17
L’industrie forestière
américaine :
problèmes et projets
IL dit qu’il devait rentrer chez lui quelque temps. Il dit qu’il avait beaucoup réfléchi pendant la nuit et qu’il avait conclu qu’il fallait vraiment qu’il aille voir ses femmes et ses enfants, s’occuper de son courrier et de son travail, et reprogrammer quelques randonnées en bateau sur la Green River avant de les retrouver. Il craignait en outre que Mgr Love et son Équipe de Recherches & Secours ne continuassent à le surveiller dans les comtés de San Juan et de Garfield. Il demanda à Abbzug et Hayduke de repousser la prochaine opération d’une semaine.
Ils petit-déjeunèrent tous les trois au Mom’s, cafétéria bon marché (rien de mangeable) comptant parmi les meilleures tables de Page. Ils burent leur boisson goût orange javellisée, mangèrent leurs pancakes décongelés confectionnés à partir d’un mélange tout fait de colle en poudre et farine de coton, avalèrent leurs saucisses de nitrate et nitrite de sodium et burent leur café fort en acide phénique. C’était un petit déjeuner typique de la ville, convinrent-ils, et “pas mauvais”, non. Franchement immonde. Ils convinrent également du contenu de leur avenir proche.
Smith effectuerait sa Tournée du retour conjugal de 650 kilomètres aux quatre coins de l’Utah pour honorer ses obligations domestiques. Puis ils se retrouveraient pour leur attaque programmée contre le département de l’Équipement de l’Utah et ses derniers opus.
Quid, alors, de Bonnie et George ? Eh bien George reconnut qu’il pensait à une lune de miel prénuptiale prématurée dans la fraîcheur des hautes forêts du North Rim, au-dessus du Grand Canyon, sorte de déclivité que Bonnie avait envie de voir d’en haut. Par ailleurs, il voulait enquêter sur les activités auxquelles le département fédéral des Eaux & Forêts et les compagnies forestières se livraient présentement sur le plateau de Kaibab.
Les hommes se serrèrent les poignets, façon Mallory et Irvine partant à la conquête de l’Everest en 1924. Bonnie serra Smith dans ses bras. Ils se séparèrent, Smith au volant de son pick-up, direction Cedar City, Bountiful et Green River ; George et Bonnie dans la jeep, cap sur les Echo Cliffs, Marble Canyon et au-delà.
Bonnie se rappelait la dernière fois qu’elle avait pris cette route vers Lee’s Ferry et leur descente du canyon – désormais historique – à bord de trois radeaux gonflables. Comment pourrait-elle oublier le clodo barbu sur la plage ? Les rapides ? La conspiration du feu de camp qui s’était épaissie de jour en jour, soirée après soirée, là-bas, dans les entrailles précambriennes de la terre, sans aucune pause de Lee’s Ferry jusqu’à Temple Bar ? Sur la plage près de Separation Wash, les hommes s’étaient juré camaraderie éternelle, serment scellé dans le bourbon et le sang qu’Hayduke avait fait perler à la pointe de son coutelas au creux de leurs trois paumes ouvertes. Haut dans l’éther de son empyrée cannabique, s’y sachant tacitement incluse, Bonnie avait observé la cérémonie en souriant. C’est ainsi qu’autour du feu de camp, sous les étoiles de minuit, à 900 mètres en contrebas du rebord du plateau de Shivwits, naquit le Gang de la Clef à Molette…
Les amants plongèrent par le défilé, crochetèrent brusquement vers la droite à Bitter Springs, filèrent cap au nord à travers l’arête du NAVAJOLAND VOUS REMERCIE DE VOTRE VISITE pour franchir le pont de Marble Canyon (“Toi, tu ne perds rien pour attendre”, murmura Hayduke) puis débouler sur l’Arizona Strip. Ils foncèrent alors vers l’ouest dans la jeep d’Hayduke, au pied de la paroi du plateau de Paria et des Vermilion Cliffs, dépassèrent Cliff Dwellers Lodge, descendirent dans Houserock Valley, fendirent son rouge enfer de roche et d’ondes de chaleur, passèrent par Buffalo Ranch, gravirent la bosse de grès (on eût dit le dos d’une baleine échouée sur la plaine du désert) du monoclinal d’East Kaibab. Là, la jeep peina un peu pour gravir les 1 200 mètres de dénivelé qui menaient aux pins ponderosa et aux prairies herbues de la Kaibab National Forest.
