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Dix-Sept

L’armure de l’Empereur était couverte de crasse, des millénaires de résidus industriels étant venus en souiller la surface, et l’aigle sur le plastron n’était plus qu’une rangée de bandelettes de bronze rouillé. De larges épaulières en fer martelé pendaient de ses omoplates et il avait des ailes d’anges en métal maculé déployées dans son dos. Haute de plus d’une vingtaine de mètres et suspendue par d’épaisses chaînes de fer dans l’immense fosse au centre de l’usine, la statue était une œuvre qui transpirait une extrême dévotion.

Uriel se sentait revenir en enfance devant la taille du monument. Il se rappela la première fois où il avait posé les yeux sur une statue de l’Empereur, dans la basilique Konor sur Calth. Si la statue de ce lointain souvenir avait été sculptée de main de maître dans un marbre merveilleusement veiné, extrait des puits profonds de Calth, celle-ci, toute grossière qu’elle fût, n’était pas moins impressionnante.

L’Empereur des Décharnés se balançait au-dessus des ténèbres de la fosse, son armure et ses membres façonnés à partir de toutes les sortes de débris de machines et de rouages qu’ils avaient pu récupérer dans les ruines de l’usine abandonnée.

Là où n’importe quel prédicateur zélé du Ministorum aurait trouvé matière à crier au blasphème en découvrant que des créatures aussi hideuses avaient créé une effigie à ce point grossière de l’Empereur, Uriel trouvait au contraire curieusement touchant qu’ils aient éprouvé le besoin de le faire.

— Que l’Empereur nous protège, murmura Pasanius en posant les yeux sur la statue suspendue dans le vide.

— Eh bien, on ne va pas tarder à être fixé, répliqua Uriel, réalisant soudain à quel point il avait vu juste avec son impression première : dans l’attente du verdict, ils étaient bel et bien comme des enfants en face de cette idole.

Qui pouvait savoir depuis combien de temps les Décharnés vivaient sous la surface de Medrengard ou quels étaient les souvenirs qu’ils gardaient d’avant leur enlèvement et leur implantation dans les ventres terrifiants des daemonculaba ?

Une seule chose était sûre : des enfants innocents qu’ils avaient jadis été, ne subsistait que le souvenir, tenace et entêtant, d’une seule image
prégnante : celle de l’Empereur de l’Humanité dans son éternelle bienveillance.

En dépit de toutes les vilenies que les Décharnés avaient subies, ils se rappelaient encore l’amour de l’Empereur. Uriel sentit une immense tristesse le gagner à la pensée du sort atroce qu’ils avaient connu. Qu’ils fussent devenus des monstres après avoir été horriblement dénaturés comptait finalement peu, à partir du moment où l’Empereur restait dans leurs mémoires et qu’ils s’en étaient façonné une représentation afin de la voir veiller sur eux.

Uriel et les autres furent brutalement poussés jusqu’au bord du précipice sous le regard oppressant de la masse de Décharnés qui s’approchait péniblement pour les acculer. Uriel en dénombrait plusieurs centaines. En raison de leurs jambes mutantes, aux fémurs en tire-bouchons ou réduites à des amas de chair biscornus, bon nombre d’entre eux étaient dans l’incapacité de se mouvoir. C’est pourquoi on voyait, çà et là, certains de leurs frères plus chanceux les aider à marcher.

— Par l’Empereur-Dieu, regardez-les ! lança Vaanes. Comment peut-on laisser vivre des choses pareilles ?

— La ferme, Vaanes, répliqua tristement Uriel. Nous sommes parents avec eux, vous et moi, ne l’oubliez pas. La chair de l’Empereur palpite en eux.

— Vous n’êtes pas sérieux ! s’indigna Vaanes. Non, mais regardez-les ! Ce sont des monstres malfaisants !

— Vraiment ? Je n’en suis pas si sûr.

Un profond dégoût de soi se peignit sur les traits des créatures tandis qu’une rumeur affamée parcourait leur assemblée et que le seigneur des Décharnés se retournait, se dressant de toute sa stature. Celui-ci se saisit d’Uriel et l’attira à lui, le soulevant sans peine du sol. Incapable de résister à une telle force, Uriel sentit le vide sous ses pieds alors qu’on le suspendait au-dessus du puits sans fond.

— Sentir sur vous odeur de viande maternelle, rugit le seigneur des Décharnés. Vous rejetés de montagne des hommes de fer, être tombés de la grande muraille. Mais vous pas comme nous. Pourquoi avoir peau ?

Uriel réfléchissait à toute vitesse, s’efforçant de deviner quelle réponse lui épargnerait d’être jeté dans le précipice. Accrochant le regard jaunâtre du monstre, il vit qu’il était plein de langueur. On y décelait une sorte de supplique enfantine… mais que désirait-il exactement ?

— Oui ! hurla-t-il. Nous sommes venus des montagnes des Iron Warriors, mais ce sont nos ennemis.

— Vous aussi Indésirables ? Pas amis avec hommes de fer ?

— Non ! cria Uriel, donnant suffisamment de la voix pour être entendu de tous les Décharnés rassemblés autour du puits. Nous haïssons les hommes de fer et sommes venus pour les détruire !

