Chapitre 27

 

L'heure de la quatrième mort avait sonné.

L'assassin jeta un coup d'œil à l'horloge du table de bord. Encore une demi-heure à attendre avant son rendez-vous avec Stan Baskin - l'ultime rendez-vous pour lui. Il aurait bientôt rejoint son père, son frère, Judy Simmons...

... et David ? Qu'en était-il de David ?

Je ne sais pas. Je ne sais plus.

Le pistolet était rangé dans la boîte à gain L'assassin n'avait pas touché à une arme depuis qu’il avait pressé le canon contre le crâne de Sinclair Bask La tête avait explosé ; le sang giclé ; des fragments d'os et de tissus avaient volé dans toutes les directions.

C'avait été simple. Tellement simple.

Il en irait de même pour Stan. C'était bien le digne fils de son père. Faire chanter l'assassin de son géniteur ! Quel genre d'ordure pouvait concevoir un plan pareil ? Imaginez : Stan Baskin voulait transformer le meurtre de son père en une entreprise lucrative. Un degré de bassesse dépassait l'entendement.

La voiture se gara à deux cents mètres de la rueIle. 20 h 10. Parfait. Encore vingt minutes pour inspecter les environs. Se familiariser avec la scène de crime avant d'agir. Juste au cas où.

La boîte à gants s'ouvrit. La main se referma sur la crosse du pistolet. Un contact plutôt rassurant, surtout dans ce quartier. Boston sud était l'endroit idéal pour commettre un crime. Les habitants y entendaient plus souvent des coups de feu qu'une cloche d'école.

Serait-ce le dernier meurtre ? Hélas, non.

Après Stan, une dernière personne devrait mourir : une dernière mauvaise herbe à extirper par la racine.

La portière de la voiture s'ouvrit. L'assassin descendit et se fondit dans l'air froid de la ruelle.

 

Stan s'installa dans la voiture et mit le contact. Un autre automobiliste attendait déjà pour récupérer sa place, denrée rare dans le quartier où habitait Gloria. Au retour, il devrait probablement se garer au parking. Vingt-cinq dollars de stationnement. Du racket pur et simple. Mais bientôt, Stan entrerait en possession de cent mille dollars. Il aurait tout l'argent désiré et n'aurait plus besoin de faire quatre fois le tour du pâté de maisons pour trouver une place.

Ne prends pas ce fric...

Cette maudite voix dans sa tête recommençait à débiter ses conneries. Bien sûr qu'il devait l'empocher. Et essayer d'en tirer le maximum.

N'y va pas, Stan. Reste à l'écart.

Il secoua la tête. D'accord, le chantage était un jeu dangereux. Très dangereux. Mais Stan s'était muni d'un cran d'arrêt, et, plus important, il avait affaire à un amateur. Rien à voir avec Mister B ou ses semblables. Sa victime était inoffensive, tel un animal pris dans les phares d'une voiture.

C'est ça, mon pote. Inoffensive. Demande donc à ' père...

En pensée, Stan retourna à ce 29 mai 1960. Il revit l'expression sur le visage meurtrier, la haine dans ses yeux glacials... Cette personne serait capable de tuer de nouveau. Ce visage pouvait paraître innocent, mais Stan avait vu la rage contenue sous la façade.

Ce n'est pas ce que tu veux, Stan. Ne tire pas du fric du meurtre de ton père...

Mais alors, il était censé faire quoi ? Oublier qu’il avait été témoin de l'assassinat ? Se venger ? Avertir police ? Se barrer ? Quoi ?

Stan fit taire les voix dans sa tête. Du fric. Beaucoup de fric. Voilà vers quoi il se dirigeait. Et tant pis pour la morale. Stan Baskin n'était pas un saint. Pas le genre à laisser filer un pactole à cause de voix imaginaires.

Il tourna à gauche pour pénétrer dans Boston sud sans prendre la peine de regarder dans son rétroviseur. S'il l'avait fait, il aurait peut-être reconnu la voiture rouge qui le suivait.

 

Gloria resta à environ cinquante mètres derrière Stan. Sa connaissance des techniques de filature se limitait à ce qu'elle avait vu à la télévision ou cinéma. Elle n'avait jamais mis les pieds non plus dans ce quartier de Boston. Mais si elle n'avait aucune idée de la destination finale de Stan, elle était sûre qu’il devait exister un chemin plus sûr que cette jungle de béton.