Comme tous les bons touristes, ils s’arrêtèrent à Jacob Lake pour faire le plein, prendre un café et manger une part de tarte, acheter des bières. L’air était pur et doux de l’odeur du soleil, de la résine de pin et du boutelou – et frais malgré l’affreuse chaleur du désert qui patientait en bas. La lumière faisait scintiller les feuilles diaphanes des trembles, si féminins dans la robe d’écorce blanche de leurs troncs élancés se découpant sur l’arrière-plan plus sombre des conifères.
À Jacob Lake, ils tournèrent vers le sud par une route qui s’achevait en cul-de-sac sur la rive nord du Grand Canyon. Bonnie avait en tête l’amour, le paysage et une cabane dans les pins ; Hayduke, romantique et rêveur lui aussi, pensait surtout à des engins masochistes, à de l’acier qui souffre, du fer soumis à des épreuves peu naturelles, aux multiples avatars de ce qu’il appelait la “destruction créative”. D’une manière ou d’une autre, ils allaient ralentir – sinon stopper – le progrès de la Technocratie, la croissance de la Croissance, la dissémination de cette idéologie de cellule cancéreuse.
— J’ai juré sur l’autel de Dieu, beugla Hayduke dans le vent rugissant (ils roulaient bien sûr capote en toile baissée), puis il se tut, cligna des yeux, tenta de se rappeler les mots de Jefferson, une hostilité éternelle contre toute putain de forme de tyrannie (il se trompa d’un rien mais eut parfaitement bon) imposée sur la vie de l’homme.
— Et la vie de la femme, hein ? hurle Abbzug.
— La femme peut aller se faire foutre, brailla gaiement Hayduke. (Et maintenant qu’il y pensait…) Et maintenant que j’y pense (ajouta-t-il en quittant la grand-route pour un précieux petit chemin qui, s’enfonçant dans les bois, sous les pins et les trembles scintillants, hors de vue du passage, les mena jusqu’à une clairière ensoleillée parsemée de bouses de vache), allons-y !
Il arrêta la jeep, coupa le contact, attrapa Bonnie et la fit descendre sur l’herbe. Elle résista en homme, lui agrippa les cheveux, lui déchira son T-shirt, tenta le coup du coup de genou entre les jambes.
— Je vais te sauter, petite garce, lâcha Hayduke entre ses dents.
— C’est ça, dit-elle, essaye un peu espèce de sale dégénéré.
Ils roulèrent et roulèrent l’un sur l’autre et sur les bouses de vache, les feuilles mortes, les aiguilles de pin, les fourmis névrosées en proie à la panique.
Elle faillit s’échapper. Il la plaqua, la tint de nouveau à terre, l’étouffa dans ses bras de costaud, enfouit ses yeux sa bouche son visage dans le parfum de ses cheveux, planta ses dents dans sa nuque (du sang perla), lui mordilla le lobe de l’oreille…
— Grosse garce de juive.
— Bouseux de porc à prépuce de sale goy.
— Foutue garce.
— Raté de l’école. Paraplégique verbal. Vétéran au chômage.
— Je veux.
— Nul au Scrabble.
— Tout de suite !
— D’accord. Si c’est comme ça, d’accord. (Mais c’était elle qui se trouvait en haut.) Tu as la tête dans une grosse bouse, tu sais. Tu t’en fous. Bien sûr que tu t’en fous. C’est bon. OK. Alors, où est-elle ? Je ne la trouve pas. C’est ça ? Sans déconner, c’est ça ? Allô, Maman, c’est toi ? Salut, c’est Sylvia. Ouais. Écoute, maman, je ne vais finalement pas pouvoir venir pour Hanoukka. Oui, c’est ce que je viens de dire. Ben, le truc, c’est que mon petit ami – tu te souviens d’Ichabod Ignatz ? – a fait sauter l’aéroport. Ce type est une espèce de – oooh ! – taré…
Il plongea en elle. Elle l’engloutit. Les vents gémirent dans les ponderosas, les trembles frémirent, leurs feuilles dansèrent comme autant de cascades miniatures. Le discret pépiement des petits oiseaux, les glapissements d’un renard, le feulement des pneus sur la lointaine grand-route et tous les autres bruits normaux, raisonnables, modérés, furent balayés par-dessus l’à-pic du monde, perdus dans la ruée.
