CHAPITRE XII
Ajo fut enterré sous un tertre d’ostres mortes. Heidin le remplaça sur la civière. Le médikit travaillait sans relâche sur la blessure, recouvrant son visage d’une confusion de tentacules. Des sucs gastriques du mollusque avaient coulé dans la plaie, poursuivant la destruction des tissus céphaliques. Son état se dégradait. Lorin marchait près du malade. De temps en temps, il détachait des ostres collées aux montants du brancard. Puis il relaya Temb.
Un glissement de terrain avait emporté le pont sur des kilomètres. Ils continuèrent tout droit, pensant le rattraper plus loin. Parmi les tertres de ferraille dissoute, on reconnaissait parfois les membrures d’une ossature mécanique.
L’alerte du radar de surveillance se déclencha à l’instant précis où vibrait celle du médikit.
Lorin et Dom-Dom posèrent le brancard.
— Quelle dérision. Être vaincu par un mollusque, lui, un soldat… prononça Dom-Dom, en guise d’adieu.
Le radar de Wolf bipa.
— Une présence humaine à six cents mètres. Il faut y aller, tout de suite. Nous reviendrons enterrer Heidin plus tard.
Le radar indiquait deux présences. À quatre cents mètres, Wolf stoppa les hommes et passa le Baz par-dessus son épaule.
— Hors de question qu’ils nous échappent cette fois. Restez en arrière, je m’en occupe.
— Que comptes-tu faire ? demanda Lorin en s’avançant. Tu ne vas pas les tuer, comme cela, à distance ?
Temb mit Lorin en joue. Le garçon s’arrêta, hésitant. Wolf n’avait même pas tourné la tête. Il enclencha la lunette de visée. Puis il épaula. Lorin sentit son estomac rétrécir de volume dans son ventre. Si Soheil se trouvait à l’autre bout de la lunette…
— Non, tu ne peux pas faire ça !
Le tatoueur grinça entre ses dents :
— De quoi tu te mêles, sale traître ? Bouge donc. J’aimerais que tu bouges.
Wolf avait enclenché le tir silencieux. Le coup de feu ne produisit qu’un bruit de claque étouffé. À peine un tressaillement dans la main de Wolf.
Sans s’en rendre compte, Lorin avait bondi. À mi-chemin, un autre claquement mouillé – puis une détonation explosa à son oreille.
Lorin crut qu’un camion le percutait par derrière et que sa colonne vertébrale se répandait en esquilles dans tous les recoins de son anatomie. Il bascula en avant. Le marécage toxique se referma sur lui. Sa gorge se remplit de boue. Il commença à étouffer, mais le choc lui avait ôté toute force, il ne pouvait plus bouger le petit doigt. Il comprit dans un éclair que Temb lui avait tiré dans le dos à bout portant, et qu’il allait mourir asphyxié. Il allait mourir sans revoir Soheil.
Une poigne puissante le tira en arrière.
À travers le brouillard gris de son inconscience, une voix cherchait le chemin. La voix de Temb.
— Remets-toi, Dom-Dom. Je l’ai étourdi, voilà tout. J’ai utilisé le second chargeur, où j’avais placé une balle à bout rond, presque sans poudre. Spécialement pour l’occase. Regarde, son treillis n’est pas transpercé. Wolf veut le ramener intact pour la récompense. Mort, il ne servirait à rien… Enfin, à peu près intact.
Lorin cligna des yeux afin de chasser la boue. La vue lui revenait. Wolf se réduisait à une silhouette minuscule, loin devant.
Temb lui emboîta le pas. Dom-Dom attrapa Lorin sous l’épaule.
— Tu es lourd, bougre de salaud. Temb est un connard, mais il a bien fait, après tout. Wolf t’aurait tué si tu l’avais privé de son carton. Qu’espérais-tu par ce geste ? Wolf n’a transgressé aucune règle. Et toi, tu es seul et sans arme. La gaine de ton couteau est vide, Temb te l’a subtilisé la nuit dernière. Je parie que tu ne t’en es pas aperçu. Tu vois, tu n’es pas de taille à jouer au héros.
Lorin essaya de parler. Le froid consécutif au choc le faisait grelotter. Il ne réussit qu’à émettre un marmonnement inintelligible. À la place des jambes, on lui avait greffé les pattes d’un crabe mou.
Dom-Dom assit Lorin sur le rebord du brancard. Il déconnecta le médikit. D’une poussée, Heidin bascula dans la boue.
