CHAPITRE I
Les vacances.
La fin de l'année approchait, et les élèves de la pension Clairbois attendaient les vacances de Noël avec impatience.
Un matin, en arrivant au réfectoire pour le petit déjeuner, Annie trouva une enveloppe posée sur son assiette.
« Tiens, une lettre de papa », fit-elle avec étonnement, et, se tournant vers sa cousine Claude qui venait de s'asseoir auprès d'elle, elle ajouta :
« C'est drôle, j'en avais déjà une hier... Que se passe-t-il donc à la maison ?
— J'espère qu'il n'est rien arrivé de grave », dit Claude. Cette dernière se nommait en réalité Claudine, mais elle détestait tellement s'entendre appeler ainsi que tout le monde, parents, camarades et professeurs même, avait pris l'habitude de dire « Claude ». Ce prénom qui aurait pu convertir également à un garçon, allait fort bien à la fillette et s'harmonisait avec ses gestes décidés et ses courts cheveux bouclés.
Cependant, Annie avait commencé à lire sa lettre sous le regard inquiet de sa compagne.
« Oh ! c'est terrible » murmura-t-elle, tandis que ses yeux s'emplissaient de larmes. Maman est malade. Elle a la scarlatine, et nous ne pourrons pas aller en vacances à la maison. Le médecin craint la contagion...
— Mon Dieu, que je suis désolée ! » s'écria Claude, aussi déçue pour son propre compte que peinée pour celui de sa cousine Annie. Les parents de celle-ci avaient en effet invité Claude et son chien Dagobert à venir passer les fêtes de Noël chez eux. Et l'on avait fait une foule de projets. Il était convenu que l'on irait au théâtre et au cirque, puis que l'on donnerait un grand goûter auquel seraient conviés tous les amis. Il y aurait aussi un arbre de Noël merveilleux. Mais il faudrait, hélas ! renoncer à tout cela...
De son côté, Annie songeait à ses deux frères, Mick et François. Pensionnaires eux aussi, ils ne devaient pas être moins impatients qu'elle-même de se trouver en vacances.
« Je me demande ce que vont dire les garçons, murmura-t-elle. Ils ne pourront pas aller à la maison, eux non plus.
— Mais alors, que ferez-vous ? » demanda Claude. Elle réfléchit un instant. « Écoute, j'ai une idée : pourquoi ne viendriez-vous pas tous chez moi à Kernach ? Je suis sûre que maman ne demanderait pas mieux. Et ce serait magnifique. Nous nous sommes si bien amusés l'été dernier pendant votre séjour à là maison...
— Attends, fit Annie, laisse-moi d'abord lire ma lettre jusqu'au bout. Pauvre maman, pourvu qu'elle ne soit pas trop malade... » Soudain, elle s'interrompit et poussa une exclamation joyeuse. Ses compagnes de table la regardèrent avec surprise. « Claude ! s'écria-t-elle, ta mère a eu la même idée que toi, et papa me dit que, grâce à elle, tout est arrangé : nous irons en vacances à Kernach ! Mais il y a quelque chose qui ne me plaît pas beaucoup : figure-toi qu'on a engagé un répétiteur pour s'occuper de nous. Évidemment, nous donnerons ainsi moins de mal à ta maman, et puis les garçons pourront travailler avec lui pour rattraper le retard qu'ils ont pris sur leur classe. Ils ont tellement manqué ce trimestre, et depuis leur grippe...
— Que dis-tu ? fit Claude, stupéfaite. Un répétiteur... Ah ! quelle barbe ! Je parie qu'il va me donner des devoirs et des leçons, à moi aussi ! Tu comprends, mon bulletin trimestriel n'est guère brillant, et quand mes parents le verront, ils n'auront plus grande illusion sur mon compte. Mais comment veut-on que j'apprenne tant de choses à la fois ? C'est la première année où je vais en classe pour de bon !