Espionner son amoureux n'était pas dans ses habitudes - c'était même la première fois - et elle avait peur. Mais Stan courait un danger. Chaque parcelle d'elle le lui criait. Son corps ne cessait de trembler tandis que le manque, familier et ravageur, revenait frapper à sa porte comme un vieil ami.

Allez, Gloria. Un sniff et tu seras libérée. Un petit trip n 'a jamais fait de mal à personne. Tu es capable de le contrôler à présent. Allez ! Merde, dans ce quartier, tu ne devrais pas avoir de mal à te procurer de quoi t'envoyer très haut. Il suffit d'arrêter la voiture près du parc, là-bas.

Elle sentit presque ses mains tourner le volant vers le parc. Mais elle lutta. La plupart des gens s'imaginent que la dépendance à la drogue est un mal curable. Erreur. On n'en guérit jamais. On peut se croire à l'abri pendant un jour, une semaine ou un mois, puis un problème survient dans sa vie, et on se sent seul, fragilisé. Alors, le drogué en vous refait surface. Le manque vous rappelle que la drogue est votre seule véritable amie. Toujours là quand on en a besoin. Elle ne vous déçoit pas, ne vous laisse pas tomber. Grâce à elle, on se sent bien. On oublie le reste du monde.

Voyant le feu passer à l'orange, Gloria accéléra. Pas question d'être bloquée au rouge et de le perdre. La sensation qui la tenaillait, cette impression que Stan courait un danger, s'intensifiait au fil des kilomètres. Toute la journée il lui avait paru bizarre, à cran. Quelque chose l'inquiétait. Non, plus que cela : le terrorisait.

Oh, Stan, dans quoi t'es-tu encore fourré ?

Il pouvait se montrer tellement bête, parfois. À bien des égards, il était plus fragile qu'elle. Il se croyait obliger de recourir à la tromperie et au mensonge pour se faire aimer. À ses yeux, tout n'était qu'escroquerie. Même les émotions. L'amour était un outil, un moyen de contrôler ou d'être contrôlé. Mais Stan apprenait... à faire confiance, à écouter ses sentiments. Gloria le voyait bien. Il avait fait du chemin depuis qu'il lui a ; dérobé ces cent mille dollars à la Deerfield Inn.

Oui, Gloria avait compris la petite arnaque de Su avec la complicité de Mister B. Oh, pas immédiat ment. Sur le coup, elle s'était laissé prendre par la mise en scène et avait été terrifiée. Mais, plus tard ce soir-là, elle avait retrouvé les capsules de sang au fond de la poubelle de la salle de bains et s'était aperçue que Stan n'avait pas de contusions, pas la moindre égratignure. Pas difficile d'en tirer des conclusions.

D'abord, elle avait voulu rendre coup pour coup l'éjecter de sa vie. Puis quelque chose l'en avait empêchée. Même si c'était sans doute mérité, Stan avait été rejeté par tous ceux dont il avait été proche. Alors, elle était peut-être naïve, mais elle se demandait si ce n'avait pas conditionné chez lui un réflexe autodestructeur qui lui faisait gâcher toutes ses chances de bonheur, l'une après l'autre. Quoi qu'il en soit, il avait besoin d'aide, cela, elle en était sûre.

Et aussi qu'elle l'aimait.

Aussi Gloria avait-elle décidé de ne jamais mentionner l'argent. Elle se contentait de l'aimer du mieux qu'elle pouvait. Et ça marchait. Lentement, Stan l'arnaqueur disparaissait, et le véritable Stan commençait émerger.

Elle le vit s'engager dans une voie à sens unique se garer à l'entrée d'une ruelle. Gloria resta à distance. Toute la zone ressemblait aux ruines d'un champ de bataille futuriste. Aucune lumière, pas d'autres voitures, hormis quelques épaves abandonnées. Partout des morceaux de parpaings cassés et des bouts verre. Les fenêtres des immeubles étaient condamne avec des planches pourries.

Qu'est-ce qu'il fabriquait dans un endroit pareil

Gloria vit s'ouvrir la portière du conducteur. Stan sortit et regarda des deux côtés, sans la repérer. Puis il disparut dans la ruelle. Gloria avança prudemment et s'arrêta derrière le véhicule de son compagnon. Elle s'assura que ses portières étaient bien verrouillées et attendit.

 

— Tu as fait quoi ? s'écria Mark.

— Du calme, mon vieux, répondit TC. Je voulais juste l'effrayer un peu.

— Donc, tu t'es introduit dans son appartement ?

