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Douze

— Je vois que vous avez survécu aux portails de la confusion, lança le guerrier d’un ton vaguement impressionné tout en continuant de s’approcher des space marines. Son armure entière était d’un noir d’encre, les flammes aveuglantes ne se réfléchissant même pas sur sa surface lisse et lustrée. Uriel remarqua qu’il ne portait pas d’arme de poing, mais cela ne le rassura pas pour autant. Car, après tout, quel signe de confiance plus éclatant chez un guerrier que le voir s’avancer désarmé au-devant de plus de deux douzaines de space marines ?

Quoique « désarmé » ne fût pas le mot adéquat, se dit Uriel en détaillant ses longues griffes de bronze étincelantes.

— Qui êtes-vous ? l’apostropha Uriel.

Le guerrier sourit, sa bouche répandant une faible lueur argentée tandis qu’il reprenait la parole :

— Vous ne disposez pas des configurations auditives ou vocales pour entendre ou prononcer mon nom, donc pour vous, je serai simplement Onyx.

Les space marines braquèrent leurs armes dans sa direction, le crépitement des flammes s’éteignant peu à peu autour d’eux alors que de nouvelles ombres venaient onduler dans la ruelle, les replongeant dans les ténèbres.

— Ce sont vos créatures ? demanda Uriel, qui levait à son tour son
pistolet.

— Les Exuviae ? Non, ce ne sont rien de plus que les effets de la pollution qui affecte Khalan-Ghol, les ordures déversées par ses usines qui mutent en forme d’existence particulièrement stupide. Ils infestent cet endroit, mais ils ont leur utilité.

— Vous feriez mieux de nous laisser passer, lança Vaanes d’un ton
hargneux.

Onyx secoua la tête.

— Non, mon maître m’a ordonné de vous amener à lui.

— Votre maître ? interrogea Uriel. Honsou ?

— En effet, répliqua Onyx.

Uriel voyait bien qu’il n’y avait aucune chance qu’ils puissent reprendre leur chemin sans avoir recours à la violence. Il n’avait pas la moindre idée des redoutables prodiges dont le guerrier ennemi dénommé Onyx pouvait se montrer capable au corps à corps, mais il n’avait nul désir de le découvrir.

— Abattez-le, intima-t-il calmement.

Un feu nourri de bolters déchira l’air de la ruelle, mais Onyx se mit en mouvement en un éclair, avec la fluidité du mercure, glissant comme une ombre entre les projectiles et faisant des pirouettes au-dessus de la grêle de balles. Les griffes de bronze jaillirent en direction de l’abdomen d’Uriel, qui se jeta en arrière contre le mur, évitant de justesse d’être éventré par le coup fulgurant.

Profitant de la posture d’Onyx, Pasanius s’avança prestement pour lui envoyer un violent coup de pied, mais le guerrier tout de noir vêtu esquiva en virevoltant et lui frappa le visage du coude, avant de bondir sur ses épaules et de fondre tel un tourbillon sur Ardaric Vaanes. Kyama Shae ouvrit le feu à bout portant avec son bolter, les balles ricochant sur les plaques luisantes de l’armure de jais de sa cible.

Onyx fut sur le Crimson Fist en un clin d’œil et lui perfora le ventre d’un coup de poing, les griffes de bronze déchiquetant consciencieusement son armure ainsi que ses chairs dans un mouvement ascendant. Il se détourna de sa victime d’une impulsion aérienne, laissant entendre un craquement sinistre, la colonne vertébrale de Shae restée dans son poing serré. Le space marine s’affaissa à genoux, des flots de sang ruisselant de la large plaie ouverte sur son corps mutilé. L’espace d’une fraction de seconde, ses yeux contemplèrent avec une fascination horrifiée sa colonne vertébrale dans la main d’un autre, avant qu’il ne finisse par s’écrouler la tête la première sur le sol.

Uriel resta pétrifié devant cette vision d’horreur tandis que la colonne vertébrale sanguinolente était engloutie par les ténèbres vitreuses de l’armure d’Onyx et que l’assassin aux yeux d’argent bondissait à nouveau pour esquiver une nouvelle salve de tirs qui alla cribler le mur derrière lui. Il prit appui contre le mur pour s’élancer en vol plané entre ciel et terre, écrasant des trachées et décapitant des space marines à chaque mouvement.

