Chapitre 3

 

Gloria Ayars referma sa mallette, éteignit la lumière et s'engagea dans le couloir désert. Les autres employés étaient rentrés chez eux depuis longtemps. Ils avaient rempli leur mission. Pas elle.

Gloria jeta un œil à sa montre. Vingt-trois heures douze.

— Bonne nuit, mademoiselle Ayars, lui lança le gardien.

— Bonne nuit, Frank.

— Vous en faites, des heures sup, hein ? Elle lui adressa un sourire éclatant.

— Il faut bien.

Elle se dirigea vers sa voiture, un petit sourire aux lèvres. Incroyable que Laura lui ait confié la direction de Svengali en son absence. Sur le coup, elle-même en avait été sidérée. Maintenant, elle savait que sa sœur avait eu raison de lui faire confiance.

Les hommes dans la rue se retournaient sur elle. Gloria avait l'habitude. Elle n'était pas aussi belle que sa cadette, mais il y avait chez elle une candeur, une innocence, qui, ajoutées à son corps tout en courbes voluptueuses, en faisaient une bombe à la Marilyn.

Elle monta dans la voiture, ajusta le rétroviseur, regarda son reflet dans la glace et sourit. Était-ce bien la même Gloria Ayars qui, il n'y avait pas si longtemps, se piquait, sniffait de la coke, couchait avec qui voulait et était à deux doigts de tourner dans des films X ?

Pour la millionième fois, elle remercia mentalement Laura de l'avoir sauvée. Sans sa jeune sœur, elle serait probablement morte à l'heure qu'il était. Morte ou bien pire. Gloria tourna dans l'allée, se gara à côté de la voiture de son père et sortit de sa poche la clé de la maison.

Il fut un temps où elle n'aurait pas été la bienvenue ici. Un temps où son père aurait piqué une colère à la simple mention de son nom, où on lui aurait interdit l'accès de la maison de son enfance.

Et elle ne l'aurait pas volé.

Gloria posa sa mallette dans l'entrée obscure, ôta son manteau et les rangea dans la penderie.

— Papa ?

Pas de réponse. Elle alla dans son bureau. Il ne se couchait jamais avant minuit et, sa femme étant à Los Angeles, il travaillait encore plus tard que de coutume.

La lueur de sa lampe de bureau filtrait par la porte entrouverte. Gloria regarda à l'intérieur. Personne.

— Papa ?

Il avait dû monter. Elle gravit l'escalier et s'arrêta net.

Qu'est-ce qui... ?

Il y avait de la lumière dans F ancienne chambre de Laura. Une chambre où personne ne pénétrait... sauf Laura lors de ses visites occasionnelles, et la femme de ménage. Gloria s'approcha à pas de loup et risqua un coup d'œil.

Son sang se glaça dans ses veines.

Assis sur le lit de Laura, son père lui tournait le dos, la tête dans les mains, posture même de la détresse. Ce fut un choc pour Gloria. Jamais elle ne l'avait vu aussi petit, aussi fragile.

— Papa ? souffla-t-elle.

Il se redressa. Elle l'entendit renifler. Il ne s'était toujours pas retourné.

— Gloria, je... je suis content que tu sois là. Content qu'elle soit là. Il n'y a pas si longtemps elle aurait donné n'importe quoi pour entendre ces mots-là dans sa bouche.

— Ça ne va pas ? demanda-t-elle.

James Ayars ne répondit pas tout de suite. Ses épaules se soulevaient au rythme de sa respiration.

— J'ai une mauvaise nouvelle.

Gloria en avait connu, des horreurs, au cours de ses trente ans d'existence. Une fois, lors d'un mauvais bip sous acide sur la côte Ouest, elle avait failli sauter par la fenêtre du dixième étage. Et puis, il y avait eu la fois où...

« Maman ! Maman !

Gloria, sors d'ici ! Sors d'ici tout de suite ! » Elle était toute petite, alors. Elle se rappelait la terreur et...

Le sang. Tout ce sang.

... ce qu'elle voyait dans ses rêves.

