CHAPITRE III
 
M. Rolland.

 

 

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Il faisait, le lendemain matin, un temps radieux. Le soleil brillait, dégagé de la brume qui, les jours précédents, voilait le ciel.

L'île de Kernach se dessinait clairement, comme posée sur le miroir lisse de la baie. Les enfants la contemplèrent longuement, le cœur plein de nostalgie.

« Comme je voudrais pouvoir retourner là-bas, murmura Mick. La mer semble si calme... Qu'en penses-tu, Claude ?

— L'île est entourée de brisants, et il est très dangereux de s'en approcher en cette saison, répondit la fillette. D'ailleurs, maman ne nous donnerait sûrement pas la permission de tenter l'aventure.

— Cette île est si jolie avec son vieux château, dit Annie, et nous y sommes vraiment chez nous. C'est comme si elle était à nous aussi, n'est-ce pas, Claude ?

— Bien sûr, et ce château vous appartient tout autant qu'à moi, du fond des oubliettes jusqu'au sommet des tours, puisque mes parents en sont les propriétaires, et que nous nous sommes promis, vous et moi, de ne jamais le partager avec personne d'autre. Mais il ne s’agit pas de rester plantés ici toute la journée : nous allons être en retard pour le train ! Venez vite m'aider à sortir la voiture et à atteler le poney ! »

La besogne fut bientôt faite et, quelques minutes plus tard, les cinq amis se mettaient en route.

Le petit cheval trottait bon train, et la baie de Kernach ne tarda pas à disparaître au détour du chemin qui menait à la gare.

« Dis-nous, Claude, questionna François au bout d'un moment, toutes ces terres qui entourent « Les Mouettes » appartenaient-elles autrefois à ta famille ?

— Oui, mais aujourd'hui, nous ne possédons plus que notre maison, l'île avec le vieux château et la ferme de Kernach que l'on aperçoit là-bas. »

Claude tendit le bras et, du bout de son fouet, désigna à ses compagnons une petite éminence isolée sur la lande. La bruyère couvrait ses pentes d'ombres mauves sur lesquelles tranchait le vert sombre de quelques arbres plantés au sommet. À travers ceux-ci, se devinaient des murs bas que coiffaient de grands toits d'ardoise bleutée.

« Cette ferme est-elle habitée ? reprit François.

— Oui, par notre vieux fermier et sa femme, répondit Claude. Ils sont très gentils et, si vous voulez, nous irons leur faire visite l'un de ces jours. Comme ils sont trop âgés à présent pour tirer de l'exploitation un profit suffisant, maman les autorise à recevoir des pensionnaires pendant l'été. Cela leur permet de...

— Écoutez ! s'écria Mick brusquement. Le train n'est pas loin : je viens de l'entendre siffler. Vite, Claude ! Nous allons être en retard ! »

Comme il disait ces mots, le convoi s'engouffrait dans le tunnel qui se terminait tout près de la gare, et bientôt, les enfants virent déboucher la locomotive, coiffée d'un panache de fumée. Claude stimula le poney qui prit le grand trot. Il n'y avait pas une seule minute à perdre : le train entrait en gare !

« Qui va passer sur le quai pour y accueillir M. Rolland ? » demanda Claude en arrêtant le cheval devant la barrière par laquelle devaient sortir les voyageurs. « Moi, je reste ici pour veiller sur Dagobert et sur le poney.

— Moi aussi, fit Annie aussitôt.

— Alors, c'est à nous de nous dévouer », s'écria François, et, entraînant son frère, il se précipita dans la gare.

Les voyageurs étaient peu nombreux, et les garçons ne virent tout d'abord qu'une femme encombrée d'un panier, suivie d'un jeune homme qui se dirigea vers la sortie en sifflotant. Mick le reconnut : c'était le fils du boulanger d'un village voisin. Puis un homme âgé descendit, non sans peine, de son compartiment. Mais où donc était M. Rolland ?

Soudain, un personnage à l'allure étrange sortit du wagon de tête. Il était de petite taille, mais corpulent. L'œil bleu, le regard perçant, il portait une barbe en collier comme un vieux loup de mer. Ses cheveux étaient abondants et grisonnaient.

Après avoir inspecté le quai rapidement, il fit signe à un porteur.

