CHAPITRE XVI
 
La poursuite.
 

 

 

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À pas de loup, les enfants regagnèrent la chambre où se trouvait le placard à secret.

« Que faisons-nous ? souffla Claude.

— Il faut nous en retourner tout de suite, dit François.

— Oh ! non, nous ne... » Claude s'arrêta net : on tournait le bouton de la porte, et la personne qui cherchait à entrer insistait, ne soupçonnant pas que la clef ait pu être tournée dans la serrure.

Une exclamation d'impatience retentit, puis les enfants reconnurent la voix de M. Dulac s'adressant à son compagnon :

« On dirait que le pêne est coincé. Si tu veux, je vais passer par ta chambre, et je verrai s'il est plus facile d'ouvrir de l'intérieur.

— Bien sûr », répondit l'autre.

Des pas se dirigèrent vers l'entrée de la seconde chambre, et l'on entendit quelqu'un secouer énergiquement la poignée de là porte.

« Voilà qui est un peu fort, s'écria M. Dulac d'un ton furieux. Aurait-on fermé à clef ? C'est impossible !

— On le dirait pourtant », observa M. Râteau. Il y eut quelques secondes de silence. Puis les enfants perçurent distinctement ces mots, proférés à voix basse : « J'espère que ceci n'a rien à voir avec les papiers. Les as-tu mis en lieu sûr ?

— Ils sont dans ta chambre, tu le sais bien », répondit M. Râteau.

Les deux hommes s'étaient tus. Les enfants se regardèrent, édifiés. Ne venaient-ils pas d'avoir la preuve que les locataires de la mère Guillou détenaient les documents volés ? Mais ce n'était pas tout : ils avaient appris du même coup que les papiers tant cherchés se trouvaient là, tout près d'eux, dans la pièce même où ils se tenaient à ce moment !

Ils promenèrent autour d'eux des regards éperdus, se demandant avec angoisse quelle était la cachette utilisée par les voleurs. Aucun recoin de la pièce n'avait pourtant échappé à leur inspection.

« Vite, chuchota François. Cherchons encore. Surtout, pas de bruit. »

Marchant sur la pointe des pieds, les enfants recommencèrent à fouiller. Tout fut passé au crible, avec plus de minutie que les premières fois. On alla jusqu'à feuilleter les livres qui se trouvaient sur la commode, dans l'espoir que les précieux papiers avaient peut-être été glissés entre les pages. Hélas ! ce fut sans résultat.

Soudain, M. Dulac appela la fermière :

« Madame Guillou ! lança-t-il d'une voix retentissante. Auriez-vous par hasard fermé nos chambres à clef. Nous ne pouvons ouvrir !

— Juste Ciel ! s'exclama la fermière, accourue au pied de l'escalier. Qu'est-ce que cela veut dire ? Il faut que je monte voir. En tout cas, si vos serrures se sont embrouillées, je n'y suis pour rien ! »

À son tour, la mère Guillou s'escrima de son mieux, secouant et tournant les boutons de porte dans tous les sens. Mais elle dut abandonner la partie. Cependant, les deux hommes commençaient à perdre patience.

« Madame, croyez-vous que quelqu'un ait pu s'introduire dans nos chambres ? » demanda M. Dulac.

La vieille se mit à rire.

« Qui voudriez-vous que ce soit ? Il n'y a dans la maison que mon mari et moi, et vous savez très bien que personne n'aurait pu venir du dehors, avec le temps qu'il fait ! Je ne comprends vraiment pas ce qui a pu se passer... Les serrures doivent être détraquées. »

Pendant que parlait la fermière, Annie, qui examinait encore la table de toilette, voulut soulever le pot à eau et regarder dessous. Mais elle le trouva soudain bien plus lourd qu'elle ne le soupçonnait, et, sur le point de le laisser échapper, le reposa brusquement. Il heurta le dessus de marbre avec fracas et l'eau qu'il contenait jaillit à travers la pièce, inondant le tapis !

Sur le palier, tout le monde avait entendu. M. Dulac bondit et se mit à cogner sur la porte.

« Qui est là ? hurla-t-il. Ouvrez immédiatement, sinon cela vous coûtera cher !

— Idiote, va ! gronda Mick à l'adresse de sa sœur. Maintenant, tu vas voir qu'ils vont tout défoncer ! »

Telle était en effet l'intention des deux hommes. Fous de rage et d'inquiétude à la pensée que le mystérieux visiteur enfermé dans leur chambre y était peut-être venu rechercher les documents volés, ils se ruèrent sur la porte. Sous leurs furieux coups d'épaule, le bois gémit.

« Dites donc, vous n'allez tout de même pas démolir la maison, j'espère ! s'exclama la fermière indignée. Mais ses locataires ne firent que redoubler d'efforts.

Cependant, la porte tenait bon.

