XXVIII
Un bruit en bas. Catherine revenait seule à la consultation de l’astrologue. Elle monta l’escalier du pas d’une intrigante, le front bas, tout à l’avenir de sa dynastie, à la gloire de ses fils et à la paix du royaume. Puis elle ouvrit la porte.
Nostradamus se tenait au fond de la pièce, le dos tourné à un grand rideau de velours. Il semblait s’être assagi et Catherine pensa qu’elle avait bien fait de le laisser un instant.
— Sa Majesté le roi me prie de l’excuser, crut-elle bon d’avancer pour preuve de sa bonne disposition.
— Ce n’est rien, Majesté. Je comprends la crainte qu’inspire parfois ma personne.
— Vous n’avez pas nié avoir prédit que j’aurai d’autres enfants sur le trône de France. Comprenez que Charles s’en effraie.
— Ce que je dis échappe à mon vouloir dès le moment où un homme peut l’entendre. Vous survivrez à tous vos fils, madame, je n’y puis plus rien. Et vous vivrez avec ce fardeau. N’est-ce pas le destin de chacun de nous que de voir mourir les autres et de devoir vivre encore ?
— Je ne vous ai jamais vu aussi sombre, maître.
— Ne croyez pas cela. Vous me voyez apaisé. Et désormais, je ne nuirai plus aux hommes de mon temps. Je resterai ici. Je ne verrai plus personne. J’ignorerai le monde comme il saura m’ignorer.
— Cesserez-vous de prédire les choses ?
— C’est impossible, Majesté. Qui pourrait cesser de penser ? Tout à l’heure, j’ai vu vos enfants et j’ai trouvé que le jeune Henri de Béarn ferait un bon roi pour notre pays. Pourquoi ? Parce que c’est un bel enfant ? Parce qu’il m’a souri ? Je ne le sais pas moi-même.
— Que dites-vous ?
— Il sera roi parce que je l’ai voulu, le temps d’un regard. Vous comprenez maintenant mon désir de me retirer du monde ?
— Que ferez-vous ?
— J’essaierai de ne plus penser à rien qui ne soit très loin. J’imaginerai des fléaux si distants qu’ils ne pourront pas blesser les hommes de mon époque.
— Pourquoi, dans ce cas, ne prédiriez-vous pas la paix, la santé ou l’amour ?
— Parce que les hommes ne m’ont pas voulu ainsi. Que puis-je y faire ? Je ne pense qu’à la mort. C’est là le fardeau que l’on m’a confié.
La reine n’était pas certaine d’avoir bien compris les propos de Nostradamus. Mais elle le craignait assez pour ne pas oser le pousser davantage. Elle se sentait déçue. Elle reviendrait une autre fois. Elle aurait aimé que cet homme partage sa peine et elle se sentait la tristesse d’une amante éconduite.
— Je dois partir, maître.
— Adieu, Madame.
Elle traîna les pieds jusqu’à la porte sans cesser de tourner entre ses doigts la pierre enchâssée qui pendait à sa ceinture. Elle hésita au moment de sortir.
— Maître ?
— Majesté.
— Vous parliez lorsque je suis entrée. Quelqu’un partagerait-il notre secret ? Nostradamus empoigna le rideau et le tira d’un coup, bien grand, comme au lever quand on cherche à la fenêtre l’énergie de vivre un jour de plus. La lumière du soleil, la chaleur de la rue envahirent soudain la pièce, chassant les ombres et les mystères.
— Ne craignez rien, Majesté, répondit-il pour la rassurer, je me parlais à moi-même.