« Ce ne peut être que lui, dit François à son frère. Viens, nous allons lui parler. »

Les garçons se dirigèrent vers l'inconnu, puis François souleva son béret et demanda poliment :

« Pardon, monsieur, seriez-vous par hasard M. Rolland ?

— C'est bien moi, en effet, et sans doute êtes-vous Mick et François ?

— Oui, monsieur, répondirent les enfants. Nous sommes venus en voiture afin de pouvoir transporter vos bagages.

— Merci, c'est gentil à vous », fit M. Rolland. Son regard vif parcourut les deux enfants des pieds à la tête, et un sourire passa sur ses lèvres.

De leur côté, François et Mick trouvaient l'homme sympathique, avec son air simple et bienveillant.

« Les deux autres vous ont-ils accompagnés ? » questionna le répétiteur tandis qu'il se dirigeait vers la sortie, suivi par le porteur auquel il avait confié ses bagages.

« Oui, monsieur, répondit François, Annie et Claude nous attendent sur la place devant la gare.

— Claude ? répéta M. Rolland d'un ton surpris. Mais je croyais qu'il s'agissait de deux filles. J'ignorais que vous étiez trois garçons ! »

Mick se mit à rire.

« Claude est bien une fille, expliqua-t-il. En réalité, elle se nomme Claudine.

— C'est un très joli nom.

— Malheureusement, notre cousine n'est pas de cet avis : elle le trouve affreux et fait la sourde oreille quand on l'appelle ainsi, dit François. Je crois qu'il vous faudra en prendre votre parti et renoncer à « Claudine » pour « Claude », comme nous tous !

Vraiment ? » fit M. Rolland, la voix glaciale.

François lui jeta un coup d'œil à la dérobée.

« Tiens, pensa-t-il, cet homme-là ne doit pas être aussi facile qu'il le paraît. »

Cependant Mick poursuivait la conversation :

« Vous allez voir aussi Dago. Il est venu avec nous.

— Ah ! ... mais qui est Dago ? Un garçon ou une fille ?

— C'est un chien, monsieur », répondit Mick en souriant.

Le répétiteur parut assez décontenancé.

« Un chien ! répéta-t-il. Je ne savais pas que vous aviez un chien ! Votre oncle ne m'en avait pas parlé.

— N'aimeriez-vous pas les chiens ? demanda François, stupéfait.

— Je les déteste, fit le répétiteur sèchement. J'espère cependant que le vôtre ne me gênera guère. » Soudain, apercevant Claude et Annie, il s'écria : « Voici les petites filles ! Bonjour, mes enfants  ! »

Ces paroles déplurent tout de suite à Claude, aussi mécontente de s'entendre dire qu'elle était encore petite que dépitée de se voir classée parmi les filles. Elle qui toujours s'efforçait de se conduire en vrai garçon ! Aussi tendit-elle la main à M. Rolland sans prononcer une parole. En revanche, Annie sourit gentiment au nouveau venu qui la jugea plus aimable que sa cousine.

« Dago ! Viens dire bonjour à M. Rolland », commanda François.

C'était là l'un des talents de Dagobert qui avait appris à donner sa patte droite de la meilleure grâce du monde.

Le répétiteur examinait le gros chien assis devant lui. L'animal le considéra quelques instants, immobile, puis il se leva, et très posément, lui tourna le dos. D'un bond, il sauta dans la voiture et s'y installa sans plus de façons. Les enfants n'en croyaient pas leurs yeux. Dagobert s'était toujours montré si sociable et si obéissant !

« Dago ! Qu'est-ce que cela signifie ? » s'écria Mick.

Dagobert ne bougea pas d'un pouce, mais le léger frémissement de ses oreilles montra qu'il avait entendu.

« Mon chien ne semble pas vous aimer beaucoup, fit Claude en regardant M. Rolland. Cela est surprenant, car d'habitude, il n'est pas sauvage. Mais peut-être n'avez-vous pas grande sympathie pour les bêtes ?

— À vrai dire, je n'aime pas du tout les chiens. Étant enfant, je me souviens d'avoir été mordu sérieusement par un dogue, et depuis, je me suis toujours défié ! Bah ! j'espère que Dago finira par s'accoutumer à moi. »

On s'installa dans la voiture. Serré contre ses jeunes amis, Dagobert ne quittait pas des yeux les mollets de M. Rolland, comme s'il avait guetté le moment d'y donner un coup de dent... Annie s’en aperçut et se mit à rire.

