CHAPITRE II
Tous réunis !
Les garçons arrivèrent le lendemain.
Il avait été convenu que Claude et Annie iraient les attendre à la gare en compagnie de Dagobert. On attela donc le poney au tonneau, Claude prit les rênes et l'on se mit en route.
Il faisait un temps radieux. Assis sur le siège entre les deux fillettes, Dago regardait droit devant lui, le nez au vent, l'air joyeux.
Le trajet parut interminable à Annie, de plus en plus impatiente à l'idée de revoir ses frères. Dès que l'on fut parvenu à destination, elle se précipita sur le quai, mais, hélas ! il fallait encore attendre que le train entrât en gare.
Il arriva enfin. Les trois amis ne lui donnèrent même pas le temps de s'arrêter et ils se mirent à courir le long des wagons pour y chercher Mick et François.
Claude les aperçut la première. Penchés à la portière d'un compartiment en queue du train, ils gesticulaient et appelaient les fillettes à tue-tête.
Claude les aperçut la
première.
« Les voilà ! » cria Claude.
Dagobert s'élança à toute vitesse vers les voyageurs qui, déjà, sautaient sur le quai.
« Oh ! que je suis contente ! » fit Annie, se jetant au cou de ses frères.
Dagobert était fou de joie, lui aussi. Il bondissait autour de ses amis et marquait son enthousiasme en leur passant de grands coups de langue sur les mains ou sur la figure. Quel bonheur de voir enfin réunis ces enfants qu'il aimait tant !
Annie bavardait gaiement avec les deux garçons tandis qu'un porteur descendait les bagages du fourgon. Soudain, elle s'aperçut que Claude n'était plus à côté d'elle. Elle se retourna, surprise, la cherchant des yeux. Mais la fillette avait disparu. Annie était pourtant bien sûre de l'avoir encore vue sur le quai quelques instants plus tôt.
« Tiens, où donc est Claude ? » fit Mick avec étonnement. Il se tourna vers sa sœur. « Elle était avec toi tout à l'heure, n'est-ce pas ?
— Elle a dû retourner à la voiture, dit Annie. François, veux-tu demander au porteur de nous suivre avec les bagages ? Mick, viens vite, nous allons rejoindre Claude. »
Ils trouvèrent la fillette qui les attendait près du tonneau. Elle flattait doucement l'encolure du poney, l'air un peu triste.
« Bonjour, Claude ! » s'écrièrent les garçons.
Ils s'approchèrent d'elle et l'embrassèrent, mais elle resta silencieuse.
« Qu'as-tu donc ? » lui demanda Annie stupéfaite.
François regarda sa cousine et dit :
« Mademoiselle s'est au moins imaginé qu'elle était de trop avec nous sur le quai tout à l'heure. Alors, elle boude... Ah ! cette Claudine, quelle drôle de fille ! »
Claude bondit, soudain furieuse.
« Toi d'abord, lança-t-elle à François, je te défends de m'appeler Claudine ! »
À ces mots, les deux garçons éclatèrent de rire.
« Tu es bien toujours la même, va », fit Mick, en donnant à la fillette une affectueuse bourrade. « Mais vrai, quelle joie de te retrouver. Tu te rappelles nos merveilleuses aventures de l'été dernier ? »
Claude sentait sa gêne et sa mauvaise humeur se dissiper peu à peu. François avait deviné juste : tout à l'heure, en voyant l'accueil enthousiaste fait par ses cousins à Annie, Claude avait eu l'impression qu'on la laissait de côté. Mais comment aurait-elle pu en tenir rigueur bien longtemps à ses cousins, toujours si bons camarades et si gentils pour elle ?
Les quatre enfants montèrent en voiture. Quand le porteur eut installé les valises, il ne restait même pas une place pour Dagobert. Alors, on le jucha sur les bagages où il se campa, ravi, remuant follement la queue et haletant d'enthousiasme.
