— Mais je te dis que je ne sais pas…
Cia fixait un point loin derrière l’épaule de Patrik et ses pupilles étaient dilatées. Il se dit qu’elle devait prendre des médicaments qui contribuaient à la rendre si absente.
— Je suis consciente qu’on vous a déjà posé ces questions, et plus d’une fois, dit Paula d’une voix suppliante. Mais il faut qu’on trouve le lien entre la mort de Magnus et ce qui s’est passé aujourd’hui. C’est encore plus important maintenant que nous avons la confirmation que Magnus a été assassiné. Ça peut être un tout petit détail qui vous paraît insignifiant, mais qui pourrait nous être utile.
Ludvig arriva dans la cuisine et s’assit à côté de Cia. Il était probablement resté à écouter à la porte.
— On veut vous aider, dit-il.
Son ton était grave et l’expression dans ses yeux le faisait paraître bien plus âgé que ses treize ans.
— Comment vont Sanna et les enfants ? demanda Cia.
— Ils sont sous le choc, évidemment.
Tout au long du trajet pour Fjällbacka, Patrik et Paula avaient discuté l’éventualité de ne pas raconter à Cia ce qui était arrivé. A priori, elle n’avait pas besoin d’autres mauvaises nouvelles en ce moment. En même temps, ils étaient bien obligés de le lui dire. Elle ne tarderait pas à l’apprendre par l’intermédiaire de ses amis. Et peut-être que ces événements pourraient l’aider à se rappeler quelque chose.
— Qui peut faire une telle chose ? A des enfants…, dit-elle.
Son ton était à la fois compatissant et creux. Les médicaments l’abrutissaient, atténuaient ses émotions, ses impressions, les rendant moins douloureuses.
— On ne sait pas, dit Patrik, et il eut l’impression d’entendre l’écho de ses paroles résonner dans la cuisine.
— Et Kenneth…, dit-elle en secouant la tête.
— C’est justement pour ça qu’on doit vous poser encore toutes ces questions. Quelqu’un s’est focalisé sur Kenneth, Christian et Erik. Et vraisemblablement sur Magnus, dit Paula.
— Mais Magnus n’a jamais reçu de lettres de menace.
— Non, pas à notre connaissance. Nous pensons quand même que sa mort est liée aux menaces adressées aux autres, dit Paula.
— Et Erik et Kenneth, ils en disent quoi ? Ils ne comprennent pas que c’est grave, tout ça ? Et Christian ? L’un d’eux doit bien piger, dit Ludvig, qui avait mis un bras protecteur autour de sa mère.
— On pourrait raisonnablement le penser, dit Patrik. Mais ils affirment ne rien savoir.
— Alors comment moi, je pourrais…, commença Cia puis sa voix s’éteignit.
— Il ne s’est jamais rien passé de particulier pendant toutes ces années où vous vous êtes fréquentés ? Quelque chose qui t’aurait fait réagir ? N’importe quoi, dit Patrik.
— Non, on était comme tout le monde, je l’ai déjà dit. Magnus, Kenneth et Erik sont copains depuis l’école. Ces trois-là se voyaient depuis le début. J’ai toujours pensé que Magnus n’avait pas grand-chose en commun ni avec l’un ni avec l’autre, mais j’imagine qu’ils ont continué à se voir par habitude. Il n’y a pas tant de nouvelles têtes que ça à Fjällbacka.
— A quoi ressemblait leur relation ?
— Comment ça ?
— Toute relation possède une sorte de dynamique, où chacun tient un rôle bien déterminé. Quelle était la relation de l’un à l’autre, avant que Christian arrive dans le groupe ?
Cia réfléchit, l’air sérieux, avant de répondre :
— Erik a toujours été le leader. Celui qui décide. Kenneth était… le chien de compagnie. C’est affreux, dit comme ça, mais il a toujours obéi à Erik au doigt et à l’œil, je l’ai toujours vu comme un petit chien qui tourne autour de son maître pour mendier son attention.
— Quelle était l’attitude de Magnus vis-à-vis de ça ? demanda Patrik.
— Il trouvait Erik arrogant parfois, il est même arrivé qu’il lui reproche d’aller trop loin. Contrairement à Kenneth, Magnus savait parler franchement et Erik l’écoutait.
— Ils ne se fâchaient jamais entre eux ?
Patrik sentit que la clé se trouvait quelque part dans le passé des quatre hommes, dans leur relation interne. Simplement, tout cela semblait profondément enfoui et difficile à exhiber à la lumière du jour, et ce constat le rendait fou.
— Eh bien, je suppose qu’ils se chamaillaient un peu comme tous ceux qui se connaissent depuis longtemps. Erik peut être assez véhément. Mais Magnus était toujours calme. Je ne l’ai jamais vu s’emporter ou élever la voix. Pas une seule fois pendant toutes nos années en commun. Ludvig tient de son père.
Elle se tourna vers son fils et lui caressa la joue. Il lui fit un petit sourire, mais avec un air songeur.