En atterrissant, il plongea ses griffes dans les cadavres de chacune de ses victimes, arrachant leur colonne vertébrale dans un bruit atroce d’os brisés. Cinq space marines étaient au tapis et ils n’avaient toujours pas réussi à faire couler la moindre goutte du sang de cette créature. Uriel arrosa Onyx de balles explosives, mais quel que fût son degré d’anticipation des mouvements du tueur, il était toujours un brin trop lent et le ratait chaque fois d’un poil.

— Que l’Empereur nous vienne en aide ! hurla Vaanes. Il est trop rapide !

Un autre space marine s’effondra, ouvert en deux de l’aine au sternum, et Uriel eut là une nouvelle preuve qu’Onyx ne comptait pas forcément s’embarrasser de détails pour répondre au souhait de son maître. Le guerrier bardé de noir tournoyait dans les airs à une vitesse vertigineuse, ses veines d’argent étincelantes laissant derrière lui un sillage de particules de métal en fusion.

Uriel leva son bolter au moment où Onyx lui bondissait dessus, mais sut à la seconde même qu’il était déjà pris de vitesse. Le poing de son adversaire s’enfonça violemment dans sa gorge, les griffes les plus excentrées l’épinglant sur le mur derrière lui. Sa tête se fracassa douloureusement contre les briques et il sentit du sang coller à ses cheveux. Il constata que les griffes médianes du poing d’Onyx étaient partiellement rétractées, ne sentant qu’une vague piqûre au niveau du cou.

— Si quelqu’un bouge, votre chef y passe ! s’écria Onyx, baignant Uriel dans une lumière argentée chaque fois qu’il ouvrait la bouche. Le brasier des Exuviae immolés s’était éteint et de nouvelles vagues d’ombres bestiales arrivaient en ondulant, se cabrant à présent sur des pattes grossières qui avaient atteint un semblant de solidité. Les survivants de la troupe encerclèrent Onyx et Uriel, leurs armes braquées droit sur le dos du symbiote.

— Je croyais vous avoir entendu dire que votre maître voulait que vous nous ameniez jusqu’à lui, haleta Uriel.

— Tout à fait, acquiesça Onyx. Mais il n’a pas précisé s’il vous voulait vivants.

— C’est pas notre chef, de toute façon, lança Vaanes. Alors, allez-y, faites-lui la peau si ça vous chante, mais vous serez le suivant à mourir !

— Permettez-moi de ne pas être de votre avis, dit Onyx. Je peux voir la lumière d’une grande détermination embraser son âme.

— Allez-y, Vaanes, abattez-le ! s’écria Uriel, qui se débattait dans l’étreinte d’Onyx et ferma les yeux en entendant les balles de bolter fuser autour de lui dans un crépitement assourdissant. Il sentit Onyx frémir à l’instant où les projectiles lui criblaient le dos. Puis il entendit le rire du guerrier percer au milieu des détonations, et hurla de douleur en sentant la griffe médiane d’Onyx s’enfoncer d’un coup sec dans sa gorge et s’encastrer dans le mur.

La griffe se détacha et il glissa le long de la paroi, des flots de sang coulant de son cou sur son armure avant que les cellules de Larraman ne fussent en mesure de coaguler le fluide écarlate et de stopper l’hémorragie. Uriel haleta, le souffle coupé net, et se rendit compte que sa trachée avait été intégralement tranchée. Il ferma les yeux tandis que sa vue se brouillait et que son corps manquait d’oxygène, la poitrine prise de convulsions et battant à tout rompre. Il luttait pour garder l’esprit clair, sachant pertinemment que sombrer dans l’inconscience le condamnerait à coup sûr, et connecta son flux respiratoire au troisième poumon greffé à son système pulmonaire. Son mode de respiration modifié ferma le sphincter qui assurait ordinairement l’arrivée d’air et il prit une dernière inspiration juste avant que sa physiologie améliorée ne prenne le relais.

