I
CHEIK-SAID
Je sors d'une séance pénible dans le bureau de mon patron où, flanqué de son fondé de pouvoir, il vient de m'accabler de reproches pour mon manque de goût au métier de commerçant en cuirs et cafés. Je suis encore trempé de sueur, car je n'étais pas sous le bienfaisant panka dont le rythme paisible ponctuait les phrases tonnantes chargées de reproches mérités : erreurs de comptes, manques dans les stocks dont j'avais trop légèrement contrôlé les entrées, tout cela causé par ces excursions en mer sur ce damné boutre que j'avais acheté dernièrement.
En raison de l'intimité du gouverneur Pascal et de mon patron, je compris que ce dernier avait été gagné à la cause gouvernementale et que sa diatribe contre ma négligence n'était qu'une tentative pour me faire renoncer à la navigation.
Je vais à mon bateau, pour me remettre de cette scène fâcheuse et secouer le joug que je sens de plus en plus peser sur moi, ce joug terrible que doit subir celui qui veut se faire une place dans la considération de ce monde de trafiquants de denrées coloniales, travaillant avec le système des traites documentaires, cette espèce d'acrobatie financière où l'on risque de se balancer entre la faillite et la correctionnelle.
C'est l'heure de la marée basse ; mon petit bateau est couché sur le sable humide découvert par le jusant. Ahmed et Abdi dorment béatement au frais, à l'ombre de la coque, dans le courant d'air du large.
La mer, retirée à l'accore du récif, emplit l'air lumineux de son bruit. Il semble être la voix de cette écume blanche qui, éternellement, frange le bleu profond de l'océan sans âge.
Je m'assieds sous le ventre de la barque. Un dégoût profond me vient au souvenir de ce bureau sombre où des employés s'agitent dans les relents de naphtaline et de cuirs verts.
Pourquoi m' astreindre à cette vie qui, pour moi, équivaut à un bagne ? Pourquoi ne pas céder à l'appel de cet horizon bleu, au gré de cette mousson puissante et suivre ces petites voiles blanches que je vois chaque jour disparaître vers cette mer Rouge, pleine de mystères ? Pourquoi escompter un avenir de bon commerçant, si je n'ai rien pour le devenir?
Mon parti est pris : je vais donner ma démission.
N'ayant pas les moyens de loger à l'hôtel, je m'installe sur mon boutre, en compagnie de mon équipage.
Je vais tenter de faire d'abord la pêche des perles, car l'argent me manque pour acheter des armes.
Cheik-Saïd est à l'ordre du jour. Un journaliste est venu faire un reportage sur ce petit territoire, que les vieux atlas Foncin de mon enfance, marquaient en rose, couleur consacrée des Possessions françaises.
Ce journaliste vient me voir et me raconte qu'il ne peut pas trouver de boutre pour le mener à Cheik-Saïd.
Je n'en suis pas surpris et je comprends fort bien qu'aucun nacouda ne veuille prendre la responsabilité de débarquer à Cheik-Saïd ce Parisien botté, casqué et harnaché de tout un attirail d'explorateur.
– Vous tenez absolument à y aller? lui demandai-je.
– Essentiellement.
– Alors, croyez-moi, laissez vos bottes, votre casque et tout votre attirail. Attendez d'avoir bruni au soleil pour exhiber une peau d'acceptable couleur; promenez-vous nu-pieds, pendant ce temps, sur le ballast du chemin de fer pour acquérir l'assurance de la marche sur le gravier. Alors, vous débarquerez à Cheik-Saïd, sans crainte d'y rester, et surtout peut-être trouverez-vous un nacouda pour vous y conduire.
– Mais le gouverneur m'a laissé espérer que vous-même pourriez m'y conduire ?
– Avec plaisir, mais seulement dans les conditions que je vous indique.
Le lendemain, mon journaliste m'annonça qu'il préférait partir par le courrier venant de Chine ; il reverra Cheik-Saïd au passage, comme la première fois, mais en sens inverse, ce qui lui permettra de contrôler l'exactitude de ses précédentes observations.
Le gouverneur me fait demander. Le terrible Pascal est rentré en France, en retraite. Personne ne le regrette encore, car on n'a pu le comparer avec ceux qui lui succéderont et les effets de sa politique énergique, disons même despotique, ne se sont pas encore manifestés. Malgré la façon dont cet homme m'a personnellement traité, je suis obligé de reconnaître que Djibouti vit encore sous l'impulsion qu'il lui a donnée. C'était un homme intelligent et un homme d'action, ne craignant pas les responsabilités.
Son successeur immédiat ne sortait pas des cadres coloniaux; c'était un ancien préfet. Il fut porté à accorder ses faveurs à ceux qui avaient subi les disgrâces et je fus appelé à bénéficier des effets de cette loi des compensations.
Petit homme soigné, barbiche blanche, lorgnons, sourire aimable, très homme du monde avec cette nuance particulière aux fonctionnaires de haut rang, aux diplomates, enfin à tous ceux dont la politesse n'est qu'un masque aimable.
Sa voix est discrète; le discours sans affirmation est toujours protégé de « peut-être », « je suis tenté de croire », etc.
Quel homme délicieux à côté du tonitruant Pascal, qui piétinait le casque d'un de ses « sujets » quand celui-ci avait l'incorrection de le poser sur l'auguste bureau d'acajou !...
– On me dit que vous auriez l'intention de faire une croisière en mer Rouge, sur un boutre indigène. Cette tentative me semble intéressante... Et, que comptez-vous faire au cours de ce voyage ?
J'explique.
– Alors, vous passerez à proximité de Cheik-Saïd. On en parle beaucoup en ce moment. Vous connaissez peut-être... ? Non? Alors, il est probable que vous aurez la curiosité de voir un peu cette petite terre, que nous devrions pouvoir dire française ?... Je serais très heureux de connaître vos impressions au retour, M. X..., le journaliste, m'en a parlé, mais assez vaguement, du moins à ce qu'il m'a semblé, d'après la nature peut-être un peu trop superficielle de ses investigations et de ses enquêtes... Mais que cela ne soit pas pour vous une obligation... Je ne voudrais pas que vous vous exposiez le moins du monde pour satisfaire une simple curiosité de géographe amateur. Je serais au désespoir que l'inoffensif violon d'Ingres d'un vieux fonctionnaire pût, involontairement, vous entraîner dans une équipée funeste ou seulement regrettable...
«Ce qui m'intéresse? Mon Dieu, un peu tout... La beauté des couchers de soleil sur le Bab el-Mandeb, si vous voulez...
« A part cela, que peut valoir ce territoire, comparativement à Perim?... Notre installation là serait-elle vraiment gênante pour nos voisins d'Aden ?... On dit que les Turcs y tiennent garnison... Si vous pouviez faire quelques photographies, je serais charmé, car je ne pense pas que vous y trouviez des cartes postales...
Pendant une heure, je reçus des directives très précises et je me rendis compte que des intérêts autres que la douce manie d'un vieux fonctionnaire étaient en jeu.

Cette mission officieuse me décide à hâter mon départ vers le pays des perles.
J'engage trois Somalis de plus, ce qui porte à cinq le nombre de mes hommes d'équipage.
Il est dix heures du matin. Nous quittons la rade sous un soleil éclatant et par la brise déjà fraîche du large.