« Vite, sauvons-nous, chuchota François. Si nous voulons revenir ici encore une fois, il ne faut à aucun prix que ces bandits découvrent comment nous sommes entrés ! »

Les quatre enfants se précipitèrent vers la penderie et se glissèrent entre les vêtements.

« Je vais passer le premier pour vous aider », dit François.

Il alluma sa lampe, puis l'accrochant à sa ceinture, s'assit sur la corniche étroite qui surplombait le puits donnant accès au souterrain. Il posa le pied sur le premier échelon et commença à descendre. Un mètre plus bas, il s'arrêta pour appeler sa sœur :

« Vite, à ton tour ! Mick, tu suivras, et, s'il en est besoin, tu retiendras Annie. Claude passera la dernière : elle se débrouillera bien toute seule : elle a le pied plus sûr qu'aucun d’entre nous. »

Annie avait si peur qu'elle osait à peine se risquer d'un échelon à l'autre. Elle se cramponnait, les muscles crispés, la gorge nouée par une affreuse angoisse.

« Courage, Annie, et hâte-toi, je t'en prie, murmura Mick, la porte ne va pas tenir longtemps à présent ! »

À entendre le vacarme effroyable qui venait de la chambre, Mick savait que la serrure et le bois étaient sur le point de céder : d'un moment à l'autre, les deux hommes feraient irruption dans la pièce... Aussi, quel ne fut pas le soulagement du garçonnet lorsqu'il lui fut enfin possible de s'engager dans la descente ! Claude ne tarderait pas à le suivre, et, dès qu'elle aurait posé le pied sur le premier échelon, elle n'aurait plus qu'à refermer la grande porte de chêne. La partie serait alors gagnée.

Cachée parmi les habits qui emplissaient la penderie, Claude attendait son tour, cherchant encore vainement à deviner dans quelle cachette les voleurs avaient dissimulé les documents de son père. Comme elle s'appuyait machinalement à un vêtement accroché derrière elle, elle fut surprise d'entendre quelque chose craquer à son contact. On aurait dit un bruit de papier froissé. Intriguée, la fillette s'aperçut que ce qu'elle avait tout d'abord pris pour un pardessus léger était un imperméable aux vastes poches.

À cette découverte, le cœur de Claude fit un bond dans sa poitrine. S'agissait-il par hasard du vêtement que portait M. Dulac quand François avait vu le répétiteur lui remettre les pages du manuscrit, hier, sous la neige ? Et la fillette s'avisa brusquement que personne n'avait songé à fouiller la penderie !

Prise d'une hâte fébrile, elle plongea la main dans l'une des poches de l’imperméable, et en retira une liasse de papiers ! Il faisait trop sombre au fond du placard pour qu'elle pût s'assurer que sa trouvaille était aussi précieuse qu'elle l'espérait, mais elle avait confiance. Vite, elle glissa les feuillets dans son cardigan et, s'avançant sur le seuil du puits, demanda anxieusement :

« Mick, puis-je descendre à présent ? »

Patatras ! Au même instant, la porte de la chambre s'abattit avec fracas, et les deux hommes bondirent dans la pièce en criant comme des sauvages. Ne voyant personne, ils s'arrêtèrent net, et regardèrent autour d'eux, médusés. Ils étaient pourtant bien certains de n'avoir pas rêvé : d'ailleurs, l'eau renversée sur la table de toilette et sur le tapis leur en fournissait une preuve irréfutable. » Quelqu'un était, venu, mais où avait-il passé ? « Regarde dans la penderie ! » s'écria M. Dulac.

En toute hâte, Claude se laissa glisser de la corniche sur laquelle elle venait de s'asseoir et descendit quelques échelons. Elle n'avait pas eu le temps de faire coulisser le panneau à secret qui dissimulait le double fond du placard, mais cela importait peu, ne lui suffirait-il pas de refermer la grande porte de chêne donnant accès au souterrain ?

Claude se retourna, allongea le bras et poussa le lourd battant aussi loin qu'elle put, sans toutefois avoir, la force de l'appliquer complètement contre le chambranle. « Bah ! se dit-elle, l'essentiel est que l'ouverture soit masquée. »

Cependant, les deux hommes exploraient fiévreusement la penderie, persuadés que leur visiteur s'y était réfugié. Soudain, M. Dulac poussa un cri de rage :

« Les papiers, ont disparu ! Ils étaient là, dans la poche de mon imperméable... Vite, il faut que nous retrouvions le voleur ! »

Ni M. Dulac ni son compagnon ne remarquèrent que le placard semblait plus profond qu'auparavant. Convaincus que personne n'y était caché, ils se hâtèrent de poursuivre leurs recherches dans les deux chambres.

Claude n'avait pas encore atteint le fond du puits, et ses compagnons l'attendaient avec impatience dans le passage secret. Jouant de malchance, leur cousine accrocha sa jupe à l'un des échelons, alors qu'elle n'était plus qu'à quelques mètres du sol, et il lui fallut passer plusieurs instants, cramponnée d'une main dans une attitude périlleuse, avant de pouvoir se dégager.

