
Dix
— Il semblerait que votre tentative de mettre le seigneur Berossus hors de lui en torpillant son pavillon ait été un franc succès, commenta inutilement Obax Zakayo alors qu’une nouvelle salve d’obus se fracassait contre les murailles. Des gerbes de flammes et de fumée s’élevèrent dans le ciel, et Honsou regarda en riant une pluie de cadavres tomber au sein du déluge de décombres. Un nuage de poussière enveloppait aussitôt les débris qui s’abattaient avec fracas sur le pavé des remparts, et Honsou fut pris qu’une quinte de toux en avalant une pleine bouchée de cendres. C’était peut-être une bêtise de se poster si près des premières lignes, mais il suffisait qu’il se tienne à peine un peu plus en retrait du théâtre des opérations pour ne plus vraiment avoir l’impression de savourer pleinement le grondement des canons.
— Oui, en effet, tu ne trouves pas ? Il est tellement prévisible, ça enlèverait presque le plaisir de l’écraser.
— Mais, mon seigneur, il aura ouvert une brèche dans l’enceinte intérieure de Khalan-Ghol d’ici quelques jours, fit remarquer Onyx, qui se tenait légèrement en retrait par rapport à Honsou. Comment cela pourrait-il être à notre avantage ?
— Mais parce que c’est moi qui donne le la, Onyx, pas lui. Fais réagir un ennemi selon tes propres desseins et il sera pour ainsi dire perdu. J’ai déjà pratiquement réussi à le placer là où je voulais. Mais Toramino… Avec Toramino, ça vole quand même plus haut. C’est de lui que nous devons nous méfier. Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il peut bien être en train de fabriquer.
— Nos radars n’ont rien relevé de notable du côté de Toramino, indiqua Obax Zakayo. Il semble attendre, se contentant de ménager ses troupes pendant que Berossus envoie ses hommes se faire pulvériser contre nos murs.
— Je sais, et c’est ce qui m’inquiète, lança Honsou d’un ton cassant, agitant les bras vers le carnage qui avait lieu sur les murailles en contrebas. Toramino est trop malin pour envoyer ses hommes se ruer comme ça sur nous. Il est bien conscient que Berossus ne connaît nulle autre stratégie et il attend son heure pour frapper. Il nous faut anticiper son coup et le devancer. Sinon, c’est nous qui sommes perdus.
Onyx se pencha par-dessus le parapet et balaya de son regard aux reflets argentés l’endroit où Honsou, Obax Zakayo et lui-même se trouvaient. Des Iron Warriors se tenaient prêts à défendre les remparts dans l’éventualité que les bastions du dessous finissent par tomber, ce qui, s’il estimait correctement les forces déchaînées en contrebas, était plus que probable.
— Nous sommes trop près de la bataille, statua-t-il.
Honsou secoua la tête.
— Non, j’ai besoin d’être aux premières loges.
— Je peux vous protéger des attaques d’un assassin à l’arme blanche ou d’un tireur d’élite, répliqua Onyx, mais je ne pourrais dire de même pour ce qui est d’un obus d’artillerie. Une éternité de tourment attend l’essence de mon être si je commets l’erreur de vous laisser périr tandis que vous êtes sous ma protection.
— Et en quoi devrais-je me sentir concerné par ton tourment éternel ?
— En rien, puisque vous ne seriez plus de ce monde.
Honsou considéra l’argument l’espace d’une seconde avant de répliquer :
— Il se pourrait bien que là, tu marques un point, Onyx.
Le symbiote démoniaque opina respectueusement alors que d’autres obus venaient se fracasser dans un hurlement strident contre les murs en contrebas. Honsou se détourna, satisfait de la protection, selon lui optimale, dont jouissait le bastion qu’ils occupaient. C’étaient justement les hommes qu’il avait choisis pour l’accompagner dans le camp de Berossus qui avaient la charge de cette section des murailles, et sa grande compagnie ne comptait pas de meilleurs guerriers.
Il avait à peine esquissé un pas vers le parapet qu’un sombre pressentiment lui fit lever les yeux.