— Allonge-toi, ça va me faciliter le boulot.
Le garçon n’avait d’autre choix que d’obéir. Une douleur sourde émanait de son dos. La balle avait-elle fait exploser une de ses vertèbres ? L’hypothèse était plausible.
— Tu n’aurais pas dû t’interposer, soliloquait Dom-Dom. Les pontes en tiendront compte. Mais si nous récupérons le reste des fuyards, et si tu lui suggères qu’il y trouvera son compte, Wolf ne te chargera pas dans son rapport.
Lorin se moquait de ce qui pouvait lui arriver. Il songeait aux deux indigènes de Wolf. Il se refusait à envisager que l’un d’eux fût Soheil. Il n’aurait plus qu’à mourir. Se venger de ces hommes ne l’intéressait pas. Qu’importait leur vie, si celle de Soheil lui était enlevée ? Pendant dix minutes, il vécut dans les affres de l’expectative.
Ses mains fonctionnaient à nouveau. Le reste de son corps restait sans réaction. Il activa le médikit, laissa les palpes de métal l’ausculter. Hormis une collection d’infections de toutes sortes, il ne souffrait d’aucune lésion sérieuse. Le médikit se mit en devoir d’égrener la liste des infections. Dom-Dom coupa le contact pour le faire taire.
— Il faut laisser le temps au traumatisme de se résorber. Pendant quelques heures, tu ne seras bon à rien. Ce qui est le mieux pour tout le monde.
Lorin agrippa le bras de Dom-Dom.
— Promets-moi une chose. S’il s’agit de Soheil, tout à l’heure, promets-moi de me tuer.
— Ne dis pas de conneries. Tu n’es pas drôle.
— Promets.
Dom-Dom secoua la tête d’un air obstiné.
— Je n’ai pas le droit de le faire. Même pour te rendre service. Je risquerais la cour martiale. Tu dois passer en jugement, tu comprends ?
Lorin n’eut pas la force d’exprimer son désespoir. La délivrance de la mort lui était refusée.
Quelques minutes plus tard, Dom-Dom laissa retomber le brancard sur un terre-plein craquelé comme le lit d’un fleuve asséché.
Lorin tourna la tête avec difficulté. Temb s’accroupissait au pied de corps désarticulés. Lorin frémit. Mais il s’agissait des cadavres d’hommes efflanqués. Deux guerriers âgés de Jedjalim. L’un avait l’épaule arrachée par une balle, le second la poitrine perforée. Le regard de Lorin fut attiré par les bottes souples et luisantes, faites d’un tissu spongieux, qui enveloppaient leurs pieds jusqu’aux cuisses. La texture, aux circonvolutions labyrinthiques vaguement répugnantes, rappela quelque chose à Lorin. Comme si ces chausses avaient été découpées dans une poche stomacale.
Temb leva les yeux.
— Rassure-toi, ce n’est pas ta sorcière. Bientôt, Wolf la ramènera par les cheveux. Je crois qu’il veut se la faire. La défoncer. Pendant l’interrogatoire sous véridral, il n’arrêtait pas de demander des détails sur son aspect. Tu l’as mis en appétit. Une macaque comme toi, – enceinte au surplus –, si ce n’est pas dégoûtant. Quoiqu’en dise Dom-Dom, tu es, tu resteras toujours un pouilleux de macaque.
Lorin le toisa. Sous l’afflux de la colère, une partie de ses forces lui revenaient.
— Et toi, d’où viens-tu ?
Le tatoueur se redressa. Le coup de poing partit avant que Lorin n’ait eu le temps de le voir venir. Il se plia à angle droit sur le brancard. L’air n’arrivait plus à ses poumons. Il commença à suffoquer. Un autre coup suivit, lui percutant l’épaule. Dom-Dom retint le bras sur le point de s’abattre à nouveau.
— Temb, contrôle-toi ! Tu vas le tuer. Tu ne vois pas qu’il est malade ?
— Et toi, tu ne serais pas de mèche avec ce putain de traître ? C’est bien lui qui te fournit en kaléidoscine, non ?
Dom-Dom le lâcha, livide. À cet instant, Wolf réapparut. Il triomphait.
— Je les ai localisés. Il se sont cachés dans un cimetière de drones. Il y en a une bonne quinzaine. Ils ne savent pas que nous sommes là. On y va, tout de suite.