« Dépêche-toi, Claude, je t'en supplie ! » s'écria François, au comble de l'inquiétude.

Gagné par l'énervement qui s'était emparé des enfants, Dagobert sautait contre le mur. Que faisait donc sa maîtresse, perdue dans cette obscurité sinistre, et pourquoi son absence se prolongeait-elle ainsi ?

Enfin, incapable de supporter plus longtemps sa détresse, le chien rejeta brusquement la tête en arrière et poussa un hurlement si lamentable que les enfants en furent effrayés. « Tais-toi, Dago ! » s'exclama François.

Mais Dagobert reprit de plus belle. Sa voix rauque retentissait à travers le souterrain, étrangement amplifiée et répétée en d'innombrables échos.

Terrifiée, Annie se mit à pleurer, tandis que ses frères s'efforçaient de calmer le chien, mais en vain : quand Dago commençait à donner de la voix, rien n'était plus malaisé que de le faire taire...

Dans la chambre au-dessus, les deux hommes qui avaient entendu le vacarme, se regardaient, stupéfiés.

« Que signifie tout ce tapage ? fit M. Dulac.

— On dirait un chien qui hurle sous terre !

— Bizarre... », reprit le premier. Il prêta l'oreille. « Ma parole, murmura-t-il, on jurerait que ce bruit sort du placard. »

En prononçant ces mots, il se dirigea vers la penderie et l'ouvrit. À cet instant, retentit une plainte plus déchirante encore que les précédentes. L'homme sursauta et, délibérément, pénétra dans le réduit. Le vacarme y était assourdissant. M. Dulac allongea le bras, cherchant à tâtons le fond du placard. Mais à peine l'avait-il touché qu'il eut la surprise de sentir le panneau de bois céder sous ses doigts.

« Dis donc, lança-t-il à son compagnon, il y a ici quelque chose de bizarre. Passe-moi vite ma lampe, j'ai dû la laisser sur le guéridon. »

Les clameurs qui semblaient monter des profondeurs de la terre éclataient maintenant dans l'espace confiné de la penderie avec une telle ampleur et des sonorités si horribles que M. Dulac ne put s'empêcher de frissonner.

« Il y aurait de quoi vous glacer le sang », dit-il. Puis, saisissant la lampe que lui tendait son ami, il examina le fond du placard. « Mais c'est une porte ! » s'exclama-t-il.

Il poussa, l'huis pivota lentement sur ses gonds.

Cependant, la fermière accourait, encore sous le coup de la colère qui s'était emparée d'elle au spectacle de l'obstination mise par les deux hommes à enfoncer la porte de leur chambre.

« Grands dieux ! s'écria-t-elle, en voyant une ouverture béante à l'intérieur de la penderie. Je savais bien que mon placard avait un double fond, mais j'étais loin de me douter qu'il y avait encore une porte derrière. C'est au moins l'entrée de ce passage secret dont parlait ma grand-mère !

— Et où mène-t-il ? questionna M. Dulac d'une voix grinçante.

— Dieu seul le sait, répondit la vieille. Je ne me suis jamais beaucoup intéressée à cette histoire... »

L'homme se tourna vers son compagnon.

« Il faut que nous explorions ce passage », dit-il.

Il braqua sa lampe par l'ouverture. Le faisceau lumineux plongea dans un gouffre noir, se promena sur des murs luisants d'humidité. Les échelons rouillés apparurent, scellés dans la pierre.

« Regarde, c'est par là que s'est enfui notre voleur, reprit M. Dulac. Mais il ne peut être bien loin. Vite, descendons : il nous faut à tout prix récupérer nos papiers ! »

En un clin d'œil, les deux hommes se laissèrent glisser dans le puits et s'engagèrent dans la descente. Celle-ci leur parut interminable. Qu'allaient-ils découvrir au terme de cette équipée ? Tout était maintenant silencieux et il ne faisait aucun doute que le voleur se trouvait déjà loin.

Cependant, Claude avait enfin réussi à rejoindre ses amis. Dès qu'il la vit, Dagobert se précipita sur elle avec tant de fougue qu'il faillit la renverser.

« Grosse bête, va, lui dit-elle en lui donnant une caresse, j'ai bien peur que ton vacarme ne nous ait trahis. Vite, en route, si nous ne voulons pas nous laisser rejoindre par ces deux bandits ! »

François prit Annie par la main.

« Viens, fit-il, il faut courir aussi vite que tu le peux. » Et, s'élançant dans le passage, il entraîna la fillette, suivi par Mick, Claude et Dagobert.

Les cinq amis fuyaient à toutes jambes, songeant avec angoisse au long chemin qu'ils avaient à parcourir. Ils allaient, trébuchant sur le sol inégal, et ils sentaient leur cœur battre à grands coups.

Soudain, ils entendirent derrière eux des cris de triomphe :

« Une lumière, là-bas ! ... C'est notre voleur ! En avant, cette fois, nous le tenons ! »