— J’ai vu papa se disputer une fois. Avec Kenneth.
— Ah bon ? Quand ça ? dit Cia, tout étonnée.
— Tu te souviens de l’été où papa avait acheté la caméra et où je passais mon temps à vous filmer ?
— Oh oui, mon Dieu. Une vraie plaie. Tu es même entré aux toilettes pour filmer Elin. Je n’aurais pas donné cher de ta vie quand elle t’a attrapé.
Les yeux de Cia s’animèrent un peu, un sourire éclaira son visage. Ludvig se leva si brusquement que sa chaise faillit se renverser.
— Venez, je vais vous montrer quelque chose ! Allez au salon, j’arrive ! dit-il, et il avait déjà quitté la cuisine.
Ils l’entendirent monter l’escalier quatre à quatre, et Patrik et Paula se levèrent pour aller au salon. Cia finit par les suivre.
— Je l’ai !
Ludvig revint avec une petite cassette dans une main et une caméra vidéo dans l’autre. Il brancha un câble entre la caméra et la télévision. Les autres l’observaient en silence, et Patrik sentit son pouls s’accélérer.
— Qu’est-ce que tu vas nous montrer ? dit Cia en s’asseyant sur le canapé.
— Tu verras.
Ludvig mit la cassette et appuya sur play. Subitement le visage de Magnus envahit l’écran. Derrière eux, Cia cessa de respirer, et Ludvig se retourna, l’air préoccupé.
— Ça ira, maman ? Tu peux retourner dans la cuisine si tu ne veux pas regarder.
— Non, ça va aller, dit-elle, mais ses yeux se remplirent de larmes pendant qu’elle fixait la télé.
Magnus faisait le fou, grimaçait et parlait avec celui qui tenait la caméra.
— J’ai filmé pendant toute la soirée, c’était la Saint-Jean, tu te souviens ? dit Ludvig à voix basse, et ses yeux aussi brillaient maintenant. Regarde, c’est Erik et Louise.
On voyait Erik sortir par la porte de la terrasse et agiter la main en direction de Magnus. Louise et Cia se disaient bonjour et Louise tendait un paquet à la maîtresse de maison.
— Attendez. C’est plus loin, ce que je cherche.
Ludvig appuya sur le bouton avance rapide de la caméra, et la fête de la Saint-Jean se déroula sur un tempo de plus en plus rapide.
— Vous pensiez qu’on était au lit, dit Ludvig. Mais on s’était relevés et on vous écoutait discuter. Vous étiez complètement pétés, ça partait dans tous les sens et, nous, on trouvait ça génial.
— Ludvig ! fit Cia tout de suite.
— C’est normal, puisque vous étiez soûls, objecta son fils.
Ludvig s’était manifestement appliqué à les filmer dans cet état. Les voix s’élevaient, les rires fusaient dans le crépuscule d’été, et tout le monde semblait bien s’amuser.
Cia s’apprêtait à dire quelque chose, mais Ludvig posa son doigt sur ses lèvres.
— Chut, ça arrive.
Tout le monde fixa l’écran et le salon fut plongé dans le silence. On n’entendait plus que le brouhaha de la fête. Deux personnes se levaient, prenaient leur assiette et partaient vers la maison.
— Vous étiez cachés où ? demanda Patrik.
— Dans la cabane de jeux. C’était parfait. Je pouvais filmer par la fenêtre. Ecoutez ça.
Deux voix, un peu à l’écart des autres. Deux hommes qui semblaient un peu en colère. Patrik interrogea Ludvig du regard.
— Papa et Kenneth, précisa Ludvig sans détacher son regard de l’écran. Ils se sont éclipsés pour fumer.
— Mais ton père ne fumait pas ! dit Cia en se penchant en avant pour mieux voir.
— Il fumait en cachette, parfois, dans les fêtes. Tu ne t’en es jamais rendu compte ?
Ludvig avait mis sur pause, le temps de parler.
— Ah bon ? dit Cia, toute dépitée. Je ne l’ai jamais su.
— En tout cas, ici il s’est sauvé avec Kenneth pour fumer une clope, dit Ludvig, puis il pointa la télécommande et redémarra le film.
Deux voix de nouveau. C’était tout juste si on distinguait ce qu’elles disaient.
— Il t’arrive encore d’y penser ? faisait la voix de Magnus.
— De quoi tu parles ? bredouillait Kenneth.
— Tu sais très bien.
Magnus aussi était manifestement assez imbibé.
— Je ne veux pas en parler.
— Il faudra bien qu’on le fasse un jour ou l’autre, disait Magnus.
Il y avait quelque chose de suppliant et de nu dans sa voix qui fit se dresser les cheveux sur la tête de Patrik.
— Qui dit qu’il le faut ? Ce qui est fait est fait.
— Je ne comprends pas comment vous pouvez vivre avec ça. Merde, on devrait quand même…
La phrase disparut dans un murmure indistinct. Puis Kenneth de nouveau. Il semblait irrité. Mais pas seulement. Empli de peur aussi.