Lorin était trop faible pour faire partie de l’opération. Wolf le laissa à regret. Avant de partir, Temb lui jeta un regard meurtrier.
Après leur départ, Lorin tenta de se hisser sur ses pieds. Les paroles de Temb lui brûlaient le cerveau. S’il avait convaincu Wolf que Soheil était une sorcière, ils la tueraient sans hésitation. Il devait intervenir, leur faire comprendre leur erreur.
Le simple effort de se redresser lui fit tourner la tête. Ses membres étaient glacés. Il ne pouvait plus compter sur Dom-Dom. Encore une fois, il se voyait condamné à l’inaction. Son corps, sans plus de forces qu’un enfant, le trahissait. Des larmes de colère contre lui-même coulèrent sur ses joues.
Au bout d’un quart d’heure, des détonations sourdes éclatèrent. Lorin leva le menton.
La gangue de froid refluait. Il se dressa avec précaution. Un pas devant l’autre. Il vacillait – mais tenait debout.
Il se mit en route d’une démarche de somnambule. Dom-Dom avait raison. Seul et désarmé, qu’espérait-il contre trois hommes qui le détestaient ? Cependant, il ne pouvait se résoudre à attendre sans rien tenter.
Il clopina durant une éternité. Le champ de carcasses se rapprochait. Les détonations également. Bientôt une troupe d’individus dépenaillés apparut. Lorin en compta une douzaine, moins que ce que Wolf avait annoncé. Ils portaient ces bottes en peau fripée – et le jeune homme se rappela d’où provenait cette matière : de plantes souples vivant dans les nappes acides, qui s’étaient adaptées en produisant cette paroi. Les fuyards l’avaient utilisée, la découpant à même les troncs. De la sorte, ils n’avaient pas eu à souffrir des attaques du marécage. Aucun soldat n’avait eu l’idée de le faire.
En approchant, Lorin remarqua quelque chose qui clochait. Il n’y avait pas de guerrier dans le groupe, seulement des vieillards éclopés, une poignée d’adolescents et de femmes d’âge mûr.
Dom-Dom et Temb affichaient une mine sombre. Lorin en devina la raison avant même que Dom-dom ne l’expose.
— Nous avons été joués. Ce n’est qu’un groupe de diversion que nous avons retrouvé. Ils étaient chargés de nous retarder dans le marécage. On peut dire qu’ils ont réussi. Les autres doivent être loin maintenant.
Remarquant l’expression de Lorin, il ajouta :
— Nous avons dû abattre un fuyard. Wolf tâche d’en rattraper deux autres, qui se cachent dans une de ces carcasses branlantes. Il n’activera pas la balise de repêchage avant. Au fait : dans le lot, il y a une femme.
Le cœur de Lorin se mit à cogner. Derrière son dos, la voix de Temb le rattrapa.
— J’ai une idée. Tu vas enlever le treillis que tu ne mérites pas. Et tu vas rejoindre tes copains les macaques.
Lorin continua de marcher sans se retourner. Le déclic du Baz le fit tressaillir. Sa colonne vertébrale ne résisterait pas à un nouveau projectile. Au mieux, il finirait impotent pour le reste de ses jours. Mais il ne ralentit pas.
Un autre déclic. Le fusil de Dom-Dom.
— Fous-lui la paix, Temb. Que veux-tu qu’il fasse, dans l’état où il est ? Il tient à peine sur ses jambes.
Lorin s’éloigna en direction du champ de drones. Son pas n’était pas très assuré, mais il ne redoutait plus de balle dans le dos.
Le cimetière se déployait en une architecture de squelettes d’acier rongé, auxquels s’agrippaient des ostres. Lorin s’y engagea. Des traînées rouges sinuaient sur le sol, traces de rouille qui formaient des gangues croûteuses. Le lit de boue avait perdu tout pouvoir corrosif, aidé sans doute par les pluies. Wolf et les deux fuyards rôdaient alentour.
— Soheil !
L’écho se démultiplia dans les carcasses. Certaines d’entre elles se réduisaient à des boisseaux de lances rouillées menaçant le ciel, vestiges de superstructures déshabillées de leur peau de fer. Lorin parvint à un carrefour, appela encore. L’effondrement d’une carcasse, non loin de là, lui répondit. Un nuage de rouille s’éleva. Il se mit à courir. Une douleur éclata au bas de son dos, l’obligeant à diminuer sa vitesse.
— Soheil !