— Baissez-vous ! hurla-t-il.
Que ce fût le fruit d’un coup de chance ou d’un coup de maître, Honsou n’en saurait jamais rien. Toujours est-il qu’une salve d’obus s’abattit sur le bord du rempart où ses guerriers et lui se tenaient, arrachant le rocher de ses supports avec une fulgurance cataclysmique. Honsou se remit péniblement sur ses pieds et chercha désespérément à se réfugier sur l’esplanade derrière les fortifications, mais il était déjà trop tard.
Avec un craquement de roche brisée, Honsou et plusieurs centaines de ses meilleurs guerriers furent balayés du versant montagneux dans une avalanche de décombres et de blocs de pierre en morceaux.
Émerger des nappes de fumée, c’était comme renaître en enfer, pensa Uriel. Dans un premier temps, il s’était senti frustré de ne pas être en mesure de discerner leur destination finale, mais une fois qu’ils eurent traversé la couche nuageuse et purent enfin en avoir un premier aperçu de près, il ne tarda pas à souhaiter de n’avoir jamais eu cette vision sous les yeux.
S’étirant en hauteur pour lacérer le ciel morne, la forteresse d’Honsou faisait songer au délire vaniteux d’un dément devenu réalité. Chaque pierre qui venait s’ajouter à l’édifice faisait en sorte de donner l’impression que chaque angle était légèrement faussé, ce qui représentait un véritable viol des sens, à un niveau profond et viscéral. Ses sombres murailles veinées se dressaient au mépris des lois de la perspective, avec un air de défi, leur architecture massive se dessinant, percée de mansardes qui s’élevaient en spirale comme autant d’aiguilles parcourues d’éclairs. Ses parois luisantes étaient hérissées de piques et de lames, et une pluie noire suintait des impacts d’obus, comme s’il s’agissait là du fluide vital de la forteresse elle-même. Des rivières de métal fondu s’écoulaient impétueusement le long de rigoles scintillantes, cascadant sur le versant montagneux comme les torrents de lave d’un volcan en éruption.
Des canons faisaient feu depuis des portails en forme de têtes de démons, et d’immenses chaudrons en fer déversaient sur les soldats hurlants en contrebas des hectolitres d’un sang bouillonnant et satanique. Des flammes dansaient sur les remparts et au beau milieu de la foule grouillante de soldats. La mort et la destruction régnaient ce jour-là en maîtres sur le champ de bataille, et pour elles, la chasse était particulièrement bonne.
Des dizaines de milliers de soldats se massaient contre les contreforts jonchés de décombres de la forteresse, combattant avec acharnement pour atteindre les niveaux supérieurs en grimpant le long d’une pente de béton dévastée, vestige du bastion qui s’était tenu là. Des mines enfouies explosaient un peu partout, projetant les corps de centaines d’entre eux dans les airs, et les silhouettes monstrueuses de deux Titans bataillaient au milieu des flammes et des décombres en écrasant indistinctement hommes et machines à chacun de leurs pas pachydermiques.
Uriel et les autres space marines regardaient la bataille terrifiante faire rage au-dessus d’eux. La cabine grinçait en approchant de la plateforme supérieure sur laquelle il ne tarderait plus à les déposer avant d’amorcer la descente vers la vallée.
— Empereur, protégez-nous, murmura Vaanes. J’ai jamais rien vu de pareil.
— Je sais…, acquiesça Uriel en dégainant son épée alors que le funiculaire arrivait à quai dans un fracas métallique et que le portail de bronze sur le parapet s’ouvrait en crissant.
— Comment peut-on espérer survivre à ça ?
Uriel se tourna vivement vers Vaanes et lui dit :
— Souvenez-vous de ce que je vous ai dit à propos du trépas et de l’honneur : si l’un entraîne l’autre, alors c’est une bonne mort.
— Non…, laissa échapper Vaanes dans un murmure. Aucune mort n’est bonne à prendre. Ça marche pas comme ça.