— Que se passe-t-il ?

— Laura vient d'appeler, commença son père lentement, comme si chaque mot qu'il prononçait lui arrachait un peu de ses dernières forces. David est mort. Il a été surpris par un courant et s'est noyé.

Une vague de désespoir submergea Gloria. Ce n'était pas possible. Non, pas David ! L'unique homme que sa sœur ait jamais aimé, le seul aussi à avoir traité Gloria comme un être humain, son seul véritable ami.

Les jambes flageolantes, elle se précipita vers son père. Ses larmes jaillirent.

Ce n'était tout simplement pas possible.

TC était assis dans l'avion à côté de Laura. Elle avait à peine desserré les dents depuis qu'il lui avait appris la nouvelle. Et n'avait posé qu'une question : — Quand puis-je voir le corps ?

La question que TC redoutait le plus.

— Ce n'est pas utile, avait-il répondu avec douceur.

— Mais je veux...

— Non, Laura.

Il avait rapidement réglé tous les détails. David n'avait pas de famille proche, à l'exception de Stan, son vaurien de frère que personne n'avait revu depuis dix ans et qui ne manquerait pas de se réjouir de la disparition de son cadet. Pas la peine de le prévenir, celui-là. TC avait également pris ses dispositions pour éviter à Laura de se faire harceler par la presse. Le mieux serait de la cacher quelque temps chez Serita, même s'il savait par expérience qu'on ne pourrait indéfiniment tenir les médias à distance.

Il se tourna vers elle, se creusant les méninges, cherchant désespérément un moyen de lui offrir un peu de réconfort. Des yeux, il suivait ses moindres gestes comme s'ils pouvaient l'éclairer sur la meilleure attitude à adopter. Peine perdue.

Bon sang, David, comment as-tu pu lui faire ça ? Comment as-tu pu ?

Il devinait les pensées qui devaient germer, derrière l'hébétude de Laura. Car il était l'un des rares à connaître la vérité sur David et le mal qui l'affectait. Il avait été aux premières loges pour assister à ses ravages. A ce fléau qui avait failli tuer son meilleur ami.

Dieu merci, Laura avait réussi à exorciser le démon qui avait tourmenté David Baskin une bonne partie de son existence. Mais ils étaient hantés par la crainte que ce démon ne revienne un jour. Était-il mort pour de bon ou, tel un avatar de Godzilla, se cachait-il quelque part pour reprendre des forces en attendant de frapper à nouveau ?

À tous les coups, Laura devait se demander si le monstre n'avait pas paralysé David, en butte à une souffrance intolérable, tandis qu'il se débattait contre le courant trompeur. Si elle avait été là, n'aurait-elle pas pu le protéger de l'ennemi implacable qui l'habitait ?

TC posa brièvement sa main sur la sienne. Il aurait voulu lui dire de cesser de se torturer. David n'avait pas eu de nouvelle crise. Et la présence de Laura n'y aurait rien changé.

Mais évidemment, elle ne l'aurait pas cru sur parole. Elle aurait cherché à comprendre pourquoi il en savait tant sur la noyade de David.

Et cela, bien entendu, il ne pourrait jamais le lui dire.

 

Le Dr James Ayars songea sérieusement à annuler ses consultations de la journée, chose qui ne lui était jamais arrivée en plus de vingt ans d'exercice. Il mettait un point d'honneur à être toujours ponctuel. Du lundi au vendredi - à l'exception de ses trois semaines de congé annuel -, il commençait à 7 h 30 par une tournée à l'hôpital, suivie de rendez-vous, dont le dernier fixé à 16 h 30. Après une rapide visite à ses patients, il regagnait son domicile dans la banlieue de Boston.

Cette routine avait connu peu d'écarts depuis le début de sa carrière, mais le coup de fil de Laura l'avait laissé tellement triste et désemparé que, malgré toute sa discipline, il envisagea un instant de ne pas aller travailler.