L’engin monta et l’engin descendit, l’engin rentra et l’engin émergea des forêts et prairies, longea des cuvettes et frôla des trous d’eau sur le terrain ondoyant du plateau de grès (percé comme une éponge d’un vaste réseau de grottes), Hayduke aux commandes pilotait la jeep en direction du sud, vers l’industrie forestière, ses espoirs et ses craintes. Elle se nichait contre lui, se pelotonnait à moitié sur lui, cheveux flottant au vent comme une longue oriflamme.
Ils s’arrêtèrent de nouveau, près de l’extrémité nord d’une prairie dénommée Pleasant Valley, pour amender et enluminer un panneau officiel Smokey l’Ourson du département fédéral des Eaux &, Forêts. Ce panneau était une représentation grandeur nature du célèbre et pénible ursidé, avec son chapeau de ranger, son blue-jean et sa pelle, qui disait ce que ces panneaux disent toujours, à savoir :
VOUS SEULS POUVEZ PRÉVENIR LES FEUX DE FORÊT
Les bombes de peinture reprirent du service. Ils ajoutèrent à Smokey une moustache jaune, ce qui enjoliva considérablement son museau fade, et rehaussèrent ses yeux de quelques touches d’un rouge couleur gueule de bois. L’animal commençait à ressembler à Robert Redford dans le rôle de Sundance Kid. Bonnie déboutonna la braguette de Smokey, iconographiquement parlant, et lui orna l’aine d’une petite bite aux boules copieusement velues mais toutes ratatinées. Hayduke enrichit l’homélie préventive du plantigrade d’un astérisque et d’une note explicative : “Smokey l’Ourson raconte que des conneries.” (La plupart des feux étant bien sûr causés par le vaporeux hominoïde de l’En-haut, c’est-à-dire Dieu, déguisé – par exemple – en éclair.)
Très drôle. Quoique. En 1968, le Congrès des États-Unis avait élevé au rang de délit fédéral le fait de profaner, mutiler ou améliorer par n’importe quel moyen toute effigie officielle de Smokey l’Ourson. Au courant de cette législation, Bonnie tarabusta Hayduke pour qu’il accepte de remonter dans la jeep et lever le camp sans céder à sa puissante envie de pendre Smokey à l’arbre le plus proche – un Pinus ponderosa ferait l’affaire – et, ce faisant, de faire passer in rigor extremis le pénis de la bête de sa station pendouillante à la pleine érection.
— Ça suffit, expliqua Abbzug (et elle avait raison, comme toujours).
À six kilomètres au nord de l’entrée nord du North Rim District du parc national du Grand Canyon, ils arrivèrent à un carrefour. Le panneau disait ATTENTION CAMIONS. Hayduke tourna à droite, sur la piste forestière non goudronnée mais large qui s’enfonçait vers l’est dans la forêt, et ils débouchèrent sur un nouveau spectacle.
Au long des 65 kilomètres de route qu’ils avaient parcourus depuis Jacob Lake, ils n’avaient vu que des vertes prairies ornées de troupeaux de vaches et de hardes de cerfs, bordées de ce qui semblait être des Forêts populaires de trembles, de pins, d’épicéas et de sapins absolument intactes. Ce n’était qu’une façade. Derrière l’écran trompeur de quelques arbres formant une frange de végétation vierge large d’à peine 400 mètres prospérait l’authentique raison commerciale de ces forêts publiques, faite de scieries, plantations forestières, usines de campagne œuvrant à la production industrielle de poutres, poteaux, planches, pulpe de bois et panneaux de contreplaqué.