« Je me demande quelle lubie a bien pu prendre Dago, fit-elle. Il n'a pas l'air à son aise. » Et, se tournant vers le répétiteur, elle ajouta avec un sourire : « Heureusement que ce n'est pas à lui que vous comptez donner des leçons, monsieur ! »

M. Rolland sourit à son tour, montrant ses dents qui étaient d'une blancheur éclatante. Son regard bleu se posa sur Annie.

« Il a les yeux aussi clairs que ceux de Claude », se dit la fillette.

Ce répétiteur ne lui déplaisait nullement. Il se mit à plaisanter avec les garçons et, de leur côté, ceux-ci commençaient à penser que leur oncle Henri n'avait peut-être pas fait un si mauvais choix en engageant M. Rolland.

Cependant, Claude gardait un silence obstiné. Elle était intimement persuadée que le nouveau venu détestait Dagobert, et ceci suffisait à lui inspirer de l'aversion pour le personnage. Comment aurait-elle pu se fier à cet homme qui, d'emblée, n'avait pas éprouvé la moindre sympathie pour Dago ? De plus, Claude était fort impressionnée par l'attitude hostile de ce dernier à l'égard de l'étranger.

« Dagobert est trop intelligent pour n'avoir pas compris ce que M. Rolland pensait de lui, se disait-elle, et c'est sûrement pour cela qu'il a refusé de donner sa patte. Ma foi, j'avoue qu'à sa place, j'en aurais fait tout autant ! »

Dès que l'on fut arrivé aux « Mouettes », Mme Dorsel conduisit M. Rolland à la chambre qui lui était destinée.

« Eh bien, dit-elle aux enfants en redescendant l'escalier, ce répétiteur me paraît très agréable. Il a l'air aimable et fort gai, quoique au premier abord, on soit assez surpris de voir un homme aussi jeune porter une barbe comme la sienne.

— Mais il n'est pas jeune du tout, s'exclama François. Je trouve même qu'il fait vieux : je lui donne au moins quarante ans ! »

Tante Cécile ne put s'empêcher de rire.

« Cela te semble donc un âge si avancé ? dit-elle. Mais peu importe : qu'il soit jeune ou non, je suis sûre que M. Rolland s'entendra parfaitement avec vous.

— Nous ne commencerons sans doute de travailler qu'après Noël, n'est-ce pas, tante Cécile ? fit Mick avec espoir.

— Voyons, Mick, nous sommes encore à trois jours de Noël ! Tu ne voudrais tout de même pas que tes parents aient engagé un répétiteur pour que vous vous tourniez les pouces pendant une partie de vos vacances ! »

La mine des enfants s'allongea.

« Nous aurions pourtant bien voulu descendre en ville pour y faire nos achats de Noël, plaida Annie.

— Vous irez l'après-midi, puisque vous ne travaillerez que le matin, expliqua la tante. Il est entendu que votre maître vous donnera trois heures de leçon par jour. Je crois que vous n'en mourrez pas ! »

À ce moment, M. Rolland descendait de sa chambre et Mme Dorsel le conduisit dans le bureau où travaillait son mari. Elle ressortit de la pièce quelques instants plus tard et dit aux enfants en souriant :

« J'ai l'impression que ce répétiteur sera pour votre oncle une très agréable compagnie : ils semblent faits pour s'entendre, et M. Rolland s'intéresse justement au même genre de recherches que lui.

— Dans ce cas, espérons qu'il passera le plus clair de son temps avec oncle Henri, murmura Claude.

— Et maintenant, si nous allions nous promener ? proposa Mick. Le temps est superbe, profitons-en, à moins que M. Rolland ne tienne à nous donner sa première leçon...

— Oh ! non, pas ce matin, s'écria tante Cécile. Il est trop tard. Vous commencerez demain. Partez donc faire un tour. Rien ne dit que nous aurons beaucoup d'autres journées aussi belles pendant que vous serez ici.

— Nous pourrions peut-être aller jusqu'à la ferme de Kernach, dit François. La promenade doit être très jolie. Claude nous montrera le chemin.

— Entendu », répliqua la fillette gaiement. Elle siffla Dagobert qui accourut, bondissant de joie, et l'on se mit en route.