Aucun des space marines ne bougeait. Ils restaient comme pétrifiés, trop impressionnés par le spectacle à la fois terrible et majestueux d’une guerre à grande échelle telle qu’ils n’en avaient, pour l’écrasante majorité d’entre eux, jamais vue. Uriel comprit qu’il devait les sortir de leur léthargie avant que l’ampleur de la bataille et leur instinct de survie ne reprennent le dessus sur le sens de l’honneur et du devoir qu’il avait tout récemment rallumé en eux.
Pasanius lui sauva la mise en se mettant à crier :
— Allez, on bouge ! Tout le monde descend !
Les vieux réflexes se substituèrent à la stupeur, et les space marines débarquèrent rapidement du funiculaire, harcelés tout du long par les aboiements de Pasanius. Seuls Uriel et Vaanes restèrent à bord.
— Venez, dit Uriel. On a du pain sur la planche.
Vaanes se contenta de hocher la tête et suivit Uriel à l’extérieur de la cabine. À peine sorti, il s’en alla grimper au-dessus de la plateforme, sortant ses griffes éclairs de son gantelet.
— Mais revenez ! l’appela Uriel. Qu’est-ce que vous faites ?
— Les funiculaires fonctionnent sur un principe de contrepoids, expliqua Vaanes tandis qu’il tranchait d’un coup de griffes les câbles épais qui retenaient la cabine.
La plateforme émit une plainte métallique et les câbles cédèrent avec un bruit sec, fouettant l’air une seconde avant d’envoyer la cabine dégringoler dans le vide. Un crissement de métal et une pluie d’étincelles orange accompagnèrent sa chute à travers les nuages de fumée.
— Avec ça, personne ne pourra monter nous embêter pendant un bon moment, lança Vaanes, qui redescendait rejoindre Uriel.
— Pas bête, apprécia celui-ci.
Les deux space marines partirent en courant rattraper le reste de la troupe, qui s’était cachée juste en dessous d’un bastion en surplomb, dans un encaissement de rocher d’où ils pouvaient observer la bataille sans trop risquer d’être repérés. Les missiles et les obus s’entrecroisaient dans un vacarme assourdissant d’explosions et de détonations. Toute la montagne tremblait sous les pas des deux Titans, qui titubaient au beau milieu de la bataille sans lui prêter attention tandis qu’ils s’agrippaient comme deux lutteurs. Leurs têtes de démons ricanants s’entrechoquaient violemment pendant qu’ils se lacéraient respectivement les armures avec d’immenses épées et fouettaient l’air de leurs queues barbelées, emportant des sections entières de la muraille.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? cria Pasanius, dont la voix était à peine audible au milieu de la cacophonie ambiante.
— Va falloir qu’on force le passage ! répliqua Uriel.
— Vous voulez dire nous joindre à l’assaut ? demanda Vaanes. Pas question !
— On n’a pas vraiment le choix ! hurla Uriel.
— Oh que si ! On peut très bien foutre le camp de cette montagne ! Je vous ai dit que je vous filerai un coup de main pour pénétrer dans la forteresse, Ventris, mais j’ai aussi précisé que j’irai pas me faire tuer pour votre foutu serment de mort !
— Bon sang, Vaanes, on est arrivé jusqu’ici ! On ne va pas s’arrêter maintenant !
Vaanes s’apprêtait à répliquer lorsqu’une
salve d’obus fendit l’air au-
dessus de leurs têtes pour aller frapper le bord du bastion
suspendu qui les surplombait. Une pluie de poussière et de gravats
s’abattit sur eux tandis que des rochers s’éboulaient de la paroi
montagneuse dans un craquement sinistre, avant de dégringoler la
falaise.
— Attention ! s’écria Uriel au moment où le bastion s’effondrait vers eux dans une avalanche de décombres et de blocs de pierre.
Tout le temps que dura la chute, Honsou sentit les volées d’impacts des rochers qui se fracassaient contre lui, menaçant de l’écraser complètement. Il tombait en tournoyant telle une feuille morte, ses sens en panique ne percevant plus qu’une débauche de sons et de lumière. Il finit par atterrir, le souffle coupé, et roula sur le côté tandis que des décombres gros comme des tanks s’écrasaient tout autour de lui. Des nuages suffocants de suie et de fumée s’élevaient en tourbillons des éboulis. Même si la chute l’avait laissé tout meurtri, il n’avait à première vue rien de cassé.
