CHAPITRE XIV
 
En route pour l'aventure.
 

 

 

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Les enfants se glissèrent dans l'escalier, furtifs et silencieux comme des ombres. Lorsqu'ils furent dans le bureau, Claude referma la porte sans bruit, puis donna de la lumière.

Tous les regards se dirigèrent aussitôt vers le lambris qui surmontait la cheminée. Oui, il y avait bien huit panneaux, disposés en deux rangées semblables : quatre en haut, quatre en bas...

François tira de sa poche le grimoire dont il ne se séparait jamais, et l'étala avec soin sur le bureau de M. Dorsel. Une fois encore, les enfants examinèrent le dessin.

« Regardez, dit François à voix basse, la croix se trouve exactement au centre du deuxième carré en haut à gauche. Je vais essayer de pousser le panneau correspondant. Nous verrons bien ce qui arrivera ! »

Il se dirigea vers la cheminée. Ses compagnons attendaient le cœur battant. Sous leurs regards attentifs, François se haussa sur la pointe des pieds et se mit à presser des deux mains le centre du-carré de chêne. Rien ne bougea.

« Appuie plus fort, et essaie de cogner un peu, conseilla Mick.

— C'est que je ne voudrais pas faire trop de vacarme... », murmura François.

En disant ces mots, il passait doucement la main sur l'entière surface du panneau dans l'espoir d'y déceler quelque aspérité ou, au contraire, quelque encoche qui eût trahi l'existence d'un levier ou d'un ressort secret.

Tout à coup, il sentit le bois céder sous ses doigts, et la paroi s'enfonça dans le mur, sans bruit, ainsi que l'avait fait celle du vestibule, à la ferme de Kernach. Bouche bée, les enfants virent à sa place un trou noir.

« Il est impossible que ceci soit l'entrée du passage secret, observa François d'un ton déçu. Qui pourrait se faufiler par une ouverture aussi étroite ? »

Il prit sa lampe de poche et l'engagea dans la cavité. L'intérieur de celle-ci lui apparut en pleine lumière et il faillit lâcher une exclamation de surprise.

« On dirait qu'il y a une sorte de poignée, tout au fond, avec une tige ou un bout de fil de fer qui dépasse, fit-il. Attendez, je vais essayer de... »

Saisissant l'anneau de métal, il le tira vers lui de toutes ses forces, mais la poignée ne céda pas, solidement encastrée dans la muraille, à ce qu'il semblait.

« Mick, viens m'aider. »

Ensemble, les deux garçons se cramponnèrent et exercèrent une violente traction.

« Ça y est, je sens que ça bouge, jeta François, les dents serrées. Attention, Mick, encore une fois : vas-y, tire ! »

Brusquement, ils sentirent la poignée venir à eux, entraînant un vieux câble métallique couvert de rouille. En même temps, un grincement sinistre se fit entendre devant la cheminée, juste sous les pieds d'Annie qui faillit pousser un cri d'épouvante »

« Là ! sous le tapis ! chuchota-t-elle. Je viens de voir bouger quelque chose... Vite, François, regarde ! »

Les garçons lâchèrent la poignée qui semblait maintenant à bout de course, et se retournèrent. Stupéfaits, ils virent à l'endroit que leur désignait la fillette, une dépression étrange : on aurait dit que le sol s'était affaissé.

« Je parie que c'est une dalle qui a dû se déplacer, s'écria François. Cet anneau que nous avons tiré actionnait sans doute un levier, par l'intermédiaire du câble métallique. Vite, regardons sous le tapis ! »

Les enfants soulevèrent la carpette avec des mains tremblantes... François avait deviné juste : l'une des énormes dalles qui revêtaient le sol s'était enfoncée sous terre, pivotant sur l'un de ses côtés, comme une porte sur ses charnières. On voyait à sa place une ouverture béante.

« Regardez, balbutia Claude, haletante d'émotion. L'entrée du passage secret !

— Je n'osais plus y croire, murmura François.

— Vite, descendons voir ce qu'il y a là-dessous »

Annie frissonna.

« Oh ! non, pas maintenant », pria-t-elle, terrifiée à la pensée de s'engouffrer dans ce trou noir.

François plongea sa lampe dans cette obscurité mystérieuse et découvrit une sorte de niche spacieuse et suffisamment profonde pour qu'un homme pût y tenir debout.

« J'imagine qu'une galerie doit partir d'ici et passer sous la maison, déclara-t-il. Mais je donnerais cher pour savoir où elle mène.

— Il n'y a qu'à l'explorer », proposa Claude. Mick fit la grimace.

« À cette heure-ci, cela ne me dit rien qui vaille. Attendons plutôt à demain.

— Comment ferons-nous ? objecta François. Tu sais bien qu'oncle Henri ne quitte pas son bureau de la journée.

— Oui, mais demain ce sera différent, reprit Mick, puisqu'il a annoncé à tante Cécile qu'après le petit déjeuner, il irait balayer la neige devant la maison. Nous pourrions en profiter pour venir ici. Comme c'est samedi, nous n'aurons peut-être pas de leçons avec M. Rolland.