Mick se retourna vers lui pour le caresser, puis dit aux fillettes :
« Quelle chance vous avez de pouvoir emmener Dago à la pension avec vous ! Nous, on nous défend d'avoir des animaux, même pas la moindre mascotte. Quand on aime les bêtes, ce n'est pas drôle !
— N'empêche que dans nôtre classe, le petit Jolinon élève des souris blanches en cachette, dit François : figurez-vous qu'un jour, elles se sont sauvées dans l'escalier du dortoir juste au moment où arrivait la lingère. Si vous aviez entendu les cris qu'elle a poussés en les voyant ! »
Claude et Annie rirent de bon cœur. Les garçons avaient toujours des histoires si drôles à raconter quand ils arrivaient en vacances !
« Il y a aussi Duseigneur qui collectionne les escargots, fit Mick. En principe, ce sont des bêtes qui dorment tout l'hiver. Seulement, ils ont dû trouver qu'il faisait trop chaud dans la boîte où Duseigneur les avait mis. Alors, ils en sont tous sortis. On les voyait se promener partout sur les murs, et je vous assure que nous avons bien ri quand le professeur de géographie a fait venir Jolinon au tableau, en lui demandant de montrer l'île de Chypre sur la carte. Il y avait un gros escargot en plein dessus ! »
Ce ne fut qu'un éclat de rire. Ah ! que les enfants étaient donc heureux de se trouver réunis ! Tous quatre avaient sensiblement le même âge. François était l'aîné du groupe, avec ses douze ans. Puis venaient Claude et Mick, onze ans, enfin la cadette, Annie, dix ans.
C'était le premier jour des vacances et bientôt Noël. On était joyeux et prêt à s'amuser de tout, ou de rien.
Le poney filait maintenant sur la route d'un petit trot régulier et bien rythmé.
« Quel soulagement de savoir que maman commence à aller mieux, n'est-ce pas ? dit Mick tout à coup. J'avoue que sur le moment, en apprenant qu'il nous serait impossible de passer nos vacances à la maison, j'ai eu une grosse déception. Je me faisais une telle fête d'aller au cirque... Mais je suis tout de même joliment content de me retrouver ici. Quelles aventures nous pourrions encore y avoir... Qui sait, peut-être seraient-elles même plus palpitantes que celles de l'été dernier ! Malheureusement, je crois que cette fois-ci, il n'y faut pas songer.
— Voilà bien le plus ennuyeux, dit François.
Avec ce maudit répétiteur... Il paraît qu'il nous est indispensable d'en avoir un, Mick et moi, parce que nous avons beaucoup trop manqué ce trimestre, et comme nous devons nous présenter à l'examen des bourses au mois de mars...
— Eh oui... fit Annie en soupirant. Je me demande sur qui nous allons tomber, en fait de répétiteur. Pourvu qu'il ne soit pas trop embêtant ! C'est aujourd'hui, je crois, qu'oncle Henri doit prendre une décision et retenir quelqu'un définitivement. »
Les deux garçons échangèrent un regard consterné. N'était-il pas en effet quasi certain que le choix de M. Dorsel se porterait de préférence sur un maître rébarbatif et sévère ? L'idée que se faisait l'oncle Henri du répétiteur idéal devait être, hélas ! assez différente de celle qu'en avaient ses neveux...
Bah ! on verrait bien ! De toute manière, on aurait sans doute un ou deux jours de tranquillité, car le répétiteur ne viendrait sûrement pas avant le lendemain ou le surlendemain. Et puis, l'avenir réservait peut-être une surprise : ce maître serait-il aussi terrible qu'on l'imaginait ?
Les garçons reprirent espoir. Ils se tournèrent vers Dagobert et, par taquinerie, s'amusèrent à tirer ses longs poils. Le chien entra dans le jeu aussitôt, montrant ses crocs avec force grognements comme s'il avait voulu dévorer tout le monde. Heureux Dagobert, se disaient les enfants, il peut être tranquille, il n'aura pas de répétiteur, lui !