Onyx effectua un saut périlleux par-dessus la pluie de balles et atterrit derrière les space marines en poussant un hurlement atavique de bête sanguinaire. Ses griffes grossirent pour devenir de monstrueuses épées dorées, et trois space marines furent hachés menu comme chair à pâté. Son visage enflait et se ridait, pendant que des cornes noires et courbes lui poussaient sur les tempes. Les lignes scintillantes des parties augmentiques de son corps apparurent tandis que l’entité démoniaque tapie à l’intérieur d’Onyx prenait le contrôle total de son être.

Ses yeux lancèrent des éclairs, et Uriel comprit que la bête qu’il était devenu était impatiente de les faire souffrir de plus belle. Mais avant qu’il n’ait pu mettre ses desseins en application, le monstre frissonna de tout son corps et la créature démoniaque qu’était devenu Onyx se retira à nouveau dans les replis de ses chairs. Les épées dorées coulissèrent avec force contorsions pour disparaître finalement à l’intérieur de ses paumes.

Uriel le vit ainsi reprendre sa forme originelle.

Onyx laissa échapper un long soupir et posa un genou à terre, mais avant qu’aucun des guerriers présents n’ait pu tirer avantage de cet instant de vulnérabilité, les formes ondoyantes des Exuviae fondirent sur eux à la manière d’une marée noire. Uriel luttait pour se relever, mais les polluants bouillonnants le submergèrent, s’empressant de l’immobiliser au sol.

La matière mouchetée de toxines éructa des yeux ternes au regard stupide, qui se mirent à cligner bêtement des paupières tout en l’observant. Il entendit s’élever les cris de dégoût des space marines survivants tandis que les Exuviae les engloutissaient dans leur étreinte fétide.

Avec Onyx à leur tête pour montrer le chemin à travers les entrailles de Khalan-Ghol, les délires architecturaux semblaient se dissiper en réaction à sa seule présence. Là où la nature chaotique de ses configurations avait entraîné Uriel et ses frères de bataille dans une danse effrénée le long de ses rues enténébrées, on la voyait maintenant s’ordonner délicatement pour faciliter le passage à la créature démoniaque ainsi qu’au cortège rampant dans son sillage. Les Exuviae bouillonnants ondulaient d’une manière parfaitement grotesque le long des rues pavées, portant leurs fardeaux inertes au sein de leurs corps odieusement flasques.

Seuls Uriel, Pasanius, Vaanes, Seraphys, Leonid, Ellard et neuf autres space marines avaient survécu à l’odyssée les ayant vus pénétrer dans l’enceinte de la forteresse, mais Uriel savait que tant qu’il lui resterait un souffle de vie, rien ne lui ferait oublier son serment de mort. Les avenues encrassées prirent bientôt une pente descendante pour révéler leur destination finale : la tour de fer, véritable cœur de la place forte.

Que la vision qu’il avait sous les yeux fût le fruit d’une illusion d’optique ou des pouvoirs trompeurs du Chaos, Uriel n’en savait rien, mais il n’en resta pas moins stupéfait et sans voix devant son extraordinaire immensité. Le sommet de la tour se perdait dans les nuages pourpres qui la dominaient et il était impossible d’en embrasser la largeur du regard. Des minarets aux lignes de fracture torturées saillaient de ses flancs, soutenant des forges en surplomb qui vomissaient d’épaisses nappes de fumée toxique dans l’atmosphère. Des créatures ailées tourbillonnaient dans les airs ou se posaient en colonies sur des appentis délabrés, et des éclairs malfaisants crépitaient depuis les meurtrières. Une haute muraille ceignait la base de la tour, ses remparts couverts d’Iron Warriors et de tourelles de tir.

De gigantesques portes de fer noir défendaient l’entrée de la tour, flanquées d’immenses barbacanes fortifiées de chaque côté. L’effroyable portail s’ouvrit à leur approche en émettant un long gémissement tourmenté. Les Exuviae les traînèrent à l’intérieur, et tandis qu’on leur faisait passer les portes noires, Uriel aperçut des panaches de vapeur brûlante s’élevant des meurtrières hérissées de piques percées dans le toit.