— Écoute, Mark. Elle est allée fouiner en Australie. Elle s'est mis en tête que David a été assassiné. Elle n'a plus aucune confiance en moi. Je devais intervenir.

— Qu'est-ce qui ne va pas chez toi, TC ? D'abord, tu menaces la famille Corsel et maintenant celle de Laura ?

— J'ai fait ce que j'ai cru devoir faire.

— Eh bien, tu t'es trompé. Pourquoi tu ne m'en as pas parlé avant ?

— Parce que tu m'en aurais empêché.

— Tu m'étonnes ! Bon, qu'as-tu inventé exactement pour lui faire peur, à part allumer le magnétoscope ?

— J'ai laissé un message de menace, répondit TC. Et la bague de David.

— Quelle bague ?

— L'anneau du championnat qu'il portait quand il s'est noyé. Je l'ai mise sous son oreiller.

— T'es dingue ou quoi ?

— Essaie de comprendre. Je voulais la convaincre que les assassins de David n'étaient pas des plaisantins. Mais l'intimider n'aurait pas suffi. En revanche, si je menaçais de m'en prendre à sa famille, il y avait des chances qu'elle fasse machine arrière. La bague a servi d'électrochoc. Pour la déstabiliser le temps de regagner sa confiance...

Mark ne contrôlait plus sa rage. Il attrapa TC par cole de sa chemise et le plaqua contre le mur.

— Espèce de salaud !

— Tout doux, Mark.

— On parle de Laura, là, pas d'un dealer de drogue que tu peux malmener à ta guise !

— J'essayais de la protéger... et de te protéger, toi.

Mark se cramponna encore un instant puis lâcha prise. Il fit volte-face et saisit son manteau.

— Où tu vas ? s'écria TC.

Sans répondre, Mark sortit en trombe et disparut dans la nuit hivernale.

 

Stan consulta sa montre, frissonnant dans le froid mordant des petites heures du jour. L'assassin avait déjà cinq minutes de retard. Le vent s'engouffrait dans l'étroite ruelle comme dans un tunnel, insupportablement coupant. Stan fit les cent pas pour se tenir chaud.

Les odeurs nauséabondes d'ordures et d'urine le firent grimacer. Saleté. Crasse. Rebuts. Derrière lui, un ivrogne évanoui, ou peut-être bien mort, disparaissait sous un tas de loques. Pas le genre d'endroit où il imaginait traîner l'assassin de son père. Non, cette personne était habituée à un décor plus distingué, un environnement plus fréquentable. C'était Stan qui avait passé la plus grande partie de sa vie dans le misère. Plongeant la main dans sa poche, il palpa son cran d'arrêt. Il avait l'avantage du terrain.

Nouveau coup d'œil à sa montre : dix minutes retard. Quand il cessa ses déambulations, le froid mordit la peau. Inutile de nier : il avait la trouille.

— Bonsoir, Stan.

Il fit volte-face.

— Bonsoir.

— Pardon d'être en retard.

— Pas de problème.

Non, mais écoutez ça. Échanger des politesses avec l'assassin de son père.

— Vous avez le fric ?

Ne le prends pas, Stan. Va-t'en.

L'assassin brandit un sac d'une compagnie aérienne.

— Tout est là.

Stan sentait que l'assassin de son père tremblait de peur. Ses yeux scrutaient nerveusement la ruelle - des yeux de biche effrayée.

— Pas trop votre genre de quartier ? demanda-t-il.

— Pas vraiment.

Stan sourit. Il sentait sa propre peur se dissiper en voyant croître celle de l'assassin.

— J'ai l'impression que vous transpirez sous ce beau manteau. Allez, donnez-moi l'argent.

L'autre posa le sac par terre.

— J'ai dit : donnez-le-moi.

— Il est là. Venez le chercher.

— Donnez-le-moi tout de suite.

Lentement, l'assassin reprit le sac et s'avança. Stan recouvrait son assurance, éprouvant une étrange satisfaction à aboyer des ordres.

— Bon, passez-le-moi.

L'autre obtempéra, puis se recula dès que Stan eut le sac en main.

— Il s'agit du premier versement.

— Quoi ? Au téléphone vous m'avez dit...

— Peu importe ce que j'ai dit au téléphone. Je veux dix mille supplémentaires la semaine prochaine. Compris ?

— Je ne peux pas continuer à vous donner du liquide. Quand cela va-t-il cesser ?

— Quand je l'aurai décidé.

— Mais...