— En tout cas, dit Annie, l'air sombre, voilà qui nous promet de jolies vacances, avec ce maudit répétiteur qui va nous suivre du matin au soir comme un toutou. Remarque qu'en ce qui me concerne, comme je n'ai pas trop mal réussi mes compositions, j'espère avoir un assez bon bulletin. Mais je n'en serai pas mieux lotie pour cela... Ah ! je n'ai pas fini de me morfondre toute seule pendant que tu prendras tes leçons avec Mick et François, à moins que je n'aille faire un tour avec Dagobert. J'espère bien qu'il n'aura pas de devoirs de vacances, lui !
— Tu te trompes », coupa Claude vivement. La perspective de voir son chien partir en promenade avec Annie tandis qu'elle-même et les garçons resteraient enfermés lui semblait insupportable.
Sa cousine se mit à rire.
« Voyons, Claude, fit-elle, ne dis pas de bêtises. Tu sais bien que les chiens ne prennent pas de leçons, même avec un répétiteur.
— Sans doute, mais cela n'empêchera pas Dagobert de rester avec moi pendant que je travaillerai. Le temps me paraîtra moins long. Et maintenant, Annie, dépêche-toi d'avaler ton déjeuner. Tout le monde a fini et tu n'as pas encore commencé. La cloche va sonner que tu n'auras rien mangé ! »
Avant de suivre le conseil que lui donnait sa cousine, Annie se hâta de jeter un dernier coup d'œil sur sa lettre.
« Heureusement, reprit-elle, papa me dit que la scarlatine de maman ne semble pas trop grave. Il a déjà prévenu les garçons, en même temps qu'il écrivait à ton père pour lui demander d'engager le répétiteur. Décidément, nous n'ayons pas de chance ! Oh ! ce n'est pas que cela m'ennuie de retourner chez toi, bien au contraire, seulement... je me faisais une telle fête de t'emmener au cirque, au théâtre, et d'inviter tous nos amis à ce grand goûter de Noël. À Kernach, ce ne sera pas la même chose... »
Les derniers jours du trimestre filèrent, rapides comme l'éclair. Puis, ce fut le matin du départ. Dans une atmosphère de bruyante allégresse, les élèves de Clairbois achevèrent de boucler et d'étiqueter leurs valises. On attendit ensuite l'arrivée des autocars qui devaient transporter les pensionnaires et leurs bagages à la gare. Les minutes semblaient interminables. Enfin, les lourds véhicules franchirent les grilles du parc et vinrent s'arrêter devant le perron de la pension, ils furent pris d'assaut en quelques instants par les jeunes voyageuses impatientes.
« Et maintenant, en route pour Kernach ! s'écria Claude, se laissant tomber sur une banquette, au fond du car. Dago ! Ici, mon mignon. Tu vas t'asseoir entre Annie et moi »
Mme la directrice de Clairbois autorisant « les élèves à amener leur animal favori à la pension » c'est ainsi que le fidèle Dagobert avait pu suivre sa jeune maîtresse.
Dès son arrivée, ce bon gros chien de race n'avait eu aucune peine à faire la conquête de tout le monde. Il fallait d'ailleurs bien convenir que sa conduite était exemplaire. Sans doute y avait-il eu certain jour néfaste où Dago s'était amusé à pourchasser un balayeur dans les couloirs, puis à traîner la pelle à poussière, que l'homme lui avait abandonnée, jusque dans la salle de classe où se trouvait alors Claude. Mais cela n'avait vraiment été qu'un simple accident.
Cependant, le chien s'était installé auprès de sa maîtresse. Celle-ci se pencha vers lui.
« Je suis sûre que toi, tu auras un excellent bulletin trimestriel », murmura-t-elle. Puis, passant le bras autour du cou de l'animal, elle ajouta gaiement : « Nous voici en route pour la maison. Es-tu content ?