Le nuage de particules rougeâtres dérivait à travers le cimetière, à trois mètres du sol. Les particules plus lourdes retombaient sur une carcasse de forme ramassée. Lorin s’approcha de la charpente qui n’allait pas sans évoquer un scorpion auquel on aurait arraché les pattes. Le délabrement l’avait en partie épargné, laissant des lambeaux de carlingue. C’étaient eux qui avaient fait crouler l’édifice entier.
Un gémissement provenait de l’intérieur des ruines. Lorin s’approcha, redoutant ce qu’il allait voir.
Il pénétra dans un compartiment évidé de l’abdomen métallique. La moitié de l’espace avait été ensevelie par des poutres recourbées en arc de cercle, acérées par la corrosion. À travers l’enchevêtrement, Lorin distingua les corps.
L’indigène était assis, enfoncé dans une cloison qui avait cédé sous son poids. Sa tête était couverte de sang. Un projectile lui avait emporté la mâchoire. Ses yeux ouverts fixaient le sol.
Lorin suivit le regard mort. Presque à ses pieds gisait Wolf. Sur le ventre, le pantalon défait, il chevauchait une femme dont Lorin n’apercevait que les jambes écartelées. En s’écroulant, une poutre leur avait traversé la poitrine, les clouant tous deux à même le sol, tels des insectes. Lorin crut qu’il allait s’évanouir. L’atmosphère, brusquement, avait coagulé autour de lui, comme dans ces cauchemars où l’on ne peut progresser qu’au ralenti.
— Soheil…
Sa voix n’était qu’un croassement. Il se pencha. La tête de la femme était cachée par l’épaule de Wolf, qui étreignait toujours son Baz. Il aperçut une masse de cheveux frisés.
Il se rejeta en arrière et clopina hors du réduit. Il était temps. Son estomac ne contenait aucun aliment solide. Un jet de bile jaillit de sa gorge. Lorin se vida à grands hoquets brûlants.
Soheil n’avait pas les cheveux frisés. Ce n’était pas elle que Wolf avait violée, mais une des adolescentes du groupe de diversion. Le soldat avait menacé son compagnon de son arme, mais celui-ci s’était tout de même interposé. Il n’avait pas eu le temps de s’élancer. Une décharge en pleine tête l’avait propulsé en arrière, contre la cloison. Une cloison portante qui s’était trouvé ébranlée, bouleversant l’équilibre de la charpente. Et tout s’était écroulé. La veste de treillis retroussée n’avait été d’aucune protection. Si Wolf ne l’avait pas défaite, ses reins auraient été broyés par la pression de la poutre.
De longues minutes plus tard, il revint. Wolf détenait la balise. Lorin devait la récupérer s’ils voulaient être rapatriés par l’hélico. Ils avaient retrouvé une partie des fuyards, Jelal ne ferait pas de difficultés pour le repêchage.
Une plainte sourde le fit sursauter. Lorin s’agenouilla auprès des corps. Comment la jeune fille pouvait-elle vivre, un énorme pieu enfoncé dans le ventre ? La tête de Wolf pivota de côté. Lorin s’était trompé. Le gémissement ne provenait pas de la jeune fille, mais du soldat.
Lorin contourna la poutre et s’accroupit. Les lèvres de Wolf remuaient.
— Enlève-le moi, souffla-t-il. Enlève-le moi.
— Je ne peux pas, répondit Lorin d’une voix rauque. Tout risque de crouler. Il faut que je prenne la balise et que je l’active. Les hommes de l’hélico pourront peut-être t’aider.
Une nouvelle plainte fusa des lèvres du soldat.
— Non… Retire moi… d’elle…
Lorin comprit. Ses cheveux se hérissèrent sur sa nuque.
— Je ne peux pas. Ne me demande pas ça. Je ne peux pas.
Un sanglot secoua le corps de Wolf. Un filet de sang s’amassait sous la nuque de la jeune fille. De quel sang s’agissait-il ? Lorin se releva. Il tâtonna près du corps et trouva le sac. Il l’ouvrit, extirpa un objet oblong, muni d’une antenne gainée de plastique rigide. La procédure de mise en route était simple, il suffisait de faire tourner la partie supérieure d’un demi-tour sur elle-même, puis de la ramener à son point initial.
Il la glissa dans une poche de son battle-dress et sortit.
Dom-Dom et Temb l’attendaient en compagnie du groupe d’indigènes accroupis à l’écart.
— Qu’est-ce que tu fabriquais ? Où est Wolf ?