— Moi avoir déjà vu vous, dit le seigneur des Décharnés d’une voix rageuse. Avoir vu vous tuer des hommes de fer dans montagnes. Nous avoir pris beaucoup de viande là-bas.

— Je sais. J’ai vu.

— Vous tuer hommes de fer ?

— Oui !

— Viande maternelle sur vous, oui ?

Uriel acquiesça alors que la créature reprenait la parole.

— Mères de chair des hommes de fer rendre nous hideux, mais Empereur pas détester nous comme hommes de fer, lui toujours aimer nous. Hommes de fer vouloir nous tuer, mais nous forts et pas mourir, même si pour nous, mourir être bonne chose. Arrêter la douleur. Empereur faire partir douleur et rendre nous enfin complets.

— Non, dit Uriel qui commençait à comprendre que, toute colossale et puissante qu’elle fût, il ne devait pas considérer la créature comme autre chose qu’un enfant emprisonné dans une carcasse monstrueusement boursouflée. Elle s’exprimait avec une simplicité enfantine, et son amour de l’Empereur donnait de la clarté à ses paroles. Croisant une nouvelle fois son regard, Uriel y lut une soif insatiable de racheter son extrême laideur.

— L’Empereur vous aime, ajouta-t-il, comme il aime tous ses enfants.

— Empereur vous parler ? s’étonna le seigneur des Décharnés.

— En effet, mentit Uriel, répugnant à user d’une telle duperie, mais comprenant qu’il s’agissait là d’un mal nécessaire. L’Empereur nous a envoyés ici pour détruire les hommes de fer et les dae… les mères de chair qui ont remodelé vos corps d’une manière aussi ignoble. Il nous a envoyés jusqu’à vous pour que vous puissiez nous prêter assistance.

La créature le rapprocha de son visage et Uriel sentit ses soupçons et sa faim entrer en conflit avec un profond désir de se venger de ses créateurs, de ceux qui l’avaient si cruellement dénaturé en pervertissant ses chairs.

Le monstre le renifla une nouvelle fois et Uriel espéra juste que la puanteur du daemonculaba que la cascade de sortie d’égout n’avait pas suffi à faire partir lui collât encore à la peau.

Mais le seigneur des Décharnés poussa un rugissement torturé en rejetant le bras en arrière, et Uriel laissa échapper un hurlement alors qu’il était projeté dans le vide.

Uriel se retrouva entre ciel et terre, plongé dans un kaléidoscope d’images tournoyant autour de lui : des bêtes difformes qui avaient autrefois été des enfants, une chaîne en fer rouillé, des panneaux argentés de métal martelé et les ténèbres du gouffre sans fond. Il s’écrasa contre l’effigie suspendue de l’Empereur, la force de l’impact lui coupant le souffle.

Il se cramponna au métal, cherchant une prise à tâtons. Il se sentait déraper inexorablement sur la surface rugueuse, ses ongles abîmés se cassant sur les rivets de fer. Le vide lui tendait les bras, lui promettant une mort certaine, mais ses doigts meurtris finirent par s’agripper à un panneau de fer battu qui saillait de la statue géante. Ses bords étaient coupants par endroits, et Uriel ressentit une vive douleur tandis que le métal déchiqueté amputait sa main du majeur. Le panneau se gondola en grinçant, se détachant peu à peu du corps de la sculpture, mais ralentit suffisamment sa chute pour lui permettre de trouver une prise solide sur l’aigle en bronze du plastron de l’Empereur.

Se retenant d’une seule main à la statue, Uriel était suspendu au-dessus du vide, sa vie ne tenant qu’à un fil. Il se balançait au-dessus des profondeurs du gouffre sous un tonnerre de vociférations accompagné, pour les Décharnés qui en étaient capables, d’un furieux martèlement de pieds.

— Tribu ! Tribu ! Tribu ! scandaient-ils à l’unisson.

Disposant maintenant d’une meilleure prise, Uriel put se hisser au-dessus des bandelettes de métal qui constituaient le blason et se balancer jusqu’aux épaulières de l’Empereur. Une fois installé, il reprit son souffle en avalant de grandes bouffées d’air.

Le seigneur des Décharnés se tenait immobile au bord du gouffre, et Uriel se demandait bien quoi faire à présent. Il vit le monstre se saisir des survivants de leur troupe, attirant Pasanius, Vaanes, Leonid et les autres space marines vers le bord du précipice.

— Non ! s’époumona-t-il, se risquant à se redresser en prenant appui sur la gigantesque forme oscillante du casque de la statue. Non !

Et c’est à ce moment-là que le miracle se produisit.

Que ce fût par la grâce d’un mécanisme depuis longtemps endormi que le mouvement d’Uriel aurait brièvement réveillé ou par la volonté de l’Empereur lui-même, Uriel n’en aurait jamais le cœur net, mais toujours est-il qu’à cet instant même, une lumière aveuglante jaillit de la visière grossièrement sculptée.