— Wouf ! » lança Dago de sa grosse voix. Il se releva d'un bond et se mit à faire de grands moulinets avec sa queue. Derrière lui, quelqu'un poussa un cri aigu, suivi d'une protestation indignée :
« Claude ! surveille un peu ton chien ! Il vient d'envoyer mon chapeau voler jusqu'au fond du car, avec sa queue ! »
Peu de temps après, on arrivait à la gare, et les deux cousines se hâtèrent de gagner le quai de départ et de monter dans le train de Kernach en compagnie de Dagobert. Lorsque le convoi eut démarré, Annie poussa un gros soupir.
« Quel dommage que les garçons n'aient pas pu partir le même jour que nous, dit-elle. Nous aurions voyagé tous ensemble et nous nous serions bien amusés... »
Mick et François, dont les vacances commençaient seulement le lendemain, ne devaient en effet rejoindre leur sœur qu'à Kernach. Mais l'impatience d'Annie était grande : ce trimestre qu'elle venait de passer, séparée de ses frères, lui avait paru si long... Heureusement qu'elle avait eu sa cousine pour lui tenir compagnie !
Annie songeait à ces merveilleuses vacances de l'été précédent. Tous réunis à Kernach, chez les parents de Claude, les quatre enfants avaient alors connu des aventures passionnantes. La visite du vieux château fort campé sur l'îlot minuscule que l'on voyait dans la baie de Kernach, à peu de distance de la côte, leur avait en effet réservé plus d'une surprise.
« Quel plaisir ce sera de retourner à notre île, fit Annie d'un ton rêveur. N'est-ce pas, Claude ?
À ces mots, la fillette sursauta.
« Mais tu n'y penses pas, s'écria-t-elle. Tu ne sais donc pas qu'il est impossible d'aborder là-bas en hiver, tellement la mer bat les rochers ? D'ailleurs, elle est toujours si mauvaise qu'il ne faut même pas songer à s'aventurer en barque dans la baie.
— Quel dommage, dit Annie, déçue. Je m'imaginais que nous allions pouvoir continuer d'explorer le château.
— Tu sais, je crois qu'il vaudrait mieux que tu renonces tout de suite à poursuivre nos aventures de cet été. L'hiver est en général très froid à Kernach. Il neige souvent, et, certains jours, quand le vent de mer soufflait en tempête, nous nous sommes déjà trouvés complètement bloqués dans la maison par la neige accumulée le long des murs. Dans ce cas-là, la route qui mène au village est toujours coupée.
— Mais ce doit être très amusant ! s'exclama Annie, enthousiasmée.
— Ma foi, je ne trouve pas. À mon avis, on s'ennuierait plutôt. On ne peut rien faire, et il faut se résigner à rester toute la journée enfermé dans la maison, à moins que l'on ne préfère prendre une pelle et s'en aller remuer des monceaux de neige pour déblayer le devant de la porte. »
Une bonne demi-heure devait encore s'écouler avant que le train n'atteignît la petite gare qui desservait Kernach. Il ralentit enfin, glissa le long du quai dans un nuage de vapeur blanche crachée par la locomotive. Dès qu'il se fut arrêté, les deux fillettes se hâtèrent de descendre et cherchèrent des yeux si quelqu'un les attendait. Cette dame, là-bas... mais oui, c'était la maman de Claude ! D'un même élan, elles se précipitèrent vers elle, Dagobert sur leurs talons.
« Bonjour, maman ! Bonjour, tante Cécile ! s'écrièrent-elles en lui sautant au cou.
— Bonjour, mes enfants. Ma petite Annie, j'ai été navrée d'apprendre la maladie de ta maman, mais heureusement, les dernières nouvelles que j'ai reçues sont très bonnes. Il ne faut plus t'inquiéter.
— Comme je suis contente ! dit Annie. Merci, tante Cécile, et que tu es donc gentille de nous avoir tous invités à Kernach. Nous allons essayer d'être très sages. Oncle Henri doit déjà se demander ce qu'il va devenir avec quatre démons de notre espèce installés chez lui. L'été dernier, il réussirait encore à avoir la paix, ou presque, puisque nous passions dehors le plus clair de notre temps ! Mais cette fois-ci... »
Henri Dorsel, le père de Claude, était un savant qui poursuivait des travaux importants. Au cours des grandes vacances précédentes, les jeux bruyants de ses jeunes hôtes semblaient lui avoir causé quelque impatience. Aussi, les enfants le redoutaient-ils un peu, intimidés par son air sévère.