Mon ami Lavigne, debout sur la jetée, me regarde partir. J'ai vu des larmes dans les yeux de ce brave garçon, qui cherchait à plaisanter pour cacher sa tristesse. Il va retourner à la maison de commerce, cuirs et cafés aussi, mais peu s'en est fallu qu'au dernier moment, il n'ait tout abandonné pour me suivre.
J'ai laissé dans un lagon des îles Moucha des caissons où j'expérimente sur des sadafs1 la culture de la perle dite japonaise. Mon intention est de passer par ces îles, visiter ces parcs d'expériences.
Notre bordée nous porte en haute mer. Djibouti n'est plus qu'un amas de taches blanches, répandues sur la côte basse. Les grands massifs violets des montagnes dankali écrasent maintenant tout cela de la hauteur de leurs tables basaltiques. Au loin, les sommets arrondis des Mabla entourent le mont Goudda, dressé comme un géant solitaire.
Par notre travers, l'île Moucha barre la mer d'une mince ligne jaune, avec la tache blanche de son phare, posé comme une mouette sur un bâton flottant.
Nous virons de bord et tribord amures, nous cinglons vers cette petite terre. Bientôt, les fonds verts des bancs de sable étincellent comme des émeraudes, et, couché sous la brise maintenant très fraîche, le Sahala vole au-dessus des récifs de coraux.
C'est pour moi une joie de contempler ce monde sous-marin que l'eau limpide laisse baigner dans le soleil. C'est là que se cachent tous les trésors à la recherche desquels je suis parti !...
De distance en distance, les dômes de roches émergent des abîmes bleus comme des cathédrales irréelles et des myriades de poissons zébrés de couleurs vives, tournent autour comme des oiseaux de rêve.
Il faut contourner ces dangereux amas de madrépores, décelés par des taches jaunes ou violettes. Plus on approche de l'île, plus le dédale se resserre. La nuit ou à contre-jour, la navigation y serait impossible.
A proximité de l'île Moucha, nous jetons l'ancre sur un fond de sable blanc où par le jeu de la lumière, l'eau semble verte comme une pure émeraude. L'île plate, taillée en corniche, forme là une petite plage aussi blanche que de la neige.
Le gardien du phare vient nous attendre, suivi de nombreux bambins qui gambadent tout nus dans une joie de lumière et de liberté.
C'est un Dankali, nommé Bourhane. Je l' ai chargé, en mon absence, de veiller sur mes caissons d'huîtres. Il est là, au service de l'administration, depuis vingt-cinq ans, avec deux autres aides, également dankalis. Il gagne douze francs par mois, mais il est maître et seigneur sur cette île brûlée. Cependant, un troupeau de chèvres peut y vivre, paissant une herbe rare et les feuilles des mangliers. Chaque semaine, Bourhane va à Djibouti sur un petit boutre, chercher l'eau nécessaire à la vie de cette petite famille. Il occupe ses journées à la pêche et ses nuits à multiplier, car il a trois femmes. Elles lui ont donné ces douze ou quinze enfants de tous les âges, entre un an et vingt ans.
L'intérieur de l'île enserre un grand lagon où croît une forêt de palétuviers au feuillage sombre. Sous les voûtes de ces arbres aquatiques, de sinueux canaux s'enfoncent dans une inextricable forêt, portée sur les arceaux tranges de leurs racines rouges. La senteur vanillée des mangliers imprègne l'air et un mystérieux silence enveloppe ce paysage verdoyant où seule la vie marine se manifeste.
A notre passage, de gros crabes bruns courent sur les troncs tordus et se laissent choir dans l'eau noire, avec un floc lourd. Des bruits étranges, comme de petits claquements, sortent des trous d'ombre entre les arceaux des racines aériennes : c'est le mystérieux travail des holothuries creusant le sable humide aux heures où la mer se retire.
A un détour, une sorte de clairière, comme un miroir d'eau, se découvre brusquement et une bande d'aigrettes blanches s'envole dans un grand bruit d'ailes et de cris stridents.
A la nuit, je rentre à bord. C'est la pleine lune. Le gros lobe rouge monte sur la mer calme, car la mousson est tombée. Le banc de récif qui entoure l'île est maintenant en partie découvert. Très loin vers le large, on entend la mer qui gronde à son accore et la brise hésitante passe par bouffées tièdes, toute chargée d'odeurs d'algues.
De la grande île plate dont les plages blanches étincellent sous la lune, monte le bruit strident des grillons des sables qui s'éveillent à la nuit. Un faible ressac vient mourir sur la plage, à longs intervalles, comme la respiration de toutes ces choses endormies.
Et, tandis que les étoiles passent lentement au-dessus de ma tête, je songe à tout l'inconnu vers lequel je vais...
Peu à peu la marée remonte ; la lune au zénith éclaire ses fonds de corail avec une déconcertante netteté. Il est temps de partir.
Nous appareillons, d'abord à la gaffe pour sortir du récif, puis, par une jolie brise sud, nous entrons dans l'eau noire des grands fonds.
Au lever du jour, le Ras Bir profile son éperon jaune par bâbord. Nous longeons la côte dankali pour profiter des brises de terre. Enfin, la mousson se lève et nous filons grand largue vers le Bab el-Mandeb.
Vers neuf heures, Perim sort de l'eau, couchée comme un énorme batracien en travers du détroit et, plus en arrière, la montagne conique de Cheik-Saïd émerge comme une île.
Perim divise le détroit en deux passes : la grande, large de 10 milles environ, du côté de l'Afrique, vers le Ras Syan. La petite, à peine large de 2 milles, du côté de l'Arabie, vers Cheik-Saïd. C'est la grande passe que prennent les navires qui entrent ou sortent de la mer Rouge. L'autre passe, la petite, n'est pratiquée que par les barques de pêche et les zarougs des contrebandiers de tabac. C'est là que je décide de passer pour atteindre la plage de Cheik-Saïd.
On m'a bien dit que cette passe est dangereuse, à cause des forts courants qui s'y engouffrent, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre, suivant l'heure de la marée. Je ne sais pas quel en sera le sens en ce moment, mais la force du vent qui nous pousse par l'arrière, me semble suffisante pour n'avoir pas à m'en inquiéter. J'ai cependant une certaine appréhension en songeant que Bab el-Mandeb veut dire la « Porte des lamentations ».
L'entrée sud de cette passe est assez large. A droite, les hautes montagnes de Cheik-Saïd dressent leurs aiguilles volcaniques qui surgissent de la mer sans aucun littoral où le pied puisse se poser.
Les vagues roulées depuis l'Inde par la mousson viennent se briser contre ces roches noires qu'on voit par intervalles sortir des torrents d'écume, comme d'éternels suppliciés.
Le vent redouble de violence et la chevauchée des vagues semble se dresser contre le courant qui, maintenant, sort de la passe.
Trop tard pour changer de route; un vent aussi violent ne permet plus aucune manœuvre.
J'ai commis l'imprudence de laisser ma grand-voile déployée en travers de l'axe du navire sur sa lourde antenne latine. Rien à faire pour amener, avec la mer furieuse qui court avec nous. Toute perte de vitesse rendrait terribles ces vagues presque verticales, si elles nous attaquaient par l'arrière.