— Réfléchis, Magnus ! Ça ne sert à rien d’en parler. Pense à Cia et aux enfants. Et moi, j’ai Lisbet.
— Je sais, mais c’est plus fort que moi. Parfois, tout me revient, et alors je le sens ici, en moi…
Il faisait trop sombre pour distinguer son geste.
Ensuite, la conversation se perdait dans un murmure inaudible, puis ils allaient rejoindre le reste du groupe. Ludvig mit sur pause et figea l’image sur les dos des deux ombres.
— Ton père a vu ça ? demanda Patrik.
— Non, je l’ai gardé pour moi. En principe, c’était lui qui gérait la caméra, et comme j’avais filmé en cachette, j’ai préféré planquer la cassette dans ma chambre. J’en ai plusieurs dans mon placard.
— Et vous non plus, vous ne l’avez jamais visionnée ? demanda Paula à Cia qui fixait la télé, la bouche légèrement ouverte.
— Non, dit-elle. Non.
— Vous savez de quoi ils parlent ? dit Paula en posant sa main sur celle de Cia.
— Je… Non. Je n’en ai aucune idée.
Son regard était rivé sur les dos sombres de Magnus et Kenneth. Patrik la crut. Quel qu’ait été l’objet de leur conversation, Magnus l’avait soigneusement dissimulé à sa femme.
— Mais Kenneth, lui, le sait, dit Ludvig.
Il appuya sur stop, sortit la cassette et la remit dans son boîtier.
— Est-ce que je peux te l’emprunter ? demanda Patrik.
Ludvig hésita un instant avant de la poser dans la main tendue de Patrik.
— Vous n’allez pas la détruire ?
— Je te promets qu’on fera attention. On va te la rendre dans le même état.
— Vous allez parler avec Kenneth, alors ?
— Oui, on va lui parler.
— Mais pourquoi n’a-t-il rien dit ? demanda Cia, confondue.
— C’est la question qu’on se pose, répondit Paula. Et on va trouver la réponse.
— Merci, Ludvig, dit Patrik en brandissant la cassette. Elle pourrait bien s’avérer capitale.
— Pas de quoi. J’y ai pensé uniquement parce que vous avez demandé s’ils ne s’étaient jamais disputés.
Ludvig piqua un fard jusqu’à la racine des cheveux.
— On y va alors ? dit Patrik, et Paula se leva. Occupe-toi bien de ta maman et appelle-moi s’il y a quoi que ce soit, dit-il à voix basse à Ludvig en lui glissant sa carte dans la main.
Du perron, l’adolescent regarda longuement la voiture de police s’éloigner avant de refermer la porte.
Le temps paraissait long à l’hôpital. La télé était allumée et diffusait une sitcom américaine. L’aide-soignante était entrée pour lui demander s’il voulait qu’elle change de chaîne, mais il n’avait pas eu assez de force pour répondre et elle était repartie.
Jamais il n’aurait imaginé que la solitude le ferait autant souffrir. Le manque était tellement grand que la seule chose qu’il parvenait à faire, c’était se concentrer sur sa respiration.
Il savait qu’elle allait venir. Elle avait attendu longtemps, et maintenant il n’avait nulle part où fuir. Mais il n’avait pas peur, il l’appelait même de tous ses vœux. Cela le sauverait de l’isolement et du chagrin qui le déchiraient à présent. Il voulait rejoindre Lisbet pour pouvoir lui expliquer ce qui s’était passé. Peut-être comprendrait-elle qu’il était un autre à l’époque, que, grâce à elle, il avait changé. Il ne supportait pas l’idée qu’elle soit morte pendant qu’on déposait dans le creux de son oreille les péchés de son mari. Cela lui pesait plus que tout et le simple fait de respirer devenait un calvaire.
On frappa à la porte, et le policier, Patrik Hedström, arriva dans son champ de vision. Derrière lui entra sa petite collègue brune.
— Bonjour Kenneth. Comment ça va ?
Le policier avait l’air sérieux. Il prit deux chaises qu’il tira près du lit.
Kenneth ne répondit pas. Il continua à regarder la télé où des comédiens surjouaient leur rôle dans un décor mal installé. Patrik répéta la question et Kenneth finit par tourner son visage vers eux.
— J’ai connu mieux.
Que pouvait-il dire d’autre ? Comment décrire ce qu’il ressentait réellement, la brûlure qui le dévorait de l’intérieur, son cœur sur le point d’exploser ? Toutes les réponses ressembleraient à des clichés.
— Nos collègues sont déjà venus aujourd’hui. Gösta et Martin, dit Patrik.
Kenneth vit qu’il observait ses bandages comme s’il essayait d’imaginer la sensation produite par des centaines de tessons de verre vous transperçant la peau.
— Oui, répondit Kenneth avec indifférence.
Il n’avait pas parlé lors de leur visite, et il n’avait pas l’intention de parler maintenant non plus. Il allait seulement attendre. Attendre qu’elle vienne.