— Bon, entendu pour demain, décida François. Mais je voudrais tout de-même jeter un petit coup d'œil là-dedans dès ce soir, rien que pour voir s'il s'y trouve bien le départ d'une galerie ou d'un passage quelconque.

— Attends, je vais t'aider à descendre. » Mick prit la lampe de poche des mains de son frère, et éclaira l'intérieur du trou pendant que François se laissait glisser jusqu'au fond. Aussitôt, retentit une exclamation étouffée :

« C'est bien l'entrée du passage secret ! Il y a une espèce de boyau très étroit qui part d'ici, un peu plus bas. On ne peut vraiment pas se tromper ! »

L'atmosphère était froide et humide. François frissonna. Il leva la tête vers l'ouverture de la trappe : « Mick, aide-moi à remonter. Il ne fait pas chaud là-dedans. »

L'instant d'après, il se retrouvait avec plaisir à la lumière et à la bonne chaleur du bureau.

Les enfants se regardèrent, heureux, les yeux brillants dé joie.

Ainsi que l'avait deviné Claude, ils étaient entrés dans l'aventure. Et quelle aventure... plus mystérieuse et plus belle qu'ils n'eussent jamais osé l'espérer !

« Demain ; il faudra que nous emmenions Dagobert explorer le passage avec nous, fit Claude, rompant le silence.

— Dites donc, comment allons-nous refermer cette trappe ? questionna Mick, saisi d'une inquiétude subite.

— C'est vrai... Nous ne pouvons pas nous contenter de ramener simplement le tapis : on verrait tout de suite qu'il n'est pas tendu bien à plat comme d'habitude.

— Et puis, ajouta Annie, quelqu'un pourrait tomber dans le trou.

— Nous allons essayer de remettre la dalle en place », décida François.

Il s'approcha de la boiserie qui surmontait la cheminée et plongea la main à l'intérieur de la cavité démasquée par le panneau mobile. Du bout des doigts, il en explora méthodiquement les parois. Soudain, il sentit dans un angle une petite boule dépassant la surface rugueuse de la pierre. Il la saisit et, instinctivement, essaya de la faire tourner. Elle céda brusquement, il tira, et s'aperçut à sa grande surprise que la poignée grâce à laquelle Mick et lui avaient pu déclencher le mécanisme de la trappe rentrait lentement dans le mur, entraînée par le câble métallique. Au même moment, Mick et les deux fillettes virent la dalle remonter des profondeurs du sol et, grinçant sur ses gonds, revenir à sa place sans un heurt. Alors, François referma le panneau de chêne.

« Voilà qui tient du prodige, s'exclama Mick, éberlué. Comment tout cela peut-il fonctionner aussi parfaitement, après être resté inutilisé si longtemps ? » il s'arrêta net : Claude lui faisait signe de se taire.

« Chut, écoutez... », dit-elle à voix basse.

Les enfants prêtèrent l'oreille. On entendait remuer dans la chambre au-dessus.

« C'est M. Rolland ! chuchota François. Vite, filons ! »

Ils éteignirent la lumière, ouvrirent la porte sans bruit et s'élancèrent dans l'escalier, rapides et silencieux comme des Sioux. Mais leur cœur battait si fort dans leur poitrine qu'ils avaient l'impression que toute la maisonnée ne pouvait manquer de l'entendre.

Les deux fillettes se glissèrent sans encombre dans leur chambre, celle-ci se trouvant la plus proche du palier. Les garçons se ruèrent vers la leur dont la porte était heureusement restée entrebâillée. Vite, Mick se faufila à l'intérieur, mais François n'eut pas le temps de le suivre : M. Rolland sortait de chez lui, une lampe électrique à la main.

« Que se passe-t-il, François ? demanda-t-il, surpris.

Il m'a semblé que l'on faisait du bruit en bas. Avez-vous entendu quelque chose ? »

Le garçon répondit sans hésiter :

— Oui, monsieur, j'ai été réveillé par je ne sais quoi de bizarre, et l'on aurait bien dit en effet que cela venait du rez-de-chaussée. Mais peut-être n'était-ce que la neige tombant du toit.

— Je ne sais pas trop, dit le répétiteur, l'air peu convaincu. Il vaut mieux descendre voir. »

François le suivit. Ils visitèrent le rez-de-chaussée sans rien remarquer d'anormal. François n'en fut pas surpris, mais il se réjouissait fort d'avoir réussi à refermer la trappe et le panneau du bureau, M. Rolland étant, certes, la dernière personne qu'il eût souhaité mettre dans le secret !

Ils remontèrent et chacun gagna sa chambre.

« Tout s'est-il bien passé ? demanda Mick à voix basse.

— Oui, sois tranquille, mais taisons-nous : M. Rolland pourrait nous entendre. »

Quand les enfants se réveillèrent le lendemain matin, tout le reste du monde semblait enseveli sous la neige. On ne voyait même plus la niche de Dagobert.