En émergeant à l’autre bout de l’oppressant tunnel d’entrée, Uriel resta bouche bée d’effroi et d’émerveillement mêlés en découvrant que les fondations de la tour ne reposaient pas du tout sur le rocher, mais se trouvaient absurdement suspendues au-dessus du vide. À la manière d’une image
inversée, les limbes sans fond en contrebas semblaient refléter le ciel blanc en surplomb, et la structure imposante y était rattachée par la grâce de centaines d’immenses chaînes. Chacun de ces liens était aussi épais que les colonnes du grand portique du temple de la Correction et, alors qu’on les transportait vers l’extrémité d’un pont, Uriel constata que le bâtiment lui-même s’enfonçait dans le vide sur plusieurs kilomètres.

— Empereur, protégez-nous…, murmura-t-il.

— Vous gaspillez votre salive, rétorqua Onyx. Vous croyez vraiment qu’il dispose d’un quelconque pouvoir en ces lieux ?

Uriel ne prit pas la peine de répondre, répugnant à discuter plus longtemps avec un être souillé par les puissances déchues de l’immaterium. Une longue plaque de basalte enjambait le vide, sa surface décapée par le passage d’innombrables pieds et menant à une porte monumentale qui s’ouvrait sur la façade de la tour même. Tandis qu’ils traversaient le pont, Uriel remarqua que l’entrée avait été taillée dans une matière aux relents cadavériques, qui chuintait encore en bouillonnant comme si elle sortait tout juste des forges. Son ampleur était proprement colossale : des régiments entiers étaient susceptibles de l’emprunter de front et les Titans les plus imposants pouvaient passer dessous sans avoir à s’inquiéter de leur stature.

Onyx les mena jusqu’aux portes, une poterne plus petite et garnie de rivets leur permettant d’accéder à l’intérieur des halls sonores de la tour. Uriel sentait la puissance des âges reculés transpirer de ses roches anciennes et un sentiment chargé d’une malveillance antédiluvienne flotter dans l’air.

— Khalan-Ghol, annonça fièrement Onyx. La puissance et la majesté d’un dieu vivant ont concouru à édifier cette forteresse en lui prêtant une forme à sa convenance, au mépris des lois de la nature.

— C’est une abomination ! lança Pasanius avec hargne.

— Non, répliqua le symbiote démoniaque. C’est l’avenir.

L’intérieur de la tour n’était pas moins effrayant que sa façade. De vastes halls poussiéreux remplis de statues de bronze s’alignaient sous leurs yeux ébahis, ainsi que d’immenses forges aux murs suintants de vapeur, éructant des gerbes d’étincelles et des torrents orange de métal en fusion. Toute la tour transpirait d’une chaleur suffocante, la moisissure noire qui y proliférait dégouttant de l’ombre des voûtes de ses plafonds. Uriel percevait des hurlements dans le lointain ainsi qu’une pulsation résonnant sourdement depuis les profondeurs, plus puissante et retentissante que tout ce qu’il avait entendu jusque-là sur Medrengard.

Si on apercevait, çà et là, des ombres rampantes semblables aux Exuviae tapies en haut des cloîtres, la tour semblait essentiellement peuplée de silhouettes enveloppées dans des robes noires qui arpentaient ses couloirs en ronronnant d’une démarche mécanique.

Des yeux rouges augmentiques suivaient leur progression avec intérêt
tandis qu’Onyx menait son cortège d’Exuviae dans les profondeurs de la tour et que des bras de laiton surgissant des ténèbres tentaient de les agripper avec des sifflements affamés. Des symboles d’engrenages pervertis sur lesquels venait s’encastrer l’étoile à huit branches du Chaos étaient marqués au fer rouge sur les robes des créatures, qui échangeaient des paroles dans un charabia sibyllin et cliquetant tout en surveillant d’immenses machines poussiéreuses dont la fonction échappait totalement à Uriel.

Tandis qu’ils passaient à proximité d’un gigantesque édifice en bronze muni d’un système de drainage aux pistons graisseux et d’un écran pix monté sur son armature, un monstre énorme émergea en sifflant de l’ombre de l’imposante machine pour leur barrer le chemin.