« Ton oncle est très occupé en ce moment, dit Mme Dorsel » s'adressant à Annie. Il a achevé de mettre au point l'une de ses découvertes. C'est idée nouvelle, une théorie extrêmement importante, encore secrète. Elle sera exposée dans un rapport qu'il est en train de rédiger. Dès que cet ouvrage sera terminé, ton oncle le communiquera en haut lieu afin que le gouvernement français y puisse en utiliser le contenu au mieux des intérêts de notre pays.
— Mais c'est passionnant ! s'exclama la fillette. De quoi s'agit-il donc ?
— Petite curieuse, je t'ai dit que c'était un secret, répondit Mme Dorsel en riant. D'ailleurs, je serais bien incapable de t'expliquer quoi que ce soit, car je ne suis guère mieux renseignée que toi. Allons, les enfants, en route. Il ne fait pas très chaud sur ce quai. »
Le petit groupe se dirigea vers la sortie.
« Et comment va notre ami Dago ? reprit la maman de Claude. Il a vraiment une mine superbe !
— Oh ! maman, si tu savais comme il est heureux à Clairbois avec nous ! Il s'amuse bien, je t'assure. Figure-toi qu'un jour, il a voulu dévorer les pantoufles de la cuisinière...
— Un dimanche aussi, il s'est faufilé dans l'office, dit Annie. Avant que personne n’ait eu le temps de s'en apercevoir, il avait déjà englouti une pleine terrine de rillettes !
— Et du plus loin qu'il aperçoit le chat du concierge, il s'élance toujours à ses trousses.
— Grands dieux, s'exclama Mme Dorsel, horrifiée, jamais la directrice de votre pension n'acceptera de reprendre Dago le trimestre prochain. En tout cas, j'espère que chacun de ces méfaits lui aura valu une bonne punition.
— C'est-à-dire que... », commença Claude, se sentant rougir jusqu'aux oreilles. Elle hésita, puis rassembla son courage et poursuivit bravement : « Tu comprends, maman, à Clairbois, chacune d'entre nous conserve l'entière responsabilité de l'animal qu'elle possède. Ainsi, quand il arrive à Dago de faire une sottise, ce n'est pas lui, mais moi qui suis punie... Au fond, je trouve que c'est assez juste, parce que si je le surveillais mieux, rien ne pourrait arriver.
— Dans ces conditions, ma pauvre enfant, dit Mme Dorsel, tu as dû être bien souvent punie. »
Devant la gare, attendait un joli poney roux, attelé à un tonneau verni. Dès que l'animal vit le petit groupe s'avancer dans sa direction, il pointa les oreilles et secoua sa crinière soyeuse, délicatement ombrée de noir. Quand tout le monde se fut installé dans la voiture, Mme Dorsel saisit les rênes et, fouette cocher, l'on se mit en route vers Kernach.
« Pour en revenir à ce que nous disions tout à l'heure, reprit la maman de Claude au bout d'un instant, l'idée de votre directrice me paraît excellente. » Elle parut réfléchir, et un éclair de malice passa dans ses yeux, « Je me demande d'ailleurs si je ne vais pas l'utiliser moi-même la prochaine fois que Dagobert fera une bêtise ! »
À ces mots, les fillettes, partirent d'un joyeux éclat de rire. Ah ! qu'il était bon de se retrouver en vacances, et que l'on serait donc bien à Kernach ! Demain, on verrait arriver les garçons et puis, d'ici quelques jours, ce serait Noël...
Le poney trottait allègrement et, sur la route durcie par le gel, résonnait le bruit clair de ses sabots frappant le sol. Soudain, la mer apparut à un détour du chemin, saluée par les exclamations enthousiastes de Claude et d’Annie. La baie de Kernach s'étendait au loin comme une grande nappe gris argent posée au bord du ciel. À peu de distance de la côte, on apercevait un îlot minuscule, couronné d'une vieille tour.