— Vous leur avez dit ignorer qui vous a tendu le piège de ce matin, dit Patrik en le dévisageant, et Kenneth soutint son regard.
— C’est exact.
Le policier s’éclaircit la gorge.
— Nous pensons que ce n’est pas exact.
Qu’avaient-ils appris ? Tout à coup, Kenneth s’affola. Il ne voulait pas qu’ils sachent, qu’ils la trouvent. Il fallait qu’elle puisse terminer le travail. C’était son seul salut. S’il payait le prix de ses actes, il pourrait tout expliquer à Lisbet.
— Je ne sais pas de quoi vous parlez.
Il détourna le regard, mais comprit qu’ils avaient vu la peur dans ses yeux. Les deux policiers réagirent, interprétant cela comme une faiblesse, une possibilité de le coincer. Ils avaient tort. Il avait tout à gagner et rien à perdre en continuant à se taire. Un instant, il pensa à Erik et à Christian. Surtout à Christian. Qui y avait été mêlé sans se rendre coupable de quoi que ce soit. Ce qui n’était pas le cas d’Erik. Mais il ne pouvait rien pour eux. Seule Lisbet comptait.
— Nous venons de chez Cia. Nous avons vu une vidéo d’une fête de la Saint-Jean.
Patrik attendait manifestement une réaction, mais Kenneth ignorait de quoi il parlait. La vie d’autrefois, avec des fêtes et des amis, lui paraissait bien loin.
— Magnus est soûl et, tous les deux, vous vous êtes éloignés pour fumer. Vous semblez tenir à ce que personne ne puisse entendre votre conversation.
Kenneth ne comprenait toujours pas ce qu’insinuait Patrik. Tout n’était que brume et brouillard. Sans contours, sans visibilité aucune.
— Ludvig, le fils de Magnus, vous a filmés à votre insu. Magnus semble hors de lui. Il veut que vous parliez de quelque chose qui s’est passé. Vous vous énervez contre lui et vous lui dites que ce qui est fait est fait. Qu’il ferait mieux de penser à sa famille. Vous vous en souvenez ?
Oui, maintenant il s’en souvenait. C’était toujours un peu flou, mais il se rappelait ce qu’il avait ressenti en voyant la panique dans les yeux de Magnus. Pourquoi le sujet était-il revenu sur le tapis ce soir-là justement ? Il n’avait jamais réussi à élucider cette question. Magnus bouillonnait d’envie de tout raconter, de se racheter. Et ça lui avait fait peur. Il avait pensé à Lisbet, à ce qu’elle allait dire, comment elle allait le regarder. Il avait finalement réussi à calmer Magnus, il se souvenait au moins de ça. Mais à partir de ce jour-là, il s’était attendu à ce que tout s’écroule. Et c’est ce qui venait de se passer, mais pas comme il l’avait imaginé. Car même dans les pires scénarios, Lisbet était en vie pour l’accabler de reproches. Une mince possibilité de se défendre avait existé. A présent, il en allait tout autrement, et il fallait que justice soit faite pour qu’il puisse s’expliquer. Il ne pouvait pas les laisser empêcher ça.
Il secoua donc la tête. Prit l’air de celui qui réfléchit.
— Non, je ne m’en souviens absolument pas.
— On peut vous faire visionner la vidéo, pour vous rafraîchir la mémoire, dit Paula.
— Bien sûr, je veux bien la regarder. Mais j’ai du mal à croire qu’il s’agisse de quelque chose d’important. Ce ne sont sans doute que des propos de fêtards alcoolisés. Magnus était souvent comme ça quand il avait bu. Théâtral et sentimental. Il faisait une montagne de la moindre petite chose.
Il voyait bien qu’ils ne le croyaient pas, ni l’un ni l’autre. Mais peu lui importait, ils ne pouvaient quand même pas lire ses pensées. En temps voulu, le secret serait dévoilé, il le savait. Ils n’abandonneraient pas avant d’avoir tout découvert. Mais d’abord il fallait qu’elle vienne et lui inflige ce qu’il méritait.
Ils restèrent encore un moment, sans parvenir toutefois à le déstabiliser avec leurs questions. Il n’avait pas l’intention de leur mâcher le boulot, Lisbet et lui passaient avant. Tant pis pour Erik et Christian.
Avant de partir, Patrik le regarda avec gentillesse.
— On voulait vous dire aussi qu’on a reçu les résultats de l’autopsie de Lisbet. Elle n’a pas été assassinée. Elle est morte de mort naturelle.
Kenneth détourna le visage. Il savait qu’ils se trompaient.
Il faillit s’endormir au volant en rentrant d’Uddevalla. Un bref instant, ses paupières se fermèrent et il passa de l’autre côté de la route.
— Qu’est-ce que tu fous ? s’écria Paula en attrapant le volant pour redresser la voiture.
Patrik sursauta, le souffle coupé.
— Putain. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Je suis mort de fatigue.
— On va directement chez toi. Et tu restes à la maison demain. Tu n’as pas l’air bien du tout, dit Paula, l’air préoccupé.