Mieux vaut tenter le tout pour le tout. Si le gréement tient bon, nous serons sauvés. Nous filons dans ce chaos à quelques encablures du fracas de la mer brisant sur les roches de la côte. Tout à coup, Abdi, accroupi sur l'avant, crie quelque chose que je n'entends pas, en tendant le bras dans le sens de notre route.
Je vois alors la mer toute hérissée de cônes liquides qui se dressent et s'effondrent; des vagues échevelées d'écume courent en cercle : ce sont les grands remous du courant refoulé par le vent qui forment là une sorte de tourbillon. A une demi-encablure, entre lui et la côte, je vois une zone qui semble calme, mais on distingue les torsades des courants rapides qui émergent et plongent comme d'effrayants reptiles.
Au risque d'être jeté sur les roches, je tente de gouverner vers cette zone.

Brusquement, le navire pivote, emporté par la force sous-marine. Ahmed se précipite sur l'amure pour éviter à la voile d'empanner, ce qui nous ferait instantanément chavirer. Tandis que lui et Abdi se raidissent sur le cordage, le bateau est jeté dans le tourbillon et une lame croulant sur notre arrière balaie tout sur la barque, emportant la voile qui fouette dans le vent. Un cri perce ce tumulte et une forme noire passe dans l'écume, le long du bord. C'est Ahmed; le coup de mer l'a emporté. Je jette un paquet d'amarres, qui filera à la traîne et je ne pense plus qu'à gouverner pour garder en poupe ces vagues terribles, qui courent maintenant plus vite que nous. La grand-voile, heureusement, a été arrachée. Abdi parvient à hisser un bout de toile à voile en guise de tourmentin. Cela nous permet de gouverner et de gagner sur le courant contraire. Mais nous sommes prêts à couler, le navire étant à demi rempli d'eau. Un paquet de mer de plus et nous allons par le fond !... Je me retourne et j'aperçois Ahmed cramponné au cordage qui traîne. Péniblement, il se hale dessus. Nous l'embarquons comme un poisson pris à la ligne. Sans s'attendrir sur son sort, il se met aussitôt à la manœuvre des seaux pour vider la barque.
Pendant ces courts instants, la zone dangereuse, c'est-à-dire le front d'attaque du courant, des vagues et du vent est franchie. La mer redevient normale. Nous sommes sauvés...
J'ai senti alors ce besoin de remercier la puissance occulte qui a bien voulu ne pas m'anéantir. C'est l'action de grâces qui remonte des croyances religieuses du jeune âge, ou, peut-être, l'atavisme du fétichiste qui semble être né avec la première ébauche de l'être humain. Nos marins chrétiens ont des madones cachées dans leur sac et les plus endurcis font, aux heures de péril, des vœux et des prières.
Les musulmans, eux, se résignent, sachant Allah tout-puissant et assez grand pour ne pas changer d'avis. Ce qui doit arriver est écrit et, s'il sauve ses créatures, c'est que cela lui a plu. Il n'y a donc pas à le remercier. Cependant, pour gagner un adepte à sa cause, il peut, lui aussi, faire des miracles. Je profite donc de ce petit incident et de la peur que nous éprouvons après coup, pour annoncer à mes hommes qu'au moment où le navire allait chavirer, j'ai promis de me faire musulman si je survivais. Aussitôt, une force mystérieuse nous a jetés hors du tourbillon. C'était le miracle.
C'est donc par de miraculeuses conjonctures que j'ai adopté la religion musulmane et pris le nom d'Abd el-Haï.
En sortant de cette antichambre de l'enfer, nous nous regardons, étonnés de nous retrouver vivants. Le mousse minuscule est encore là. Je ne sais où il s'est blotti pendant la courte tempête. Toutes mes provisions sont trempées. La plus précieuse de toutes pour les Somalis, le sucre, s'est enfuie sous forme de sirop; il ne reste plus qu'un sac poisseux que nous regardons d'un air consterné. Le couffin de dattes seul a survécu ; ce fruit des déserts résiste à tout. Notre baril d'eau douce est toujours plein, mais d'eau salée...
Nous sommes devant Cheik-Saïd, bien abrités de la grosse mer qui entre par la passe, mais le vent siffle par rafales dans la mâture. Le soir tombe, je ne puis songer à débarquer. Je mange quelques dattes et je m'abandonne à la béatitude d'un mouillage sûr en pensant au temps qu'il fait dehors et au sort de ceux qui y bourlinguent.
Malgré la fatigue nous veillons à tour de rôle, car la réputation de la côte est des plus mauvaises. Je n'ai pas de chaîne; je suis mouillé sur un câble en fibre de coco.
Quelques heures avant l'aube, Ahmed vient m'éveiller avec précaution. Il me montre à une encablure une forme imprécise qui ressemble à une grosse pirogue. A l'aide de mes jumelles, je distingue en effet un zaroug démâté et des hommes qui pagaient avec précaution. Couchés sur l'avant nous observons. Je pense que c'est un zaroug de pêcheurs qui se prépare à appareiller et je suis loin de partager l'anxiété de mes deux Somalis. Cependant la manœuvre est étrange. Tout à coup, Abdi me serre le bras et je vois, dans la direction de son regard, à vingt mètres devant nous, dans l'axe du navire un point noir qui s'avance silencieusement dans des cercles de phosphorescence; c'est un homme qui nage avec précaution. Je remarque alors que les remous provoqués par le courant de marée font éviter le navire, la poupe tournée vers la pointe du récif qui protège le mouillage contre le vent. Dans ces conditions, si notre amarre venait à se rompre, le courant nous jetterait en quelques minutes sur les récifs. Je comprends alors ce que cherche à faire le nageur silencieux; il va trancher notre amarre de fibre pour envoyer notre navire s'échouer, nous croyant endormis du dangereux sommeil de l'aube. Mon premier geste aurait envoyé ce visiteur par le fond, d'un coup de fusil, mais je réfléchis que pour mon expédition de demain, mieux vaut éviter les éclats. Je me dresse alors en criant : « Min anta2 ». Aussitôt l'homme plonge, ne laissant sous la lune qu'un faible remous. Il apparaît cinquante mètres plus loin, disparaît à nouveau et la nuit l'absorbe. Pas un bruit n'a révélé cette fuite sous-marine.
Quand le jour se lève, pas une barque n'est visible à l'horizon et je crois avoir rêvé.
Il s'agit maintenant de débarquer. J'ai devant moi une plage haute tombant à la mer en pente rapide. C'est comme un long talus de sable qui borde la côte. Une échancrure révèle l'entrée d'une baie et quelques huttes rondes dépassent à peine ce rempart naturel. La grosse mer qui s'engage dans le détroit, donne un fort ressac et une barre dangereuse rend le débarquement à peu près impossible en pirogue, sans être submergé. Cela m'inquiète pour mon appareil de photo que je tiens à emporter. J'ai l'idée de le placer dans une tanika. J'envoie un homme avec le précieux chargement. Il est roulé par une lame qui déferle mais je vois toujours la tanika qu'il tient au-dessus de lui. Il franchit la barre et enfin le voilà sur le sable. Je débarque à mon tour avec Abdi, laissant à bord Ahmed et le reste de l'équipage. La pirogue devra rester sur la plage pour nous permettre une retraite rapide. Je donne l'ordre à Ahmed, qui est bon tireur, de faire feu sur quiconque tenterait de l'approcher pendant notre absence.
