David
Déconcertée, Laura replia le papier et monta dans la chambre.
Les bas noirs étaient sur le lit.
Elle les enfila sur ses chevilles et les déroula lentement jusqu'en haut de ses jambes fuselées. Elle déboutonna son chemisier, l'enleva, puis défit à tâtons son soutien-gorge en dentelle. Il glissa le long de ses bras et tomba à terre.
Elle mit le porte-jarretelles et agrafa les bas. Debout devant le miroir, elle fit une chose que peu de gens auraient faite face à une vision aussi spectaculaire.
Elle éclata de rire.
Cet homme m'a fait perdre la boule, se dit-elle en secouant la tête. Elle n'était plus la même depuis que, deux ans plus tôt, David était entré dans sa vie. Pourtant, on ne peut pas dire que tout avait bien commencé entre eux. Leur première rencontre avait été à peu près aussi romantique qu'un accident de la circulation.
Cela s'était passé par une moite nuit de juillet lors d'une soirée de gala au profit de l'orchestre des Boston Pops. La salle était bondée. Toute la bonne société était là.
Laura détestait ce genre de mondanités. Elle détestait les sourires factices et les conversations artificielles. Mais, pardessus tout, elle détestait les hommes qui fréquentaient ces soirées-là : collants, effrontés, imbus d'eux-mêmes. Elle s'était pris tellement de claques avec ce genre d'individus qu'elle se faisait l'impression d'un clou sortant obstinément d'un panneau de contre-plaqué. Elle en était arrivée à frôler la grossièreté. Mais quelquefois seule une réplique cinglante peut arrêter la charge de la cavalerie.
Laura avait dressé un mur autour d'elle... une forteresse, plus exactement, aux fossés infestés de requins. Elle savait bien qu'elle passait pour un glaçon, une bêcheuse. Mais elle ne faisait rien pour casser cette image, qui avait le mérite de lui servir de bouclier.
La jeune fille se tenait à quelques pas du buffet, regardant d'un air incrédule les convives élégants se jeter sur la nourriture comme la misère sur le pauvre monde. Elle se heurta à David en faisant demi-tour.
— Excusez-moi, dit-elle distraitement.
— Triste spectacle, commentat-il, désignant les tables prises d'assaut par la horde d'affamés. Bienvenue à la journée de la Sauterelle.
Elle hocha la tête et tourna les talons.
— Attendez une minute, l'interpella-t-il. Je ne voudrais pas Vous paraître importun, mais vous ne seriez pas Laura Ayars ?
— Si.
— Permettez-moi de me présenter. Je m'appelle David Baskin.
— Le basketteur ?
— Lui-même. Vous aimez le basket, mademoiselle Ayars ?
— Absolument pas, mais il est impossible de vivre à Boston sans entendre prononcer votre nom.
— Je ne puis que rougir modestement.
— Faites donc. Si vous voulez bien m'excuser...
— La douche froide, déjà ? Avant que vous partiez, mademoiselle Ayars, laissez-moi vous dire que vous êtes très en beauté ce soir.
La voix de Laura se teinta de sarcasme.
— Très original comme approche, monsieur Baskin.
— David, répondit-il calmement. Et, pour votre gouverne, je ne cherche pas un moyen de vous approcher.
Il marqua une pause.
— Puis-je vous demander pourquoi vous n'aimez pas le basket ?
Le sportif type, pensa Laura. Qui n'imagine pas la vie sans sa bande de congénères ahanants, transpirants et qui courent dans tous les sens. Ce ne doit pas être bien difficile de reconduire. Il n'a sûrement pas l'habitude des .conversations qui supposent de savoir terminer une phrase.
— C'est inconcevable, hein ? rétorqua-t-elle. D'imaginer un être pensant qui n'admire pas les grands dadais au QI inversement proportionnel à leur taille s'escrimant à faire passer un objet sphérique à travers un anneau de métal.
Son visage demeura impassible.
— Mais on est mal embouchée aujourd'hui, dites-moi. Et tous ces grands mots. Très impressionnant. Vous n'êtes jamais allée au Boston Garden pour voir jouer les Celtics ?
