Chapitre 23

 

Le feu. emblème de l'enfer. Arme de destructif massive. Le feu dévorait tout sur son passage, soi égard pour la valeur des choses ou des gens. Le fi brûlait la peau, faisait fondre la chair, obstruait h poumons jusqu'à la...

L'assassin passa la frontière entre le Connecticut l'État de New York, se dirigeant vers le Colga Collège.

... la mort.

Qu'est-ce que la mort ? Nul ne le sait vraiment. L gens s'interrogent depuis l'origine du monde, nui tout nouveau concept est aussi absurde que le précèdent. Qu'en disait Hamlet, avant son propre décès Que c'était une « contrée inexplorée dont aucun voyageur ne revient » ? Est-ce cela qui nous effroi l'inconnu du grand au-delà ? Glorieux paradis, enfer, destructeur, néant obscur, ou tout cela à la fois ?

Des larmes lui montèrent aux yeux, des larmes i tristesse et de regret.

J'ai envoyé des gens dans ce mystérieux au monde. Confié deux êtres à la Grande Faucheuse...

Trois, en comptant David.

Non ! Non, je n’ai pas tué David. Chacun réagit à sa manière. David a fait ce qu'il croyait devoir faire. Malgré son père, je ne pouvais m'empêcher de l'admirer. Je ne suis pas sanguinaire. Pas dans mon cœur. Je n’ai jamais voulu faire de mal à personne. Oui, j'ai tué Sinclair Baskin. Sous le coup d'une colère irréfléchie, j'ai appuyé un pistolet contre sa tête et pressé la détente, mais cet homme méritait de mourir. Comme David Baskin, j'ai réagi aux circonstances. Quant au deuxième meurtre...

Le volant lui glissa des mains, manquant envoyer la voiture dans le décor.

Le deuxième meurtre. La culpabilité brûlera à jamais en moi pour avoir détruit cette âme pure et sans nom. Pourquoi ai-je fait cela ? C'était une innocente victime. Mais la fin justifie les moyens : c'est dans ce concept de Machiavel que je puise du réconfort. Il suffit de regarder Laura pour se convaincre de la justesse de ma décision.

Sur l'autoroute, le panneau indiquait la sortie Hamilton. La ville du Colgate Collège.

Tous ces événements dataient de trente ans. Kennedy était encore en vie. Incroyable. Malgré le temps écoulé, il ne se passe pas une heure sans que l'époque de Chicago ne se rappelle à moi. Elle hante chacun de mes pas, chacun de mes rêves, même si je marche et dors la conscience tranquille. Mais j'avais pensé, espéré de tout mon cœur que les secrets du passé étaient oubliés depuis longtemps.

Voilà pourtant qu'ils me sautent à la figure, persiflent, me narguent et menacent de détruire tout ce qui m'est précieux. Stan Baskin - le portrait de son père ! -veut me faire chanter. Je lui réglerai son compte demain soir. Définitivement.

Et Judy. Après tout ce temps, elle souhaite parler <li passé. Pourquoi ? Pourquoi ne peut-elle le laisser r paix ? Pourquoi tient-elle tant à le maintenir en vie, c le laisser prospérer, avec toute sa puissance 'd< destruction ?

La voiture quitta l'autoroute. Le bidon d'essence brinquebalait dans le coffre. Une boîte d'allumette: était posée sur le tableau de bord. Hamilton n'était plu très loin.

D'abord Judy.

Ensuite, Stan.

Et après ?...

 

Judy se prépara une tasse de thé et s'assit dans i; cuisine. Pour la troisième fois en cinq minutes, se yeux pivotèrent vers la pendule.

18 h 20.

Si tout se déroulait selon ses plans, Mark Seidman e Laura arriveraient l'un et l'autre dans quarante minutes. Une situation potentiellement explosive. Judy avait passé les dernières heures à s'interroger sur \< bien-fondé de sa décision, à peser le pour et le contre pour en arriver à la conclusion qu'elle avait bien fait i y avait déjà eu trop de temps perdu, trop de vie brisées.