Lorin regarda Temb sans s’émouvoir. Il fit le récit en quelques mots de ce qui était arrivé. Les yeux du soldat se plissèrent.
— Tu mens, putain de macaque ! C’est toi qui a buté Wolf. Depuis le début, tu veux nous éliminer un par un. Je t’ai entendu mentionner le nom des ostres. Et tu es délibérément resté silencieux, certain que l’un d’entre nous tomberait dans le piège. Mais je t’ai percé à jour. Je sais que tu es possédé par une sorcière.
Il dirigea son Baz sur Lorin.
— Personne ne peut rien prouver, bien sûr. Mais moi, je sais. Si je ne punis pas les traîtres, qui le fera ?
L’esprit de Lorin travailla à toute allure.
— Va vérifier mes dires, si tu ne me crois pas. Wolf et ses victimes sont exactement dans la position que je t’ai décrite.
Temb secouait la tête à la manière d’un oiseau-vache importuné par un moustique.
— Tu essaies de gagner du temps. Même si je les trouvais à la place que tu dis, ça ne prouverait rien, tu as pu organiser une mise en scène. Voilà pourquoi tu as été si long.
Dom-Dom posa une main sur son épaule.
— Du calme, vieux. Le gamin n’est pas responsable…
Un coup de crosse le cueillit au creux de l’estomac et il tomba à la renverse. Les indigènes se levèrent, apeurés par la tournure des événements. Temb tourna son arme vers eux.
— Ne bougez pas ! Un pas, et je vous abats tous ! Vous voulez un exemple, vous voulez vraiment que je fasse un exemple ?
Il perdait la raison. Lorin eut la certitude qu’il se préparait à faire un massacre. Il entendit Dom-Dom, qui se relevait lourdement.
Le levier d’armement claqua, tandis qu’une balle prenait place dans la chambre de combustion du fusil. Il fallait parler tout de suite, ou ce serait le drame. Lorin lança sans réfléchir :
— Temb ! C’est moi qui ai la balise. Je l’ai cachée dans une des carcasses. Il te faudrait des semaines pour la trouver. Si Dom-Dom était blessé par ta faute, je ne te révélerais jamais l’endroit, tu m’entends ?
L’arme oscilla entre les mains du tatoueur.
— Tu avoues ta trahison. J’avais raison sur ton compte. Tu as éliminé Wolf. Tu as tué ton supérieur.
— J’avoue tout ce que tu veux. Mais abaisse ton arme. Ce n’est pas à toi de me juger. Tu n’es pas un tribunal militaire.
— J’ai un moyen de te faire cracher où tu as planqué la balise.
Le canon se reporta vers le groupe. Lorin se figea.
— Temb !
Le projectile pulvérisa l’épaule du soldat. Qui pivota sur lui-même. Deux tirs percutèrent Dom-Dom de plein fouet. Puis Temb lâcha son Baz.
Une demi-seconde plus tard, sa tête explosa.
Le cadavre tomba dans la boue, les bras en croix. Lorin se précipita sur Dom-Dom.
— Comment ça va, mon vieux ?
— Les macaques…
Lorin se redressa et alla rassurer les indigènes gagnés par un début de panique. Puis il revint installer le médikit sur Dom-Dom. La résille du treillis avait ralenti les projectiles, sans parvenir à les stopper. Elles logeaient quelque part dans ses poumons.
Dom-Dom toussa rouge.
— Va chercher la balise. Ce serait marrant, si elle avait cessé de fonctionner, comme la radio…
Lorin sortit l’appareil de sa poche et l’activa.
— Tu l’avais sur toi, bougre de salaud. Tu as menti. Temb avait peut-être raison à ton sujet. Il est mort ?
Lorin hocha la tête.
— Tu risques l’hémorragie si tu continues de remuer comme tu le fais.
L’organisme exténué de Dom-Dom avait du mal à lutter contre cette nouvelle agression. Le soldat sombra dans le coma. Pendant ce temps, Lorin utilisa le brancard pour aller dissimuler Temb dans une carcasse, dont il sapa les fondations jusqu’à ce qu’elle s’effondre d’elle-même. Les habitants de Jedjalim le regardèrent avec curiosité. L’un d’eux se proposa pour l’aider dans sa besogne.
Quatre heures plus tard, un gros hélicoptère de transport attiré par les pulsations de la balise apparut à l’horizon. Lorin n’eut pas la force d’agiter les bras.