La rage de Stan s'afflua.

— Vous avez tué mon père !

— C'était un accident.

— Un accident ? J'étais là. Vous lui avez tiré une balle dans la tête. Vous m'avez volé mon enfance.

— Je ne voulais pas.

— C'est des conneries !

Sans réfléchir, Stan s'avança.

— Vous l'avez traité de salaud avant de tirer.

— Vous ignorez ce qu'il m'a fait.

— Je m'en fous.

A mesure que Stan approchait, le visage de l'assassin blêmissait. Ses yeux affolés cherchaient une issue.

— Vous avez votre argent. Maintenant, laissez moi partir.

— J'en veux pas, de votre fric ! hurla Stan.

L'assassin recula et se retrouva dos au mur.

— Vous ne pouvez pas fuir, dit Stan. Et personne vous entendra crier.

— Laissez-moi tranquille, je vous en prie. Je paierais tout ce que vous voudrez. Tout.

— Inutile. L'argent ne ramènera pas mon père. L'argent ne me rendra pas mon enfance.

— Vous ne comprenez pas.

— La ferme, beugla Stan.

La rage faisait jaillir des larmes de ses yeux. Quand avait-il pleuré pour la dernière fois ? Impossible à dire. Mais ça lui faisait du bien. Pour première fois de sa vie, peut-être, il se sentait dans le vrai. Gloria, Boston, plus d'alcool, plus de jeu.

— Quelqu'un doit venger la mort de mon père. Et quelqu'un doit payer pour ce qui nous est arrivé. A lui et à moi.

— Non, attendez...

— Il a cru pouvoir vous ignorer, poursuivit Stan, fouillant dans sa poche. Il vous a pris pour quelqu'un d'inoffensif.

Alors que Stan avançait d'un pas, une main émergea du long manteau.

— Et il a payé pour son erreur. Comme vous.

Le coup de feu partit. La balle troua l'air de la nuit.

 

Richard révéla tout à Naomi. Assise à la table de la cuisine, elle buvait un café dans la tasse ornée d'un maladroit « Super-Maman » que Peter lui avait peinte à l'école. La même année, Richard avait eu droit à « Super-Papa » de la part de Roger. Naomi ne prononça pas un mot pendant que son mari vidait son sac, sans omettre le moindre détail, du premier coup de fil de David Baskin jusqu'aux visites de Laura, en passant par les menaces proférées par le dingue.

L'expression de Naomi ne trahissait aucune émotion. Jeune femme petite et menue, aux cheveux bruns bouclés, son sourire éclatant et amical avait le don de désamorcer toute hostilité. Elle resta assise là, très calme, à siroter son café. Étonnamment, les jumeaux étaient allés se coucher une demi-heure plus tôt, sans la pantomime habituelle. Un vrai miracle. Ils disputaient un match de foot le lendemain, et le coach Duckson leur avait affirmé que le sommeil améliorait les performances. Aussi Roger et Peter étaient-ils passés devant leurs parents stupéfaits pour aller se coucher sans même en avoir été priés. Sans leurs jeux, la maison était étrangement silencieuse. Le moindre son résonnait, amplifié, dans l'atmosphère immobile.

— Qu'en penses-tu ? s'enquit Richard quand il eu achevé son récit. Dois-je prévenir Laura Baskin ou me taire ?

Naomi se leva pour aller se resservir un café. Deux après le dîner... pas raisonnable. Mais elle pressentait qu'il lui faudrait veiller une bonne partie de la nuit.

— C'est pour ça que tu étais bizarre, ces demiers temps ?

Richard hocha la tête.

— Pourquoi tu ne m'en as pas parlé plus tôt ?

— Je ne sais pas. J'espérais que le problème allait se résoudre de lui-même.

— Comme par enchantement ?

Il haussa les épaules.

— Je n'ai pas dit que c'était un espoir réaliste. Bon qu'est-ce que je dois faire, à ton avis ?

— Tu es un homme bien, Richard.

— Ah?

— Tu es un bon père, un bon mari, un bon professionnel, un bon fils.

— Et alors ?

— J'ai épousé un homme bien, c'est tout. La plupart des gens se fichent pas mal des problèmes des autres. La plupart des gens auraient tout oublié depuis longtemps. Mais pas toi, Richard. Cette histoire te mine pas vrai ?

Il hésita, avant d'admettre qu'elle avait raison.