Cependant on arrivait à Kernach. Mick et François furent enchantés de revoir leur tante, mais ne purent retenir un soupir de soulagement en apprenant que leur oncle Henri était sorti.
« Il est descendu en ville afin de voir deux ou trois personnes qui pourraient vous faire travailler pendant les vacances, expliqua Mme Dorsel. Mais il ne va pas tarder à rentrer.
— Maman, devrai-je prendre des leçons moi aussi ? » demanda Claude, qui attendait avec impatience d'être fixée, ses parents n'ayant pas encore abordé devant elle ce sujet qui lui tenait tant au cœur.
« Bien sûr, ma chérie, répondit Mme Dorsel. Ton père a reçu ton bulletin trimestriel, et quoique celui-ci soit plutôt meilleur que nous n'osions l'espérer, il dénote néanmoins de graves lacunes en certaines matières. Tu es évidemment très en retard, et je suis sûre que ce travail de vacances te sera du plus grand profit. »
La mine de Claude s'allongea. Sans doute, la fillette s'attendait-elle un peu à ce que venait de lui annoncer sa mère, mais la situation n'en était pas plus réjouissante pour cela.
« Annie sera donc seule à ne pas prendre de leçons, conclut-elle.
— Non, Claude, je ferai comme toi, promit Annie. Peut-être pas tous les jours, surtout si le temps est très beau mais presque, pour te tenir compagnie.
— Merci, seulement ce ne sera pas la peine, je t'assure. J'aurai Dagobert.
— Si toutefois votre répétiteur le permet », coupa Mme Dorsel.
Bouleversée, la fillette regarda sa mère.
« Oh ! maman, s'écria-t-elle, si l'on me défend de garder Dago auprès de moi, je ne ferai pas un seul devoir, je n'apprendrai pas une seule leçon ! »
Mme Dorsel se mit à rire.
« Mon Dieu, voici Claude qui, déjà, monte sur ses grands chevaux ! » s'exclama-t-elle. Puis, se tournant vers ses neveux, elle leur dit : « Vous deux, allez vite vous peigner et faire un peu de toilette. On dirait que vous avez voyagé sur la locomotive, vous êtes noirs comme des charbonniers ! »
Les enfants montèrent dans leur chambre aussitôt, escortés de Dagobert. Quelle n'était pas leur joie de se retrouver à Kernach tous les cinq. Dagobert comptait en effet pour une personne : il les suivait partout et semblait vraiment comprendre tout ce qu'on lui disait.
« Je me demande quel genre de répétiteur va nous dénicher oncle Henri, marmonna Mick en se brossant les ongles. Si nous pouvions au moins tomber sur quelqu'un d'amusant ou qui se rende compte de la corvée que représentent les devoirs de vacances... peut-être aurions-nous la consolation de passer quelques bons moments avec lui, une fois les leçons terminées. J'imagine qu'il nous fera travailler tous les matins et que...
— Dépêche-toi, coupa François avec impatience, le goûter nous attend et j'ai l'estomac dans les talons. Viens vite : nous aurons toujours le temps de parler du répétiteur ! »
Filles et garçons descendirent ensemble à la salle à manger. Maria, la cuisinière, avait confectionné de savoureuses brioches, ainsi qu'un énorme gâteau dont il ne devait pas rester la moindre miette, une fois le goûter terminé.
Au moment où les enfants quittaient la table, M. Dorsel entra, l'air satisfait. Il souhaita la bienvenue à ses neveux et leur demanda s'ils étaient contents de leur premier trimestre à l'école.
« Oncle Henri, as-tu engagé notre répétiteur ? questionna Annie, sachant que ses frères brûlaient d'impatience sans oser interroger M. Dorsel.