Pour finir, il décida que rester chez lui ne servirait à rien, sinon à broyer du noir, et qu'il avait surtout besoin de penser à autre chose. Il appela la psychiatre de Gloria - même si elle allait beaucoup mieux, la jeune femme devait être suivie - pour la mettre au courant de ce qui était arrivé. La psy répondit qu'elle voulait la voir le plus vite possible.

James Ayars repoussa sa chaise. Des patients attendaient. M. Cambell chambre 5, Mme Salton chambre 3.

Le téléphone bourdonna.

— Docteur Ayars ? croassa l'appareil.

— Oui?

— Votre femme sur la deux.

— Merci.

Il ravala son anxiété, décrocha et pressa le bouton qui clignotait.

— Mary?

— Bonjour, James.

— Mais où es-tu, à la fin ? J'ai essayé de te joindre toute la nuit. Je te croyais au Four Seasons.

— Il y avait un séminaire là-bas. Un bruit pas possible. J'ai déménagé au Hyatt.

James ferma les yeux, les frotta. Inutile de lui préciser qu'elle ne figurait pas non plus sur les registres du Hyatt.

— J'ai une mauvaise nouvelle. Il y eut une pause.

— Ah?

— C'est au sujet de David.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— D est mort.

— Oh, mon Dieu ! Comment ? Est-ce... Est-ce un suicide ?

C'était à prévoir, se dit James.

— JJ s'est noyé au large des côtes australiennes.

— Un si bon nageur !

— Il a dû sous-estimer la force du courant.

—Ou alors...

— Ou alors quoi ?

— C'est terrible, enchaîna sa femme. Et Laura, comment s'en sort-elle ?

— À mon avis, elle n'a pas encore tout à fait digéré la nouvelle. TC, l'ami de David, est là-bas avec elle. Il s'occupe de tout.

— Elle doit être anéantie, James. Nous devons l'aider à tenir le coup.

— Évidemment.

— Elle s'en remettra, déclara Mary avec espoir. Elle a toujours été forte.

— Tu as sûrement raison, acquiesça-t-il sans conviction.

— Je prends l'avion demain.

— Tu veux que je vienne te chercher à l'aéroport ?

— Pas la peine, James. Je rentrerai en taxi.

— OK, à demain.

Il raccrocha et, se laissant aller en arrière, inspira profondément. Mary n'avait jamais su mentir. Elle n'avait même pas pensé à demander ce que Laura et David faisaient en Australie. James Ayars contempla ses mains. Non sans surprise, il constata qu'elles tremblaient.

 

Stan Baskin s'éveilla en sursaut. Il essaya de se remémorer le rêve qu'il venait de faire, n'y parvint pas, abandonna. Près de lui, Trucmuche dormait toujours, Dieu merci' tournée de l'autre côté. Il essaya de se remémorer son visage, n'y parvint pas, abandonna.

Il avait dû cauchemarder sur le match de la veille. Les Brewers n'avaient aucune chance de battre les Red Sox, bordel. Surtout à domicile. Il avait potassé la question. C'était gagné d'avance.

Au final, les Sox avaient perdu sur un score de 3 à 6.

Stan avait misé mille dollars sur ce match. Pour ne rien arranger, comme il était en retard de plusieurs paiements, il avait Mister B sur le dos (ainsi surnommé en raison de ses méthodes brutales). Il lui fallait une seconde chance. La rencontre du jour entre les Houston Astros et les Cardinals de Saint Louis était du sûr. Mike Scott était prêt à exploser. Il pouvait même lancer un match parfait contre Saint Louis. Et puis, il y avait ce cheval que Stan adorait dans la cinquième course, à Yonkers.

Il s'extirpa sans bruit de sous les couvertures, alla uriner, tira la chasse d'eau et contempla sa nudité dans le miroir. Pas mal, pour un type qui approchait la quarantaine. Aucun relâchement (y compris chez Popaul), et son beau visage continuait de faire craquer les femmes. La preuve, la nuit dernière, sa toute première nuit à Boston.