Une fois le thé infusé, elle jeta le petit sachet e ajouta un nuage de lait. Un des étudiants de son séminaire sur la poésie américaine au xix siècle avait pas-un semestre en Asie et lui avait rapporté de merveille u thés de Chine. Hélas, elle les avait déjà finis et avait : I se rabattre sur un vulgaire sachet. Demain, elle passe rait à l'épicerie fine pour en acheter.

Demain... une éternité l'en séparait. Elle avait conscience que la Judy qui boirait son thé le lendemain vivrait dans un monde totalement différent de celui où évoluait la Judy assise en cet instant à la table de la cuisine. Plus rien ne serait pareil. Leur vie, à elle et à ses proches, serait transformée à tout jamais... pour le meilleur ou le pire, elle ne pouvait le dire.

Elle sirota son thé, savourant la chaleur qui déferlait dans sa gorge. Les aiguilles de la pendule poursuivaient leur inexorable progression. Trop rapide ou trop lente, elle ne savait plus. Ses émotions passaient d'un extrême à l'autre. Une seconde, l'attente la faisait presque suffoquer; la seconde d'après, elle redoutait d'entendre frapper à sa porte.

Elle prit son trousseau de clés sur la table : une pour la voiture, deux pour la maison et une pour le coffre contenant son journal de l'année 1960. Laura allait bientôt tout connaître de son contenu. Elle allait découvrir les secrets qu'on lui avait cachés si longtemps. Ensuite, Judy priait pour que tout s'apaise.

En irait-il ainsi ?

Elle avala une gorgée de thé. Il avait un goût amer.


La jambe de Laura tressautait, mais, comme à son habitude, elle ne s'en rendait pas compte.

Bon sang, ce vol n'en finissait pas ! Elle se surprit à se ronger les ongles, à désirer une cigarette, à lire intégralement l'ennuyeux magazine de la compagnie aérienne, à mémoriser l'emplacement des sorties de secours, à apprendre comment vomir dans un sac en papier en trois langues.

Tout ça pour une malheureuse heure de vol jusqu'à Hamilton.

Sa jambe s'agitait toujours. Sa voisine aux cheveux bleutés lui lança un regard agacé.

— Désolée, s'excusa Laura en y mettant un terme.

Elle rouvrit le magazine et tourna négligemment pages. Elle avait tenté de rappeler Judy plusieurs fol; veille, tombant toujours sur son répondeur. Qu'av-elle voulu lui dire hier soir ? Qu'est-ce que sa ta pouvait bien savoir à propos de la mort de David 7

Et sa voix... remplie de frayeur, presque si timbre. Et ses manières de comploteuse ? Qu'y avait-il de si important que tante Judy ne puisse en parler téléphone ? Et quel genre de photos voulait-elle montrer ? Pourquoi devait-elle attendre dix-neuf heures pour obtenir ces révélations ? Et quel rapport avec disparition de David ?

Trop de questions. Trop peu de réponses.

Sa voisine toussa pour bien marquer son étonnement.

Laura baissa les yeux. Sa jambe avait repris sa danse: effrénée. Elle posa la main sur son genou pour l'arrêter

— Désolée, répéta-t-elle.

Nouveau regard mauvais de la dame, qu'elle rendit cette fois.

Dès qu'elle reporta son attention sur son magazine les mêmes pensées reprirent leur course folle. : soupçons concernant la mort de David prenaient tour nouveau et terrifiant. Son intuition lui souffler qu'elle courait un danger, que la réalité était bien p effrayante que tout ce qu'elle avait pu imaginer jusqu'alors. Elle arrivait devant un placard cadenassé au contenu terrible, néfaste, qui menaçait de détruire tous. Elle aurait voulu fuir, oublier qu' l'avait jamais trouvé, mais ses pieds restaient cloués sol. Sa main se tendait vers le cadenas. Bientôt, déverrouillerait la porte, tournerait la poignée et regarderait à l'intérieur. Désormais, il n'y avait plus de retour en arrière possible.