Un ronflement sourd, comme un générateur en pleine recharge, monta de l’intérieur du casque. Saisis de terreur, les Décharnés battirent en retraite à mesure que la lueur se faisait plus vive. Uriel sentait le métal chauffer de plus en plus sous sa main et, bien qu’il n’eût aucune idée de ce qu’il se passait, il n’était pas disposé à laisser passer une chance pareille.

Il s’adressa au seigneur des Décharnés en criant par-dessus le vacarme :

— Vous voyez ? L’Empereur veut que vous nous aidiez ! Ensemble, nous pouvons détruire les mères de chair et les hommes de fer !

La bête difforme se laissa tomber à genoux en ouvrant une mâchoire extatique tandis qu’une plainte terrible s’élevait des gorges des Décharnés rassemblés autour du puits.

Des gerbes d’étincelles jaillirent du métal brûlant du casque, et Uriel prit conscience qu’il lui faudrait descendre rapidement de la statue s’il ne voulait pas mourir électrocuté par le mécanisme qui, quel qu’il fût, était bel et bien en train de s’emballer. Il longea l’épaulière de l’Empereur, demandant pardon au Maître de l’Humanité pour la rudesse du traitement qu’il faisait honteusement subir à son image, pour se frayer un chemin vers la chaîne de soutien la plus proche.

À peine se fut-il hissé à la chaîne, juché en travers de ses épais maillons pour se dégager du casque qui brillait à présent de mille feux, qu’une violente détonation retentit, le heaume sculpté explosant dans une pluie d’étincelles bleutées.

Les Décharnés poussèrent des cris de terreur en voyant la statue de l’Empereur dégringoler dans les ténèbres, les chaînes qui la soutenaient s’affaissant lourdement contre les parois du gouffre. Se balançant toujours à l’une d’elles, Uriel fléchit les jambes pour amortir l’impact, sentant les plaques de céramite de son armure se gondoler sous le choc.

Uriel tournoyait comme une toupie au-dessus de l’abîme, s’écorchant les articulations des doigts en se cramponnant fermement aux maillons de fer. Il resta à se balancer au bout de la chaîne jusqu’à ce qu’il ait récupéré son souffle, avant de commencer à grimper avec précaution le long de la paroi.

En cours d’escalade, il sentit soudain qu’on tirait d’en haut sur la chaîne. N’ayant pas d’autre choix, Uriel se laissa treuiller en attendant de découvrir ce que le destin lui réservait. Il leva les yeux à temps pour voir l’énorme paluche du seigneur des Décharnés se tendre vers lui pour le hisser.

Le monstre le déposa brutalement sur la terre ferme à côté de Pasanius et d’Ardaric Vaanes, qui le regardaient d’un air à la fois respectueux et intimidé. Uriel haussa les épaules, trop à bout de souffle pour pouvoir parler.

Le seigneur des Décharnés s’agenouilla à ses côtés.

— Empereur aimer vous, siffla-t-il.

— Ça doit certainement être le cas…, haleta Uriel.

Le seigneur des Décharnés acquiesça en pointant le gouffre du doigt.

— Oui. Vous encore vivant.

— En effet, confirma Uriel d’une voix entrecoupée. Vous avez raison, l’Empereur m’aime. Juste autant qu’il vous aime, vous.

La créature opina lentement.

— Nous aider vous à tuer hommes de fer, et aussi mères de chair. Pas devoir être plus nombreux que nous.

— Je vous remercie…, lâcha Uriel dans un murmure.

— Empereur aimer nous, mais nous détester nous-mêmes, ajouta le seigneur des Décharnés d’une voix chevrotante d’émotion. Nous avoir rien fait pour mériter ça. Vouloir tuer hommes de fer, mais pas savoir comment pénétrer dans montagne. Pas pouvoir combattre sur hautes murailles !

Uriel se releva en haletant et, même s’il venait de frôler la mort, sourit au seigneur des Décharnés alors que lui revenait un détail de leur odyssée à
travers Khalan-Ghol avec une clarté que la seule mémoire n’aurait su justifier.

— Aucun souci, le rassura Uriel. Je connais un autre moyen de nous
infiltrer.

Une recrudescence des bombardements ébranlait les fondations de Khalan-Ghol, les obus explosant dans une débauche de flammes contre ses antiques murailles. Des armées de chars d’assaut et des régiments entiers se massaient en bas de la rampe gigantesque qui menait au haut plateau montagneux, seul vestige des fortifications extérieures de la forteresse comme de la flèche du bastion intérieur.

Quoique temporaires, les revêtements et les redoutes qui avaient protégé ouvriers et machines lors de l’édification de la rampe s’étaient avérés incroyablement résistants, et maintenant que le chantier était arrivé à terme, Berossus pouvait enfin lancer son assaut final.

C’était une merveille d’ingénierie qui montait sur des milliers de mètres à flanc de montagne, démarrant des plateaux rocheux plusieurs kilomètres plus bas. Des tanks gravissaient avec fracas sa pente pavée de plaques de fer dans le sillage de deux monstrueux Titans dont les armures dégoulinantes étaient maculées du sang d’innombrables milliers de sacrifiés. Équipés de gigantesques béliers de siège, de foreuses à pistons pneumatiques et de puissants canons, ces cuirassés aux dimensions colossales étaient également utilisés pour transporter les troupes d’élite de la grande compagnie de Berossus. C’étaient ces guerriers qui mèneraient l’assaut sur la grande muraille de la forteresse et en orchestreraient la démolition, pierre après pierre.