Il revint dans la chambre. Trucmuche n'avait pas bougé. Il fouilla dans sa coiffeuse à la recherche d'aspirine, trouva du Tylenol, en avala trois dans l'espoir de faire passer son mal de crâne. Allumant la télé, il zappa d'une chaîne à l'autre jusqu'à ce qu'il tombe sur ce qu'il cherchait et s'assit au bord du lit.

Pendant que le poste chauffait, Trucmuche commença à émerger de son hibernation.

Encore son frère ! Bon sang, on aurait cru que le président des États-Unis était mort. Stan ramassa une cigarette par terre (comment elle avait atterri là, il n'en avait pas la moindre idée) et l'alluma.

« Le monde du sport est encore sous le choc de la tragique mort par noyade de la star du basket David Baskin. Un hommage public lui sera rendu aujourd'hui midi à Faneuil Hall. Des milliers de personnes sont attendues à la cérémonie. Parmi les orateurs, le sénateur Ted Kennedy, le président des Celtics, Clip Arnstein, et deux coéquipiers de David Baskin, le pivot Earl Roberts et l'arrière Timmy Daniels. »

Stan secoua la tête. Une ville entière qui pleure ce crétin. Incroyable ! Soudain, ses yeux s'agrandirent. Une photo de Laura venait d'apparaître à l'écran.

« Le porte-parole de l'équipe nous informe que. la veuve de David Baskin, la sublime reine de la mode Laura Ayars-Baskin, sortira de son isolement pour assister à la cérémonie et aux obsèques, qui se dérouleront dans la plus stricte intimité. Mme Ayars-Baskin et son mari étaient en voyage de noces en Australie au moment du drame, et on ne l'avait pas revue depuis... »

Stan était comme ensorcelé. Il avait beau ne pas aimer son frère (il le détestait carrément), sa femme, nom d'un chien, c'était une autre paire de manches. Avec un corps pareil, ça devait être quelque chose au lit. À tous les coups, le manque allait la faire grimper aux rideaux. Il lui fallait un homme, un vrai, cette fois.

Et lui, Stan, le grand frère de David, se portait candidat.

Il se leva.

— Où tu vas ?

Trucmuche avait fini par se réveiller. Stan fouilla dans sa mémoire pour se rappeler le prénom dont il s'était affublé, n'y parvint pas, abandonna.

— Hein ?

— Tu as bien dormi, David ?

Il étouffa un rire. David. Il avait pris le prénom de l'autre truffe.

— Très bien.

Il se tourna et la vit pour la première fois depuis la veille.

Oh, merde.

D'abord, la débâcle des Sox et maintenant ce cageot. Il aurait juré qu'elle n'avait pas cette tête-là la veille.

— Tu veux quoi comme petit déjeuner ? Et conne avec ça.

— Il faut que j'y aille.

— Tu m'appelleras ? C'est ça.

— Bien sûr, chérie. Elle baissa la tête.

— Enfin, si tu as envie...

Elle minaudait maintenant. Au fait, comment avait-il atterri chez elle ? Il déclinait.

Il la regarda à nouveau. Cette fois, il remarqua qu'elle avait de gros seins. De vrais obus. Bon, c'était déjà quelque chose. Mais il était temps de lui montrer qui était le boss.

— On se voit ce soir ? demanda-t-il. Le visage de la fille s'illumina.

— C'est vrai ?

— On sort dîner, puis on va danser. Le grand jeu. Tu t'achètes une nouvelle robe, hein, qu'en dis-tu ?

Elle s'assit, ravie.

— Génial. À quelle heure ?

Il se retenait de rire. Elle ne marchait pas, cette quiche, elle courait.

— Disons huit heures. J'ai un rendez-vous professionnel, il est possible que je sois en retard de quelques minutes.

— OK.

Il l'imagina, avec sa robe neuve, attendant jusqu'à pas d'heure qu'on frappe à sa porte. Et il s'esclaffa tout haut.

— Qu'est-ce qu'il y a, David ? David. Il ricana de plus belle.

— Je viens de penser à un truc marrant.

