XXI

 

On a bien raison de dire que tous les malheurs se suivent ; l’un entraîne l’autre. Mais la mort de notre bon sergent fut pourtant le dernier.

Ce même jour, les ennemis retirèrent leurs avant-postes à six cents toises de la ville, le drapeau blanc fut arboré sur l’église, et l’on ouvrit les portes.

Maintenant, Fritz, tu connais notre blocus. Dois-je te raconter encore l’arrivée de Baruch ; les cris de Zeffen et nos gémissements à tous, lorsqu’il fallut dire à cet excellent homme :

– Notre petit David est mort !… Tu ne le reverras plus !

Non… c’est assez !… Quand on songe à toutes les misères de la guerre, à toutes celles qui les suivent durant des années, on ne finirait jamais !…

J’aime mieux te parler de mes fils Itzig et Frômel, et de mon Sâfel, qui est allé les rejoindre en Amérique.

Si je te racontais tous les biens qu’ils ont acquis dans ce grand pays des hommes libres, les terres qu’ils ont achetées, l’argent qu’ils ont mis de côté, le nombre de petits-enfants qu’ils m’ont donnés, toutes les satisfactions dont ils nous ont comblés, Sorlé et moi, tu serais dans l’étonnement et l’admiration.

Jamais ils ne m’ont laissé manquer de rien. Le plus grand plaisir que je puisse leur faire, c’est de souhaiter quelque chose : chacun d’eux veut me l’envoyer ! Ils n’oublient pas que je les ai sauvés de la guerre, par ma grande prudence.

Je les aime tous également, Fritz, et je leur dis, comme Jacob :

« Que le Dieu d’Abraham et d’Isaac, nos pères, le Dieu qui me nourrit depuis que je suis au monde, bénisse ces enfants ; qu’ils multiplient très abondamment sur la terre, et que leur postérité soit une multitude de nations ! »