2

Dans le Cimetière du Diable, le matin d’Halloween ne ressemblait à aucun autre. Joe ouvrit sa station-service à 8 heures pile, comme à son habitude, mais c’était bien la seule chose qui ne différerait pas de sa routine habituelle. Dans l’air frais du matin, il lui fallut moins de dix minutes pour retirer les cadenas des deux pompes à essence et allumer l’alimentation électrique. Il n’y avait même plus signe des lézards, serpents et autre vermine du même acabit qui normalement glissaient et rampaient sur le sol poussiéreux et aride. Il y avait fort à parier que si ces bestioles connaissaient un coin où hiberner un jour ou deux, elles s’y étaient d’ores et déjà réfugiées.

Le restaurant Sleepy Joe était sur l’autoroute qui traversait le désert, la seule étape avant l’Hôtel Pasadena. L’établissement disposait de pompes à essence, et comme il n’existait aucune autre station-service dans un rayon de 150 kilomètres, la plupart des personnes qui empruntaient cette route s’y arrêtaient pour faire le plein. Et les jours précédant Halloween, le nombre de clients battait systématiquement tous les records.

Cette période de l’année, Joe l’attendait autant qu’il la redoutait. Toutes sortes de curieux personnages faisaient une halte chez lui pour remplir leur réservoir et leur estomac. 90 % d’entre eux étaient complètement débiles ; les 10 % restants pouvaient être poliment qualifiés de « naïfs ». Cela faisait douze ans que Joe était propriétaire du restaurant-station-service, et chaque année avait amené ce à quoi il s’attendait. Celle-ci ne risquait pas de faire exception.

Après s’être assuré que les pompes étaient fin prêtes à l’usage, Joe rentra dans le sanctuaire qu’était son restaurant. Il ne savait que trop bien que la paix et le silence qui régnaient dehors n’étaient que le calme proverbial avant la tempête. Il savait aussi d’expérience ce qui allait se passer, et il se félicitait du fait que plus tard dans la journée, lorsque, immanquablement, les choses tourneraient au cauchemar, il se trouverait en parfaite sécurité dans sa cave à l’épreuve des tornades.

Dans les cuisines, tout au fond du restaurant, Joe prépara le café en vue de la visite annuelle de Jacko. Puis, en attendant qu’il bouille, il s’occupa des menues tâches matinales.

À environ 8 h 30, une camionnette s’arrêta en face de l’entrée du restaurant, comme elle le faisait chaque jour, afin de livrer les journaux. La plupart du temps, Joe échangeait des civilités avec Pete, le livreur, et ils parlaient un peu des dernières nouvelles de la région. Pourtant, ce matin, Pete ne sortit même pas un pied de sa camionnette. Il se contenta d’abaisser sa vitre pour jeter un paquet de journaux sur le perron du restaurant. Le paquet atterrit aux pieds de Joe, faisant voler un petit nuage de sable et de poussière.

« Salut, Pete, dit Joe en soulevant imperceptiblement la visière de sa casquette.

– Hé ! Joe. Suis pas mal en retard, ce matin. Faut que j’y aille.

– Ça te dit, un petit café ? Je viens de le mettre à bouillir.

– Nan, merci quand même. J’ai un tas de trucs à faire aujourd’hui.

– Bon. Il faut que je te règle ce que tu sais. Il me semble que je suis en retard d’une semaine. »

Dans sa camionnette, Pete se mit à remonter sa vitre. Il était évident qu’il n’avait aucun désir de s’attarder ici ce matin-là.

« Pas de problème, Joe, je sais que je peux te faire confiance. T’auras qu’à me régler ça demain. Ou plus tard dans la semaine, peu importe.

– T’es sûr ? Je peux aller chercher l’argent dans la caisse. »

Mais sa proposition était tout à fait superflue.

« À demain, Joe. Passe une bonne journée. »

La vitre se referma complètement et Pete démarra avec un bref salut de la main à l’attention de Joe. Bien vite, il disparut à l’horizon, en direction de l’Hôtel Pasadena.