L’entrée béante d’un gigantesque tunnel s’ouvrait en contrebas, dans le soubassement de la rampe, d’immenses rails s’enfonçant dans les ténèbres jusqu’au pied de la montagne même. De grandes machines d’excavation avaient emprunté le souterrain et se préparaient à l’heure actuelle à ouvrir une brèche sous la forteresse pour permettre l’accès au cœur même du repaire d’Honsou. Des dizaines de milliers de soldats patientaient dans les ténèbres suintantes, dans l’attente du feu vert pour lancer l’invasion de la forteresse par en dessous. Le traître Obax Zakayo avait fourni des renseignements précis afin de localiser les endroits les plus vulnérables de Khalan-Ghol. Entre ces commandos d’infiltration et l’assaut frontal, Honsou aurait bien du souci à se faire et ses assaillants ne lui donnaient guère plus de quelques heures à vivre.

Convaincu qu’il s’agirait là de la toute dernière bataille, Berossus en personne menait l’attaque à la tête d’une cohorte de près d’une centaine de dreadnoughts assoiffés de sang.

La bataille finale pour Khalan-Ghol était sur le point de commencer.

— Nous ne pourrons jamais repousser cet assaut, dit Onyx en regardant les Titans de Berossus amorcer leur inexorable ascension le long de la rampe. Même s’ils se trouvaient encore à de nombreux kilomètres du sommet, l’ampleur de leurs silhouettes majestueuses avait de quoi couper le souffle.

— Berossus va nous balayer comme des fétus de paille dans une tempête de fer et de sang, ajouta-t-il.

Honsou ne disait rien, un vague sourire au coin des lèvres. Lui aussi avait l’œil rivé sur l’impressionnant déploiement de forces qui s’avançait pour les anéantir. Des centaines de guerriers démoniaques aéroportés tournoyaient dans le ciel en poussant des cris perçants au-dessus de phalanges de monstres mutants, bardés d’armes bioniques et dont les chairs en ébullition grouillaient de circuits méca-organiques. Des dizaines et des dizaines de machines-démons montées sur pattes d’araignée gravissaient la rampe dans un cliquetis assourdissant, exhalant dans l’air des gaz d’échappement toxiques. Maintenant qu’elles étaient libres de toute entrave, les entités infernales contenues dans leurs corps métalliques se délectaient par avance du massacre qui se profilait à l’horizon.

Vêtu de son armure énergétique cabossée, une expression à la fois belliqueuse et désinvolte plissant ses traits pâles, et arborant un bras bionique en argent étincelant à la place de celui dont son ancien maître lui avait fait cadeau, Honsou restait imperturbable, comme si leur ruine prochaine le laissait parfaitement de marbre.

Cela rendait Onyx perplexe, même si cela faisait maintenant longtemps qu’il avait pris conscience du fait qu’il n’arriverait jamais à comprendre les plans secrètement manigancés par le nouveau maître de Khalan-Ghol. Le sang-mêlé ne se comportait comme aucun des autres forgerons de guerre auxquels il avait été affilié durant ses éternités de bons et loyaux services auprès des autorités successives de la forteresse.

— Cela n’a pas l’air de vous inquiéter plus que ça, poursuivit-il.

— En effet, répondit Honsou en se détournant du rempart du plus haut sommet des bastions supérieurs. Un vent brûlant soufflait, qui avait goût de cendres et de métal. Honsou prit une profonde inspiration avant de se retourner enfin pour faire face à son champion.

— Berossus ne m’a pas déçu jusque-là, dit-il en lançant en regard en direction du grand tunnel qui menait à la rampe et, sans aucun doute possible, jusque dans les souterrains de sa forteresse. Et j’espère qu’il continuera dans cette voie. Ce serait dommage, si près du but.

— Quelque chose m’échappe.

— Ne t’inquiète pas, Onyx. Je sais bien que ce n’est pas pour ma vie que tu t’inquiètes, mais pour ta propre essence, mais tu n’as pas besoin de comprendre. Tout ce dont tu as besoin, c’est de m’obéir.

— Je suis à vos ordres, mon maître.

— Alors, fais-moi confiance là-dessus, répliqua Honsou en affichant un large sourire avant de baisser le regard vers le niveau en dessous, où les nuages de fumée et les éclairs concouraient à masquer ses propres Titans, ainsi que les installations prodigieuses qu’il avait préparées pour accueillir Berossus. Il leva les yeux vers le ciel monotonement blanc et le soleil qui irradiait tel un trou noir au-dessus de sa tête.

— J’ai combattu dans la Guerre Interminable aussi longtemps que Berossus et Toramino, et rassure-toi, je dispose de stratagèmes de mon cru.

— Je l’espère pour vous, dit Onyx. Même si nous réussissons à repousser cette attaque, il restera encore le problème Toramino. Il donnera bientôt le baptême du feu à ses troupes.