Je suis fort simplement vêtu d'une toile autour des reins et nous partons le long de la plage, le fusil en travers des épaules, selon la mode indigène.
A quelques mètres du rivage, se trouve le tombeau du Cheik qui a donné son nom au pays : une enceinte de broussailles, toute délabrée, enclôt un cercle de pierres ; un vieux plat de terre posé au milieu porte encore un charbon où l'encens a brûlé ; un lambeau d'étoffe rouge palpite au vent et semble animer d'une vie surnaturelle ce coin de solitude. Toutes les épaves jetées par la mer ont été traînées là, en offrandes par les rares passants de cette plage déserte.

Abdi se prosterne et récite la Fatha; les rafales de vent font courir le sable sur la plage immaculée toute striée de vagues immobiles, le petit drapeau claque et jette ses éclats rouges au milieu de ces épaves blanchies qui ont oublié leur histoire.
Les dévotions terminées, nous partons à la découverte sur le haut du cordon littoral. Je vois alors la baie de Cheik-Saïd. C'est un grand bassin de quatre à cinq cents mètres de diamètre, communiquant avec la mer par une passe peu profonde et étroite. Un grand nombre de barques de pêche sont réunies dans ce petit port naturel, et quelques huttes de paille ou de joncs sont répandues alentour.
Trois indigènes viennent vers nous. Ce sont des pêcheurs. Des types splendides d'Arabes zaranigs. Ils sont vêtus d'un pagne très court, le torse et les jambes nus, la peau d'une belle couleur de cuivre et de longs cheveux noirs et bouclés tombent sur leurs épaules. D'admirables traits fins et réguliers avec des yeux noirs largement fendus. Ils pêchent à l'épervier qu'ils lancent dans le vent d'un geste gracieux. Ils prennent une espèce de poisson semblable aux « bars » appelés dans le pays « arabi ». D'un coup de dent, ils leur écrasent la tête, puis les enfilent par les yeux à l'aide d'une aiguille de bois, sur une ficelle qu'ils traînent derrière eux dans l'eau.
Je leur achète du poisson en leur donnant quelques cartouches et, accroupis sur le sable, je les fais parler de ce qui m'intéresse. Ils m'indiquent la montagne où se trouve le fort turc auquel on ne peut accéder que par un sentier de chèvre. Il y a là cent vingt hommes qui sont relevés tous les mois.
Puis, je visite les ruines de la factorerie française Roubeau, établie là en 1865 en prévision de l'ouverture de l'isthme de Suez. Ce commerçant marseillais avait acheté la concession de tout le territoire et nous eussions pu y arborer notre pavillon. Mais on ne fit rien. Roubeau fut ruiné par la guerre de 1870 ; sa factorerie abandonnée tomba en ruine et les Turcs occupèrent la montagne de Cheik-Saïd.
Une ligne télégraphique relie le fort turc à Moka. Ce fil de fer s'accroche encore à quelques poteaux restés debout, mais le plus souvent il traîne sur le sable. Cependant, il paraît que ça fonctionne.
Je prends une série de photos et je lève un petit plan sommaire pour repérer l'accès du fort.
On me parle aussi du commerce des esclaves pour lequel la baie de Cheik-Saïd est un point de débarquement à certaines époques. De même pour les armes venant de Djibouti. Les Turcs ne mettent aucune entrave à ces trafics mais par intermittence font des razzias assez fructueuses. Ils ne sont pas aimés mais seulement tolérés par les Arabes comme des parasites. Enfin, j'ai de quoi donner pas mal de précisions au gouverneur. J'estime ma mission remplie et je songe à me ravitailler un peu pour réparer la noyade de mes provisions. J'entre dans une paillote où un Arabe crasseux vend du riz, du sel et quelques denrées usuelles.
Abdi, resté au-dehors, accourt et me signale des soldats turcs descendant de la montagne.
Je laisse là mes achats et nous courons vers la pirogue. La patrouille turque dévale alors à grande allure et se dirige vers nous. Pas de doute, on l'envoie pour nous voir de plus près et nous arrêter au besoin. Nous sautons dans le houri sauveur. A bord, Ahmed a vu tout cela et s'efforce de lever l' ancre. Nous embarquons au moment où le détachement turc arrive à la plage. Les soldats semblent se concerter et ils nous font des signes probablement pour nous donner ordre de revenir à terre. Je prévois des coups de fusil. A tout hasard, je hisse notre pavillon, mais j'achève de lever l' ancre.
J'avais laissé l'antenne hissée avec la voile roulée, retenue par des brins de paille; un coup sec sur l'écoute, et elle se déploie. Bien que ce soit notre voile de tourmente, plus petite que la grand-voile, perdue à Bab el-Mandeb, nous filons rapidement, grâce à la violence du vent. Bientôt la plage de Cheik-Saïd a disparu.
Au-dehors, le temps est bien mauvais, la mousson souffle grand frais et soulève un mer très grosse. Heureusement que nous allons vent arrière.
Je suis saturé de sucre, n'ayant que des dattes à manger et rien pour cuire le pain dourah3 . Mieux vaut arriver à Moka où, sans doute j'aurai des provisions. Les nouvelles de notre équipée à Cheik-Saïd n'auront pu y arriver si toutefois elle a inquiété les Turcs.
Je file donc le long de la côte d'Arabie. Je vois défiler, de distance en distance, des bouquets de palmiers et le tapis vert clair des petits champs de dourah. Parfois, des zarougs blancs sont halés sur les plages. Ce sont les petits villages zaranigs qui s'échelonnent le long de la côte entre Doubab et Hodéidah. Plus ou moins pirates à leurs heures, ces Arabes font métier de la pêche et du poisson sec. La contrebande du tabac est aussi une de leurs nombreuses ressources, avec le passage des convois d'esclaves d'une rive à l'autre. Pour ce dernier trafic, de beaucoup plus lucratif, leurs petites barques fines et légères sont insaisissables.
Voici comment ils procèdent. Ils viennent pêcher sur la côte africaine au point convenu avec le nagadi4. Généralement, c'est entre Syan et Baheita. Une coupure du récif suffit à les abriter contre les gros vents du sud, qui balaient avec violence cette région pendant six mois, d'octobre à mars. Leur zaroug démâté, halé sur la plage, ils font tranquillement leur pêche, séchant leur poisson et vivant là dans une petite hutte improvisée, formée de leur voile étendue sur des espars. Ils ont eu soin de cacher, en l'enfouissant dans le sable, la provision d'eau et les aliments qui seront nécessaires pour ravitailler leur chargement humain. En effet, de si grosses réserves de provisions paraîtraient suspectes de gens qui vivent de poisson grillé et de coquillages. Ces précautions sont prises contre les autres pêcheurs jaloux et qui ne manqueraient pas de faire payer leur silence. Quant aux patrouilles côtières et aux bons garde-côtes, ils ne peuvent soupçonner les intentions de ce paisible bateau de pêche, pareil à tant d'autres.