Les cinq amis contournèrent la maison, puis traversèrent le jardin potager et le verger qui s'étendaient derrière elle. Dans le mur de clôture s'ouvrait une minuscule poterne à demi enfouie sous le lierre. Ils la franchirent et se trouvèrent sur la lande. On apercevait au loin la petite colline sur laquelle était bâtie la ferme de Kernach.

Claude entraîna ses compagnons sur un sentier qui s'étirait devant eux à perte de vue. Ah ! qu'il faisait bon marcher au clair soleil de cette journée de décembre ! Une lumière nacrée baignait les lointains et irisait le ciel. Le pas des promeneurs sonnait sur le sol gelé et l'on entendait les griffes de Dagobert crisser sur l'herbe givrée. Inlassablement, le chien courait devant les enfants, puis s'en revenait vers eux, haletant, tout à la joie de les retrouver.

La ferme de Kernach dominait la lande de sa masse imposante, aux lignes à la fois robustes et élégantes. Une vaste cour carrée s'étendait devant les bâtiments de pierre blanche.

Claude poussa la barrière et, tenant fermement Dagobert par son collier, s'avança vers la maison d'habitation. Bien que les chiens de garde n'eussent pas aboyé, la fillette préférait se montrer prudente, de peur que la présence de Dago ne provoquât une bataille.

Un bruit de sabots dans un coin de la cour fit tourner la tête aux enfants. Un homme âgé venait de sortir d'une grange et se dirigeait vers eux.

« Bonjour, père Guillou ! s'écria Claude.

— Mais ma parole, voici notre Claudet ! » fit le vieux avec un bon sourire.

Le visage de la fillette s'épanouit : rien ne plaisait autant à cette dernière que d'entendre le fermier l'appeler ainsi Claudet, comme si elle avait vraiment été un garçon.

« Voici mes cousins ! » annonça Claude à tue-tête. Et, se tournant vers ses compagnons, elle leur expliqua : « Le père Guillou est sourd comme un pot. Il faut crier pour qu'il vous entende. »

François fit un pas en avant :

« C'est moi François ! » lança-t-il d'une voix retentissante.

Annie et Mick se présentèrent à leur tour tandis que le vieillard les regardait d'un œil ravi.

« Venez donc voir ma femme, dit-il. Elle va être si contente... Pensez un peu : nous avons vu naître Claudet, et nous avons connu sa mère alors que celle-ci était encore toute petite, puisque nous habitions déjà ici du temps de ses grands-parents.

— Mais vous devez être très, très vieux ! s'écria Annie, médusée.

— Eh, ma foi, qui sait..., fit l'homme, riant dans sa barbe. Je suis peut-être bien aussi vieux que Mathusalem !  Allons, venez vite à la maison. »

Les enfants suivirent le vieillard et pénétrèrent avec lui dans l'immense cuisine de la ferme. Une petite vieille s'y affairait, vive comme un écureuil. Elle poussa une exclamation de surprise en voyant entrer les visiteurs.

« Claudet ! s'écria-t-elle. Depuis si longtemps que nous ne t'avions vue... On nous avait dit que tu étais en pension !

— C'est exact, fit Claude, mais je suis revenue à Kernach pour y passer les vacances de Noël. Dites, mère Guillou, puis-je lâcher Dagobert ? Je crois qu'il sera sage, à condition toutefois que vos chiens n'essaient pas de lui chercher chicane !

— Détache-le, va. Il pourra aller tenir compagnie à Tom et à Bruno dans la cour. Ils ne sont pas méchants. Et maintenant, les enfants, que vais-je vous offrir ? Un bol de lait, du chocolat ou bien une tasse de café avec un nuage de crème ? J'ai justement une galette qui sort du four. Il faut en profiter !

— La maison est un peu sens dessus dessous cette semaine, dit le vieux. Nous allons avoir de la compagnie pour les fêtes, et ma femme passe son temps en cuisine. Cela fait bien de la besogne. »

Claude regarda le fermier d'un air surpris. Elle savait en effet que sa femme et lui ne recevaient habituellement personne pour Noël. Ils étaient sans enfant et n'avaient que peu de famille. Quant aux touristes, on n'en voyait aucun dans la région à cette époque de l'année.

« Vous avez pris des pensionnaires ? questionna-t-elle, intriguée. Ce sont sans doute des gens qui étaient déjà venus ici en été ! Est-ce que je les connais ?