Honsou jeta un œil en direction des feux qui s’élevaient des forges au-delà des lueurs des campements de Berossus, là où Toramino attendait son heure, loin des regards. À cet instant, du moins, Onyx crut voir poindre en lui un léger malaise.

— Il attend que Berossus ait fini de nous écraser et de laisser pulvériser ses propres troupes avant de passer lui-même les portes de Khalan-Ghol d’un air conquérant et devenir le seigneur de ces ruines.

— Et comment l’arrêterons-nous ?

Honsou éclata de rire.

— Un problème après l’autre, Onyx, un problème après l’autre.

Il ne percevait du vacarme épouvantable des tirs nourris d’artillerie qu’une rumeur assourdie par la distance. Loin d’être rassuré, Uriel se disait au contraire que le pilonnage devait être terriblement proche s’il pouvait l’entendre de si loin sous la montagne. Des nuages de poussière flottaient nonchalamment dans l’air confiné en tombant du plafond du tunnel et des tourbillons de
particules minérales dansaient au niveau du sol. Des ténèbres impénétrables environnaient Uriel. Même sa vue génétiquement améliorée avait de la peine à percer l’obscurité.

Il faisait une chaleur étouffante dans le tunnel qui empestait d’une odeur fétide de bête fauve, sauf qu’il ne s’agissait pas d’effluves d’animaux. Ceux qui arpentaient ces souterrains étaient (ou, du moins, avaient autrefois été) des humains.

Des centaines de Décharnés avançaient en file indienne le long des effroyables passages sous la montagne. Ces chemins tortueux leur faisaient traverser de vastes cavernes de cristal et des manufactorum désaffectés, quand ils ne leur faisaient pas suivre les pentes escarpées de canaux vertigineux creusés directement dans la roche. Leurs corps gigantesques emplissaient tout le tunnel tandis qu’ils ramenaient Uriel et les autres vers Khalan-Ghol.

Ils empruntaient d’obscurs passages secrets dans les profondeurs de la montagne dont ils étaient les seuls à se souvenir de l’existence ; une enfilade de caniveaux abandonnés et de souterrains enfouis qui les emmenait droit vers leur destin.

Juste derrière Uriel, Pasanius peinait dans les montées en poussant des grognements. Sa récente amputation rendait le périple d’autant plus éprouvant pour lui, mais chaque fois qu’il rencontrait une difficulté, le seigneur des Décharnés revenait sur ses pas pour le soulever et l’aider à avancer.

La créature géante ouvrait la marche dans les ténèbres, son imposante silhouette bouchant toute la largeur du passage. Si n’étaient son dos voûté et ses épaules tombantes, il se serait certainement ouvert le crâne depuis longtemps sur les stalactites qui pendaient du plafond.

Le seigneur des Décharnés marchait avec un regain d’énergie depuis qu’il s’était découvert une nouvelle motivation. Ses grandes enjambées imprimaient une cadence effrénée à leur odyssée le long des sentiers souterrains. Uriel se contractait à chaque pas, respirant péniblement à l’aide de son unique poumon valide. Privé des baumes apaisants habituellement administrés par son armure, la douleur de sa colonne vertébrale fracturée et de ses côtes cassées le lançait terriblement.

Plus loin derrière, une créature difforme dotée d’un jumeau atrophié soudé dans le dos portait Leonid. Le monstre rachitique collé aux chairs du porteur serrait le colonel grimaçant dans ses bras. Venaient ensuite, en queue de cortège, Ardaric Vaanes et les deux space marines survivants de sa bande de renégats.

Une fois que le soufflé de leur exaltation devant le miracle de l’Empereur ressuscité avait fini par retomber, les Décharnés avaient embrassé la cause d’Uriel avec un zèle et une ferveur dignes de véritables croisés, rassemblant tous ceux susceptibles de chasser et de se battre. Uriel en aurait pleuré de joie. Voir la piété enthousiaste que leur inspirait leur sainte mission lui rendait encore plus insupportable d’avoir dû ruser pour les rallier à lui.

Quand Uriel avait repris pied au bord du précipice, le seigneur des Décharnés avait fait signe à l’un de ses congénères, qui s’était avancé dans leur direction. Uriel avait pu constater qu’il s’agissait de la créature qu’il avait combattue dans l’étang de sortie d’égout, son épée toujours logée en travers du ventre.

— Prendre lame, avait alors intimé le seigneur des Décharnés. Uriel avait acquiescé en agrippant du bout des doigts le pommeau de l’arme. Il avait tiré sur l’épée, contractant ses muscles pour la déloger de l’étreinte visqueuse des chairs, ancrant bien ses pieds dans le sol du manufactorum pour raffermir sa prise. L’épée était coincée dans le corps de la bête et il dut tordre la lame dans tous les sens pour la faire coulisser. Elle avait fini par sortir de mauvaise grâce de son fourreau de chair. La créature, murée dans son silence stoïque, était restée impassible tout au long de l’opération. Une fois la lame délogée, le géant s’en était allé rejoindre ses terrifiants comparses.

— Merci ! lui avait lancé Uriel.

Le Décharné avait respectueusement hoché la tête et Uriel avait alors senti une lueur d’espoir se rallumer au fond de son cœur.