Son regard glissa sur elle. Peut-être qu'il ne devrait pas. Peut-être qu'il était injuste avec elle. Après tout, elle avait de gros nibards...

Nan.

Ce serait plus drôle de la faire marcher. Et puis, il avait des plans pour la soirée. Il était temps que Boston découvre Stan Baskin.

Boston... et Laura Ayars.

 

Ça faisait la une des journaux du monde entier.

Du pain bénit pour les médias, l'histoire d'une lune de miel tragiquement interrompue, le mariage secret, le voyage de noces en Australie, et la mort par noyade du célèbre Éclair blanc qui laissait une jeune veuve aussi ravissante qu'éplorée.

Les gros titres rivalisaient d'esprit sur l'Éclair blanc qui ne brillerait plus jamais, sur la nature qui avait réussi là où tous ses adversaires avaient échoué, à savoir arrêter David, mais de tous, pensait Laura, c'était le Boston Globe qui avait mis dans le mille en affichant à la première page, en énormes capitales : L'ECLAIR BLANC EST MORT.

Laura posa le journal et, retombant sur les oreillers, fixa le plafond. Ses yeux papillotaient. Serita avait essayé de lui dissimuler la presse, mais elle avait insisté, et Serita n'était pas du genre à lui dicter ce qu'elle devait faire et ne pas faire. Couchée pour le troisième jour consécutif dans sa chambre d'amis, Laura pensait à ce qu'elle avait lu dans un article, qui parlait du corps « enflé » de David, « mutilé au point d'être méconnaissable ».

Les larmes s'étaient remises à couler, et pourtant elle n'avait pas l'impression de les verser. Elle était trop assommée pour pleurer. Une douleur comme la sienne n'était pas soluble dans les larmes. Elle savait que les médias la recherchaient, mais très peu de gens connaissaient sa cachette, et Serita veillait sur elle tel un agent de sécurité à l'aéroport de Tel-Aviv.

Elle savait aussi qu'aujourd'hui elle devrait se lever, quitter son refuge et affronter le monde extérieur pour la première fois depuis que David...

Il ne peut pas être mort. Ce n'est pas possible. S'il vous plaît, dites-moi que ce n'est pas vrai. Que tout ceci est une blague stupide, et une fois que je lui aurai mis la main dessus, je lui sonnerai les cloches pour m'avoir fait une peur pareille. S'il vous plaît, dites-lui que ça suffit comme ça, que je sais qu 'il va bien, qu'il n 'a pas été déchiqueté sur les récifs coralliens.

— Laura ?

Elle leva les yeux. Avec son mètre quatre-vingts, son corps élancé tout en muscles et sa peau d'ébène, Serita était belle à damner un saint. Lorsqu'elles s'étaient rencontrées six ans plus tôt sur un défilé, elle était déjà LE top model noir de la planète mode. Ces deux dernières années, elle s'était aussi liée d'amitié avec David, si bien qu'il l'avait présentée à son meilleur ami chez les Celtics, Earl Roberts, le pivot de l'équipe qui mesurait deux mètres dix.

— Oui?

— Il faut te lever, ma grande. Gloria a appelé. Ton père et elle passent te prendre dans une heure.

Laura ne répondit pas.

— Gloria voudrait te parler d'abord.

— De quoi ?

Serita marqua une pause.

— De ta mère.

Les yeux de Laura lancèrent des éclairs. Pour la première fois depuis la mort de David, son visage sembla s'animer.

— Quoi, ma mère ?

— Elle veut assister à la cérémonie.

— Qu'elle aille se faire foutre.

— C'est ton dernier mot ?

— C'est mon dernier mot. Serita haussa les épaules.

— Je ne fais que transmettre les messages. Allez, bouge tes fesses.

Bien qu'elle ait passé trois jours dans ce lit, Laura n'avait jamais réussi à trouver le sommeil pour échapper à ce cauchemar malheureusement trop réel. Mais elle n'avait pas envie d'en sortir, pas envie de s'habiller, pas envie d'assister à l'hommage public à Faneuil Hall.