Quand la caravane venant de l'intérieur est arrivée à destination, elle reste dans les montagnes, à cinq ou six heures de marche et un homme vient avertir à la côte. Elle partira dans la soirée pour être à la mer vers les neuf heures du soir. Ce jour-là, les paisibles pêcheurs sortent du sable les barils d'eau cachés, car les esclaves auront soif, et mettent la barque à flot. Au coucher du soleil, du haut d'une éminence, ils observent la mer et les environs ; si rien ne semble suspect, si aucune patrouille n'est en vue, la nuit sera propice. On allume alors un grand feu, comme pour cuire le dîner. Un autre feu répond, quelque part dans la montagne. Peu après, la troupe silencieuse sort de l'ombre. Ce sont les esclaves accompagnés de quelques askaris 5 du nagadi. Les autres sont répartis en deux postes le long de la côte pour prévenir toute surprise d'une patrouille inattendue, absolument improbable d'ailleurs. A ce moment, quiconque aurait la malchance de se présenter, serait immédiatement fusillé sans avoir le temps de se mettre en défense, car ces hommes couleur de terre, étendus la nuit dans les broussailles, sont absolument invisibles.
En quelques minutes, le troupeau, composé généralement de 25 ou 30 têtes, est embarqué. Tous ces êtres humains s'entassent au fond du zaroug et une voile est étendue sur eux. Le vent du sud qui souffle presque toujours en tempête, fait bondir la barque légère, emportée grand largue, avec tout son équipage debout sur le bord du vent, cramponné à des haubans pour équilibrer l'effort de la voile. A cette allure la mer Rouge, large en ce point de 15 milles à peine, est traversée en moins de deux heures. Quel patrouilleur pourrait jamais arraisonner ce rapide esquif qui file perdu dans la nuit, sur une mer échevelée?... Beaucoup d'esclaves, emmenés à l'intérieur de l'Arabie, ne se rappellent pas avoir vu la mer, tant cette traversée nocturne fut rapide.
Mais, laissons là les esclaves dont je reparlerai plus tard, et revenons à mon propre voyage.
Vers le soir, je vois se dresser sur l'horizon la haute colonne du phare de Moka ; puis, la bande de sable qui lui sert de base apparaît à son tour. En arrière, la ville de Moka, masse de maisons blanches d'où s'élancent des minarets délicats.
Moka ! nom glorieux dont on honore le café comme d'un titre de noblesse, je la vois donc cette ville imposante.
Je vois de hautes maisons de style arabe, à plusieurs étages, dont les façades semblent scupltées par les moucharabiehs. Cachent-ils des femmes lascives derrière leurs panneaux ouvragés ?
De grandes murailles flanquées de bastions, défendent fièrement la ville. Je continue à approcher. Alors, ces remparts laissent voir un grand nombre de brèches, ils semblent en ruine... ce sont des ruines.
Puis, les hautes maisons perdent leur grand air. Les grandes baies où mon imagination plaçait les moucharabiehs sculptés s'ouvrent béantes, comme des yeux vides. Seuls, les murs des façades sont encore debout, face à la mer, pour donner au voyageur qui passe au large, l'illusion de leur splendeur morte.
La nuit arrive et je mouille à l'abri de la presqu'île hors de la rade. Dès le matin, nous approchons le plus près possible de terre.
Nous jetons l'ancre devant un amas de ruines lamentables. C'est comme une ville fantôme, et j'attends l'apparition d'êtres fantastiques, de spectres d'un autre âge.
Mais, au contraire, de ces décombres, toute une foule d'Arabes bien vivants sort comme par magie, très à son aise au milieu des ruines.
Nous débarquons. Un Arabe très noir nous demande nos papiers. Il est ceinturé de cartouches, avec des poignards à gaine d'argent plaqués sur le ventre et le remington en travers des épaules. C'est probablement un soldat turc. Je dois le suivre chez l'Omer Bahar. A la suite de mon guide, je pénètre dans la cité morte.

Entre les murs surchauffés par le soleil de midi, nous suivons des rues tortueuses obstruées de décombres. De hautes façades à quatre étages, avec des porches en bois de teck sculpté, font penser à la vie fastueuse de l'Orient.
Au milieu de ces ruines, des familles arabes ont installé leur foyer de nomades, absolument indifférents à la désolation qui les entoure, comme si aucun souvenir des choses disparues ne mettait une âme éplorée dans chacune de ces demeures vides.
Par un mur écroulé, j'entrevois, dans un rayon de soleil qui tombe d'une brèche, une cour baignée d'ombre, toute dallée de marbre ; un reste de bassin en occupe le centre, il est à demi comblé de fumier, et des ânes de bât, couverts de plaies, méditent immobiles, là où jadis le vieux Sultan lettré contemplait ses femmes favorites, devant la vasque fraîche, aux heures chaudes de la sieste.
De grands espaces libres, bossués de décombres, d'où sortent des poutres enchevêtrées, portent seulement la trace des fondations comme si un cataclysme avait tout emporté.
Enfin mon guide - ou mon gardien - s'arrête devant une porte en planches mal jointes et me fait entrer dans une grande bâtisse très sombre. Sur ma tête, deux étages de plafonds écroulés tendent dans la pénombre leurs tronçons de poutres hors des murs. Des pigeons roucoulent dans les hauteurs de cette nef inquiétante. La porte ouverte jette une lueur oblique sur le sol jonché de gravats. Une odeur de fumier de chèvre flotte dans ce silence. Je ne vois rien. Où suis-je ?... Enfin, dans le fond, je distingue des formes humaines accroupies sur un magnifique tapis de Perse, étendu sur les dalles disjointes. C'est sans doute l'Omer Bahar et sa petite cour, car en Orient, tout homme qui se respecte ne vit qu'entouré d'une suite, ne serait-ce que de ses domestiques.
C'est un vieux dur à cuire, couleur de réglisse, la face barrée d'une énorme moustache blanche. Il fume un lointain narghilé au bout du long serpent de velours rouge dont il fait disparaître la tête d'ivoire sous sa broussailleuse moustache. Le glouglou monotone de la pipe à eau semble être un ronron satisfait de cet animal posé sur ses pieds d'argent, dressant un long cou vertical en haut duquel les braises brillent comme des yeux rouges.
Puis, le grand serpent tord ses anneaux et va de bouche en bouche.
Je salue, selon la formule d'usage, on m'offre un escabeau, et mon interrogatoire commence.
Le vieux brigand à moustache échange de courtes phrases en turc avec ses compagnons. Par je ne sais où, entrent quatre soldats en armes. Le vieux leur parle en me regardant de temps à autre. Que va-t-il m'arriver? Va-t-on m'empaler ou me mettre, bien ficelé, dans une caronade ?... Cependant, on m'offre du thé sucré comme un sirop. Cela me fait l'effet du petit verre de rhum du condamné.
Mes yeux maintenant se sont habitués à l'obscurité, et je distingue mieux les physionomies de mes interlocuteurs. Seul, le vieux a une tête intéressante de guerrier barbare. Les autres ont des faces de brutes ou, plutôt, des faces d'abrutis. Cela me rassure. Il n'y a là que des sous-ordres, qui ont voulu me voir pour se distraire, avant de m'envoyer au Wali6 qui m'attend.