Mais la bouffée de soulagement et d’exaltation que lui avait procurée un tel retournement de situation avait vite tourné à l’aigre quand il s’était réuni avec ses camarades et qu’Ardaric Vaanes en avait profité pour reprendre le cours de ses insinuations fielleuses.

— Ils vous tueront quand ils auront découvert que vous les avez roulés dans la farine, avait lâché le renégat alors que les Décharnés se préparaient pour la guerre, rassemblant des gourdins de fer rudimentaires. La plupart d’entre eux n’avaient toutefois nul besoin d’armes, leurs horribles mutations leur fournissant bien assez d’atouts meurtriers pour rendre la question
superflue.

— Leur ai-je seulement menti ? avait alors répliqué Uriel, particulièrement sur ses gardes. Je ne fais que servir les desseins de l’Empereur, tout comme eux à présent.

— Vous voulez parler des Décharnés ? avait réagi Vaanes d’un air consterné. Vous croyez que l’Empereur voudrait que Sa volonté soit faite à travers des bestiaux pareils ? Mais regardez-les, ce sont des monstres ! Comment pouvez-vous croire une seule seconde ces créatures capables d’être les instruments de Sa volonté ? Ils sont malfaisants, bon sang !

— Ils portent en eux la chair de l’Empereur, avait lancé Uriel d’un ton cassant. Le sang des héros d’antan coule dans leurs veines, et je ne les laisserai pas tomber.

— N’allez pas vous imaginer que moi aussi, vous pouvez m’embobiner avec vos salades, avait ricané Vaanes. Vous n’êtes pas le messager de l’Empereur, et je vois très bien dans vos yeux que vous n’êtes pas dupe non plus.

— Ce que je crois ne compte pour rien. Mais vous, à quoi croyez-vous ?

— Plus que jamais à mon instinct : je crois que, de mon côté, je ne m’étais pas trompé sur votre compte.

— C’est-à-dire ?

— C’est-à-dire que je savais dès l’instant où je vous ai vu que vous n’étiez bon qu’à attirer des ennuis, avait répondu Vaanes dans un haussement d’épaules. Enfin, ça n’a plus d’importance, de toute façon. Dès qu’on sera sorti de ce trou, mes compagnons et moi, on tire notre révérence et on vous laisse avec votre belle équipe de champions.

— Vous comptez réellement nous tourner le dos ? Après tout ce qu’il s’est passé, tout ce sang versé, tous ces morts, toute cette souffrance partagée ? Vous seriez capable de faire ça ?

— Un peu que j’en suis capable ! C’est même ce que je vais faire, avait répliqué Vaanes d’un ton hargneux. Et qui pourrait me jeter la pierre, hein ? Regardez autour de vous, regardez ces monstres. Ils seront bientôt tous crevés et vous aurez leur mort sur la conscience. Réfléchissez-y ; vous vous apprêtez à tenter de prendre une forteresse déjà assiégée avec une tribu de mutants cannibales, un colonel de la garde moribond et un sergent manchot ! Je suis un guerrier, Ventris, c’est aussi simple que ça, et je n’ai pas d’autre choix que de m’évertuer à survivre. Retourner à Khalan-Ghol, c’est de la folie, et prendre d’assaut cette forteresse, c’est davantage du suicide que l’idée que je me fais du courage.

Vaanes avait alors agrippé l’épaule d’Uriel avant d’ajouter :

— Écoutez, vous n’êtes pas obligé de mourir ici. Pourquoi vous ne viendriez pas plutôt avec moi, Pasanius et vous ? Vous vous débrouillez plutôt pas mal au combat, des guerriers de votre trempe me seraient bien utiles.

Uriel s’était débarrassé du bras du renégat d’un vif mouvement d’épaule.

— Vous êtes un vaillant guerrier, Ardaric Vaanes, mais j’avais tort de croire que vous pouviez regagner votre honneur. Vous avez du courage, mais je suis heureux de ne plus avoir à repartir à la bataille à vos côtés.

Les yeux du renégat avaient lancé des éclairs de haine et son expression s’était aussitôt durcie.

Sans un mot de plus, il s’était alors éloigné sans se retourner.

Uriel écarta Vaanes de ses pensées tandis qu’il apercevait une vive lueur à l’horizon et prenait conscience que les bruits de bataille avaient considérablement augmenté en volume. Avec un regain de vigueur, il grimpa à la suite du seigneur des Décharnés et émergea à la surface. La lumière crue de Medrengard le fit cligner des paupières.

Le vacarme des combats qui faisaient rage autour de la forteresse d’Honsou était épouvantable, et Uriel constata que le passage secret des Décharnés les avait fait émerger directement sur les hautes terres à proximité des fondations mêmes de Khalan-Ghol. Les plaines qui s’étendaient au pied de la forteresse n’étaient qu’à quelques centaines de mètres en contrebas.

Dans les hauteurs, les remparts de la place forte étaient entourés de flammes, et Uriel réalisa qu’il allait leur falloir grimper jusqu’au cœur du maelström qui faisait rage au-dessus de leurs têtes.