Je t'aime tant, David. Jamais je ne pourrai aimer quelqu'un d'autre. Reviens, s'il te plaît. Reviens me dire que tu m'aimes, me parler de notre vie à deux, des enfants qu 'on aura, toi et moi.

— On s'attend à de gros embouteillages, poursuivait Serita. J'espère qu'Earl ne va pas foirer son discours.

À nouveau, Laura sentit les larmes ruisseler sur ses joues.

— Allez, viens, Laura.

Doucement, Serita retira les couvertures et l'aida à s'asseoir.

— Tu dois y aller.

— Je sais.

Laura s'essuya le visage avec sa manche.

— Je suis contente qu'Earl prenne la parole. Et je suis contente que vous soyez ensemble.

— On n'est pas ensemble. On baise, c'est tout. Laura eut un pâle sourire.

— Super.

Aujourd'hui, la ville de Boston inaugurait une statue de bronze à l'effigie de David, placée à Faneuil Hall aux côtés de celle de Clip Arnstein. Clip était le président septuagénaire des Celtics, quelqu'un que David avait aimé et respecté. Lui, le sénateur Ted Kennedy, le maire de Boston Raymond Flynn, Earl et un autre joueur, Timmy Daniels, allaient prononcer l'éloge funèbre.

La statue avait été initialement prévue pour figurer sous le préau d'une école pour enfants handicapés, en hommage à l'engagement de David. Achevée à la hâte, elle avait finalement été transportée à Faneuil Hall, mais Laura ne pouvait s'empêcher de penser que David aurait préféré la voir dans la cour de l'école.

La cérémonie publique serait suivie d'obsèques réservées à la famille et aux proches. Obsèques. Funérailles. Tout en se laissant conduire dans la salle de bains, Laura secoua la tête. Serita ouvrit les robinets.

— Viens là.

Elle entra sous la douche. L'eau ruissela sur son corps nu.

Ne me force pas à y aller, Serita. Ça ne sert à rien. David n'est pas mort, tu comprends. C'est juste une mascarade. David va bien. Je le sais. Il a promis que jamais il ne me quitterait. Il a promis qu'on finirait notre vie ensemble. Et David tient toujours ses promesses. Tu le connais. Donc, tu vois, il ne peut pas être mort. Il ne peut pas être mort. Il ne peut pas...

Laura se laissa glisser lentement le long du mur carrelé et se roula en boule dans le bac de douche. Puis, se couvrant le visage, elle se remit à pleurer.

 

Le chirurgien consulta l'horloge murale. 4 h 45.

Il prit une profonde inspiration et continua à suturer les plaies. Quelques minutes plus tard, elles étaient toutes refermées.

L'opération avait duré six heures.

Le chirurgien sortit du bloc improvisé, fit glisser son masque, le laissa tomber sur sa poitrine. Son ami et associé manifestait une nervosité qui ne lui ressemblait guère.

Mais cela pouvait se comprendre.

— Comment ça s'est passé ?

— Pas de complications.

L'homme ne cacha pas son soulagement.

— Je te dois une fière chandelle, Hank.

— Attends de recevoir ma note d'honoraires.

L'homme rit nerveusement.

— Et maintenant ?

— La routine. Repos absolu pendant deux semaines. Après quoi, je passerai le voir.

— OK.

— Je laisse une infirmière.

— Mais...

— Elle a l'habitude. Tu peux lui faire confiance.

— Cette fois, c'est légèrement différent, tu ne crois pas ?

Le chirurgien l'admit volontiers : cette fois, c'était totalement différent.

— On peut lui faire confiance, je t'assure. On travaille ensemble depuis des lustres. De toute façon, il lui en faut une.

L'homme réfléchit un instant.

— OK, d'accord. Autre chose ?

Des questions, le chirurgien en avait des dizaines, mais ses années de pratique lui avaient appris que connaître les réponses à ce genre de questions n'était pas exempt de danger. Voire de danger de mort.

Il secoua la tête.

— On se revoit dans quinze jours.

Sans un adieu
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