Tout ébloui par le soleil, je sors de cet antre. Quatre grands diables de Turcs, probablement des esclaves, car ils sont de sang noir, m'escortent. Aucun costume bien défini, sauf les cartouchières et le fusil à répétition où ils ont mis la baïonnette. Cet équipage me donne tout à fait l'allure d'un prisonnier qu'on transfère. J'essaye de parler; ils ne savent pas l'arabe ou feignent de l'ignorer.
Autre promenade dans un dédale de rues désertes.
Je donnerais gros pour voir un de mes hommes.
Nous passons devant un petit café, c'est-à-dire qu'à l'ombre d'un pan de mur est installé un fourneau de terre où chauffe du thé ; huit ou dix vieilles caisses servent de tables et de bancs. Des Arabes nonchalants fument des narghilés en noix de coco. De leur groupe, je vois surgir Abdi; je l'invite à me suivre, quoi qu'il arrive, de loin ou de près, comme il pourra.
Mon escorte fait halte devant le portail d'une maison moins délabrée que les autres. C'est là que demeure le Wali. Nous traversons d'abord une écurie, puis nous montons un escalier de bois qui débouche sur une terrasse éclatante de blancheur sous le soleil. Une petite habitation neuve est édifiée sur cette grande plate-forme, poussée comme un champignon blanc sur le dos du vieux colosse. C'est l'appartement particulier du Wali.
C'est un jeune Turc en pyjama rose et en babouches rouges. Autour d'une petite table incrustée d'ivoire, deux autres officiers sont assis, comme lui, les jambes croisées, à la turque. Dans des tasses minuscules, ils dégustent du café qu'un esclave noir verse avec précaution. Par un sourire, d'un geste silencieux, il m'invite à prendre place, et on avance une chaise. Je n'ai garde d'en user et je m'accroupis. Autre sourire partagé par les deux officiers. On m'offre des cigarettes à bouts dorés. Les deux officiers fument avec de longs fume-cigarette, et secouent la cendre par gestes réguliers d'un air de dégoût nonchalant.
Des petits vitraux rouges et bleus colorent la lumière et jettent des éclats étranges sur les tapis et les dalles de marbre. Une odeur d'encens imprègne l'atmosphère.
Je déclare ma qualité de Français. Le Wali s'illumine d'un aimable sourire. Il prétend parler français, il en est fier, mais hélas ! il semble ne pas comprendre. Il faut en revenir à l'arabe qu'il parle moins mal.
Après un interrogatoire très long, il me demande à brûle-pourpoint :
– Vous êtes allé à Cheik-Saïd?
Je juge inutile de nier. J'explique que le mauvais temps nous a obligés d'y relâcher quelques heures.
– Je sais, je sais. Et son sourire se prolonge avec satisfaction.
J'ai l'impression que cet aimable gentleman en babouches est tout heureux de m'avoir sous sa main.
Café, recafé, cigarettes.
Il parle turc. Le temps passe.
Ma présence n'a plus de raison d'être. Je déclare avoir besoin de faire quelques provisions; je ne veux pas abuser, d'ailleurs, de son aimable hospitalité, etc.
– Rien ne presse, il fait trop chaud dehors ; vous avez le temps.
Je sens nettement que je suis virtuellement prisonnier. Je remercie et je songe à ma situation. Dans ce pays aux mœurs bizarres, je ne puis prévoir quelle sera l'issue de cette aventure. Je laisse passer une demi-heure.
Des soldats turcs entrent, prennent des ordres donnés à mi-voix, saluent, font demi-tour par principe et sortent. Je suis étonné de ces attitudes militaires si peu en harmonie avec le laisser-aller oriental.
Je remarque alors un des deux officiers extrêmement blond et le dépouillant par la pensée de ses attributs orientaux, je lui découvre un air germanique très caractérisé. Il n'a parlé que deux fois - quelques mots en turc – mais, chaque fois, le Wali l'a écouté avec attention et sa physionomie s'est, en quelque sorte, mise au garde-à-vous. Étrange.
Il faut en finir. Je me lève.
– Excusez-moi, je vais au télégraphe, j'ai besoin de câbler à Djibouti.
Mon geste porte en lui la décision de sortir coûte que coûte, et contre laquelle les sourires seront sans effet. L'officier blond et le Wali échangent un regard. Un mot bref comme un ordre, et le Wali reprend son plus aimable sourire.
– Je vais vous faire conduire, mais ensuite, je vous attends pour dîner avec moi.
L'autre officier, celui-là un vrai Turc, sort et revient presque aussitôt avec quatre hommes toujours en armes.
– Voilà votre escorte, car la ville en ce moment n'est pas sûre, me dit le Wali.
– A cause des murs qui peuvent tomber? lui dis-je.
– Non, mais il y a des troubles à l'intérieur et on ne sait jamais ce qui peut arriver. Je suis responsable de votre sécurité.
Je ne puis que remercier encore devant tant de sollicitude.

Dans une maison délabrée, peuplée au rez-de-chaussée de moutons et de chèvres, un fil de fer mal tendu arrive on ne sait d'où par un trou dans le mur. C'est la ligne télégraphique. Il ne semble pas possible que des messages sérieux puissent officiellement passer dans un appareil si peu respectable.
Une sorte d'échelle nous conduit au premier étage. J'ai la surprise d'y voir un appareil Morse fixé sur une très vieille table autrefois de toilette. Assis sur une caisse vide, un très vieil homme, assorti au décor, transcrit un message qui s'égrène nerveusement sur la bande bleue.
Un chevreau familier est couché à ses pieds et broute des papiers.
Notre arrivée ne dérange personne. Le vieux répond machinalement à mon « Salam alei Moum » sans lever la tête.
J'observe qu'il écrit de gauche à droite. J'avance un peu et je distingue qu'il écrit de l'allemand. Un soldat est accroupi dans un coin. Sans doute, il attend le message qui doit être une réponse à des questions à mon sujet. Cela m'explique le désir de me retenir. On attend les ordres du Wali de Teis. Donc, plus de doute ; il y a une sorte d'état-major allemand, puissance occulte, qui forme comme l'armature du gouvernement turc en Arabie. Je veux en avoir le cœur net.
– Peux-tu prendre un télégramme pour Cheik-Saïd? J'ai une communication à faire à l'officier européen, dis-je au vieux au moment où il terminait son travail.
Il s'arrêta brusquement de remonter le tournebroche de son Morse et me regarda avec des yeux ronds.
– Quel officier ?
– Tu sais bien qui je veux dire, puisque tu écris l'allemand; je ne veux pas le nommer devant ces hommes.
– Je ne sais pas ce que tu veux dire. Et il se remit à tourner la crécelle de son appareil, le nez sur la bande bleue, comme accablé d'une myopie subite.
– Bien, répondis-je, je donnerai cela au Wali.
L'attitude visiblement gênée de cet homme me donna la certitude qu'un officier allemand était en effet au fort de Cheik-Saïd.
– En attendant, repris-je, voici un télégramme pour Djibouti.
Le vieux me donna un papier et de quoi écrire. J'écrivis : « Gouverneur Djibouti. Suis Moka. Enverrai nouvelles si secours inutile. »
Cela voulait assez clairement dire que si je ne donnais pas de nouvelles, c'est que des difficultés ou un danger m'en auraient empêché. En tout cas, on serait sur ma trace, au moins jusqu'à ce point. Mais ce télégramme allait-il partir? Le vieux compta les mots, en avant et en arrière, il fit des calculs, consulta des registres, se gratta le dos avec sa règle. Enfin, il me tendit un petit papier en me réclamant une livre turque. Autre calcul pour convertir les thalers à un taux lucratif. Puis, regard interrogateur en attendant le bakchiche pour la fourniture du papier et de l'encre.