« Regarde, Annie ! s'écria Claude. Notre château... »
Les fillettes ne pouvaient détacher les yeux d'un spectacle qui faisait revivre en elles, plus beaux que jamais, les merveilleux souvenirs de l’été précédent. Déjà l'on commençait à distinguer le toit des « Mouettes », résidence de la famille Dorsel. C'était l'une de ces anciennes demeures si nombreuses dans la région, un manoir, ainsi qu'avaient coutume de le dire les gens du pays. Construite sur la lande herbeuse sans cesse balayée par le vent de mer, elle s'abritait derrière ses haies de tamaris et de genêts d'Espagne.
Dès que l'on fut arrivé, les voyageuses sautèrent à bas du tonneau et se précipitèrent dans la maison. M. Dorsel, qui les avait entendues, quitta aussitôt le bureau du rez-de-chaussée où il travaillait et vint les rejoindre dans le vestibule.
Henri Dorsel était un homme de haute taille, au visage mat sous des cheveux bruns qui commençaient à grisonner. Il semblait à Annie qu'elle ne l'avait encore jamais vu aussi grand ni d'un abord aussi sévère. « Pourquoi donc prend-il cet air renfrogné ? » se disait-elle. Décidément, l'oncle Henri pouvait bien être un grand savant, cela n'empêchait pas sa nièce de lui préférer des gens plus gais, et plus souriants. Et elle pensa à son propre père, dont le visage était toujours si aimable.
Annie attendit que Claude eût embrassé M. Dorsel, puis elle s'approcha à son tour et dit poliment bonjour.
« Tu sais, ma petite Annie, dit l'oncle, que ton père m'a chargé d'engager un répétiteur pour toi, ou plutôt, non... pour tes frères. Aussi, je crois bien que cette fois-ci, il vous faudra tous filer doux ! »
Sans doute ces paroles n'étaient-elles de la part de l'oncle Henri qu'une taquinerie innocente. Elles n'en causèrent pas moins une certaine gêne aux deux fillettes. Un tel discours n'annonçait rien de bon, se disaient Claude et Annie, toutes prêtes à se défier de ce répétiteur dont on venait de leur parler. Ne laissait-on pas entendre qu'il se montrerait d'une sévérité redoutable ?
Ce fut donc avec un véritable soulagement que les enfants virent M. Dorsel regagner son bureau quelques instants plus tard.
Dès qu'il eut disparu, la maman de Claude se tourna vers sa fille et lui dit :
« Ton père s'est beaucoup trop surmené ces temps derniers. Il n'en peut plus. Heureusement, son livre est presque terminé. Il espérait bien le finir avant Noël afin de pouvoir prendre aussi des vacances et s'amuser avec vous. Mais, hélas ! il a dû y renoncer.
— Ce n'est pas de chance », fit Annie, sans grande conviction. En réalité, elle préférait que les choses aient tourné comme venait de le lui dire sa tante. Comment aurait-on pu s'amuser avec l'oncle Henri ? Il n'aurait sûrement jamais voulu jouer aux charades ni à tous ces jeu de société qui faisaient la joie de ses jeunes hôtes !
« Oh ! quand je pense que Mick et François seront ici demain, je ne peux plus tenir en place, reprit soudain la fillette. Et ils vont être si contents de nous retrouver, n'est-ce pas, Claude ? Dis, tante Cécile, sais-tu qu'à l'école, tout le monde a parfaitement compris qu'il ne fallait pas contrarier ta fille ? Personne ne l’a jamais appelée Claudine, même pas notre maîtresse ! J'aurais pourtant bien aimé savoir ce qui se serait passé s'il en avait été autrement.
— Ce n'est pas difficile : j'aurais fait la sourde oreille, déclara Claude. Vous voyez d'ici le drame qui en serait résulté !
