Peur de la mort

l

est redevenu humain quand il me réveille en déposant un Irapide baiser sur mon front.

J'ouvre les yeux et le vois sourire au-dessus de moi.

Je gémis en mettant mes mains devant mes yeux : Nick a ouvert les stores, et des flots de lumière vive se déversent dans la chambre.

Je me suis endormie ? Vraiment ? Comment ai-je pu m'endormir ?

Le stress et les larmes, ça fatigue. Tu as piqué du nez dès que les lutins ont cessé de tout détruire au rez- de-chaussée.

Oh, dis-je en touchant ma joue, tu m'as léchée.

Il rit, se penche sur moi et darde sa langue pour lécher ma main.

Tu es éminemment léchable.

J'essaye de le frapper, il rit encore plus fort et attrape ma main.

— Ce n'est pas juste ! Une simple humaine contre un loup-garou...

D'accord...

Il embrasse chacun de mes doigts avant de lâcher ma main. Je soupire d'aise.

Puis je reprends mes esprits et m'assieds.

Et les lutins ?

Partis.

Il se relève et s'étire. Il a remis ses vêtements, et tout son corps produit des bruits de craquements, une vertèbre à la fois.

Je ne sens plus leur odeur.

J'acquiesce, comme si tout ça était parfaitement naturel alors qu'il n'en est rien - mais, après tout, je ne suis pas une experte en créatures magiques. Un grand vide se fait brusquement dans mon estomac.

Il s'est fait passer pour mon père...

Le regard de Nick s'adoucit.

Ça a dû être dur pour toi.

J'avale ma salive. Dans ma bouche, un goût atroce, comme du bois pourri et calciné.

Mais tu as été plus maligne que lui. Je suis fier de toi.

J'essaye de sourire, mais n'y arrive pas tout à fait.

Il prend ma main.

Allons voir si les téléphones remarchent, d'accord ? Et essayons de trouver quelque chose à grignoter, d'accord ?

Betty est là ?

Pas encore.

Tu penses qu'elle va bien ?

Les routes sont mauvaises, Zara. Si elle ne s'est pas métamorphosée, elle risque de mettre du temps à venir.

Si elle ne s'est pas métamorphosée...

Je répète la phrase en nouant mes doigts à ceux de Nick. Dans les lignes de sa main, une sensation agréable de sécurité...

On est en sécurité ?

Je suis avec toi, Zara. Je te promets qu'on est en sécurité.

Je voudrais le croire, mais je ne suis pas sûre de le pouvoir. Y

a-t-il vraiment quelque chose au monde qui soit sûr ?

Nous prenons notre courage à deux mains et descendons l'escalier. En bas, la vision qui s'offre à nous est cauchemardesque. Peut-être qu'un seul lutin est entré dans la maison, mais, à voir l'ampleur des dégâts, on a plutôt l'impression qu'ils s'y sont mis à une bonne centaine.

On dirait que j'ai organisé une fête. Une fête complètement dingue, dis-je en m'arrêtant au milieu des marches. Bon sang...

Betty va me tuer.

Le canapé est renversé. Le cuir blanc du fauteuil est souillé de suie. Le sol est jonché de papiers et de livres. Les coussins du canapé couverts de poussière de lutin.

Nick me prend la main pour m'aider à descendre les dernières marches.

Ça va aller. On va s'en occuper. Ça ne sera pas dur.

Il lâche ma main et va se placer d'un côté d'un canapé.

Commençons par le retourner.

Ensemble, nous remettons le canapé à l'endroit, puis le poussons contre le mur. Nick souffle sur la poussière qui recouvre ses mains.

C'est dégoûtant.

Ça aurait pu être pire. Il n'a pas lacéré les coussins, par exemple.

Ma voix sonne faux. Nick ne le remarque pas.

Tu as raison.

Nous commençons à ramasser tout ce qui traîne. Je vérifie si les lignes sont rétablies sur mon téléphone portable et sur le téléphone fixe : toujours pas de signal. Nous ouvrons la porte et la neige entre dans la maison. Les empreintes des lutins sont recouvertes depuis longtemps.

Je reprends mon souffle.

Le monde ressemble à une illustration de conte de fées, entre

Casse-Noisette et La Nuit avant Noël. La neige a transformé les arbres en silhouettes fantastiques. La Mini de Nick est entièrement drapée de blanc. Tout paraît beau, à sa place, naturel, rassurant - le contraire de la maison de Betty.

On est enneigés !

Nick renifle l'air.

C'est une grosse tempête. Elle durera sans doute tout l'après-midi et ne s'arrêtera pas avant demain matin.