Claude poussa un cri de détresse :

« Pauvre Dago, s'exclama-t-elle. Il va étouffer ! Je vais le chercher, tant pis pour ce qu'on me dira ! »

Elle s'habilla à la diable, dégringola l'escalier et courut dans le jardin. S’enfonçant jusqu'aux genoux dans la neige, elle parvint enfin à la niche, mais n'en put croire ses yeux : Dagobert avait disparu !

Soudain, la voix du chien retentit à l'intérieur de la maison. Claude se retourna, stupéfaite, et aperçut Maria qui, derrière la fenêtre de la cuisine, lui faisait de grands signes. Elle rentra en toute hâte. La cuisinière l'attendait au seuil du vestibule et l'accueillit par ces paroles :

« Ne vous inquiétez pas, ma petite. C'est moi qui suis allée chercher votre chien. Pauvre bête, je ne pouvais plus supporter de le savoir dehors par ce temps. Votre mère m'a permis de le garder avec moi à la cuisine, à condition que vous ne cherchiez pas à le voir. »

Claude poussa un soupir de soulagement.

« Entendu, dit-elle. Pourvu que Dago soit au chaud, tant pis pour le reste... Oh ! merci, Maria ! Que vous êtes gentille ! »

Elle courut annoncer la bonne nouvelle à ses cousins. Tous furent enchantés.

« Attends, fit Mick, s'adressant à la fillette d'un air mystérieux, tu ne sais pas le plus beau ; il paraît que notre répétiteur est au lit. Il a pris un gros rhume. Comme ça, nous n'aurons pas de leçons aujourd'hui !

— Chic ! s'écria Claude, enthousiasmée. La journée s'annonce vraiment bien : Dago est au chaud, et M. Rolland cloué dans sa chambre. Rien ne pouvait me faire davantage plaisir !

— Nous allons être bien tranquilles pour explorer le passage secret, reprit Mick. Pendant qu'oncle Henri balaiera la neige, tante Cécile sera sûrement occupée à la cuisine avec Maria.

— Dites donc, si nous annoncions aux grandes personnes que nous avons l'intention de travailler comme d'habitude, malgré l'absence de M. Rolland, proposa François. Et dès que tout serait tranquille, nous irions explorer le passage.

— Quelle idée ! » s'exclama Claude, qu'alarmait déjà la perspective de se plonger dans ses livres et ses cahiers. « Pourquoi veux-tu que nous fassions cela ?

— Mais parce que tu peux être sûre que, si nous restons inoccupés, ton père nous demandera de l'aider à balayer la neige ! »

C'est ainsi que M. Dorsel eut la surprise d'entendre les enfants se proposer à travailler sagement dans le salon.

« Je croyais que cela vous aurait amusés de venir m'aider dans le jardin, dit-il. Mais il vaut mieux en effet que vous ne perdiez pas votre temps. »

Les enfants s'installèrent donc autour de la grande table, et, ainsi qu'ils le faisaient chaque matin, ouvrirent leurs livres. Cependant, chacun tendait l'oreille aux bruits de la maison. M. Rolland toussait dans sa chambre. Tante Cécile allait et venait entre la salle à manger et la cuisine, tout en parlant à Maria. Soudain, on entendit un grattement.

Un instant plus tard, une porte s'ouvrit, des pattes trottinèrent dans le vestibule, et puis l'on vit surgir à l'entrée du salon une grosse truffe et des yeux curieux.

« Dago ! » s'écria Claude en se précipitant vers son ami.

Elle lui jeta les bras autour du cou et serra contre elle sa bonne tête ébouriffée.

« Ma parole, on croirait que tu ne l'as pas vu depuis un siècle, fit Mick.

— Le temps m'a duré autant que cela... répondit la fillette. Dites donc, continua-t-elle, j'ai l'impression que c'est maintenant le moment de tenter notre chance : maman est occupée, papa en plein travail au jardin. »

Les enfants se hâtèrent de gagner le bureau. François fit jouer le panneau mobile et la trappe, tandis que les fillettes écartaient le tapis. La dalle s'enfonça. Tout était prêt.

« Vite ! » s'écria François. Et il sauta dans le trou, suivi aussitôt par Claude, Annie, Mick et Dagobert. François s'effaça pour laisser passer les autres devant lui et les poussa vers l'entrée de la galerie qui partait du réduit où ils se trouvaient. Puis il se retourna et leva les yeux vers l'ouverture béante découpée dans le dallage du bureau. Sans doute serait-il sage de ramener le tapis à l'emplacement de la dalle, afin d'éviter qu'une personne, survenant à l'improviste, ne découvre le secret.

Le jeune garçon se haussa sur la pointe des pieds, et allongeant le bras, tira la carpette sur le trou. Puis il rejoignit ses compagnons, le cœur battant. C'est à présent qu'allait commencer la grande aventure