Chapitre 30
Le froid impitoyable fendait la nuit comme une la aiguisée, mais Mark le remarquait à peine. Son es| insensible à l'environnement glacial, retournait inlassablement à ce 17 juin, pendant leur lune de miel Australie. Comme la vie semblait parfaite ce jour-là.
À quelle vitesse tout avait changé !
Il entendait encore le téléphone sonner dans 1 suite ; il se revoyait décrocher et se rappelait la pan < dans la voix de Mary.
« Je dois vous voir, David. Il faut que je vous pi tout de suite.
— Où êtes-vous ?
— À Cairns. À l'hôtel Pacific International, Chambre 607. Venez immédiatement. »
Plus stupéfait qu'alarmé, il avait accepté de : rendre. Il avait laissé un message pour Laura à la réception, avait descendu l'allée poussiéreuse jusqu’à la route, hélé un taxi (le seul véhicule sur la route) : pour se rendre à Cairns.
Aujourd'hui, la moitié du globe et une vie entier séparaient de la chaleur et de la joie de sa lune de m Comment aurait-il pu savoir que ce taxi allait le rue du paradis en enfer ? Qu'il fonçait droit dans une embuscade affective sans la moindre possibilité d'en sortir vainqueur ? La douleur familière déferla en lui quand il se souvint de l'instant où il avait découvert l'abominable vérité.
« Je me fous de la morale. J'aime votre fille.
— Vous ne pouvez pas parler comme ça, David. Laura n'est pas seulement ma fille. C'est votre sœur. Réfléchissez un peu. Elle a toujours voulu des enfants, fonder une famille. Ce que vous ne pouvez pas lui donner. »
À cause de son père. Ce salaud. David était bébé à l'époque du suicide de Sinclair Baskin. Il ne conservait aucun souvenir de lui, pas même une image floue. Il avait passé une bonne partie de sa jeunesse à se demander quel genre d'homme il était, ce qui l'avait poussé à attenter à ses jours, et comment il avait pu presser la détente en abandonnant à leur sort une femme et deux jeunes enfants. A présent, peut-être le savait-il.
Sinclair Baskin. Son père. Qui avait réussi, depuis la tombe, à briser tout ce qui comptait dans la vie de son plus jeune fils.
« Je vais lui dire la vérité.
— Non ! Je vous en supplie, David ! Sinon, elle perdra un père qu'elle aime tendrement et ne me le pardonnera jamais. Vous devez penser à ce qui est le mieux pour elle.
— Que suis-je censé faire, alors ?
— Rompez. Si vous l'aimez, quittez-la. Elle souffrira au début ; elle sera anéantie. Mais vous serez surpris du pouvoir de résilience du cœur. »
David savait qu'il ne pourrait jamais s'en aller comme ça, jamais lui dire en face que son amour pour elle était mort. Son cœur aurait tellement voulu ignore l'angoissante réalité de sa situation, rester sourd à c qu'il avait entendu. Mais Mary avait raison. Tous leurs rêves de fonder un foyer se retrouvaient piétines par le mensonges du passé. Ils ne pouvaient plus reste ensemble. Avouer la vérité à Laura ne mènerait à ri et sinon à blesser son père et détruire sa famille. Il alla donc la quitter. Il n'avait pas le choix. Et tourner le de au seul élément de sa vie qui ait de l'importance pot lui.
Mais comment ?
Dans une sorte de brouillard, il avait quitté ! chambre 607 et l'hôtel. Alors qu'il errait, l'esprit e ébullition, sur l'esplanade, un plan avait commencé germer dans son esprit. Jamais il ne réussirait à prétendre qu'il ne l'aimait plus. Mieux valait lui faire croire qu'elle avait perdu son amour dans un accident tragique.
De retour à l'hôtel, il avait appelé TC. « C'est toi qu'elle contactera en premier.
— Et son père ? Et sa sœur ?
— Elle ne voudra pas les inquiéter tout de suit Pour elle tu sauras ce qu'il faut faire.
— OK. Bon, appelle ta banque dès que possible! Ensuite, planque-toi jusqu'à mon arrivée. Je m'occupe du reste. »
David Baskin était mort ce jour-là. Et Mark Seidman; était né.