Onyx se raidit en voyant la créature en robe noire s’avancer dans la flaque de lumière de son pas horriblement traînant. À sa vue, un frisson de terreur parcourut l’échine d’Uriel. Elle se déplaçait maladroitement sur six sortes de pattes d’araignée en fer riveté, le corps consolidé de l’intérieur par un exosquelette huileux. Aux endroits où sa chair était à nu, Uriel voyait qu’il avait la peau flétrie et putréfiée, un patchwork de points de suture courant le long de ses arêtes osseuses exposées. Il avait la tête lourde, rentrée dans les épaules, des aiguilles de laiton plantées sur tout le pourtour du crâne, qu’une cage en cuivre chevillée à ses tempes venait ceindre. Ce qu’on devinait de ses traits sous l’ombre du capuchon était répugnant, de la couleur d’un parchemin jauni, et la partie inférieure de son visage présentait un hybride étrange de métal étincelant et de peau dépecée. En guise d’yeux, il ne disposait que d’une paire d’instruments optiques vrombissants.

Des myriades de tubes transparents tenaient ses chairs sous perfusion, s’enroulant autour de son corps en glougloutant, et des soupapes intégrées à sa carcasse relâchaient des bouffées de fumée toxique au gré des soulèvements laborieux de sa poitrine d’asthmatique. Le monstre s’avança pour soulever Uriel du sol à l’aide de ses longs bras augmentiques encombrés de scalpels, de foreuses et de chalumeaux.

Onyx se dressa au-devant de la créature, toutes griffes dehors.

— Non, intima-t-il. Ceux-là sont pour le maître de Khalan-Ghol.

La bête laissa échapper un sifflement de colère, ses pattes griffues claquant de frustration et ses membres munis de foreuses venant vrombir dangereusement près de la tête d’Onyx. Elle se baissa pour écarter le guerrier bardé de noir de son chemin, mais Onyx restait fermement planté devant elle.

— J’ai dit non, répéta-t-il. Le temps viendra peut-être où les féroces morticiens disposeront d’eux, mais ce moment n’est pas encore arrivé.

Il sembla que la créature considérait un instant l’argument, avant de finalement acquiescer de son hideuse tête et retourner se tapir dans l’ombre d’où elle était venue.

Onyx la regarda partir et, profitant que son attention était détournée, Uriel se débattit de plus belle dans la prison de chair puante qui les transportait, Pasanius, Vaanes et lui. Ses efforts s’avérèrent cependant parfaitement vains tant l’étreinte des bêtes d’ombre bridait le moindre de leur mouvement. Une fois qu’il fut absolument certain que le féroce morticien ne préparait pas d’embuscade, Onyx rentra ses griffes et fit avancer les Exuviae porteurs de ses prisonniers.

La frustration d’Uriel montait d’un cran à chaque hall enténébré qu’ils traversaient et à chaque escalier aux angles improbables qu’ils gravissaient ou descendaient, incapable de bouger le moindre muscle. La pulsation sourde se faisait de plus en plus sonore et exaspérante à mesure qu’ils avançaient, et cette même lueur émeraude qui nimbait la cité se fit soudain plus vive lorsque leurs pérégrinations de couloirs en salles construites de la main de l’homme finirent par les conduire dans une vaste caverne à l’atmosphère rougeoyante et bordée de rangées de pistons dégageant des jets de vapeur.

Un pont en argent étincelant enjambait un large gouffre ouvert dans le sol, dont s’élevaient des volutes de fumée sulfureuse ainsi que des effluves brûlants de métal martelé. De l’autre côté du pont se trouvait un mur de pierre sombre veiné de vert aux proportions monumentales, sur lequel s’ouvraient d’immenses portes de fer. Hérissé de piques noires dentelées, le passage était flanqué de deux Titans aux traits démoniaques, dont les plaques d’armure portaient les traces de plusieurs millénaires de guerre. Uriel remarqua avec répugnance que les bannières de bataille suspendues à leur armement portaient le symbole honni de la Legio Mortis.

— Ouvrez grands vos yeux, car vous allez pénétrer dans l’antique sanctuaire de la forteresse de Khalan-Ghol ! C’est vraiment un grand honneur qu’on vous fait ! s’écria Onyx en leur faisant traverser le pont au-dessus de l’abîme. À leur approche, les portes se déverrouillèrent dans un fracas retentissant qui remua la poussière sur les gargouilles qui leur lançaient des regards mauvais depuis le plafond de la grotte, et les Titans s’animèrent pour ouvrir le portail hérissé de pointes.

Onyx leur fit passer les portes, et Uriel et ses compagnons se retrouvèrent enfin en face du maître de Khalan-Ghol.