— Onyx ! hurla-t-il d’une voix rauque. Zakayo !
— Ici ! indiqua Zakayo en toussant. Je suis vivant !
— Moi aussi, mais j’ai besoin d’aide, se manifesta à son tour Onyx.
Honsou se traîna péniblement jusqu’à l’endroit où son champion gisait, presque entièrement enseveli sous un tas de monceaux de lithobéton déchiqueté dont saillaient des barres de fer tordues. Onyx avait le torse et toute la partie inférieure du corps coincés sous une masse de décombres qui aurait aplati comme une crêpe même un guerrier en armure énergétique, mais les énergies immatérielles qui saturaient les chairs du symbiote démoniaque faisaient qu’il était totalement immunisé contre de tels dégâts.
Honsou agrippa les débris, fournissant un gros effort pour tâcher de les soulever, mais la charge était trop lourde même pour un être à ce point génétiquement amélioré. Obax Zakayo joignit ses forces aux siennes, les bras mécaniques qui lui poussaient dans le dos se cramponnant aux barres d’armature.
Les Iron Warriors qui n’avaient pas été tués dans l’éboulement ou écrasés sous le poids de la maçonnerie effondrée commençaient à émerger des éboulis, se relevant péniblement avant de venir prêter main-forte pour libérer Onyx.
Honsou s’écarta pour leur laisser le champ
libre et regarda autour de lui
tandis que des images différées de la bataille persistaient sur
l’affichage lumineux de sa visière. Il secoua la tête pour effacer
ces résidus et se faire une idée plus claire de l’endroit où leur
dégringolade les avait menés.
D’autres amas de décombres jonchaient les parages, arrachés aux bâtiments au-dessus par le combat tonitruant que se livraient non loin les deux Titans. Honsou constata qu’ils n’auraient pas trop de difficultés à remonter jusqu’à la forteresse. La frappe chanceuse de l’artillerie adverse avait fait s’effondrer une bonne partie du mur soutenant le bastion et les éboulis formaient maintenant une pente toute prête, menant directement aux remparts.
Enfin, tout cela, c’était s’ils survivaient et étaient en mesure de retourner à la forteresse, se dit-il en voyant des silhouettes indistinctes s’approcher à travers les nuages de poussière et de fumée tourbillonnants.
Uriel retira précipitamment son casque dont la visière fissurée était bonne à jeter. Les joints pressurisés qui resserraient le gorgerin avaient été irréparablement endommagés. Il murmura une prière d’onction à l’esprit du casque et le déposa par terre. Privé de ses sens automatiques, il ne distingua plus d’abord à travers la fumée que les contours flous des décombres du bastion éboulé, mais tandis qu’il clignait des yeux pour se débarrasser du voile de poussière qui les maculait, il put constater que l’Empereur les avait une nouvelle fois bénis.
— Là-bas ! cria-t-il en pointant du doigt une brèche ouverte dans le flanc de la forteresse, là où le bastion s’était effondré. Une pente raide, mais praticable, faite de débris de maçonnerie et de monceaux de lithobéton truffés de barres d’armature, menait droit vers les remparts. Uriel était conscient que cela représentait la meilleure chance de pénétrer dans la forteresse qu’ils n’auraient jamais.
Montrant le chemin, il commença l’ascension avec précaution, discernant à quelque distance de lui des silhouettes indistinctes en armures énergétiques, elles aussi en train de se remettre péniblement sur leurs pieds. Il crut dans un premier temps qu’il s’agissait de space marines de sa troupe, mais alors que les nuages de poussière commençaient à se dissiper, il vit qu’il n’en était rien.
C’étaient des Iron Warriors.