Bonnie fut sidérée. Elle n’avait jamais vu des coupes d’une telle ampleur.
— Où sont passés les arbres ?
— Quels arbres ? dit Hayduke.
— Exactement.
Il gara la jeep, et tous deux contemplèrent en silence la scène de la dévastation. Sur plus de cent hectares, la forêt s’était fait écorcher de tous ses arbres, grands ou petits, sains ou malades, jeunes pousses comme vieilles branches. Tout avait disparu, à l’exception des souches. Là où jadis s’élevaient des arbres s’empilaient désormais d’énormes amoncellements de débris forestiers en attente de brûlis sitôt les premières neiges tombées. Un enchevêtrement d’ornières de camions, de skidders et de bulldozers, sillonnait cette aire totalement amputée.
— Explique-moi un peu ça, ordonna-t-elle. Qu’est-ce qu’il s’est passé, ici ?
Il tenta d’expliquer. Le sort de l’Expliqueur n’est pas un sort enviable.
La méthode de la coupe claire, dit-il, consiste à éradiquer la forêt naturelle – les forestiers industriels appellent ça “désarbrer” – puis à planter des arbres d’une seule et même essence, bien alignés pour des raisons pratiques, exactement comme on plante du maïs, du sorgho, de la betterave sucrière ou n’importe quelle autre culture agricole. Ensuite, on asperge le sol de fertilisants chimiques pour remplacer l’humus emporté par les eaux de ruissellement, on dope les jeunes pousses aux hormones de croissance, on pulvérise du répulsif à cerfs tout autour de la parcelle et on fait pousser une génération d’arbres uniformes, tous identiques. Lorsqu’ils atteignent une certaine hauteur (pas leur maturité, ça prendrait trop de temps), on envoie une flotte d’engins spéciaux et on abat ces enfoirés. Jusqu’au dernier. Ensuite on brûle les petits déchets, on passe la herse, on re-sème, on re-fertilise et on recommence, on tourne en rond comme ça éternellement, toujours plus vite, jusqu’à ce que, tel le légendaire Oiseau Spirale de Malaisie qui vole en décrivant des cercles sans cesse plus petits, l’on disparaisse dans son propre trou de balle.
— Tu saisis ? dit-il.
— Eh bien, oui et non, dit-elle, sauf que, c’est-à-dire que si ce… (Elle agita une main et ses bracelets tintèrent en direction du saccage alentour.) Ce que je veux dire, c’est que si tout ça c’était une forêt nationale – une forêt nationale – alors ça nous appartenait, non ?
— Non.
— Mais tu as dit…
— Tu comprends rien à rien ou quoi ? Foutue suceuse de bites d’intello de marxiste new-yorkaise.
— Je ne suis pas une intello de marxiste new-yorkaise.
Hayduke redémarra et ils quittèrent la zone de coupe claire. En dépit du fait qu’il n’y restait plus beaucoup de forêt naturelle, le plateau de Kaibab ressemblait encore, plus ou moins, à une région boisée. Les coupes claires ne faisaient que commencer. Bien que la perte fût considérable, il restait encore beaucoup d’arbres – même si la perte était considérable.
— Les entreprises forestières font des offres pour obtenir le droit d’exploiter une parcelle. Les plus offrants signent un chèque au Trésor public des États-Unis. Le département des Eaux & Forêts prend l’argent, notre argent, et le dépense en nouvelles routes forestières comme celle-ci, bien larges, pas trop pentues, pour que les entrepreneurs puissent y faire passer leurs engins et compter le nombre de cerfs, de touristes et de petits écureuils qu’ils peuvent tuer. Le cerf vaut dix points, l’écureuil cinq, le touriste un.
— Et ils sont où, les bûcherons, là ?
— On est dimanche. Ils sont chez eux.
— Mais l’Amérique a besoin de ce bois. Les gens ont besoin de maisons.
— D’accord, lâcha-t-il à contrecœur, les gens ont besoin de maisons. Mais qu’ils les construisent en pierre, bordel de Dieu, ou en torchis, comme les Papagos. En briques ou en parpaings. En palettes de transport et vieux bidons de Karo, comme mes amis de Dak To. Qu’ils construisent des trucs qui durent un peu, disons au moins cent ans, comme la cabane de mon arrière-grand-père là-bas en Pennsylvanie. Pas besoin d’abattre des forêts.