À de nombreux kilomètres de là, sous la grande rampe, les confins suffocants des mines résonnaient du cliquetis des pioches et des pelles, à la lueur vacillante des lampes. On avait excavé là une vaste galerie d’environ neuf cents mètres de large avec un sol en pente douce. Un guerrier en armure de fer maculée supervisait le travail de centaines d’esclaves et de contremaîtres, qui s’employaient à remorquer des wagonnets remplis de carburant et d’explosifs destinés à être fixés sur toute la longueur du souterrain.

Les parois de la galerie étaient déjà presque intégralement tapissées de charges et Corias Keagh, maître-artilleur personnel du seigneur Berossus, était bien conscient qu’il y avait là suffisamment d’explosifs pour raser la montagne même. Les tunnels qui ouvriraient une voie par les sous-sols de Khalan-Ghol constitueraient sans aucun doute son chef-d’œuvre. Le labeur avait été pénible et avait coûté la vie à des milliers d’esclaves, mais il avait réussi à faire aboutir le réseau souterrain exactement au bon endroit. C’était presque dommage de devoir faire sauter un échantillon aussi exemplaire d’excavation de siège.

Si ses calculs étaient exacts (et il n’avait aucune raison d’en douter, car Obax Zakayo s’était montré remarquablement précis dans sa traîtrise), les catacombes de la forteresse, que l’on disait hantées par les spectres des précédents maîtres de Khalan-Ghol, se trouvaient trente mètres plus loin. Keagh savait bien que ces histoires de fantômes avaient toutes les chances de n’être que des contes à dormir debout, mais dans l’Œil de la terreur, il n’était jamais payant de se moquer trop ouvertement de ce genre de choses.

Toujours est-il que des bruits concernant ces récits effroyables avaient
filtré parmi les milliers de soldats qui étaient restés cantonnés pendant des mois dans le tunnel de garnison qu’il avait fait construire dans l’armature même de la grande rampe, et qu’il avait entendu des rumeurs déplaisantes circuler à propos de cette attaque. Il avait rituellement écorché vif ces oiseaux de mauvais augure, mais cela n’avait pas empêché un sentiment d’effroi de s’immiscer peu à peu dans les rangs.

En dépit de cela, les soldats étaient tous sur le pied de guerre, parés à lancer l’assaut dès que la brèche dans les entrailles de Khalan-Ghol serait ouverte, et Keagh était impatient d’en découdre enfin avec l’ennemi.

Son armure ruisselante de sueur palpitait dans la fournaise, ses systèmes internes luttant tant bien que mal pour réguler sa température corporelle.

La chaleur dans les tunnels était étouffante, plus encore que Keagh ne l’aurait imaginé à cette profondeur, mais il n’y prêtait aucune attention, trop absorbé par les prémisses du spectacle de destruction qu’il était sur le point de déchaîner.

Les remparts étaient en flammes, le feu d’artillerie fauchant indistinctement les hommes et les créneaux de pierre dans une débauche de balles de gros calibre. Les obusiers de campagne qui évoluaient au milieu de la colonne de blindés faisaient pleuvoir, alors qu’ils n’étaient plus loin d’atteindre le sommet de la rampe, un déluge d’obus explosifs sur la dernière ligne de bastions, saturant l’atmosphère de fragments tourbillonnants de métal chauffé au rouge.

Les hommes périssaient par centaines, déchiquetés par les salves dévastatrices ou brûlés vifs et précipités dans le vide par des obus incendiaires tirés depuis les bonnettes surélevées des Titans à l’approche.

Mais Berossus allait devoir se battre jusqu’au bout s’il voulait prendre Khalan-Ghol. Les Titans d’Honsou et ses positions d’artillerie revêtues de parois avaient emmagasiné leur comptant de coordonnées de tir et malmenaient terriblement la colonne en pleine approche. Des tanks explosaient, leur revêtement blindé déchiqueté par les obus perforants qui s’abattaient sur eux depuis les positions de défense en surplomb. Ces véhicules foudroyés étaient déblayés sans merci du passage, passés par-dessus bord de la rampe pour aller s’écraser sur les rochers en contrebas. Mais quel que fût le nombre de transports abattus par les artilleurs d’Honsou, rien ne semblait pouvoir arrêter l’avancée inexorable de la colonne.

Honsou se cramponna à une gargouille de pierre brisée en morceaux pour regarder l’armée approcher avec un mélange d’euphorie et de crainte.

D’un point de vue purement logistique, Berossus avait clairement l’avantage, et il en tirait parti pour presser comme des citrons les défenseurs de la forteresse (ou, du moins, ce qu’il en restait). Onyx avait raison, jamais ils ne pourraient vaincre cette armée par des moyens conventionnels.

Mais il n’était nullement dans les intentions d’Honsou de livrer une bataille conventionnelle.

— Allez, approche-toi encore, mon salaud ! hurla-t-il, son cri couvert par le crescendo assourdissant du vacarme qui retentissait autour de lui. Il plissait des yeux en s’efforçant de percer la fumée des coups de feu, mais ne pouvait rien distinguer à travers la brume âcre.