Honsou vit émerger de la fumée un space marine dont l’armure bleue était toute cabossée et couverte de poussière. Son cœur se serra. Le combattant lâcha une exclamation furieuse et dégaina une lame étincelante. Un guerrier de l’Empereur usurpateur ? Ici même ? Sa stupeur manqua lui coûter la vie au moment où la lame fondait en sifflant en direction de son cou. Il eut tout juste la présence d’esprit de parer l’attaque du space marine avec sa hache et d’esquiver le coup suivant.
Tandis que l’âme guerrière de sa hache revenait à la vie dans un hurlement, Honsou remarqua que l’armure bleue de son assaillant était dépourvue d’insigne ou de marque particulière. Avait-il affaire à un renégat ? À un mercenaire ?
À quoi jouait ce satané
Toramino, exactement ? À rallier ces racailles de renégats que l’on
voyait rôder dans les montagnes ? Mais il n’eut pas le temps de
s’interroger davantage sur les origines du guerrier, forcé de parer
une
nouvelle fois la lame qui s’abattait sur lui.
— Iron Warriors ! s’écria-t-il. Avec moi !
Uriel donna un nouveau coup d’épée à l’Iron Warrior, mais chacun de ses assauts était repoussé par une gigantesque hache de guerre à lame noire. Son adversaire hurla quelque chose et d’autres silhouettes émergèrent des nuages de poussière, épées et haches brandies. Les canons de leurs bolters se mirent bientôt à crépiter en déchirant le rideau de fumée.
— Empereur, guidez ma lame ! hurla Uriel en lançant un nouvel assaut.
— Il n’a aucun pouvoir ici, rétorqua l’Iron Warrior, qui fit tournoyer sa hache avant de passer à l’attaque.
Uriel fit un pas de côté pour esquiver le coup et décrivit un arc avec sa lame afin de décapiter son adversaire, mais celui-ci n’était déjà plus là. L’insaisissable Iron Warrior se roulait par terre, le prenant aussitôt à revers. Uriel se jeta en avant, évitant de justesse la hache qui fendit l’air en hurlant à seulement quelques centimètres de son dos. Il roula sur le côté pour esquiver l’arme infernale qui s’abattait sur le sol. La terre trembla sous la fureur de l’impact.
Uriel donna un violent coup de pied à l’Iron Warrior qui le fit tomber à genoux, puis leva son épée pour lui faucher la tête d’un geste ample. La pointe de la lame percuta le casque de l’hérétique, qui fut projeté en arrière et s’en alla mordre la poussière en dévalant la pente. Uriel se releva péniblement tandis que d’autres space marines se ruaient dans la mêlée, que l’ombre gigantesque des Titans en train de combattre venait envelopper. À côté du combat acharné que se livraient les machines infernales, les space marines semblaient n’être que de vulgaires insectes et seule l’extrême violence de leur affrontement était comparable.
La mêlée retentissait d’une débauche de vicieux coups de feu à bout portant. Le rugissement des bolters se mêlait à un concert de gémissements de douleur et de cris de rage tandis que les balles explosives déchiquetaient les armures et que les lames déchiraient les chairs. Uriel brandit son épée pour étriper un Iron Warrior, mais une gerbe d’énergie jaillit soudain en fouettant l’air et lui enserra le bras.
Uriel s’efforça de tenir fermement la garde de son épée alors qu’une douleur atroce lui étreignait le bras. La brûlure infligée par les étincelles crépitant le long du flux d’énergie le mettait au supplice, et il tomba à genoux. C’est alors qu’un gigantesque Iron Warrior à large carrure s’approcha, d’immenses pinces mécaniques s’élevant en claquant de ses épaules, le fouet énergétique tortueux fixé à un autre de ses membres dorsaux.
— Tu oses t’attaquer au maître de Khalan-Ghol ! Tu vas mourir ! rugit le guerrier d’une voix crachotante pleine de menaces. Une gerbe de flammes traversa la mêlée, et Uriel sentit flotter dans l’air une odeur écœurante de viande grillée. La terre trembla encore une fois et un pied géant s’abattit avec fracas contre le versant montagneux, à moins de trois mètres d’Uriel, laissant un profond cratère à l’endroit de l’impact.