— En effet, dit Mme Dorsel avec un sourire. Mais en somme, Claude, que penses-tu de Clairbois ? J'espère que tu ne t'y es pas trop ennuyée ?
— Oh ! non, maman, je m'y suis beaucoup plu, au contraire. Naturellement, au début, j'étais plutôt dépaysée parmi tant de camarades nouvelles, mais je m'y suis vite habituée. » La fillette hésita, puis continua : « Mon bulletin trimestriel ne doit pas être très bon. Il y a tant de choses que je ne sais pas.
— Comment pourrait-il en être autrement ? fit Mme Dorsel. Tu n'étais encore jamais allée en classe ! Ne t'inquiète pas, va, j'expliquerai à ton père ce qu'il en est. Et maintenant, mes enfants, dépêchez-vous de faire un saut dans votre chambre pour vous laver les mains et vous donner un coup de peigne. Le goûter vous attend. Vous devez être mortes de faim ! »
Les fillettes se hâtèrent d'obéir. Quatre à quatre, elles montèrent l'escalier qui menait au premier étage et coururent à leur chambre. Mais en refermant la porte de celle-ci, elles s'aperçurent que Dagobert ne les avait pas suivies.
« Tiens, où peut-il bien être ? » s'écria Claude.
Annie éclata de rire.
« Rassure-toi, conseilla-t-elle à sa cousine. Je parierais qu'il est en train de faire le tour de la maison, de tout flairer et de tout explorer pour s’assurer qu'il est vraiment chez lui. Tu comprends, il tient à vérifier que rien n'a changé d'odeur en son absence : ni la salle à manger, ni sa corbeille, ni surtout la cuisine.
— C'est vrai, dit Claude, il doit être aussi heureux que nous d'arriver en vacances ! »
L’enfant avait raison : Dagobert était fou de joie. Las de sauter et de danser autour de Mme Dorsel, puis de venir se frotter contre ses jambes, il se précipitait à chaque instant dans la cuisine pour en ressortir aussitôt comme un bolide, épouvanté par les airs furibonds de Maria, la nouvelle cuisinière.
Celle-ci était une petite femme replète, au visage empâté par un embonpoint qui la vieillissait et lui donnait le souffle court.
Campée au milieu de sa cuisine, les poings sur les hanches, elle considérait Dagobert d'un regard sans indulgence. Finalement, elle lui tint ce discours :
« Écoute-moi bien : je ne veux pas te voir ici plus d'une fois par jour, quand je te donnerai ta pâtée ! Je ne tiens pas à voir toutes mes provisions disparaître à mon nez et à ma barbe. Rôtis, jambon, poulets, tout y passerait. Tu comprends, je connais les chiens, et je sais qu'avec eux on peut toujours s'attendre au pire ! »
Dagobert s'enfuit sans demander son reste. Vite, il se faufila dans l'office, dont il renifla les moindres recoins avec délices. Puis il fit le tour de la salle à manger et du salon au petit trot, ravi de reconnaître au passage les vieilles odeurs de cuir, d'encaustique et de bois qui lui étaient familières. Il se hasarda ensuite jusqu'à la porte du bureau de M. Dorsel, la flaira, mais battit en retraite prudemment. Il n'avait en effet nulle envie de pousser son exploration plus avant, redoutant, lui aussi, la sévérité du maître du lieu.
Pris de panique, il s'élança dans l'escalier et courut se réfugier dans la chambre où Claude et Annie achevaient de se préparer. Tout de suite, il chercha des yeux sa corbeille. Où était-elle donc ? Mais à sa place habituelle, sous la fenêtre ! Parfait. Voilà qui indiquait assurément que l'on allait pouvoir reprendre ses chères vieilles habitudes. Il dormirait donc dans cette chambre, auprès des fillettes. Quelle joie ! D'un bond, Dagobert sauta dans sa corbeille. Il s'y coucha en rond et se mit à battre frénétiquement de la queue, tandis que ses grands yeux dorés regardaient les enfants comme pour leur dire :
« Ah ! mes amies, qu'il fait bon se retrouver chez soi. »