Onyx lança un regard troublé à Honsou, mais garda le silence alors même que de nouvelles salves d’artillerie venaient s’abattre non loin. Des éclats d’obus ricochèrent contre les murs, et Onyx s’interposa d’un bond devant Honsou, préférant laisser les énormes fragments de métal cribler ses chairs démoniaques plutôt que de les voir réduire son maître en charpie.

— Onyx ! appela Honsou en traînant le symbiote démoniaque jusqu’à ses pieds. Regarde du côté de l’armée de Berossus et dis-moi ce que tu vois !

Onyx alla se poster d’un pas chancelant sur le rebord de la muraille et régla les paramètres de ses yeux bioniques afin d’embrasser du regard toute la bataille et en percevoir le moindre détail. Des jets de flammes et des gerbes d’explosion vacillaient dans son champ de vision comme autant de galaxies, mais sa vue perçait sans peine le chaos et la confusion des
combats.

Les troupes de tête de l’armée de Berossus avaient ouvert une brèche dans les fortifications du plateau et n’étaient plus qu’à une centaine de mètres du dernier mur qui les séparait de la victoire. Les dreadnoughts braillaient de furieux cris de guerre, et les Titans leur emboîtaient le pas à grandes enjambées, à la manière d’avatars des dieux des batailles, le mugissement de leurs armes se mêlant aux prières qu’ils entonnaient à la gloire de leurs sombres maîtres.

— Berossus est à nos portes ! hurla Onyx. Il sera sur nous dans quelques minutes !

— Mais non ! répliqua Honsou. La rampe ! Que se passe-t-il à l’autre bout de la rampe ?

— Je vois des tanks, des centaines de tanks, cria le symbiote démoniaque, sa voix à peine audible au milieu du fracas des déflagrations. Ils sont rassemblés à l’entrée des mines, au pied de la rampe, et attendent simplement leur tour pour entamer l’ascension.

— Parfait, lança Honsou en riant. Mon bon Berossus, tu es encore plus stupide que je pensais !

Satisfait du nombre de charges explosives placées, leurs détonateurs réglés pour faire sauter les fondations de la forteresse au-dessus de lui, Corias Keagh se retira prestement de la galerie souterraine. Se faisant, il déroula une longueur de câble isolant du servo-appareillage qu’il avait dans le dos. Des bras munis de pinces montés sur l’appareil empêchaient le câble de s’emmêler, lui assurant une trajectoire aussi horizontale que rectiligne.

— Ça devrait faire l’affaire, lâcha-t-il à la cantonade, ne s’adressant à personne en particulier, tout en allant se pelotonner dans le bunker blindé qu’il avait fait construire pour l’occasion.

Les pinces coupèrent le câble avant de se tendre par-dessus ses épaules pour lui en passer le bout en cuivre rutilant. Des minuteurs synchronisés avaient été calibrés à partir des unités d’alimentation de sa propre armure et il brancha l’embout du câble à une prise fixée à son plastron. La lumière rouge qui clignotait sur la visière de son casque vira au doré et il sentit une pointe d’excitation l’envahir en entendant les explosifs commencer à se
charger.

Il ouvrit un canal vers son seigneur et maître avant d’annoncer :

— Seigneur Berossus, les charges en dessous de la forteresse sont installées et prêtes à exploser.

— Eh bien, faites-les détoner sur-le-champ, entendit-il grogner à l’autre bout, reconnaissant la voix râpeuse de son maître. Nous sommes presque
arrivés au sommet de la rampe.

S’interrompant un instant pour savourer pleinement l’heure de son triomphe le plus éclatant, il laissa le silence du tunnel l’envelopper avant d’envoyer une impulsion énergétique courir le long du câble.

La force de la déflagration ébranla les fondations mêmes de la montagne à l’instant où des milliers de pièces d’artillerie et tout le carburant explosaient en même temps, atomisant instantanément un pan entier du soubassement de Medrengard. Honsou chancela et tomba à genoux, secoué par l’onde de choc qui se propageait à travers toute la forteresse. D’immenses tours qui se dressaient fièrement depuis des millénaires s’effondrèrent en quelques secondes, et chaque combattant fut fauché de ses appuis.

Des tanks, et même un des Titans de Berossus, dégringolèrent de la rampe alors que l’onde de choc se déployait vers le ciel. La maçonnerie des remparts se fissurait et des centaines d’hommes périrent en allant s’écraser sur les ruines des bastions en contrebas. La muraille principale commença à s’effriter, se déchirant comme du papier, les forces phénoménales qui ébranlaient la montagne ouvrant des brèches à plus d’une dizaine d’endroits différents.

La terre continua de gronder, secouant Khalan-Ghol jusque dans ses fondations, et Honsou perçut en réponse une sourde plainte minérale, comme si la forteresse protestait elle-même en poussant des cris de rage contre le viol qui lui était infligé.

De nombreuses brèches avaient été ouvertes dans sa forteresse, mais Honsou ne ressentait rien d’autre qu’une vive allégresse alors que le grondement du tremblement de terre qui s’était saisi de sa place forte commençait à s’éteindre.

— Te voilà maintenant à ma merci, Berossus ! exulta-t-il. Iron Warriors, préparez-vous !