Tout en luttant contre la douleur des vagues paralysantes du fouet énergétique, il distinguait les silhouettes imposantes des Titans qui bataillaient au-dessus de leurs têtes. Tandis qu’il tenait Uriel à sa merci en l’immobilisant dans l’étreinte de son fouet, le monstrueux Iron Warrior attrapa de ses deux mains libres une hache tronçonneuse, assurément redoutable malgré son aspect affreusement rudimentaire.
— Obax Zakayo ! cria une voix, mais Uriel fut incapable de l’identifier à travers le brouillard de douleur qui voilait son système nerveux. Des coups de feu criblèrent l’armure de l’Iron Warrior, et celui-ci s’arc-bouta pour donner un coup de hache derrière lui.
— Toi, ici ? s’esclaffa le guerrier. Je t’ai déjà eu à ma merci par le passé, esclave, et tu t’étais échappé. Ça n’arrivera pas une deuxième fois.
Son attention se détourna d’Uriel l’espace
d’une seconde et c’était tout ce dont il avait besoin. Il se
contorsionna pour trancher les lanières
énergétiques du fouet avec le fil de son épée et la douleur se
dissipa, le laissant exténué, mais à nouveau libre de ses
mouvements. Uriel se remit péniblement sur ses pieds et vit que le
colonel Leonid et le sergent Ellard étaient en train de tenir tête
à l’Iron Warrior.
Les impacts laser martelaient contre la carcasse de ce dernier, mais son armure énergétique avait beau être dégradée, elle résistait sans problème à ce genre de broutilles. Il poussa un rugissement et envoya un coup de hache en direction du ventre de Leonid. Le colonel bondit en arrière, mais trébuchant sur des gravats, il perdit l’équilibre et s’étala sur le sol. Obax Zakayo se rua sur lui, mais Ellard lui sauta alors sur le dos et commença à lui rouer le crâne de coups de poing.
Pour un humain, Ellard était taillé comme un colosse, mais à côté de l’Iron Warrior, il avait l’air d’un enfant. Obax Zakayo l’arracha de son dos et l’envoya valser dans les airs. Uriel s’avança pour donner un coup de taille entre les épaules de l’Iron Warrior. Des étincelles jaillirent tandis que la lame entaillait les plaques de son armure, sans réussir pour autant à pénétrer ses chairs.
Obax Zakayo décrivit un arc vicieux avec sa hache en visant l’aine d’Uriel, mais la frappe fut interrompue par un véritable tremblement de terre. Le sol se craquela et du métal fondu jaillit des crevasses alors que le versant finissait par se scinder en deux sous la pression des pas pachydermiques des Titans en plein combat. Le fer chauffé à blanc se répandait à la surface en chuintant, pour se changer en scories au bout de quelques secondes. Uriel s’éloigna tant bien que mal de la crevasse en train de s’élargir et rengaina son épée, voyant qu’il n’y avait aucune chance que son adversaire, bloqué sur l’autre berge de la mer de métal liquide, puisse l’atteindre.
Des nuages de fumée âcre s’élevaient en tourbillonnant de la rivière de métal fondu et Uriel s’empressa de fuir leur chaleur insupportable en s’aidant des pieds et des mains. Il aperçut Leonid et Ellard, qui gravissaient tant bien que mal la pente rocheuse pour le rejoindre.
— Ici Uriel Ventris ! s’époumona-t-il, espérant que le microvox fixé à son larynx fonctionnait toujours. Si vous me recevez, dépêchez-vous de foncer vers la brèche ouverte au-dessus de nous !
Le crépitement des bolters dans son dos et le vacarme des explosions couvrirent presque sa consigne, mais tandis qu’il grimpait à travers le rideau de fumée et de vapeur aveuglante, il distingua les formes des guerriers de sa troupe en train de gravir la pente à sa rencontre.
La brèche se trouvait à seulement une trentaine de mètres au-dessus d’eux. Les flancs de la forteresse jonchés de décombres étaient comme une balise lumineuse l’invitant à entrer.
Ils avaient réussi. Ils avaient trouvé un moyen de pénétrer à l’intérieur.