Les murs à l’intérieur du sanctuaire de la forteresse étaient taillés dans une pierre noire luisante de moisissure, décorée de liserés d’or et d’argent. Une des parois était percée d’une vingtaine de grandes fenêtres en arc brisé d’où filtrait la lumière blafarde du ciel, projetant des traînées laiteuses sur le sol.

Un guerrier balafré aux cheveux noirs et ras siégeait sur un trône blanc argenté au milieu d’une cour de plusieurs dizaines d’Iron Warriors. Il était vêtu d’une armure dentelée qui portait les traces d’innombrables batailles et affichait une mine cruelle, nuancée par une expression de vif intérêt teintée de malice. Une longue plaie récemment cicatrisée lui barrait la tempe droite, et l’immense Iron Warrior qui avait immobilisé Uriel avec le fouet crépitant d’énergie se tenait derrière lui.

— Débarrasse-nous des Exuviae, Onyx, intima le guerrier.

Onyx opina de la tête et se retourna vers les monstres gluants. Les lignes argentées qui soulignaient ses traits brillèrent soudain d’un éclat plus vif
tandis qu’un sifflement s’échappait de sa bouche dans un halo gris métallisé. Uriel sentit l’étreinte des créatures se relâcher et leur masse s’affaisser sur le sol, revenant à une forme liquide et visqueuse. Leur substance battit en retraite devant la lumière qui illuminait les dalles, redevenant des ombres sinueuses et fuyantes. Elles filèrent se glisser dans les recoins sombres de la salle, avant de disparaître par les grandes portes pour aller retrouver refuge dans les ténèbres corrosives de la forteresse.

Uriel fut un bref instant tenté de saisir son épée, mais quand il leva les yeux, il se retrouva nez à nez avec les canons d’une quarantaine de bolters gravés de symboles obscènes et ornés de l’étoile à huit branches du Chaos. Les Iron Warriors leur arrachèrent leurs armes et les enjoignirent de se diriger vers le trône.

En s’approchant, Uriel remarqua que le guerrier avait une énorme hache de guerre noire sur les genoux et reconnut en lui le premier Iron Warrior qu’il avait combattu lors de son ascension vers la brèche. Son épée n’avait été qu’à quelques centimètres de décapiter ce démon.

— Je te connais, lança le guerrier, le reconnaissant également.

— Vous êtes Honsou ? hasarda Uriel.

Un Iron Warrior s’avança pour lui donner un violent coup de crosse sur la nuque. Uriel mit un genou à terre, sa blessure à la tête se rouvrant pour maculer une nouvelle fois son armure de sang.

Honsou acquiesça.

— Tu as visiblement entendu parler de moi, mais moi, je ne te connais pas. Comment t’appelles-tu ?

— Vous ne tirerez rien de nous par la force, clama Uriel, qui se relevait en se massant la nuque.

— C’est une question simple que je te pose, répliqua Honsou tout en frottant du bout des doigts la balafre sur sa tempe. Je voudrais juste connaître le nom du guerrier qui a fait couler mon sang.

— Très bien. Je m’appelle Uriel Ventris, et voici mes guerriers.

Honsou lança un coup d’œil derrière Uriel.

— Tu t’entoures d’une bien étrange compagnie, Uriel Ventris : des renégats, des traîtres et des esclaves en fuite.

Uriel s’abstint de répondre, se rendant compte qu’Honsou ne le prenait pas lui-même pour autre chose qu’un renégat. Sans insigne ni marque distinctive d’aucune sorte, rien n’indiquait en effet qu’il était encore un guerrier au service du véritable Empereur de l’Humanité.

Il réfléchit à toute vitesse, se demandant comment tirer avantage de l’erreur d’appréciation du traître tandis que ce dernier poursuivait :

— Comment se fait-il que tu aies entendu parler de moi ? C’est Toramino qui t’a mis au parfum ?

— Qui ça ?

— Ne fais pas l’innocent avec moi, le mit en garde Honsou. Tu verras que ma patience atteint vite ses limites quand on essaie de jouer au plus malin avec moi. Tu sais qui est Toramino.

Uriel ne répondant toujours pas, Honsou poussa un soupir.