— Impossible. J’ai un tas de trucs à vérifier.
Il cilla et essaya de se concentrer sur la route.
— C’est pourtant ce qu’on va faire, trancha Paula. Arrête-toi à la station-service là-bas et passe-moi le volant. Je te ramène chez toi, après je file au commissariat chercher tout le matériel que tu veux et je te l’apporte. Je veillerai à faire envoyer la cassette pour analyse aussi. Si seulement tu promets de faire attention à toi. Tu as trop bossé ces jours-ci, et je parie que ce n’est pas facile à la maison non plus. Je sais combien c’était fatigant pour Johanna quand elle était enceinte de Leo. Tu es sûrement obligé de mettre les bouchées doubles ces temps-ci.
Patrik s’exécuta de mauvaise grâce. Il bifurqua vers la station-service de Hogstorp et descendit de la voiture. Il était tout simplement trop épuisé pour la contredire. Prendre un congé d’un jour ou même seulement quelques heures, c’était impossible, mais tout son corps réclamait un peu de répit. S’il pouvait seulement se reposer, tout en travaillant sur certains documents, il reprendrait peut-être les forces nécessaires pour continuer l’enquête.
Patrik inclina la tête contre la vitre du passager et s’endormit avant même que Paula reprenne l’autoroute. Quand il rouvrit les yeux, la voiture était garée devant sa maison. Il en sortit, encore dans les vapes.
— Va te coucher maintenant. Je serai de retour dans un petit moment. Laisse la porte ouverte, comme ça je déposerai les dossiers sans te déranger, dit Paula.
— D’accord. Merci.
Il n’eut pas la force d’en dire plus. Il ouvrit la porte et entra chez lui.
— Erica !
Pas de réponse. Il l’avait appelée sur son portable dans la matinée, en vain. Elle était peut-être chez Anna. Il prit la précaution de lui mettre un petit mot sur la commode de l’entrée, pour qu’elle ne s’alarme pas si elle entendait des bruits en arrivant. Puis il grimpa l’escalier sur des jambes raides et s’effondra sur le lit. Il s’endormit dès que sa tête toucha l’oreiller. Mais d’un sommeil superficiel et agité.
Quelque chose était en train de changer. Elle ne pouvait pas prétendre aimer sa vie telle qu’elle avait été ces dernières années, mais elle avait au moins le mérite d’être familière. Le froid, l’indifférence, les échanges de répliques pointues et bien rodées.
A présent, elle pouvait sentir le sol trembler sous ses pieds et les fissures s’élargir. Au cours de leurs dernières disputes, elle avait vu une sorte d’irrévocabilité dans le regard d’Erik. Son aversion n’avait rien de nouveau et ne la dérangeait pas en général. Mais cette fois, elle semblait de nature différente. Cela lui fit plus peur qu’elle ne l’aurait jamais imaginé. Car, au fond d’elle, elle avait toujours cru qu’ils allaient continuer à exécuter leur danse de la mort avec de plus en plus d’élégance.
Il avait réagi bizarrement quand elle avait mentionné Cecilia. D’habitude, il ne bronchait pas à l’évocation de ses maîtresses. Il faisait comme s’il n’entendait pas. Pourquoi s’était-il tant emporté ce matin ? Etait-ce un signe que Cecilia comptait vraiment pour lui ?
Louise termina son verre. Ses idées commençaient déjà à s’éparpiller. Tout allait s’enfouir dans l’agréable tiédeur molletonnée de ses membres. Elle se servit encore du vin. Regarda par la fenêtre, contempla la glace qui cernait les îles, tandis que sa main portait toute seule le verre à sa bouche.
Elle devait à tout prix savoir ce qu’il en était. Si la fissure sous ses pieds était imaginaire ou réelle. Une chose était sûre : si la danse devait prendre fin, ce ne serait pas sur une toute petite pirouette. Elle avait l’intention de virevolter en tapant des pieds et en agitant les bras jusqu’à ce qu’il ne reste que des miettes de leur mariage. Elle ne voulait pas de lui, mais cela ne signifiait pas qu’elle avait l’intention de le laisser partir.
Maja ne l’avait pas suivie sans protester quand Erica était venue la chercher chez Anna. C’était beaucoup trop sympa de jouer avec les cousins pour vouloir rentrer à la maison. Après quelques négociations, Erica avait toutefois réussi à lui enfiler sa combinaison et à l’installer dans la voiture. Elle trouvait un peu étrange que Patrik n’ait pas essayé de la joindre à nouveau, mais d’un autre côté, elle ne l’avait pas rappelé non plus. Elle n’avait pas encore inventé d’explication à son escapade. Il fallait cependant qu’elle lui en parle, pour pouvoir lui donner les dessins. Son intuition lui disait qu’ils étaient importants, que la police devait les voir. Il fallait surtout qu’ils en parlent avec Christian. Elle aurait bien aimé le faire elle-même, dès à présent, mais elle savait que son excursion à Göteborg était déjà une faute en soi. Elle ne pouvait pas agir dans le dos de Patrik encore une fois.
