il croisa le regard de Larana Utorian qui le gratifia d’un dernier moment de lucidité.

Elle lui sourit et hocha la tête.

Leonid appuya sur le détonateur de la grenade qu’il avait récupérée sur le concasseur non loin de là où ils avaient trouvé Obax Zakayo, pulvérisant les sarcomata ainsi qu’eux-mêmes dans une gerbe d’explosion nucléaire.

— Eh non, Ventris, c’est pas par là la sortie, railla Honsou, qui resserrait sa prise sur sa hache en se mettant en position de combat. Le maître de Khalan-Ghol et une vingtaine d’Iron Warriors venaient de débouler du passage à l’instant même où les Ultramarines l’atteignaient. Uriel vit qu’il n’y avait aucun moyen de les éviter. L’espèce de démon aux yeux d’argent qui se faisait appeler Onyx se tenait un peu à l’écart du groupe, le moindre de ses mouvements manifestement surveillé.

Un Iron Warrior aux traits menaçants, coiffé à l’iroquoise, le serrait de près, braquant un énorme pistolet, qui ressemblait à un bolter trafiqué auquel on aurait ajouté un fût de canon à fusion, vers le symbiote démoniaque.

Les parois de la caverne continuaient de trembler sous les pas pachydermiques des démons en train de se battre, mais un calme inquiétant était tombé sur l’endroit, comme si l’univers entier retenait son souffle, curieux de l’issue qu’allait trouver le drame en train de se jouer.

— C’est terminé, Honsou, lança Uriel. Ta forteresse est perdue.

— Bah ! J’en ferai édifier une autre, répliqua Honsou dans un haussement d’épaules. Celle-ci n’était pas vraiment à moi, de toute façon.

— Ça, c’est sûr, elle est à Toramino maintenant ! cria Pasanius.

— Je ne le conteste pas, dit Honsou, du moins pour ce qu’il en restera quand ses sorciers et ses artilleurs auront fini de la dévaster.

L’Iron Warrior pointa du doigt les cieux rougeoyant horriblement au-dessus de leurs têtes.

— Dis-moi, à propos : ça aussi, c’est votre œuvre ou c’est encore un autre maléfice de ton maître ?

— De mon maître ?

— Allez, Ventris, on tombe les masques maintenant ! s’esclaffa Honsou. Fini de jouer, je veux bien évidemment parler de Toramino !

— Nous n’avons pas d’autres maîtres que le seigneur Calgar et l’Empereur, rétorqua Uriel.

— Même maintenant, tu continues tes petits jeux puérils, soupira Honsou. Enfin, aucune importance, la partie se termine ici, de toute façon.

— Oui, acquiesça Uriel en brandissant son épée. Elle se termine avec ta mort, sale traître.

— Peut-être bien, mais crois-moi, tu me suivras en enfer la seconde d’après.

Uriel secoua la tête.

— Tu crois que ce genre de détail compte encore au milieu de cette tourmente ? Je vais t’affronter et te tuer, un programme qui me suffit amplement.

— M’affronter ? répliqua perfidement Honsou. Tu crois vraiment qu’on va se battre en duel ? Tu rêves, mon petit ! On est dix fois plus nombreux que vous ! Qu’est-ce qui te fait croire que je vais te donner l’opportunité de m’affronter en combat singulier ?

Les Iron Warriors braquèrent leurs armes vers eux, conscients que le premier sang versé ne tarderait plus, mais attendant le signal de leur maître pour déchaîner leur salve meurtrière.

Pasanius se pencha à l’oreille d’Uriel pour lui chuchoter :

— Tu prends les dix de droite, je prends les dix de gauche.

Bien malgré lui, Uriel laissa échapper un petit rire, se tenant dos contre dos avec son plus vieil ami.

— Courage et honneur, vieux camarade, souffla Uriel.

— Courage et honneur, répéta Pasanius.

Les deux Ultramarines se préparaient à charger alors que les Iron Warriors armaient leurs bolters.

Le Cœur de Sang s’affaissa à genoux, la vouge de l’Omphalos Dæmonium enfoncée dans sa chair engendrée par le Warp, une large entaille ouverte dans le flanc. Un sang noir ruisselait sur son armure et ses forces l’abandonnaient peu à peu. Les années d’emprisonnement dans les profondeurs de Khalan-Ghol l’avaient privé d’une grande part de sa vigueur et de sa puissance diabolique. Un autre coup le frappa en pleine poitrine, l’envoyant valser à travers la grotte.

— L’éternité t’attend ! rugit l’Omphalos Dæmonium. Un siècle piégé dans les flammes n’est rien comparé à ce que tu vas endurer !