Laura secoua la tête d'un air faussement contrit.
— J'ai bien peur d'être passée à côté de la vraie Vie. Elle consulta sa montre sans voir l'heure.
— Houlà, déjà ? C'était un plaisir de bavarder avec vous, mais là, il faut vraiment que j'y ail...
— On n'est pas obligés de parler basket, vous savez. Le ton sarcastique était de retour.
— Ah bon ?
David arbora un sourire radieux.
— Croyez-le ou non, mais je suis capable de parler de sujets plus importants : économie, politique, paix au Proche-Orient... à vous de choisir.
Il fit claquer ses doigts, et son sourire s'élargit.
— J'ai une idée. Si on abordait un thème nettement plus intellectuel... comme le métier de mannequin ? Mais non. Comment imaginer un être pensant qui n'admire pas les créatures au QI directement proportionnel à leur masse grasse s'escrimant à ressembler à une poupée Barbie ?
L'espace d'un instant, leurs regards se croisèrent, puis Laura baissa la tête. Lorsqu'elle leva les yeux, David souriait toujours, comme pour adoucir l'effet de ses paroles.
— Relax, Laura, fit-il gentiment, une expression qu'elle entendrait maintes et maintes fois par la suite. J'avais juste envie de vous parler. J'ai lu beaucoup de choses sur vous et sur Svengali - eh oui, il y a même des basketteurs qui savent lire -, et ça m'intéressait de vous rencontrer. Sans aucune arrière-pensée, mais vous allez encore croire que c'est un stratagème de ma part, et compte tenu de ce que vous êtes, je ne vous en veux pas. Peut-être que c'en est un.
Il s'inclina légèrement.
— Je ne vous importunerai pas plus longtemps. Passez une bonne soirée.
Laura le regarda s'éloigner, maudissant son réflexe de méfiance vis-à-vis des hommes. Il avait lu dans ses pensées comme si son front avait été une vitre transparente. Mais bon, un sportif ? Elle résolut de chasser David Baskin de son esprit ; pourtant, bizarrement, elle n'y parvint pas.
En Australie, une Laura à demi nue se pencha pour regarder le réveil.
22 h 15.
Les bruits du bush trouaient l'obscurité sur laquelle donnait sa fenêtre. Pour tout autre que David, elle se serait inquiétée sérieusement. Mais David était un nageur hors pair, d'un niveau quasi olympique, et surtout il était superbement imprévisible, jamais là où on l'attendait, ce qui en faisait la coqueluche des médias.
Laura remonta la couverture sur elle. La fraîcheur nocturne lui picotait la peau. Les heures filaient, diluant peu à peu les excuses qui l'aidaient à juguler son angoisse.
À minuit et demi, elle s'habilla et descendit dans le hall. Le réceptionniste était toujours le même, et elle se demanda s'il lui arrivait de dormir.
— Excusez-moi, vous n'auriez pas vu mon mari ?
— M. Baskin ? Non, m'dame. Pas depuis qu'il est parti se baigner.
— Il ne vous a rien dit avant de sortir ?
— Pas un mot, m'dame. Il m'a juste donné la clé et le message que je vous ai remis. Il ne m'a même pas regardé.
Le réceptionniste remarqua son air inquiet.
— Il n'est toujours pas rentré, hein ?
— Toujours pas.
— Ben, à votre place, je me ferais pas de bile. Votre homme, il a la réputation d'être un drôle de lascar. Il reviendra avant la fin de la nuit.
— Vous avez sûrement raison, opina-t-elle sans conviction.
Elle pourrait partir à sa recherche, mais cela ne servirait pas à grand-chose, sinon à tromper son attente. Une Américaine errant seule dans le bush en pleine nuit ne serait d'aucun secours à qui que ce soit. Qui plus est, David risquait de rentrer pendant qu'elle était occupée à se perdre dans la cambrousse.
Laura remonta dans sa chambre, fermement décidée à ne pas s'affoler avant le lever du jour.
Lorsque le réveil numérique afficha sept heures du matin, elle se mit à paniquer pour de bon.