Je me précipite dans le salon et tente de contacter Betty par radio. Je tombe sur Josie, qui m'annonce :

Elle est partie pour vous rejoindre il y a deux heures.

Oh ! mon Dieu.

Non, ne t'inquiète pas. Je vais essayer de l'appeler sur une autre fréquence. Aucune nouvelle du fils Dahlberg. La tempête de neige est censée durer toute la soirée et les routes sont difficiles ; ça explique le retard de Betty. Et comme le satellite aussi est en panne, c'est difficile de trouver une fréquence qui marche.

Je presse le bouton du micro.

Reçu. Ne te tue pas à la tâche, Josie !

Elle rit et son rire se détache clairement sur fond de grésillements.

Je ne suis pas encore morte, Zara. Il me reste encore un souffle de vie...

À nous aussi, dis-je en mon for intérieur. Et je reprends mon ménage dans le salon.

Nous passons une éternité à tout remettre en ordre. Au bout d'un moment, notre estomac gronde plus fort que le vent au-dehors.

Je meurs de faim, Zara. Pas toi ?

Je tapote mon ventre.

Oh, si ! Tu crois que Betty s'en sort ?

Nick me serre contre lui.

Je le crois, oui.

Il va dans la cuisine et prend quelques œufs dans le frigidaire pendant que je transporte le reste des aliments dehors, dans la neige, pour les conserver. Quand je reviens dans le salon, Nick a posé deux casseroles sur le poêle à bois et ouvert une boîte de corned-beef haché.

Du corned-beef haché ? Ça a l'air ignoble.

C'est très bon. Ça fait pousser les poils du torse.

La fourrure, tu veux dire ?

Exact.

Il découpe le couvercle métallique et le pose sur une serviette en papier avant de vider le contenu de la boîte dans la casserole.

Ça va prendre un petit peu de temps.

Avec une spatule en bois, il remue les œufs.

J'étais en train de penser qu'on allait avoir besoin d'aide pour lutter contre les lutins.

O.K. Je croyais que les loups vivaient en meute. Tu appartiens à une meute ?

Pas au sens habituel du terme.

Désolée, Nick, mais, concernant les loups-garous, j'ignore ce qui est « habituel ».

Ce n'est pas avec des loups que je cours.

Je hoche la tête. J'attends. Finalement, je coupe court :

Tu cours avec... ?

Il grimace.

Des coyotes. Mais ils ont certains gènes en commun avec les loups.

Je lutte pour ne pas sourire.

Mais tu es bien un mâle alpha, au moins ?

Bien sûr que oui !

Il grogne presque en me répondant.

Pardon, pardon ! Bref... Tu as l'intention d'appeler ta meute en renfort ? Si tu es un mâle alpha, tu es en position de leur donner des ordres, pas vrai ?

On leur demandera. Ils peuvent nous donner un coup de main en faisant diversion, en attirant l'attention des lutins...

Mais ce sont des coyotes normaux, Zara, et ils ont peur de la magie.

Il touille le hachis dans la casserole.

Non, je pensais demander de l'aide à quelqu'un d'autre.

Qui?

Il me montre du bout de sa spatule.

Tu dois rester calme, d'accord ? Parce que, quand je t'aurai expliqué mon plan, pas question que tu piques une crise d'hystérie, compris ?

Dis-moi.

Issie et Devyn.

Je bondis sur lui.

On n'a pas le droit de les mêler à ça ! Ils pourraient être blessés, et puis quoi, tu vas leur annoncer que tu es un loup-garou ? Oh, oui. Ça sera la goutte d'eau...

Ils le savent déjà. Parce que...

Le feu crépite encore. Le vent fait trembler la maison. Nick reste vigilant, aux aguets, mais rien ne se passe - il ne termine même pas sa phrase. Impatiente, je répète :

Ils le savent déjà parce que...

Il prend une profonde inspiration.

Oh ! bon sang, Nick, j'ai compris : Issie est un lapin, c'est ça ? Ça existe, des lapins-garous ?

— Ah, tu comprends vite, Zara ! s'écrie Nick avant d'éclater de rire.

Je fais la moue.

Elle serait très bien en lapin...

En effet. Mais ce n'est pas elle. C'est Devyn.

Devyn ? C'est un type très mignon et tout ce qu'il y a de normal.

Nick gratte le fond de la casserole avec sa spatule. Puis, d'une voix calme :

C'est un aigle.

Oh. Très bien. Écoute, j'ai décidé que je n'allais pas paniquer, mais je dois t'avouer une chose : je suis surprise.

Parce qu'il se déplace en fauteuil roulant ?

Non ! Parce que c'est un oiseau.