En s’arrêtant devant chez elle, elle vit dans le rétroviseur une voiture de police arriver. C’était sûrement Patrik, mais pourquoi ne conduisait-il pas sa propre voiture ? Elle dégagea Maja de son siège tout en observant le véhicule se garer derrière elle. Toute surprise, elle vit que c’était Paula qui était au volant.
— Salut, qu’est-ce que tu as fait de Patrik ? dit Erica.
— Il est déjà à la maison. Il était tellement fatigué que je lui ai donné l’ordre de se reposer. J’ai outrepassé ma compétence, mais toujours est-il qu’il m’a obéi.
Elle rit, mais le rire ne put chasser l’inquiétude dans ses yeux.
— Il s’est passé quelque chose ? demanda Erica.
La crainte la saisit. A sa connaissance, il n’était jamais arrivé que Patrik rentre du boulot de cette façon.
— Non, non. Simplement, je crois qu’il a franchement trop bossé ces temps-ci. Il a l’air épuisé. J’ai réussi à le persuader qu’il ne nous sert à rien s’il ne récupère pas.
— Et il a accepté ? Comme ça, sans rien dire ?
— Ben, on a fait un compromis. Il était d’accord à condition que je lui apporte les dossiers de l’enquête. Je devais les déposer dans l’entrée, mais comme tu es là, tu peux tout aussi bien les prendre, dit Paula en lui tendant un sac en papier.
— Ça ressemble plus à mon Patrik, ça.
Erica se sentit tout de suite rassurée. S’il n’arrivait pas à lâcher le boulot, c’est qu’il était encore en bonne santé.
Elle remercia Paula et porta le sac dans l’entrée, Maja sur ses talons. Erica sourit en apercevant le petit mot de Patrik sur la commode. C’est vrai qu’elle aurait eu la frousse de sa vie si elle avait entendu quelqu’un bouger à l’étage sans savoir que Patrik était là.
Maja se mit à hurler parce qu’elle n’arrivait pas à enlever ses chaussures, et Erica se dépêcha de la calmer.
— Chuut, ma puce. Papa est en train de dormir dans la chambre. Il ne faut pas le réveiller.
Maja ouvrit grands les yeux, posa un doigt sur ses lèvres et fit “Chuut” en regardant l’escalier. Erica l’aida à ôter ses chaussures et son manteau, puis Maja partit en courant retrouver ses jouets disséminés dans tout le salon.
Erica enleva sa veste et jeta un coup d’œil en haut de l’escalier. Puis elle regarda le sac que Paula lui avait confié. Elle mena une brève lutte intérieure, tout en sachant pertinemment qu’elle était perdue d’avance. Une telle tentation était tout simplement irrésistible.
Une heure plus tard, elle avait examiné tous les dossiers du sac. Et elle ne se sentait pas plus avancée. Au contraire, les questions s’accumulaient, plus nombreuses encore. Parmi les documents, il y avait de petites notes de Patrik : Quel est le lien entre les quatre ? Pourquoi Magnus est-il mort le premier ? Pourquoi était-il en colère ce matin-là ? Pourquoi a-t-il appelé pour dire qu’il serait en retard ? Pourquoi Christian a-t-il commencé à recevoir des lettres avant les autres ? Magnus en a-t-il reçu ? Sinon – pourquoi ?
Des pages et des pages de questions, et elle ne connaissait pas la réponse d’une seule, ce qui l’énervait au plus haut point. Elle en avait même quelques-unes à ajouter : Pourquoi Christian a-t-il déménagé sans laisser sa nouvelle adresse ? Qui lui a envoyé les dessins ? Qui est le petit personnage sur les dessins ? Et surtout : Pourquoi Christian est-il si discret sur son passé ?
Erica s’assura que Maja était toujours occupée avec ses jouets avant de retourner aux dossiers. La seule chose qui lui restait à explorer était une cassette audio sans étiquette. Elle se leva et alla chercher son magnétophone. Elle jeta un regard inquiet vers le premier étage avant d’appuyer doucement sur play. Elle baissa le volume autant que possible et approcha le magnétophone de son oreille.
La cassette durait vingt minutes et elle écouta, tous sens en éveil. Ce qui s’y disait ne révélait globalement rien de nouveau. Pourtant, une chose la fit se figer, et elle rembobina pour réécouter le passage.
Quand elle eut tout entendu, elle sortit doucement la cassette et la remit dans le boîtier qui alla ensuite rejoindre le reste du matériel dans le sac en papier. Après toutes ces années passées à interviewer des gens pour ses livres, elle était devenue très douée dans l’art de saisir les détails et les nuances d’une conversation. Ce qu’elle venait de détecter était important, elle en était convaincue.
Elle s’y mettrait dès le lendemain matin. Elle entendit Patrik bouger dans la chambre, et avec plus de rapidité qu’elle n’en avait déployé depuis de nombreux mois, elle remit le sac dans le vestibule, retourna sur le canapé du salon et fit mine de participer activement aux jeux de Maja.