Un voile de sang l’aveuglait et un grésillement d’électricité statique brouillait ses sens. Honsou retira son casque et le jeta de colère, avant d’essuyer le liquide purulent sur ses yeux. Les panaches de vapeur brûlante faisaient couler des stries de buée sur son visage, et il se releva péniblement, le fracas de la bataille revenant peu à peu à ses oreilles.
— Au nom des Dieux Sombres, c’est quoi ce merdier ? cria-t-il à la cantonade.
— Mon seigneur ! appela Obax Zakayo, qui revenait vers lui en se frayant un chemin au milieu des rochers. Des traînées de sang et de buée zébraient son armure, et des gerbes d’étincelles crépitaient sur son fouet énergétique à l’endroit où il avait été tranché.
— Les…, commença-t-il d’une voix hésitante.
— Les renégats ! mugit Honsou. C’est à ça que Toramino s’est finalement abaissé ?
— Oui, des renégats, acquiesça Obax Zakayo. Des renégats et des esclaves en cavale. Ils…
— J’avais tort de le craindre, Obax Zakayo, le coupa Honsou, qui reprenait peu à peu son calme. Ils sont tous morts ?
— Non, mon seigneur. Une crevasse s’est ouverte dans la montagne et nous avons été séparés.
Honsou leva les yeux et lui lança un regard sévère.
— Où sont-ils passés alors ?
— C’est ce que je m’échine à vous dire. Ils ont réussi à forcer notre barrage et à atteindre la brèche !
— Merde ! éclata Honsou. Alors, dis-moi, au nom du Chaos, pourquoi diable tu es encore planté là ?
— Mais, mon seigneur, une rivière de métal fondu nous sépare d’eux. Je ne vois pour l’instant aucun moyen de la traverser.
— Pour toi, peut-être, ricana Honsou d’un air méprisant, s’éloignant sur le champ de bataille d’un pas conquérant jusqu’à l’endroit où il avait laissé son champion immobilisé. Onyx !
Des guerriers étaient toujours en train de se démener à soulever les décombres sous lesquels le symbiote était enseveli, mais au vu de la fureur impatiente de leur maître, ils redoublèrent encore d’efforts. Au bout de quelques minutes, ils eurent déblayé suffisamment de gravats pour permettre à Onyx de s’extraire des décombres. Souple, agile et ne montrant aucun signe d’avoir manqué périr écrasé, Onyx se dirigea d’un pas gracieux vers Honsou. Son armure noire n’avait pas la moindre éraflure, et Honsou voyait les flux de puissance démoniaque de la créature ondoyer juste en dessous de la surface de sa peau aux reflets argentés. Ses yeux brillèrent d’une lueur blafarde quand Honsou lui désigna la brèche du doigt.
— Trouve-moi ces renégats, ordonna-t-il à Onyx. Trouve-les et ramène-les-moi.
Le démon opina de la tête et s’en alla gravir les pentes du flanc montagneux.
Les ruines de cette section des remparts étaient sinistrement désertes et étrangement coupées de la clameur de la bataille. Uriel se hissa péniblement par-dessus le rebord de pierre fissuré en s’aidant des barres d’armature en acier rouillé. Il prit pied sur le rempart en effectuant un roulé-boulé, à l’affût du danger, mais ne trouva aucune menace à signaler. La présence entêtante de la forteresse planait toujours au-dessus de sa tête, mais il détourna le regard de sa monstrueuse géométrie, préférant se concentrer pour l’heure à aider le reste de la troupe à escalader les créneaux.
Les murs épousaient de manière chaotique les contours du flanc montagneux, se courbant dans des angles impossibles qui paraissaient parfaitement arbitraires à l’œil. Des hordes de soldats humains et de mutants en ordre de bataille faisaient feu depuis les remparts sur la foule d’assaillants qui grouillait en contrebas. Des milliers de guerriers menaient une lutte acharnée dans la brèche ouverte. Vus d’en haut, ils ressemblaient à un serpent géant se contorsionnant pour progresser, mètre par mètre, vers les pentes jonchées de décombres des niveaux supérieurs.
