38

Nigel Powell était assis à son bureau, la tête dans les mains, ses doigts recouvrant la moitié supérieure de son visage. Sa frustration crevait les yeux. Ses deux consœurs du jury, Lucinda et Candy, étaient assises face à lui. Ni l’une ni l’autre n’était spécialement futée, mais pas au point de ne pas deviner que Powell était de très mauvaise humeur. Elles attendirent patiemment qu’il écarte les mains de son visage. Son regard se posa tout d’abord sur la veste moulante en cuir blanc de Candy. À mesure que la soirée avançait, ses seins menaçaient de plus en plus d’en jaillir. Cette vision ne parvint à le distraire qu’une poignée de secondes. Le jaune éclatant de la robe de Lucinda lui rappela sa présence, et il détourna le regard du décolleté de Candy pour dévisager les deux femmes.

« Alors, tu vas nous dire ce qui se passe ? » demanda Lucinda, d’un ton un peu plus impérieux qu’elle ne l’aurait souhaité. Elle n’aimait pas vraiment Powell, mais elle préférait ne pas s’attirer son courroux. Et en outre, il la payait grassement.

Le patron de l’hôtel gonfla les joues avant d’expirer. Il les regarda droit dans les yeux, chacune à leur tour, afin de bien leur faire sentir son mécontentement.

« On a perdu trois de nos finalistes, dit-il d’un ton morne.

– On les a perdus ? » répéta Lucinda.

Le ton de Powell semblait signifier qu’ils avaient égaré les concurrents, comme on perd de simples objets, par étourderie.

« Ils sont morts, explicita-t-il. Quelqu’un les a assassinés. »

Candy parut franchement décontenancée. Nigel savait qu’elle était bien plus intelligente que ce que la plupart des gens s’imaginaient, mais, malgré tout, sa nature profonde correspondait parfaitement au stéréotype de la blonde écervelée.

« Quoi ? Qui ? Lesquels ? demanda-t-elle en vrac.

– Nous avons perdu Kurt Cobain, Otis Redding et Johnny Cash.

Oh ! mon Dieu. Et les deux autres ? » enchaîna-t-elle.

Son agitation ouvrait un peu plus à chaque seconde l’échancrure de sa veste en cuir.

« J’ai pris soin de les mettre sous garde armée, répondit Powell, d’un ton quelque peu pompeux. Je crains qu’un concurrent n’ait pris connaissance de l’identité des cinq finalistes, et n’ait engagé un tueur à gages pour les éliminer. »

Lucinda secoua la tête. « C’est complètement timbré. J’ai révélé à personne qui seraient les finalistes.

– Moi non plus », s’empressa d’ajouter Candy.

Lucinda se pencha en avant. « T’as une idée de qui est l’origine de toutes ces conneries ? demanda-t-elle à Powell.

– Et comment. Le tueur à gages et le type qui l’a engagé ont été appréhendés par un autre tueur à gages, il y a quelques heures de ça. Celui-ci et deux gars de la sécurité les ont emmenés dans le désert pour les tuer, mais ils ne sont toujours pas revenus. Impossible de les joindre.

– Doux Jésus ! glapit Lucinda. Mais qu’est-ce qu’on va faire ? On va devoir annuler le concours ? »

Powell hocha la tête. « Non, non, non. Comme on dit, “the show must go on”. Nous devons juste trouver trois concurrents qui remplaceront les finalistes morts. » Il considéra les deux femmes à tour de rôle. « Des suggestions ? Nous avons environ deux minutes pour faire notre choix. Je veux lancer la finale aussi vite que possible. Le show de cette année est vraiment en train de tourner au cauchemar. Alors quels sont les nouveaux concurrents que nous retenons ? Qui ont été les plus appréciés du public ? »

Lucinda proposa une autre idée : « Et si on en choisissait un chacun ? Ce serait plus équitable, non ? »

Powell haussa les épaules. « OK, ça me va. Candy, tu choisis qui ? »

Candy parut surprise. « Tu veux que je te donne un nom tout de suite ?