— Tu perds ton temps à essayer de te comporter noblement, je saurai tout ce que je veux savoir, de toute façon. Si ce n’est pas maintenant, les féroces morticiens t’arracheront les vers du nez bien assez tôt. Et crois-moi, tu ferais mieux de cracher de suite ce que je veux savoir plutôt que d’aller souffrir le martyre entre leurs mains.

— C’est vrai, Toramino m’a parlé de vous, finit par dire Uriel.

Honsou laissa échapper un gloussement.

— Tu vois, Zakayo ? Toramino est tombé si bas qu’il en arrive même à employer de vulgaires mercenaires ! Ça en met un coup à ses grands idéaux de pureté, pas vrai ?

— Tout à fait, convint Obax Zakayo, qui contourna le trône d’Honsou pour soulever Leonid et Ellard du sol à l’aide des puissantes griffes suspendues au-dessus de ses épaules. Les deux hommes se débattirent dans son étreinte, mais n’étaient pas de taille à résister à la force phénoménale du géant.

— Je vous avais bien dit que je vous aurais à nouveau à ma merci, esclaves !

— Repose-les, Zakayo, leur sang n’est pas digne de maculer ces lieux. Envoie-les plutôt travailler dans les forges.

Obax Zakayo acquiesça et laissa retomber les deux gardes, mais resta à leurs côtés, brûlant manifestement du désir de faire d’eux de la chair à pâté.

— Que fabriques-tu dans l’enceinte de la forteresse, Ventris ? demanda alors Honsou.

— Comme vous dites, nous sommes des mercenaires, répondit Uriel.

— Ils sont passés par les portails de la confusion et tentaient de s’introduire dans le donjon quand je les ai trouvés, indiqua Onyx. Je crois que ce sont des assassins.

— C’est ça, Ventris ? Vous êtes une bande d’assassins ?

— Je ne suis qu’un simple soldat.

— Non, il n’en est rien, affirma Honsou d’un ton sans appel, tout en se levant de son trône pour s’avancer nonchalamment vers Uriel. Un simple soldat n’aurait jamais réussi à faire traverser à ses guerriers les portails de la confusion vivants ni à s’enfoncer si loin dans les profondeurs de Khalan-Ghol.

Honsou agrippa le menton d’Uriel et examina son visage sous toutes les coutures, le faisant pivoter de droite à gauche. Uriel nota que le traître avait une prothèse augmentique noire en guise de bras, dont la surface était aussi lisse que la carapace d’un insecte. Le contact sur sa peau était répugnant.

— Que fais-tu sur Medrengard ? demanda Honsou en fixant Uriel droit dans les yeux.

Uriel accrocha son regard et les deux guerriers restèrent ainsi, à se toiser intensément, chacun mettant l’autre au défi de briser le contact le premier. Uriel était un guerrier de l’Empereur de l’Humanité, et Honsou, un traître. L’un n’avait qu’un siècle d’existence quand l’autre avait passé des millénaires à livrer bataille. Même si un gouffre de temps et de foi les séparait, Uriel décelait en Honsou la présence d’un esprit guerrier, ainsi qu’une amertume au fond du cœur qui lui était, à son grand trouble, parfaitement familière.

Que sa présence dans l’Œil de la terreur ait exacerbé ses sens ou qu’il se reconnût simplement de sombres affinités avec le maître de Khalan-Ghol, il n’aurait su dire exactement. Toujours est-il qu’il prenait conscience avec horreur qu’il n’y avait pas autant de différences entre eux qu’il l’aurait de prime abord imaginé.

Il voyait en lui la même volonté de s’affirmer en tant que l’égal de ses pairs, la même frustration à voir l’aveuglement d’autrui nier sa place légitime. Quelque part, il admirait la détermination inflexible et monomaniaque avec laquelle Honsou poursuivait ses objectifs.

Si n’était la nature de leurs extractions respectives, n’aurait-il pas été envisageable qu’ils se fussent plutôt serrés les coudes sur le champ de bataille en tant que frères ? Uriel aurait-il pu dans une autre vie prendre part aux Croisades Noires ? Et Honsou aurait-il pu pour sa part défendre Tarsis Ultra en luttant épaule contre épaule avec ses frères space marines ?

Il décela de la reconnaissance et de l’estime dans l’expression d’Honsou, constatant que lui aussi avait mis le doigt sur leur héritage commun.