Pasanius et Vaanes gravirent le mur, bientôt suivis par Leonid et Ellard, puis par le reste de la troupe. Uriel avait du mal à y croire. Ils se trouvaient dans l’enceinte de la forteresse !
— Par le trône de Terra, haleta Pasanius. C’était du sacrément bon boulot !
— On n’en a pas encore terminé, rectifia prudemment Uriel, qui se détournait déjà pour inspecter de plus près les environs. On apercevait une rangée de porches voûtés menant dans les profondeurs de la forteresse, chacun de la taille d’un Titan de combat et bordé de sculptures grotesques frétillant dans la roche, comme si la pierre troublée était en train de se refaçonner sous leurs yeux.
— Quel passage ? demanda Vaanes alors que le dernier space marine atteignait le sommet des remparts.
— Aucune idée, avoua Uriel. Ils se ressemblent tous.
— Eh bien, on n’a donc rien à perdre à prendre n’importe lequel d’entre eux, fit remarquer Vaanes en s’avançant vers le porche du milieu.
— J’imagine, répliqua Uriel, quoiqu’il eût le pressentiment que ce passage en particulier avait justement quelque chose de différent. Il n’arrivait pas à mettre le doigt sur ce qui clochait, mais vu qu’il n’avait pas de meilleure proposition à faire, il se mit en route à la suite de Vaanes. Les autres space marines lui emboîtèrent le pas, bolters prudemment braqués vers l’inconnu.
Vaanes l’attendait à l’entrée du passage
voûté, et au moment où Uriel passait sous le porche monumental pour
s’enfoncer dans les ténèbres impénétrables, il fit le signe de
l’Aquila sur sa poitrine en entendant un
martèlement sourd dans le lointain, comme la cadence hypnotique du
battement de cœur d’un monstre endormi.
— Nous voilà à nouveau dans le ventre de la bête, Uriel, souffla Pasanius, l’embout bleuté de son lance-flammes plongeant leurs visages dans un clair-obscur qui accentuait leurs traits et faisait danser et lorgner du coin de l’œil les bas-reliefs sculptés à l’intérieur du passage.
— Je sais, acquiesça Uriel, priant pour que le manteau blanc dont il avait paré son âme la protège contre les maléfices qu’ils étaient sûrs de rencontrer au cœur du repaire de l’Ennemi.
Onyx se glissa furtivement par-dessus le rebord du bastion en ruines, sortant lentement ses griffes de bronze. Il balaya les remparts de son regard argenté, en quête du moindre signe de présence des renégats, mais ils n’étaient nulle part en vue. Se faufilant telle une ombre, il se mit à flairer l’air. Les veines argentées qui couraient sous son épiderme luisirent de plus belle tandis qu’il canalisait l’énergie démoniaque dans son corps pour traquer les intrus.
Sa vision s’acclimata afin de pénétrer de nouveaux champs de perception dépassant largement les capacités des mortels, un royaume où ce qui avait déjà eu lieu pouvait être vu et entendu par l’entremise d’échos laissés en suspension dans l’atmosphère. Ainsi, put-il voir des silhouettes indistinctes grimper par-dessus les remparts à peu près de la même façon que lui. Un bon nombre de guerriers, menés par deux hommes aux âmes de natures diamétralement opposées : si celle du premier irradiait d’une ardente détermination, celle du second était morte et flétrie.
Comme formées à partir
de particules de fumée tourbillonnante, les silhouettes étaient
éthérées et sans substance, mais Onyx les distinguait aussi
nettement que s’il avait été témoin de leur arrivée. Ils étaient
passés par là seulement quelques minutes plus tôt, leurs échos
fantomatiques s’éloignant du parapet en direction des porches
monstrueux taillés dans le flanc de la
montagne.
Onyx regarda les silhouettes spectrales s’engouffrer dans les ténèbres à écho des passages en voûte et rentra ses griffes. Il lui faudrait emprunter une autre route à travers la forteresse pour traquer les intrus, car si Khalan-Ghol les avait attirés dans le dédale des portails de la confusion, il y avait de bonnes chances qu’ils fussent déjà morts.