L’obscurité s’était installée dans la maison. Il n’avait pas allumé de lampes, ça n’aurait servi à rien. Quand on est arrivé au bout du chemin, on n’a pas besoin d’éclairage.
Christian était assis à moitié nu par terre et fixait le mur. Il avait recouvert les mots qu’elle avait écrits. Il avait trouvé un pot de peinture noire et un pinceau dans la cave et avait passé trois couches sur le rouge, effaçant le verdict qu’elle avait prononcé. Pourtant, il lui semblait voir le texte aussi nettement qu’avant.
Il était barbouillé de peinture. Noire comme la poix. Il regarda sa main droite. Elle en était pleine et il l’essuya sur sa poitrine, mais le noir sembla s’étaler encore davantage.
Elle l’attendait maintenant. Il le savait depuis le début. Il avait repoussé l’échéance, s’était leurré et avait failli entraîner ses enfants dans sa chute. Le message était clair. Tu ne les mérites pas.
Il revit l’enfant sur le bras. Et la femme qu’il avait aimée. Tout à coup, il se dit qu’il aurait bien voulu savoir aimer Sanna. Il ne lui avait jamais voulu de mal. Pourtant il l’avait trompée. Pas avec d’autres femmes, comme le faisait Erik, mais de la pire façon. Car il savait que Sanna l’aimait et il lui avait toujours donné juste ce qu’il fallait pour qu’elle se raccroche à l’espoir qu’il pourrait l’aimer en retour. Alors que c’était impossible. Sa capacité à aimer avait disparu avec une robe bleue.
Les garçons, c’était différent. Ils étaient la chair de sa chair et la raison pour laquelle il devait la laisser s’emparer de lui. C’était la seule façon de les sauver, il aurait dû le comprendre avant que tout ça n’aille aussi loin. Il n’aurait pas dû se convaincre lui-même que ce n’était qu’un mauvais rêve et qu’il était en sécurité. Qu’ils étaient en sécurité.
Ça avait été une erreur de revenir ici, d’essayer de refaire sa vie. Mais il n’avait pas su résister à la tentation. L’envie avait été trop forte dès lors que la possibilité s’était présentée. Il avait cru qu’une seconde chance lui était accordée. Une chance d’avoir une famille à nouveau. Si seulement il les maintenait à distance et choisissait un être qui ne l’émouvait pas. Il s’était trompé.
Les mots sur le mur disaient la vérité. Il adorait ses fils, mais il ne les méritait pas. Il n’avait pas mérité l’autre enfant non plus, ni celle dont les lèvres avaient le goût des fraises ; ils en avaient tous les deux payé le prix. Cette fois, il veillerait à régler la note lui-même.
Christian se releva lentement et jeta un regard autour de lui dans la chambre. Un nounours malmené dans un coin. Nils l’avait eu à sa naissance, et l’aimait si passionnément que la pauvre peluche était complètement pelée. Les Action Man de Melker étaient soigneusement rangés dans une boîte. Il les bichonnait, et gare au petit frère s’il s’avisait de les toucher. Christian se sentit chanceler. Le doute commençait à s’installer, et il comprit qu’il devait partir d’ici. Il devait la retrouver avant de perdre courage.
Il entra dans sa chambre pour enfiler quelques vêtements. N’importe quoi, ça n’avait plus d’importance. Il descendit l’escalier, prit sa veste et regarda sa maison une dernière fois. Sombre et silencieuse. Il ne se donna pas la peine de fermer à clé.
Durant la courte promenade, il garda les yeux rivés au sol, pour ne voir personne, ne parler à personne. Il avait besoin de se concentrer sur ce qu’il allait faire, sur celle qu’il allait rencontrer. Ses paumes le démangeaient à nouveau, mais il parvint à les ignorer. C’était comme si son cerveau avait coupé toute communication avec son corps. Seul comptait désormais ce qu’il y avait dans sa tête, les images et les souvenirs. Il ne vivait plus dans le présent. Ne voyait que le passé, tel un film au ralenti, tandis que la neige grinçait sous ses pieds.
Une légère brise souffla quand il passa sur la jetée menant à Badholmen. Il devait avoir froid, puisqu’il tremblait, et pourtant il ne le sentait pas. L’endroit était désert. Il faisait nuit, tout était calme, personne en vue. Mais il sentait sa présence, comme il l’avait toujours sentie. C’était ici que la dette serait réglée. Il n’y avait pas d’autre endroit. Du haut du plongeoir, il l’avait vue dans l’eau, il avait su qu’elle essayait de l’attraper. A présent, il venait la rejoindre.
Après avoir dépassé le bâtiment en bois qui marquait l’entrée de la baignade, le film dans sa tête s’accéléra. Les images le frappèrent comme un couteau dans le ventre, tant la douleur était vive. Il se força à regarder plus loin, droit devant lui.