– Et quand vas-tu le transmettre ?
–Tout à l'heure.
– Non, fais-le tout de suite. Tiens, voilà une livre pour toi.
– Je vais essayer.
Appel au manipulateur. Réponse : on écoute. Alors, il fait mine de vouloir commencer la transmission de mon texte. Mais, au même instant, le vieux singe tourne le commutateur qui met la ligne à la terre et il lance des signaux Morse dans le silence de la petite chambre poudreuse, le plus consciencieusement du monde, pour satisfaire mes oreilles au cas où j'aurais su lire au son.
Je n'ai garde de montrer que je ne suis pas dupe de la supercherie. Je sais maintenant que mon télégramme ne sera pas transmis. Il a reçu des ordres. Cette certitude me coûte une livre et elle vaut bien cela. Le danger se précise ; il faut sortir du traquenard où je me suis jeté bêtement, avant qu'il ne soit trop tard.
Le soldat qui somnolait dans un coin part avec le télégramme en allemand. Le temps d'aller chez le Wali, de lire et de commenter les ordres reçus, tout cela me donne une bonne demi-heure. Il faut qu'avant ce temps, je sois à bord de mon boutre.
Je laisse le vieux télégraphiste me prodiguer ses bénédictions et je dégringole l'escalier, suivi par ma garde.
En passant devant le café arabe, j'entre et j'invite ma suite à s'asseoir avec moi devant une table occupée seulement par les mouches qui s'enlèvent en tourbillon. Abdi me suit toujours comme une ombre ; je l'envoie m'attendre près du houri.
Nous nous installons devant les restes poisseux des consommateurs précédents. L'arabe demi-nu qui distribue les tasses, apporte du thé au gingembre, auquel je fais ajouter des kahaka, sorte de biscuit indigène.
Mes gardes parlent arabe. Je leur demande si je pourrais trouver à acheter un mouton. Deux d'entre eux s'offrent à aller faire cet achat, escomptant me voler de quelques piastres. Je leur confie de quoi en acheter au moins deux pour les encourager par mon incompétence.
J'observe les deux autres restés avec moi, qui regrettent à part eux de manquer cette aubaine. Ils auront certes leur part, mais ils seront sûrement volés eux aussi, car on ne leur dira pas le vrai bénéfice.
– Je voudrais aussi des poulets, leur dis-je.
Un troisième part, muni d'assez d'argent pour pouvoir lui aussi faire une affaire. Le quatrième se résigne à être de corvée.
– Et toi, veux-tu que je te donne une bouteille de vin, puisque nous sommes seuls ?
Chez les Turcs, le vin est infiniment apprécié, mais défendu.
– Oui, mais il ne faut pas que les autres le sachent.
– Alors, viens avec moi. Si mon houri est sur la plage, j'enverrai un homme te chercher ça à bord.
Je ne sais pas au juste comment la chose va marcher. Mon garde a un fusil, mais osera-t-il s'en servir si je lui brûle la politesse ?
Tandis que je réfléchis, nous arrivons sur la plage, je vois une petite foule massée à la plage où j'ai laissé le houri. Que peut-il se passer ?
Abdi discute, résiste et tient tête à trois soldats arabes, qui l'invectivent. Un officier turc est là et semble sur le point d'ordonner de ficeler Abdi.
Mon arrivée fait diversion. J'arbore un bon sourire débonnaire, en demandant ce qu'il y a. C'est un officier de douane qui doit aller à bord faire la visite réglementaire. Je traduis à part moi : perquisition et rapt de mes papiers pendant que le Wali m'abreuve de savoureux café. J'arrive à temps.
– Mais cet homme est stupide, dis-je à l'officier en désignant Abdi ahuri ; excusez-le, c'est un Somali sans usages et un peu faible d'esprit. Le Wali m'envoie précisément pour vous accompagner, car j'ai sur moi les clefs de tous les coffres; la chose sera ainsi plus vite faite et j'en profiterai pour rapporter du champagne que nous boirons ce soir tous ensemble, car vous devez, m'a-t-on dit, être des nôtres ?
J'invente, mais mon air absolument naturel et la présence du garde qui, seul, prend l'allure d'un simple suivant, enlèvent à ce pseudo-douanier, tout soupçon de supercherie. Je dis « pseudo-douanier » car c'est un militaire.
Mais, que vais-je faire de ce passager : le jeter à la mer et fuir à toutes voiles ? C'est une solution, mais peu élégante. Ces Turcs, jusqu'ici, y ont mis vraiment tant de formes, que je ne veux pas être le premier à employer la manière forte.
Je remarque un gros boutre mouillé à 100 mètres de la plage ; un peu sur la gauche de la ligne droite qui, du point où nous sommes, mène à mon bateau ancré à une encablure environ plus au large. Voilà mon affaire.
Mon gardien n'ose pas s'opposer à mon embarquement à cause de l'officier qui m'accompagne.
Je fais asseoir l'officier sur l'unique banquette du milieu où j'ai eu soin de placer le turban d'Abdi en guise de coussin7 . On pousse à la mer, Abdi à l'avant, moi derrière mon passager.
J'ai heureusement sur moi un couteau. Sans perdre une minute, tout en pagayant d'une main, j'enfonce la lame dans le calfatage d'une grosse fente du bois et l'eau entre aussitôt en jet que j'aveugle légèrement du pied. L'eau monte et commence à clapoter dans le fond de la pirogue. L'officier lève les pieds pour éviter de mouiller ses souliers jaunes.
– Abdi, criai-je, où est l'écope ? (Je sais qu'il n'y en a pas.)
– Laissée à bord.
Bordée d'injures de circonstances.
– Tu ne vois pas que le houri s'est fendu pendant que tu montais dessus, alors qu'il était au sec et que, comme un imbécile, tu ne voulais pas le donner aux askaris ? Nous allons couler... Savez-vous nager, monsieur? demandai-je à l'officier.
– Oh ! oui, mais ce serait bien désagréable, à cause de ma tenue neuve qu'on m'a fait mettre aujourd'hui. Il vaut mieux retourner.
Impossible, nous n'avons plus le temps, car nous aurions le vent contre nous.
Nous sommes à ce moment à 20 mètres du boutre arabe. Je ne dis rien, mais j'en approche.
– Ah ! voilà un bateau, me crie l' officier ; vite accostez.
Je n'attendais que ça.
Il était temps, le houri allait couler. Le Turc se hisse à bord. Nous l'aidons. Il est sur le plat-bord et nous le laissons là, posé sur le ventre, les jambes au-dessus de l'eau et les bras dans la barque, ce qui est une position fort incommode quand tout appui manque soudain sous les pieds.
Vite, j'enfonce un coin du turban dans la fente. Nous nous jetons à l'eau et, en imprimant au houri un mouvement de va-et-vient, il se vide après quelques oscillations. De toute notre vigueur nous fuyons vers le Sahala. En me retournant, je vois le derrière de l'officier qui se refuse toujours à embarquer, malgré les mouvements désespérés de ses jambes, qu'il agite, comme un coureur cycliste au dernier tour. Enfin, un mousse endormi quelque part à bord émerge, éveillé sans doute par les imprécations du patient et lui donne le point d'appui nécessaire et suffisant. Il bascule et disparaît de l'autre côté du plat-bord.