— Je ne crois pas, répondit le vieillard. Nous n'avions jamais entendu parler de ces deux jeunes gens quand ils nous ont écrit en nous demandant de les recevoir pendant trois semaines à des conditions particulièrement avantageuses pour nous.

— Qui sont-ils donc ?

— Des artistes peintres. Ils viennent de Londres ! déclara le vieux, non sans quelque fierté.

— Savez-vous s'ils vont peindre pendant leur séjour ici ? » demanda François, d'autant plus intéressé par les explications du père Guillou que lui-même, ayant le goût de la peinture et du dessin, jouait volontiers les artistes en herbe. « Je voudrais bien les connaître et pouvoir bavarder avec eux. Je fais un peu d'aquarelle. Ils me donneraient peut-être quelques conseils.

— Si vous désirez les voir, rien n'est plus simple : vous n'aurez qu'à venir ici quand vous voudrez », dit la vieille.

Elle acheva de remplir un grand pot de chocolat fumant et le posa sur la table. Puis elle apporta une galette dont la croûte brillante et dorée mit l'eau à la bouche des enfants.

« Et maintenant, s'écria-t-elle, tout le monde à table ! »

Personne ne se fit prier.

« Il me semble que ces deux peintres vont se trouver très isolés ici en pleine campagne, à cette époque de l'année, dit Claude en s'installant. Connaissent-ils quelqu'un aux environs ?

— Cela m'étonnerait, repartit la fermière. Mais les artistes sont parfois de si drôles de gens... J'en ai déjà eu plusieurs parmi mes pensionnaires ces années dernières. Ils semblent prendre un vrai plaisir à se morfondre seuls dans leur chambre ou à baguenauder des journées entières dans des endroits où ne passe jamais âme qui vive. Aussi, je ne me fais aucun souci pour ces deux là : ils se trouveront sûrement très bien ici !

— Le contraire serait surprenant avec tous les petits plats que tu t'apprêtes à leur mijoter ! » s'exclama le vieux en riant. Il se leva et repoussa sa chaise. « Allons, les enfants, reprit-il, je vous laisse. Il faut que j'aille voir mes moutons. Au revoir, et à bientôt, j'espère ! »

Lorsqu'il fut sorti, la vieille se leva à son tour et, tout en bavardant avec les enfants, reprit la besogne interrompue par leur arrivée.

Cependant, Dagobert avait profité du départ du fermier pour se faufiler par la porte ouverte et venir retrouver ses amis.

Il fit rapidement le tour de la table, quêtant ici une caresse, là une miette de galette, puis il alla s'installer devant l'âtre où un bon feu brûlait, haut et clair.

Il venait de s'étendre tout de son long sur le tapis usé qui formait devant de foyer. Déjà il sentait ses yeux se fermer, lorsqu'il aperçut entre ses paupières mi-closes un chat tigré. Les yeux pleins de frayeur, le poil hérissé, le ventre au ras du plancher, l'animal se glissait vers la porte de la cuisine. Sans doute espérait-il s'esquiver sans attirer l'attention de ce chien inconnu dont la brusque irruption l'avait dérangé dans son sommeil.

Dagobert se releva d'un bond et, poussant un grand « wouf » d'allégresse, s'élança vers le chat. Celui-ci s'enfuit dans le vestibule de la maison, poursuivi par Dago qui faisait la sourde oreille à la voix de Claude le rappelant auprès d'elle.

Malheureusement pour le fugitif, de toutes les portes donnant sur le vestibule, aucune n'était ouverte que celle de la cuisine. Le long des murs lambrissés de chêne patiné et poli par le temps, il n'y avait d'autre mobilier qu'une vieille horloge au cadran fleuri de roses et de pervenches. Affolé, le chat se précipita vers elle et, escaladant la haute caisse, se réfugia au sommet à l'instant même où Dagobert prenait son élan pour le rejoindre. Mais dans sa précipitation, le chien se jeta dans l'angle que formait la caisse de l'horloge et le lambris, et ses pattes de devant heurtèrent violemment l'un des panneaux de chêne. C'est alors que se produisit un fait extraordinaire : le panneau disparut comme par enchantement, laissant une ouverture béante...

Claude qui accourait sur les traces de Dagobert, afin de le ramener à l'obéissance, n'en crut pas ses yeux. Elle se précipita à la porte de la cuisine.

« Mère Guillou, cria-t-elle, je ne sais pas ce qui se passe ici ! Venez vite ! »