— Tout ce que tu veux, c’est une contre-révolution industrielle.
— Exactement. Rien de plus.
— Et comment envisages-tu de la faire advenir ?
Hayduke réfléchit au problème. Il aurait aimé que Doc fût là. Son cerveau à lui fonctionnait comme de l’huile de vidange un jour de grand froid. Comme de la crasse. Comme la prose du président Mao. Hayduke était un saboteur qui bouillait de colère plus qu’il ne pétillait d’esprit. Pendant ce temps, la jeep continuait à s’enfoncer dans la forêt nationale de Kaibab et la fin de l’après-midi. Le soleil oblique tranchait des poutres de poussière de pin en suspension, les arbres transpiraient, les grives solitaires chantaient et au-dessus de tout cela le ciel (n’ayant pas d’alternative) faisait claquer ses couleurs de coucher empruntées : bleu et or.
Hayduke réfléchit. Enfin, l’idée arriva. Il dit :
— Mon job, c’est de sauver la putain de nature sauvage. Je ne connais rien d’autre qui vaille la peine d’être sauvé. C’est simple, non ?
— C’est simplet, dit-elle.
— Je m’en contente.
Ils arrivèrent au site du chantier qu’Hayduke avait en tête. Il s’agissait d’une coupe claire encore en cours, avec des mastodontes mécaniques garés sur place, oisifs dans la pénombre du début de soirée. Bulldozers, chargeuses, skidders, camions-citernes, ils étaient tous là, bien patients, à l’exception des camions qui étaient descendus à la scierie de Fredonia avec leur dernier chargement de troncs le vendredi d’avant.
— Où est le vigile ?
— Ça m’étonnerait qu’il y en ait un, dit Hayduke. On ne s’est pas fait pister.
— Eh bien si ça ne t’ennuie pas, je préférerais qu’on s’en assure.
— Pas de problème.
Hayduke gara sa jeep, en descendit et bloqua ses moyeux débrayables en quatre roues motrices. Ils reprirent leur route dans les ornières, la boue et la gadoue, contournant les tas de bois et les amas de déchets, traversant des hectares et des hectares de racines mutilées. Le massacre des pins : plus un seul arbre debout sur près de cent hectares.
Ils trouvèrent le bureau du chantier, un petit mobile home sombre et fermé à clé, désert, GEORGIA-PACIFIC CORP., SEATTLE, WASH., disait l’enseigne en fer-blanc vissée sur la porte. Sont bien loin d’chez eux, les gars, songea Hayduke.
Il descendit. Alla frapper à la porte cadenassée et sans lumière ; pas de réponse. Un écureuil poussa des petits cris, un geai bleu chanta dans les arbres lointains, au-delà des champs de souches, mais rien ne bougea dans les proches environs. Même le vent était tombé et la forêt était aussi morte que le cimetière qu’elle ceignait. Bonnie pensa au Justicier. On va leur dire qu’il est de retour. Leur dire qu’il se souvient, etc. Hayduke revint.
— Alors ?
— Comme je t’avais dit. Y a personne. Ils sont tous descendus en ville pour le week-end.
Elle tourna la tête et posa des yeux rêveurs, par-delà le champ de bataille, sur les engins inertes mais puissants garés à proximité, puis sur les arbres sans défense tout au bout de la coupe claire. Puis de nouveau sur les engins.
— Il doit y en avoir pour un million de dollars de matériel, ici.
Hayduke considéra les lieux d’un œil appréciateur.
— Environ deux millions et demi, dit-il en une estimation ni plus ni moins valable que celle de Bonnie.
Ils demeurèrent tous deux silencieux une minute.
— On fait quoi ? dit-elle en frissonnant dans la fraîcheur du soir.
Il sourit. Ses crocs sortirent, luisant dans la pénombre. Ses gros poings se dressèrent, pouces levés.
— L’est temps qu’on fasse nos devoirs.