Une pluie incessante de gravats tombait des parois, soulevant des nuages de poussière et écrasant tout ce qui pouvait bien joncher le sol de la caverne.

— Tu ne peux pas me détruire. Je suis le Cœur de Sang !

L’Omphalos Dæmonium se rua sur lui, un feu avide et vengeur couvant dans ses yeux. Le Cœur de Sang bondit sur ses pieds et fit claquer son fouet. Le coup atteignit son adversaire à la tête, lui arrachant un hurlement de douleur et faisant gicler une gerbe de sang noir du bois de ramure noueux que l’arme venait de trancher.

Son coup heureux offrit un peu de répit au Cœur de Sang, qui s’écarta en titubant pour retourner s’immerger dans le lac écarlate. Il sentit le fluide revigorant pénétrer ses chairs immatérielles et des forces vives réalimenter son essence. Mais c’était un sang de piètre qualité qui stagnait là, infecté par des courants d’énergie psychique, à mille lieues du liquide chaud et nourrissant dont il avait besoin pour vaincre son ennemi.

Tandis que l’Omphalos Dæmonium venait le chercher, une foule hurlante de souvenirs se bousculèrent dans l’esprit du Cœur de Sang, bien qu’il ne disposât plus des facultés mentales pour se les expliquer. La démence qui l’avait consumé pendant son incarcération l’avait privé de toute lucidité à l’exception de son obsession du sang ; ce sang qu’il désirait tant… dont il était à ce point assoiffé !

La vision prégnante d’une immense forteresse surnagea à la surface du panorama liquide de sa mémoire ; non, ce n’était pas sa mémoire, mais les souvenirs imbibés de sang de l’avatar de Khorne, la créature que l’armure était devenue en son absence…

Une bataille livrée aux côtés des Iron Warriors, un sorcier ennemi en armure jaune (un fidèle du Dieu-cadavre), une tornade de sang qui s’élevait en hurlant tel un ouragan et alimentait son esprit, lui donnant une puissance inimaginable.

Quelque chose dans ce souvenir était la clé qu’il lui fallait pour vaincre son rival, ramener l’Omphalos Dæmonium dans la prison de flammes où il l’avait confiné pendant un siècle.

Une simple expression perça l’air suffocant de son délire amnésique.

Tempête de sang

La première balle à le faucher en pleine charge l’atteignit au bas-ventre, déchiquetant la couche de tissu qui s’était formée sur la cicatrice de la blessure autrefois infligée par la reine Norn tyranide. Cela se passa trop vite pour que le projectile tiré à bout portant puisse détoner à l’intérieur de son corps, mais il explosa une fraction de seconde après être ressorti du bas de son dos, criblant sa chair de fragments de métal brûlant.

La deuxième se fracassa contre l’une des rares pièces d’armure qu’il lui restait, un éclat chauffé au rouge venant lui entailler verticalement la joue, et la troisième lui foudroya le flanc, réduisant sa hanche en charpie sanguinolente.

Il chancela, mais continua d’avancer pour trancher d’un coup de son épée flamboyante le cou de l’Iron Warrior qui l’avait tiré comme un lapin. Pasanius reçut quatre impacts de balles. Son armure avait dévié la plupart des tirs, mais n’avait pu lui éviter d’être sévèrement touché.

Le sergent s’écroula, entraînant dans sa chute l’Iron Warrior qu’il avait en face de lui, dont il brisa le cou dans un craquement de vertèbres.

Une autre balle faucha Uriel et il s’effondra sur le sol.

Les détonations de bolters emplissaient l’air. Uriel entendit un cri de douleur mêlé de surprise.

Des hurlements et encore d’autres coups de feu.

Il tenta péniblement de se relever, sentant une vive douleur à chacun de ses mouvements. Il se demandait bien pourquoi il n’était pas encore mort.

Des rugissements de haine retentissaient tout autour d’eux, des hurlements de fureur et des plaintes de suppliciés. Malgré la puanteur de sang et de mort qui saturait l’endroit, Uriel put distinguer une odeur putride de viande crue et prit conscience de ce qu’il se passait.

Du sang gicla de la gorge déchiquetée d’un Iron Warrior, et Uriel poussa un cri de victoire en reconnaissant la silhouette meurtrie, mais toujours insoumise, du seigneur des Décharnés. Celui-ci se débarrassa du trophée macabre qu’il avait dans la main pour se précipiter sur un autre marine du Chaos qui canardait frénétiquement la nuée de monstres.

— Hommes de fer mourir ! mugit-il alors que les créatures survivantes de la caste des Décharnés se jetaient sur les guerriers d’Honsou.