— Nous sommes sur Medrengard pour nous battre, répondit simplement Uriel.

— Je vois, acquiesça Honsou. Vous vous êtes bien battus devant mes murs. Et j’imagine que c’est vous que je devrais remercier pour la destruction du funiculaire grâce auquel Berossus faisait grimper ses troupes ?

— Tout à fait ! lança fièrement Vaanes. C’est moi qui ai tranché le câble.

— Il est alors clair que vous n’êtes pas au service de Berossus, peut-être seulement de Toramino…, raisonna tout haut Honsou avec une apparente délectation. En tout cas, vous m’avez rendu un fier service ! Privé de renforts, Berossus s’est trouvé dans l’incapacité de prendre les murailles. Sans vous, Khalan-Ghol serait peut-être à l’heure qu’il est entre les mains de ce satané imbécile !

Honsou passa en revue les membres de la troupe, jaugeant chacun d’entre eux. Il s’arrêta au niveau de Pasanius et souleva son bras en argent, afin d’en examiner de plus près la surface immaculée et sans défaut.

— De la bien belle ouvrage, finit-il par décréter. Ton œuvre ?

— Non, répondit Pasanius sans desserrer les dents. Les adeptes de Pavonis l’ont conçu pour moi.

— Pavonis ? Jamais entendu parler de cette planète. C’est un monde du Mechanicum ?

— Non.

Un sourire éclaira le visage d’Honsou.

— Tu me détestes, n’est-ce pas ?

Pasanius se tourna pour le dévisager.

— Oui, je vous déteste. Vous et toute votre sale engeance de traîtres.

Honsou passa dans le dos de Pasanius, essuyant la poussière noire ainsi que les résidus infects des Exuviae qui maculaient son armure pour regarder de plus près la couleur des plaques en dessous. Il revint ensuite au côté d’Uriel et examina également son armure.

— Je ne vois aucun insigne, dit-il. Quel est ton chapitre d’origine ?

— Quelle importance ici ? répliqua Uriel.

— J’aime ta manière de répondre à cette question.

— Ah bon ? Et comment y ai-je répondu ?

— Avec une grande circonspection, s’esclaffa Honsou. Je te livre mon sentiment là-dessus ?

— Cela changerait quelque chose si je répondais par la négative ?

— Pas vraiment, non. Je vais te donner mon avis, tu en feras ce que tu voudras : je pense que vous êtes des Ultramarines, quoique j’ose à peine imaginer quel genre de crime atroce un Ultramarine doit commettre pour se retrouver banni dans l’Œil de la terreur ! Vous avez tourné à droite au lieu d’aller à gauche sur le terrain de manœuvres ? Vous avez oublié de dire vos prières du matin ?

Uriel sentait sa colère monter, mais se fit violence pour ne pas réagir aux moqueries d’Honsou.

— En effet, nous sommes des Ultramarines, mais les raisons de notre
présence ici n’ont aucune importance. Nous sommes là pour nous battre, point barre.

— Je vois… Dans ce cas, vous êtes particulièrement regardant sur
l’identité de la personne pour laquelle vous vous battez ?

Uriel considéra la question avant de répondre.

— Pas particulièrement, finit-il par lâcher.

— Eh bien, je ne cracherais pas sur les services de guerriers dans ton genre, lança Honsou en lui tendant la main. J’ai tellement plus à t’offrir que Toramino ou Berossus. Te joindras-tu à moi ?

Uriel regarda la main tendue de l’Iron Warrior, un flot d’émotions contradictoires se bousculant dans sa tête. En tant que guerriers, Honsou et lui avaient de nombreux traits en commun, mais jamais ils ne pourraient réconcilier leurs divergences de croyances… à moins qu’il ne se trompât ?

Ne pouvant plus se proclamer d’aucun chapitre, que pouvait-il au fond lui arriver de mieux que tomber sur un leader courageux et visionnaire aux côtés duquel combattre ?

Son amertume quant à leur bannissement des Ultramarines mettait à rude épreuve tout ce en quoi il avait été amené à croire et toute l’instruction qu’il avait reçue en tant que space marine, et, croisant une dernière fois le regard d’Honsou, il vit clairement la seule option qu’il lui restait.