Pendant cette laborieuse opération, nous avons atteint notre bateau. Ahmed, de loin, a compris la scène et l'ancre est déjà à pic.
Vingt secondes et nous filons. Mais fuir serait folie. Je n'ai que ma mauvaise petite voile de tourmente. N'importe quel boutre arabe réquisitionné par les autorités nous aura rattrapé avant que nous soyons sortis de la passe. Et puis, je veux continuer à être correct. J'ai seulement voulu sauver le costume de ce militaire en le déposant sur le boutre. Je n'ai donc aucune raison de prendre la fuite.
Je vais m'amarrer à la jetée du phare. Pendant le court instant qu'il nous a fallu pour parcourir ce demi-mille, j'ai rapidement empaqueté mes documents sur Cheik-Saïd. Mon intention est de les cacher à terre.
Mais voilà des hommes qui courent vers nous sur le petit isthme de sable qui réunit le phare à la ville, aux heures de basse mer. La moindre station à terre donnera des soupçons et on cherchera.
Je débarque donc bien ostensiblement, et, aussi rapidement que je puis le faire. Sans paraître me presser, je me dirige vers le phare. J'en suis à trente mètres ; à ce moment deux énormes chiens de berger bondissent hors d'une petite maisonnette et foncent sur moi. Je me jette à quatre pattes, ce qui les arrête net, mais ils aboient furieusement devant l'animal inédit que je suis mystérieusement devenu.
Un Européen sort, accourt, et calme les deux molosses.
– Vous avez de la chance de ne pas avoir été dévoré. Mais, comment avez-vous fait? Car ces animaux ne connaissent personne hors les gens du phare.
– Vous le voyez, je me suis mis à quatre pattes ; cela arrête net n'importe quel chien. Seulement, vous avez bien fait de venir, sinon j'aurais dû regagner mon bateau dans cette posture parce que, en se relevant, le charme cesse.
A la suite de mon libérateur, j'entre dans une jolie antichambre carrelée de ciment mosaïque. Au moment où mon guide ouvre la porte qui nous fait face, je dépose mon paquet sur un guéridon au milieu d'autres bibelots ; il aura l'air d'appartenir à la maison.
Petit salon confortable, piano, bibliothèque.
– Je vous présente Mme Cocalis, ma femme.
C'est une petite Parisienne gracieuse. Je suis ébahi.
J'explique la raison de mon mouillage au bout de la jetée et tout à fait à l'aise avec ce gentleman gardien de phare, je lui conte l'attitude du Wali.
– C'est un brave garçon, me dit-il, et presque chaque jour, il vient ici. Je l'ai connu à Constantinople. D'ailleurs, nous n'avons aucune autre relation avec la terre. Le soir, les chiens sont lâchés et nos gardes ont ordre de faire feu sur quiconque s'avancerait. Notre eau nous vient de Perim, de crainte qu'une mauvaise herbe à colique n'ait macéré dans celle qui vient de la côte. Mon prédécesseur est mort d'une manière bien étrange...
Et, tandis que M. Cocalis parle, je pense aux soldats qui couraient sur le sable. Où sont-ils? On aurait déjà dû frapper à la porte si on en avait voulu à ma personne.
Un boy entre. Derrière lui, je vois Abdi, encore tout mouillé, qui semble me chercher. Il me rend compte qu'on bouleverse tout mon bateau. Des soldats sont arrivés par la terre avec un officier. Je donne à Abdi les clefs de ma malle, pour éviter qu'on ne la brise. Il part en courant. J'y vais à mon tour d'une allure calme et ostensiblement sereine.
Devant cette tranquillité, si peu en harmonie avec l'attitude habituelle du contribuable dont on bouleverse les bagages, l'officier de service est un peu gêné.
J'ouvre ma malle où se trouvent des boîtes de plaques. J'en prends une entamée où il reste, je crois, un paquet de six plaques vierges, et, en me dissimulant mal, je fais mine de vouloir la mettre dans ma poche.
– Qu'est-ce que c'est que cette boîte ?
Je souris.
– Décidément, rien ne vous échappe, on ne peut rien vous cacher ! Ce sont des photos que j'ai prises à Cheik-Saïd, et je ne voulais pas qu'un soldat, en ouvrant par curiosité la boîte, les voilât.
– Donnez, donnez.
Et il mit la boîte dans sa poche.
A partir de ce moment la perquisition semble terminée. Il a hâte d'aller annoncer à son supérieur le succès de sa mission, dont le but était sûrement de retrouver les photos prises à Cheik-Saïd.
Il emporte aussi en bloc tous les papiers écrits qu'il a pu trouver.
Cocalis est venu, lui aussi, et regarde le bouleversement. Je le prie d'intervenir auprès de ces messieurs pour que mes papiers me soient rendus, car je veux partir le plus tôt possible.
Il parle en turc à l'officier.
– J'invite le Wali à dîner pour ce soir, et vous aurez tout cela, car j'ai dit que je vous connaissais depuis très longtemps.
Ce providentiel gardien de phare est un Hellène élevé à Paris, où il a suivi les cours de l'École Centrale. C'est un ingénieur attaché à la Compagnie Française des Phares du Bosphore, à laquelle appartiennent les phares de la mer Rouge. Il vit là, avec sa jeune femme, loin du monde, lisant beaucoup et faisant pas mal de musique. Tous les quinze jours, un vapeur les ravitaille. Le dîner est tout à fait un « dîner », avec fleurs sur la table, et des fruits, car l'Arabie des hauts plateaux est toute proche, c'est l'Arabie Heureuse, ce paradis à l'éternel printemps.
Mon souriant Wali arrive le soir avec un paquet sous le bras.
–Voici vos papiers, mais j'ai dû garder les photographies, à cause du règlement qui interdit, sous peine de prison, de prendre des vues de Cheik-Saïd. Je sais que vous ignoriez cela, aussi n'est-il pas question du moindre ennui pour vous. Excusez toutes ces mesures un peu soupçonneuses qui vous ont importuné; croyez bien que si cela n'avait dépendu que de moi, je les aurais évitées.
Et je pense au blond lieutenant dont le parler bref et rare pétrifie les vrais Turcs...
– Je ne vous en veux nullement ; c'est tout naturel. Les Anglais en font autant à Aden, où les douaniers vous enlèvent les appareils de photo, et, là, l'excuse de ne pas savoir est sans valeur, à moins qu'on ne soit anglais.
Cocalis est l'obligeance même. Aidé par le Wali, qui veut se réhabiliter, il me fait chercher en ville les provisions indispensables, et il me donne un baril d'eau distillée, exempte des fameuses herbes à colique.
A minuit, je rentre à bord et, bien que le temps ne vaille pas cher, j'appareille dans la nuit, laissant les chacals glapir dans les ruines de la ville morte.
1 Maléagrine ou huître perlière
2 Qui va là ?
3 Sorgho.
4 Conducteur de caravane.
5 Soldats abyssins.
6 Wali : gouverneur.
7 Coutume de politesse musulmane.