Le guerrier affublé d’une crête iroquoise abattit les jumeaux siamois, le souffle brûlant de son arme pulvérisant la créature dans un chuintement d’air surchauffé. Onyx esquiva lestement les coups de gourdin brutaux de deux Décharnés, tournoyant autour d’eux et leur coupant les jarrets au gré de sa danse endiablée.

Voyant Honsou battre en retraite face à la déferlante de Décharnés, Uriel roula sur le côté et ramassa son bolter.

Il se rendait compte à quel point les soins habituellement administrés par son armure lui manquaient, sentant la douleur de la blessure par balle qu’il avait reçue le lancer terriblement. Pasanius gisait allongé sur le cadavre d’un Iron Warrior, trois larges trous sanguinolents dans le dos.

— Pasanius ! appela Uriel.

Son sergent tourna la tête et Uriel put constater qu’il avait le visage émacié, d’une pâleur mortelle.

— Hé, sergent ! T’avise pas de mourir, je ne veux pas avoir ça sur la conscience ! cria Uriel, qui déposait son épée sur le sol pour mettre sa cible en joue avec son bolter.

— Entendu, capitaine, répondit faiblement Pasanius.

On aurait dit que les nappes de fumée et les gesticulations frénétiques des combattants s’étaient passé le mot pour boucher la vue à Uriel et l’empêcher de viser, mais il finit malgré tout par réussir à avoir Honsou dans sa ligne de mire.

— Meurs maintenant, sale traître ! lâcha Uriel dans un murmure, pressant sur la détente tandis que le fracas d’une explosion retentissait à côté de lui dans un déluge de gravats.

Mais juste avant de perdre Honsou de vue, il avait vu le maître de Khalan-Ghol être projeté en arrière, une gerbe écarlate giclant de son casque au milieu des fragments de céramite en suspension.

Tempête de sang…

Les deux démons se faisaient face dans les profondeurs du lac de sang, reliés par le lien palpable de leur haine partagée. Des rafales de puissance créaient des remous tourbillonnants tout autour d’eux, l’énergie qu’ils avaient dépensée dans la bataille les ayant vidés de presque toute leur vitalité.

Il n’y avait plus rien à ajouter. À cet instant, de toute façon, qu’auraient bien pu se dire deux êtres qui s’étaient voués depuis la nuit des temps une haine aussi farouche ?

Les mots n’étaient plus maintenant que pour les mortels, pour ceux qui disposaient d’un avenir susceptible de se souvenir d’eux.

L’Omphalos Dæmonium s’était préparé à ce moment depuis que l’intervention opportune de deux mortels l’avait par hasard libéré, et il était de loin le plus fort des deux.

Mais le Cœur de Sang et l’avatar de Khorne ne faisaient à nouveau plus qu’un, et l’armure ravagée s’était régalée de la mort de toute une galaxie d’âmes. Chacun des deux démons était un adversaire à la taille de l’autre, mais aucun ne pouvait encore s’imaginer l’autre anéanti.

Tempête de sang…

Le Cœur de Sang écarta les bras et libéra un cri de rage déchirant qui divisa les flots de fluide vital, provoquant un tsunami de sang déferlant du centre du lac. L’armure du Cœur de Sang avait donné naissance à une tornade écarlate affamée qui se propageait dans toute la caverne à la manière de l’onde de choc d’une explosion.

L’orage de haine pure s’abattit sur le domaine dévasté des féroces morticiens, qu’il ravagea avec la frénésie d’un monstre impitoyable, sa force irrésistible repoussant l’Omphalos Dæmonium.

La tempête de sang balaya les décombres de la caverne, ainsi que les rares mutants qui se cachaient encore en frémissant sous les machines renversées. Elle lacéra leurs chairs et les pulvérisa.

La tempête de sang déchiqueta la carcasse mutilée d’Obax Zakayo, abrégeant finalement ses souffrances dans une explosion de cartilages.

La tempête de sang souffla sur les matrices charnues des daemonculaba, qui éclatèrent l’une après l’autre comme de grosses pastèques rebondies remplies d’hémoglobine.

La tempête de sang tourbillonnait sur toute la circonférence de la caverne, répandant un océan écarlate d’énergie éthérée tandis qu’elle hurlait tout autour du Cœur de Sang à son épicentre.

Le corps majestueux du démon enfla jusqu’à atteindre des proportions monstrueuses. Son armure et ses armes crépitaient d’une puissance difficilement contenue alors qu’il tâchait de contrôler les énergies de l’océan de sang frais dont il venait de se repaître.

Il était fin prêt, à présent.

Et ce serait la fin de tout.