Dans quelques minutes, l'avion atterrirait à Ithaca. Un taxi l'emmènerait chez sa tante Judy. Là-bas, le placard s'ouvrirait.


La voiture de l'assassin tourna à droite devant le panneau colgate collège. Un petit campus idyllique, avec ses bâtiments couverts de vigne vierge en été et aujourd'hui sous la neige. Ici, les humanités avaient la part belle. Les étudiants y discutaient de Hobbes, Locke, Marx et Hegel, de Tennyson et Browning, Potok et Bellow. Dans la journée, ils allaient en cours, se retrouvaient à la cafétéria, allaient chercher leur courrier au bureau de poste. Le soir, ils planchaient à la bibliothèque, éclusaient quelques bières au foyer et flirtaient.

Pour ces jeunes, rien n'existait en dehors du campus. Le monde, avec ses problèmes et ses complexités, avait rétréci à la mesure de ses frontières. La plupart d'entre eux ne connaîtraient jamais plus une existence aussi douce. Jamais plus ils n'auraient l'occasion de débattre aussi passionnément de sujets qui ne les affectaient pas. Jamais plus ils ne pourraient profiter de cette répétition en costumes de la vie réelle.

La voiture ralentit. Le site était pratiquement désert.

Un vent glacial soufflait, la température devait être négative. Des stalactites pendaient des gouttières de la bibliothèque. Une épaisse couche de neige couvrait le sol. L'assassin freina devant un ralentisseur et regarda par la vitre côté passager. Sans préavis, des larmes perlèrent à ses yeux.

Pourquoi dois-je faire ça ? N'y a-t-il pas d'autre solution ?

À l'évidence, la réponse était non. Le passé utilisait Judy comme canal d'accès au présent : il fallait donc l'arrêter, lui imposer le silence.

De légères rafales venaient caresser le pare-brise. Après un virage à gauche, le véhicule pénétra dans zone d'habitation du campus. Un peu plus loin se dressait le modeste bâtiment de brique où Judy était as s devant sa tasse de thé.


En sortant de l'avion, Laura traversa le petit terri n à la hâte. Le vol avait-il été calme ou agité ? Lui av; on servi à boire, à manger ? La jeune femme n'aurait su le dire. Pas plus qu'elle ne savait dans quel app n elle avait voyagé, ni le nom de la compagnie aérien Le seul souvenir qui surnageait du brouillard était celui d'une femme aux cheveux bleutés vêtue comme une serveuse de restaurant pour routiers. Sa voisine avait passé la moitié du temps à lui lancer des regard noirs, l'autre à ronfler en somnolant. Une bien agréable compagne de voyage.

Au moins l'avait-elle brièvement distraite de angoisse mortelle.

Laura jeta un coup d'œil à sa montre. Il était presque. 18 h 20. Elle tenait à arriver chez sa tante à dix-neuf heures précises. Un panneau indiquait la station taxis à sa droite. Les portes automatiques s'ouvrir devant elle, et un vent glacé lui gifla le visage qi>; elle mit le pied dehors. Un peu plus loin, elle rai) une seule voiture. Elle piqua un sprint, levant haut les jambes pour franchir les congères.

Arrivée devant le véhicule, elle attrapa la poignée la portière et tira. En vain. Elle baissa les yeux pour voir l'intérieur... et se retrouva face au regard moir à présent familier. Sans la quitter des yeux, la femme à la mise en plis bleutée retirait son manteau en parla au chauffeur.

Laura recula d'un pas tandis que le taxi démarrait

L'assassin gara sa voiture sous les arbres, derrière la maison de Judy. Personne ne la verrait d'ici. Entrer et sortir incognito était capital.

Il n'y avait personne alentour. Parfait. La main tremblante sortit du coffre le bidon d'essence.

Arrête de trembler. Reprends-toi. Ce n'est pas le moment de flancher. Il faut le faire. C'est trop important.

La maison de Judy apparaissait entre les arbres. A cent mètres, puis cinquante, puis vingt. Un pied se posait, l'autre effaçait sa trace. Inutile que la police repère la pointure des chaussures dans la neige.

