Chapitre 19

 

Vingt-quatre heures s'étaient écoulées depuis que Laura avait quitté Graham en lui faisant promettre de l'appeler dès qu'il aurait du nouveau. À travers le hublot du 747, elle vit se profiler la silhouette de l'aéroport Logan, de Boston. Malgré son épuisement, elle n'avait pas réussi à dormir. Chaque fois qu'elle fermait les yeux, la même question revenait, lancinante : qu'était-il arrivé à David ?

Son séjour en Australie avait soulevé plus d'interrogations qu'il n'avait apporté de réponses. Alors qu'elle s'installait dans un taxi, après avoir passé la douane, son esprit retourna une fois encore aux dernières heures de David. Plus rien n'avait de sens. Si quelqu'un en avait eu après son argent, pourquoi l'avoir tué ? Pourquoi ne pas avoir cherché à obtenir une rançon ? Laura aurait donné toute sa fortune sans rien dire à personne. Mais non, quiconque était derrière tout ça avait préféré ce scénario compliqué.

Pourquoi ?

Pour quelle autre raison que l'argent aurait-on voulu se débarrasser de lui ? Certes, David avait des adversaires, mais de là à le tuer... Était-ce lié à sa carrière ? Avait-on voulu l'éloigner des terrains de basket ? Et si un gros bookmaker avait parié une fois de trop contre les Celtics et voulu le faire payer ? Très improbable. En plus, ça ne ressemblait pas aux méthodes de la mafia. Si des truands avaient décidé de lui régler son compte, ils auraient envoyé un type avec un stylet. Toute cette mise en scène aurait été inutile.

Alors que le taxi traversait le centre-ville, Laura regardait passer tous les repères familiers qu'elle considérait comme de vieux amis. David avait-il seulement été assassiné ? se demandait-elle. En se repassant mentalement tous les indices, elle se rendait compte qu'ils étaient ténus. Son mari avait rendu visite à quelqu'un dans un hôtel puis passé quelques coups de téléphone... Pas de quoi fouetter un chat ! On était loin d'une preuve d'homicide.

Et quand bien même elle aurait eu la certitude que David avait bel et bien été tué, que ferait-elle ? Traquer les assassins, avide de faire couler leur sang comme les héros de cinéma ? Cherchait-elle la vengeance ou cette « enquête » lui servait-elle de prétexte pour maintenir la réalité à distance ?

La vengeance n'avait jamais été son truc. Elle se remémora le coup de fil angoissant que Gloria lui avait passé de Californie, l'année précédente. Les deux sœurs avaient parlé de tout et de rien, se donnant seulement quelques nouvelles. Lorsqu'elles avaient raccroché, Laura avait pourtant été prise d'un accès de panique. Gloria ne lui avait rien dit de particulier, mais elle avait la certitude qu'il y avait un problème. Un problème grave. Elle avait décidé d'affréter un avion pour aller voir sa sœur.

« Pourquoi cette hâte ? lui avait demandé David.

— Je ne peux pas t'expliquer. Si tu avais entendu sa voix... Complètement éteinte. Comme quelqu'un qui sait sa fin proche. »

TC les avait rejoints à l'aéroport. A San Francisco, ils avaient déboulé en pleine scène de viol collectif. Après avoir chassé les Colombiens de la maison, David avait voulu démolir l'ignoble petit ami de Gloria. TC était pour. Mais même si Tony avait fait vivre l'enfer à sa sœur, Laura n'éprouvait aucun désir de vengeance. Il lui importait seulement de sauver Gloria. Le reste ne l'intéressait pas.

Pourquoi en serait-il autrement maintenant ? Peut-être parce que David aurait eu cette réaction si Laura avait été assassinée ? À moins que ses motivations ne soient plus simples. Peut-être espérait-elle de cette conspiration imaginaire qu'elle la distraie de l'essentiel : la mort de David. Meurtre ou accident, rien ne pourrait changer la réalité du fait. David était mort. Si Laura parvenait à prononcer ces trois mots, elle était incapable d'en assimiler le sens.

— Nous y sommes, m'dame.

 

Laura récupéra sa valise dans le coffre et paya le chauffeur. Une rafale de vent la transperça jusqu'aux os. Lorsqu'elle arriva à son appartement, elle avait déjà sa clé à la main. Elle posa ses bagages, ouvrit, tâtonna pour trouver l'interrupteur et le pressa.

Rien.

Elle l'actionna plusieurs fois, sans plus de résultat. Bizarre. Ça ne pouvait pas être une ampoule grillée, puisque le bouton commandait plusieurs lampes. Plus sûrement un fusible. En soupirant, elle traîna sa valise dans l'appartement obscur. Il n'y avait aucune lumière excepté celle du couloir...

... et le rai filtrant sous la porte de sa chambre.

Laura se raidit, percevant un bruit en provenance de la pièce.

Tire-toi, Laura. Appelle la police !

Mais une pensée l'en empêcha : l'intrus avait forcément un lien avec la mort de David. Derrière cette porte se trouvait peut-être ce qu'elle était partie chercher en Australie. Si elle fuyait, cet indice risquait de lui échapper.

Sur la pointe des pieds, elle s'avança vers la chambre. Les bruits s'intensifièrent. Des voix. Des voix et un son qu'elle n'identifiait pas. Le rai de lumière sous le battant vacilla plusieurs fois mais ne s'éteignit pas.

Plaquée contre le mur, elle approchait, centimètre par centimètre. Le souffle court, elle sentait son cœur battre à tout rompre. Elle colla l'oreille à la porte. Il s'agissait bien de voix. Mais que disaient-elles ? Et que faire à présent ? Se ruer dans la chambre, telle Wonder Woman ?

Ce fut alors qu'elle entendit des applaudissements. Une vague de soulagement l'envahit. Le halo de lumière, les voix, les applaudissements : la télévision. Elle secoua la tête, se reprocha d'avoir une imagination trop fertile. David ne cessait de la mettre en boîte à cause de ça.

« Tu vois des complots partout », avait-il coutume de lui dire.

Au moment où elle ouvrit la porte, elle eut une vision très nette du poste éteint quand elle avait quitté l'appartement. Puis son regard se posa sur l'écran, et son visage se décomposa.

David.

Un vieux match de basket. David courait sur le terrain. Elle reconnut les voix des commentateurs de CBS lors du championnat de la NBA.

« Baskin part à gauche, feinte, passe à Roberts. Roberts tire. Raté... »

Mais comment... ? Le magnétoscope. Les images provenaient d'une cassette. Quelqu'un était entré chez elle et s'y trouvait peut-être encore. Elle allait tourner les talons quand elle vit l'enveloppe scotchée au bas de l'écran, avec son prénom inscrit dessus.

Les jambes flageolantes, elle s'approcha et s'en saisit. La lueur de la télévision lui offrait la lumière suffisante pour lire la note qu'elle contenait.

 

Laura,

J'espère sincèrement que vous avez bien profité de votre petit voyage à l'étranger. Vous m'avez manqué.. Ce petit mot amical pour vous rappeler que je peux agir à ma guise. Vous n’êtes pas en sécurité. Pas plus que vos parents et votre sœur. Vous n'y pouvez rien. Mais si vous m'oubliez, je vous oublierai, vous et votre famille. Dans le cas contraire, je les tuerai les uns après les autres. Qu'en dites-vous ?

Sans un adieu
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