— D'après moi, reprit Naomi, tu n'as pas le choix. Bien sûr, je préférerais que tu oublies tout ça. Moi, j'en serais sans doute capable. Mais pas toi, Richard. Tu n'es pas fait pareil. Tu vas t'en rendre malade, et je n'ai pas envie d'avoir un mari malade. Alors, voici ce que je te propose. Jusqu'à ce que cette affaire se tasse, tu conduiras les jumeaux à l'école le matin et j'irai les chercher l'après-midi. On limitera un peu leurs activités extra-scolaires. On ne vivra pas dans la terreur, mais on sera plus vigilants pendant quelque temps.

Sans rien dire, Richard glissa la main pardessus la table. Naomi la saisit. Même si elle semblait maîtresse d'elle-même, Richard savait que, à l'intérieur, un volcan de douleur venait d'entrer en éruption. Elle accentua sa pression sur la main de son mari. Levant les yeux, il vit qu'elle pleurait.

 

Gloria ajusta les rétroviseurs de manière à couvrir tout le périmètre, au cas où quelqu'un essaierait d'approcher par surprise. Son regard passait de l'un à l'autre. Personne ne venait. Personne ne s'aventurait dans cette rue.

Que ce soit le fruit de son imagination ou pas, elle se sentait observée.

Frissonnante, elle voulut monter le chauffage et s'aperçut qu'il était déjà au maximum. Il n'y avait aucun bruit, à l'exception de coups de klaxon et de crissements de pneus dans les rues adjacentes.

Qu'est-ce que Stan fichait ici ? Dans quoi s'était-il fourré, cette fois ? Les gens comme lui attiraient les ennuis. Le suivaient de près, lui tapaient sur l'épaule chaque fois qu'il voulait accélérer pour leur échapper.

Sois prudent, Stan. Je t'en prie, fais attention...

Un coup de feu déchira le silence de la nuit.

Oh, mon Dieu, non, par pitié...

Sans se soucier de sa propre sécurité, Gloria se précipita hors de sa voiture et fonça vers l'entrée de la ruelle, manquant trébucher sur le trottoir inégal.

Stan ! Mon Dieu, faites qu'il ne lui soit rien arriver.

Mais le mugissement du vent parut se moquer de sa prière. Elle tourna au coin d'un mur et perdit une chaussure, sans pour autant ralentir sa course, continuant de s'enfoncer dans la ruelle sombre jusqu'à... ... jusqu'à ce qu'elle le trouve.

— Stan !

Des bruits de pas résonnèrent, tandis que quelqu’un disparaissait à l'autre bout, mais Gloria n'entendit rien. Ses oreilles bourdonnaient. Ses yeux étaient écarquiller d'horreur.

Elle se laissa tomber à genoux à côté de Stan, étendu par terre. La balle lui avait traversé la poitrine et le sang dégoulinait de sa chemise. D'une main sans force, il essayait de contenir l'hémorragie, en vain. Il respirait encore, il était conscient, mais la vie s'échappait de lui à vue d'œil.

Gloria sentit l'impuissance la submerger. Pas une cabine téléphonique à proximité ; quant à emmener Stan jusqu'à la voiture, c'était impossible. Elle retira son manteau et le pressa contre la blessure, les joues inondées de larmes.

— Je reviens tout de suite, dit-elle. Je vais chercher de l'aide.

Stan parvint à lever les yeux vers elle. Le délire s'emparait de lui petit à petit. Il allait mourir. Il était fini, terminé. Il ne souffrait plus, mais sentait son âme se détacher de son corps. Il avait l'impression qu'on le tirait, qu'on l'emportait loin de cette ruelle froide.

Il distinguait les yeux inquiets de Gloria. Encore une femme qui le regardait avec pitié. Les nanas avaient été le fléau de sa courte et misérable vie. Elles l'avait humilié, trompé, haï. Elles lui avaient lacéré l'âme, laissant des plaies et des cicatrices que la mort guérit peut-être. Alors que Gloria se penchait sur lui, il lui était donné de prendre sa revanche avant de mourir. Il avait la possibilité de détruire une dernière femme. Il lui suffisait de lui dire qu'il ne l'avait jamais aimée, qu'il s'était servi d'elle, qu'elle n'était qu'une pute sans valeur, comme les autres.

Au moment où elle se redressait, il réussit à tendre la main pour attraper la sienne.

— Gloria ?

— Je suis là.

La mort, lentement, s'approchait. Les yeux de Stan se révulsèrent avant de se fermer.

— Je t'aime, murmura-t-il.

Sans un adieu
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