— Oui, mon petit », répondit l'oncle en s'asseyant devant la tasse de thé que lui servait sa femme. « J'ai vu les trois professeurs que l'on m'avait recommandés et j'étais presque décidé à engager le troisième quand il s'est présenté quelqu’un d'autre.
— Est-ce celui-là que tu as choisi ? questionna Mick.
— Oui, il m'a paru très bien. Intelligent, cultivé. J'ai été surpris, je l'avoue, de m'apercevoir qu'il avait entendu parler de mes travaux. Enfin, ses références étaient excellentes.
— Mon ami, ce sont là des détails qui sans doute n'intéressent guère les enfants, murmura Mme Dorsel.
— Tu as raison, convint l'oncle Henri. Bref, il a accepté mes conditions. C'est un homme nettement plus âgé que ne l'étaient ses concurrents. Il semble énergique et a le goût des responsabilités. Il se plaira certainement ici, et je suis sûr que tu l'apprécieras, Cécile. En ce qui me concerne, je crois que j'aimerais assez bavarder avec lui, le soir après le dîner. »
Cependant, les enfants ne pouvaient se retenir de penser que ce répétiteur ne leur disait rien qui vaille...
Voyant qu'ils faisaient grise mine, M. Dorsel reprit avec un sourire :
« Vous vous entendrez parfaitement avec M. Rolland. Il a l'habitude des jeunes, et saura montrer assez de fermeté pour que votre travail de vacances vous soit profitable. »
Les paroles de M. Dorsel mirent le comble à l'inquiétude des enfants. Ah ! pourquoi fallait-il que le répétiteur eût été choisi par oncle Henri plutôt que par tante Cécile ?
« Quand M. Rolland doit-il arriver ? demanda Claude à son père.
Les enfants montèrent
dans leur chambre.
— Demain matin. Vous irez l'attendre à la gare, ce qui lui fera grand plaisir.
— C'est que... », commença François. Il jeta un coup d'œil à sa sœur et, voyant son air désappointé, il poursuivit résolument : « Nous avions projeté de descendre en ville par le car afin de faire nos achats de Noël.
— Non, mes enfants, cela est impossible. Je tiens à ce que vous alliez à la gare pour y accueillir M. Rolland. Je le lui ai d'ailleurs annoncé. À ce propos, je vous recommande d'être sages avec lui. Obéissez-lui et travaillez sérieusement, car vous n'ignorez pas que votre père et moi, nous nous imposons un gros sacrifice en engageant ce professeur.
— J'essaierai, dit Claude, et s'il est gentil avec nous, je me donnerai autant de mal que je le pourrai.
— J'exige qu'il en soit ainsi, Claude, quelle que puisse être ton opinion sur M. Rolland ! » fit M. Dorsel d'un ton sec. Et il ajouta :
« Le train arrive à dix heures et demie. Surtout, ne soyez pas en retard : je compte sur vous. »
Ce soir-là, les enfants purent échanger leurs réflexions, à la faveur de quelques instants de solitude.
« J'espère tout de même que ce M. Rolland ne sera pas trop sévère, dit Mick. Sinon, cela gâcherait nos vacances. Et pourvu que Dagobert lui plaise ! »
Claude, qui était occupée à caresser son chien, releva la tête vivement.
« Voyons, s'exclama-t-elle, comment pourrait-il en être autrement ? Je voudrais bien voir cela, qu'il n'aime pas Dagobert !
— Écoute, Claude, fit Mick. Tu sais que l'été dernier ton père n'était pas tellement content de voir Dago dans la maison. Je ne veux pas dire qu'il soit possible à quiconque de détester ton chien, il est trop gentil pour cela, mais que veux-tu, il y a des gens qui n'aiment pas les bêtes !
— Si M. Rolland n'aime pas Dagobert, je refuserai de travailler. Je ne ferai rien, tu entends ! Rien !
— Eh bien, vrai, s'écria Mick en riant, voilà qui nous promet des vacances mouvementées, si, par malheur, notre répétiteur n'aime pas les chiens ! »