Revenu au présent, Mark s'éloigna du fleuve remonta sur le quai, le visage rougi par le froid, se haleine s'échappant en bouffées glacées.
Il était temps de rentrer.
À peine entrée, Estelle tendit à Laura le sac dans lequel elle avait déposé le contenu du coffre-fort.
— La clé ouvrait le coffre de votre tante à la First National Bank d'Hamilton.
— Merci, Estelle.
— Pas de problème, chef. Avez-vous besoin de moi pour autre chose ?
Laura secoua la tête.
— A lundi. Merci encore.
— Je vous en prie. A lundi.
Laura referma la porte et retourna s'installer sur le canapé.
— Alors, qu'est-ce qu'on cherche ? s'enquit Gloria.
— Sans doute quelque chose en rapport avec Sinclair Baskin. Ce ne seront peut-être que de vieilles photos.
— Allons-y.
— Tu es sûre d'en avoir le courage ?
— Absolument.
Laura ouvrit le sac, déversa son contenu sur le canapé et commença à fouiller.
— C'est quoi, ça ? s'enquit Gloria.
— De vieux bons du Trésor. Maman en a aussi. C'est grand-mère qui les leur a laissés.
— Laura, tu ne penses tout de même pas que maman aurait pu tuer qui que ce soit ?
— Je ne sais plus. J'espère que non. Mais je n'imaginais pas non plus qu'elle ait pu avoir un amant et nous mentir à tous.
— C'est tellement dingue, cette histoire.
Bien que le journal intime fût posé à l'envers, Laura sut tout de suite ce que c'était.
— Voilà. Journal, 1960.
Gloria inspira profondément.
— C'est l'année où ils ont eu leur aventure ? Laura hocha la tête.
— Et c'est ça que le meurtrier voulait détruire dan l'incendie. Judy gardait tous ses carnets dans soi bureau. Le feu les a tous réduits en cendres.
— Sauf celui-là.
Laura saisit le vieux calepin et, en l'ouvrant, reconnu l'écriture de sa tante. Elle n'avait guère changé si trente ans ; les boucles de certaines lettres montaient ш peu plus haut ; la plume était plus légère sur le papier. Mais l'identité de la rédactrice ne faisait aucun doute Gloria se rapprocha de sa sœur.
— Vas-y, lis.
James prit une pomme dans le réfrigérateur. Sa femme était couchée en haut, toutes lumières éteintes, mais les yeux ouverts. Aucun des deux ne dormira cette nuit. Des mots avaient été prononcés qu'il aurait mieux valu taire. Des secrets dévoilés qu'il aurait et préférable de laisser dormir.
James mordit dans sa pomme. En matière de santé, il était intraitable. Biscuits, gâteaux et crèmes glacée n'avaient pas droit de cité chez lui. Les sorbets à i rigueur, parce qu'il considérait qu'ils favorisaient I digestion. Ici, les en-cas consistaient en raisins sec noix ou fruits frais. Les pommes en particulier.
La lumière de l'entrée projetait des ombres géantes dans la cuisine obscure où il était assis. James ava froid et il se sentait seul. Il avait tant œuvré pour garder une famille unie, pour la faire vivre et s'occuper d'élu Quand est-ce que tout avait commencé à dérailler ?
Sentant les larmes lui monter aux yeux, il le réprima en hâte. James Ayars ne pleurait pas. Il était fort. Et il le resterait pour sauver sa famille. Trente ans plus tôt. sa femme avait tenté de le duper. Elle avait compressé ses mensonges en une boule de neige, puis l'avait laissée dévaler la montagne et grossir d'année en année. Rien n'avait changé. Le mensonge menait toujours leurs vies. Ce soir en était le parfait exemple.
Mary. Sa femme à la beauté quasi surnaturelle avait le pouvoir de le charmer, de le séduire, de le convaincre d'ignorer ou d'oublier des actes qu'elle avait commis. Mais chaque fois qu'elle lui mentait, James le devinait. Au fond de son cœur, il avait su qu'elle le trompait trente ans plus tôt. Il ignorait avec qui, quand ou comment. Mais il savait.