– Non, j’aimerais que tu m’en donnes un au bout du délai de réflexion qui te semblera le plus confortable. Oublie ce que j’ai dit au sujet des deux minutes qui nous restaient pour décider.

– C’est sarcastique ?

– Oui. Très finement remarqué de ta part.

– Très bien. Dans ce cas, je choisis Elvis. Il était mignon.

– Ce n’est pas un critère de sélection, répliqua sèchement Nigel.

– Tu étais d’accord pour qu’on en choisisse un chacun, je choisis Elvis.

– Certainement pas. Tu ne vas pas choisir quelqu’un simplement parce qu’il t’excite.

– Donne-moi une seule raison de ne pas le prendre. Une raison qui ne serait pas personnelle.

– Pas de problème : je ne l’aime pas. Vraiment pas. »

Candy poussa un profond soupir. « Très bien, lâcha-t-elle dans une moue boudeuse. Alors je prends Freddie Mercury. T’es content ?

– Tout à fait, répondit Powell en souriant pour la première fois depuis le début de l’entrevue. Il était bon, sans être trop bon. »

Il tourna la tête vers l’autre jurée : « Et toi, Lucinda ? »

Lucinda fronça les sourcils et réfléchit un instant. « Le Blues Brother était pas mauvais, finit-elle par dire, encore pensive.

– Le type avec son harmonica ? Et son pantalon en cuir rouge ? »

Candy ne chercha pas à dissimuler son mépris.

« Oui. Il m’a pas mal plu. Il a un petit je-ne-sais-quoi. »

La figure de Powell s’allongea. « Sérieusement ? Moi, j’ai trouvé que c’était un minable qui n’avait trouvé qu’un harmonica pour se rendre intéressant.

– Chacun choisit son concurrent ou quoi ? J’ai dit le Blues Brother et je ne plierai pas. »

Lucinda était clairement plus déterminée que Candy. Et Powell n’avait pas le temps de discuter.

« Fort bien, dit-il. Ça nous fait quatre finalistes. Qui vais-je bien pouvoir prendre ? » Il tambourina des doigts sur son bureau pendant quelques secondes, passant mentalement en revue les chanteurs qu’il avait vus.

« Tu n’as même pas assisté à la moitié des auditions », releva Lucinda. Elle avait raison. À cause de ses allées et venues incessantes durant les prestations, il en avait raté un certain nombre.

« C’est vrai. Et tous les chanteurs que j’ai vus étaient désespérants. » Un nom lui traversa soudain l’esprit. « Je sais. Tout à l’heure, dans le hall de réception, j’ai entendu un grand nombre de spectateurs qui ne tarissaient pas au sujet de Janis Joplin. Apparemment, tout le monde s’accorde à penser que sa prestation était le clou des auditions. Je crois que c’est sur elle que mon choix va se porter. »

Lucinda et Candy étaient totalement interdites. Lucinda parla pour elles deux : « Mais tu ne l’as même pas vue !

– Et alors, quelle différence ça fait ? De toute façon, c’est Judy Garland qui l’emportera. Personne ne peut la vaincre. Et, par ailleurs, je trouve qu’il serait bon qu’on ait une autre femme en finale.

– On est d’accord, mais crois-moi, pas celle-ci, insista Lucinda.

– Ça suffit comme ça, lâcha Powell en balayant les arguments d’un revers de main. Chacun de nous choisit son concurrent, et je choisis celle-ci.

– Mais…

– Y a pas de mais, bordel ! répliqua-t-il en criant presque, avant de poursuivre d’une voix plus mesurée. On a nos nouveaux finalistes. À présent, allons annoncer leurs noms. On a déjà pris un retard considérable. J’ai deux trois appels à passer. Vous pouvez aller soumettre à Nina les noms des finalistes. Allez-y. Allez, allez. Et fermez la porte derrière vous. »

Lucinda et Candy quittèrent toutes deux leur siège et se dirigèrent vers la porte. Avant d’en passer le seuil, Lucinda tenta une dernière fois de lui faire entendre raison : « Nigel, sérieusement, cette Janis Joplin, tu ne peux pas la…

– Bien sûr que je peux, bordel ! Maintenant, sortez d’ici ! »

Le cimetière du diable
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