Il posa un pied sur la première marche du plongeoir et sentit le bois fléchir sous son poids. Il respirait mieux maintenant, il n’y avait pas de retour possible. Il regarda vers le haut tout en montant l’escalier. La neige rendait les marches glissantes et il se tint à la rambarde en fixant le sommet et le ciel noir. Pas d’étoiles. Il ne méritait pas d’étoiles. A mi-chemin, il sut qu’elle le suivait de près. Il ne se retourna pas pour vérifier, mais il entendit ses pas dans les siens. Le même rythme, la même souplesse. Elle était ici.
Sur la plate-forme supérieure, il glissa la main dans sa poche et sortit la corde qu’il avait emportée. La corde qui allait supporter son poids et régler la dette. Elle attendit dans l’escalier pendant qu’il préparait tout. Il déroula la corde, fit des nœuds, l’attacha à la rambarde. Un instant, il eut un doute. Le plongeoir était vieux et bancal, le bois avait subi les assauts du temps. Et s’il ne résistait pas ? Mais sa présence le rassura. Elle ne permettrait pas d’échec. Pas après avoir attendu si longtemps et nourri sa haine pendant tant d’années.
Quand il fut prêt, il se tint dos à l’escalier, le regard fixé sur les contours de la ville. Il ne se retourna que lorsqu’il la sentit juste derrière lui.
Dans ses yeux, il ne vit aucune joie. Seulement la certitude qu’enfin, après tout ce qui s’était passé, il était prêt à expier son crime. Elle était exactement aussi belle que dans ses souvenirs. Ses cheveux étaient mouillés et il s’étonna qu’ils ne gèlent pas. Mais avec elle, rien n’était jamais normal. Rien ne pouvait être normal avec une sirène.
La dernière chose qu’il vit avant de sauter le pas vers la mer fut une robe bleue qui voletait dans la brise d’été.
— Comment tu vas ? demanda Erica lorsque Patrik descendit l’escalier, les cheveux ébouriffés après sa sieste.
— Un peu fatigué encore, c’est tout, répondit Patrik, mais il était tout pâle.
— Tu es sûr ? Tu n’as pas l’air très en forme.
— Eh ben merci. Paula m’a dit la même chose. Vous seriez sympas, les filles, d’arrêter de me parler de ma mine de déterré. Ça commence à me les casser.
Il sourit, pas encore tout à fait éveillé. Il se pencha et attrapa Maja qui arrivait en courant.
— Salut ma puce. Toi au moins, dis-moi que tu trouves que j’ai l’air d’aller bien ? Que ton papa est le plus beau du monde ?
Il lui chatouilla le ventre, et elle hoqueta de rire.
— Mmm, fit-elle en hochant la tête d’un air entendu.
— Dieu soit loué, enfin quelqu’un qui a du goût.
Il se tourna vers Erica et lui posa un baiser sur la bouche. Maja prit son visage entre ses mains et fit la moue, signe qu’elle aussi voulait participer à la fête des bisous.
— Installe-toi avec elle, faites-vous des mamours, je vais sortir de quoi grignoter un peu, dit Erica en partant dans la cuisine. Au fait, Paula t’a déposé un sac avec des trucs, il est dans l’entrée, lança-t-elle en essayant de paraître aussi naturelle que possible.
— Merci !
Elle l’entendit se lever pour la rejoindre.
— Tu vas bosser ce soir ? demanda-t-elle pendant qu’elle versait de l’eau bouillante dans deux mugs avec des sachets de thé.
— Non, je crois que je vais passer une soirée calme et douillette avec ma chère et tendre épouse, me coucher tôt et rester à la maison demain matin pour dépouiller tout ça. Parfois, l’ambiance est un peu stressante au commissariat, soupira-t-il, et il vint se mettre derrière Erica pour l’entourer de ses bras. Je ne peux même plus faire le tour, murmura-t-il en enfouissant le visage dans sa nuque.
— Je crois que je vais bientôt éclater.
— Ça t’inquiète ?
— Je mentirais si je répondais non.
— On est deux, on s’en sortira ensemble, dit-il en la serrant encore plus fort.
— Je le sais. Et Anna dit la même chose. Je pense que ça ira mieux cette fois, maintenant que je connais le truc. C’est juste qu’ils sont deux.
— Deux fois plus de bonheur, sourit Patrik.
— Deux fois plus de travail, dit Erica et elle se retourna pour se caler dans ses bras.
Elle ferma les yeux et posa sa joue contre celle de Patrik. Elle avait réfléchi au meilleur moment d’évoquer son escapade à Göteborg et s’était dit qu’elle devrait le faire dès ce soir. Mais Patrik avait l’air trop fatigué, et il serait de toute façon à la maison le lendemain matin aussi. Ça pouvait attendre jusque-là. Et puis, ça lui laisserait le temps de faire ce qu’elle avait en tête depuis qu’elle avait écouté la cassette. C’était décidé. Si elle réussissait à dégager une piste qui pourrait servir l’enquête, Patrik lui en voudrait peut-être moins d’avoir encore fourré son nez dans ce qui ne la regardait pas.