Il lança le trognon dans la poubelle et se dirigea vers son bureau. Ce soir, Mary lui avait menti de nouveau. Laura aussi. Il n'avait pas interrompu une banale conversation entre mère et fille. Laura avait appris quelque chose pendant son excursion à Chicago. A son retour, elle était venue directement ici. Et elle avait harcelé sa mère jusqu'à la faire craquer.
Qu'est-ce que Mary avait révélé à Laura ?
Le moins possible, James en était sûr. Mary n'en avait pas moins ouvert la bouche. Et elle en avait dit assez pour menacer la stabilité de cette famille qu'il chérissait au-delà de tout.
Il devait agir pour consolider ce socle avant qu'il ne se disloque et que ses éléments ne se dispersent tels de minuscules grains de sable éparpillés par le vent.
Mais comment ? Que faire ?
Il était prêt à tout.
Lorsqu'il pénétra dans son cabinet de travail, ses yeux se posèrent sur son long manteau pendu à la patère de cuivre offerte par Mary à son dernier anniversaire. D. l'aimait beaucoup : elle s'accordait parfaitement à la bibliothèque en chêne verni où étaient rangés se livres de médecine, à l'antique mappemonde, au tapi persan. Son bureau avait toujours été sa pièce préféré de la maison : c'était là qu'il réfléchissait, qu'il anticipait les coups du sort et mettait au point les stratégie pour les combattre.
Il plongea la main dans la poche de son manteau e en sortit un pistolet. Pendant un moment, il contemplait l'arme, comme hypnotisé. Il traversa le bureau, éteignit la lumière et gagna la porte d'entrée sans se retourner S'il l'avait fait, peut-être aurait-il surpris sa femme dissimulée dans l'ombre.
Des heures passèrent. Combien ? Ni Laura ni Gloria n'auraient su le dire. Comme dans un dessin animé, les aiguilles de l'horloge semblaient avancer à tout vitesse. Le soleil pointa à l'horizon. Et Laura Usait toi jours. Ce journal intime avait été écrit par une Judy Simmons qu'elle n'avait jamais connue : une jeun fille pleine d'espoir, de rêves et d'un optimisme juvénile. Par moments, elle dissertait sur une fleur en bouton, un ciel d'azur ou son désir ardent de devenir romancière. Elle rêvait de vivre à Paris, de fonder une famille, de passer ses hivers à Cannes ou d'écrire de best-sellers.
Au bout du compte, Judy n'avait rien fait de tos cela. Ses rêves s'étaient perdus à jamais en chemin.
Lorsque Laura arriva au 16 février, elle compris que c'était à ce moment-là que les choses avaient commencé à basculer.
16 février 1960
Aujourd'hui, j'ai rencontré le plus beau et le pli charmant des hommes. Il est professeur à Brinlen Colege et s'appelle Sinclair Baskin. Je comprends mieux maintenant les livres qui parlent de passion débridée, d'héroïnes prêtes à tout pour rester auprès de leur amour...
Laura lisait certains passages à voix haute et en survolait d'autres. La relation entre Judy Simmons et Sinclair Baskin avait évolué rapidement. Judy avait vite appris que Sinclair était marié et père de deux enfants, mais il était déjà trop tard. Comme Judy le reconnaissait elle-même, l'amour rendait aveugle ; méchant et égoïste. Poussait à faire des choses dont on ne se serait jamais cru capable.
24 février 1960
Je l'aime. Je n'y peux rien. Les émotions ne sont pas des robinets que l'on peut ouvrir et fermer à volonté. Je connais son passé. Je sais que je ne suis pas la première. Mais je sais aussi que je compte beaucoup pour lui. Traitez-moi de naïve, mais j'en suis sûre. Je le vois à sa façon de me regarder...
Captivée par les mots de Judy, Laura se retrouva comme prisonnière de l'année 1960. Elle aurait tant voulu posséder le pouvoir de remonter le temps pour convaincre sa jeune tante de s'éloigner de Sinclair Baskin. La secouer et la ramener sur la voie de la raison.