Quelques secondes plus tard, l'assassin atteignait la cour arrière et plaçait le bidon dans une poubelle. Il n'y resterait pas longtemps. Bientôt, l'essence enflammée transformerait la maison de Judy en bûcher mortel.

Par la fenêtre, l'assassin vit sa victime attablée dans sa cuisine devant une tasse de thé et s'apprêta à frapper à la porte de derrière.


Judy leva brusquement la tête en entendant des pas crisser sur la neige. Quelqu'un traversait le jardin et se dirigeait vers sa maison.

Un frisson la parcourut. Qui donc utiliserait l'entrée de derrière, alors que l'allée de devant était parfaitement dégagée ? Elle jeta un coup d'œil à la pendule : 18 h 45. C'était peut-être Laura ? Ou plus probablement Mark. Mark ne voudrait pas être vu en ce lieu. Pas question qu'on puisse faire un rapprochement entre Judy et lui.

Le coup frappé à la porte la fit sursauter. Le cœur battant, elle alla ouvrir, posant sa tasse dans l'évier au passage.

Elle retira la chaîne de sécurité et se trouva face à large sourire.

— Bonsoir, Judy.


— Dites, vous seriez pas ce mannequin, là ? Lai Ayars, c'est ça ?

La jeune femme avait dû attendre dix minutes l'arrivée d'un autre taxi.

— Oui, c'est moi. On y sera dans combien temps ?

Le chauffeur s'esclaffa.

— Laura Ayars dans mon taxi ! Ma femme n croira jamais. Une année, j'ai acheté votre calendrier où vous étiez en maillot de bain.

— Magnifique. Peut-on accélérer un peu ?

— J'aimerais bien. Comme ça, je pourrais faire pi de courses. Plus de courses, ça veut dire plus d'argent D'autant que j'aime bien conduire vite. Sauf que j déjà eu deux contraventions pour excès de vitesse mois-ci. Vous vous rendez compte, Laura ? Je peux vous appeler Laura ?

— Faites.

— Deux contraventions. Les flics d'ici n'ont rien mieux à faire que d'embêter les gens qui essaient gagner leur vie honnêtement. Mais, le vrai problème c'est le verglas. J'ai pris un virage trop vite par l'année dernière et je me suis retrouvé dans le fossé Sans rire. Alors que je connais cette route par coeur Mais ce jour-là, c'était une vraie patinoire. Et zou ! voiture a...

Laura ferma les écoutilles et regarda par la vitre hautes murailles de neige se dressaient de part d'autre de la chaussée. La route était déserte, peu véhicules venaient en sens inverse.

La campagne était silencieuse et figée. Laura avait toujours aimé se promener dans la région. Ce paysage avait sur elle un effet apaisant. Oui, c'était un bel endroit où séjourner quelques jours. Plus longtemps, on risquait la neurasthénie. La solitude, ça allait bien de temps en temps.

— La résidence universitaire, c'est ça ?...

— Oui.

Le taxi pénétra sur le campus, prit à gauche et s'arrêta un peu plus loin.

— Nous y sommes.

Laura jeta un coup d'œil à la petite maison de Judy. Tout était calme. Après avoir réglé la course et enfilé son manteau, elle abandonna le confort de l'habitacle pour le froid polaire du dehors.

Les bras collés au corps pour se tenir chaud, elle sortit la main de sa poche juste ce qu'il fallait pour jeter un œil à sa montre. Sept heures pile.

Arrivée à la porte, elle sonna et entendit le carillon résonner dans le petit logement. Puis le silence retomba. Elle réessaya, s'attendant à percevoir des bruits de pas.

Rien.

Elle sonna encore, frappa, mais personne ne vint. Et toujours aucun bruit. Non, faux. Elle perçut comme un son étouffé.

— Tante Judy ? cria-t-elle.

Pas de réponse. Laura saisit la poignée, qui tourna sans difficulté.

A l'instant même où elle entrait dans la maison de sa tante, deux choses se produisirent simultanément : l'assassin sortit par la porte de derrière et la jeune femme détecta une odeur d'essence.

Sans un adieu
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