Habituellement, les conversations matinales des deux hommes duraient cinq bonnes minutes. Pete était un type plutôt sympa, qui aimait bien tailler le bout de gras, mais les matins d’Halloween, il était toujours pressé de finir sa ronde. Dans tout le Cimetière du Diable, il n’existait que deux lieux de livraison : le restaurant de Joe, et l’Hôtel Pasadena. Joe ne se formalisa donc pas de la hâte de Pete, malgré une certaine déception.

À 8 h 45, le resto était fin prêt à recevoir la clientèle. Détendu, prêt à affronter cette journée, Joe se servit sa première tasse de café et s’assit à l’une des tables rondes en bois de la salle, qui étaient toutes recouvertes d’une nappe vichy blanc et rouge. Un nouveau client aurait eu le plus grand mal à deviner que Joe était le patron des lieux. Il portait toujours la même salopette en jean bleu qu’il lavait une fois par semaine. À l’exception de quelques touffes qui dépassaient autour des oreilles, ses cheveux gris victimes d’un début de calvitie étaient constamment dissimulés sous une casquette de base-ball rouge qui devait bien avoir quinze ans. Une barbe de trois jours gris argenté mangeait le bas de son visage vieilli, défait et affaissé, et quelle que soit son humeur, il avait toujours un air de chien battu. Même durant sa jeunesse, on avait coutume de le charrier en racontant qu’une bourrasque avait figé son expression au beau milieu d’un concours de grimaces.

Sur la une du premier journal qu’il attrapa s’étalait le gros titre : « RECHERCHÉ MORT OU VIF – RÉCOMPENSE : 100 000 $. » Sous ces mots en caractères gras, corps 72, on pouvait voir une photo au grain assez flou, sans doute issue d’un enregistrement de vidéosurveillance. Il s’agissait d’un homme aux cheveux noirs et sales qui lui tombaient aux épaules, et qui portait des lunettes noires. Selon l’article qui suivait, cet individu avait commis une série de vols à main armée dans une petite ville de bouseux, non loin de là. Ce faisant, il avait en outre assassiné plusieurs agents de police, ainsi que des civils innocents. Le nombre de morts dépassait la trentaine, mais les flics s’attendaient à trouver de nouveaux cadavres dans les prochains jours. L’article allait même jusqu’à suggérer que ses crimes avaient peut-être été perpétrés par la légende urbaine plus connue sous le nom de « Bourbon Kid ». Tout le monde avait entendu parler du Bourbon Kid. Mais on avait tendance à le mettre dans la même case que le yéti et le monstre du loch Ness.

Tout en lisant tranquillement son journal, Joe s’imaginait recevoir la récompense pour avoir attrapé le Bourbon Kid. S’achèterait-il une nouvelle voiture avec tout ce pognon ? Ou prendrait-il de longues vacances ? À moins qu’il n’emménage dans un bled plus agréable, carrément ? Une question éclipsait cependant toutes ces considérations : aurait-il le cran de capturer le Kid ? La réponse n’était autre qu’un « non » franc et définitif. À moins qu’il ne lui tire dans le dos à la moindre occasion… Ouais, ça, ça pouvait être envisageable. C’était très lâche, assurément, mais le bien-être et la sécurité de la population étaient en jeu. Et la population lui serait éternellement reconnaissante pour cet acte. Ne serait-ce que pour cette raison, Joe se dit qu’il ne déménagerait pas s’il touchait la récompense. À quoi bon devenir une légende locale si on ne reste pas dans le coin pour se faire acclamer ?

Il soulevait sa tasse préférée, blanche et ébréchée, pour avaler une gorgée de café noir, lorsque Jacko apparut sur le perron, comme il le faisait une fois par an. Rejetant alors ses rêves de grandeur et de célébrité, Joe se força à revenir sur terre, en se disant que, selon toute probabilité, il ne connaîtrait jamais rien de plus excitant que l’apparition de Jacko. Et ça n’avait rien de vraiment excitant.

La petite clochette de la porte tinta, annonçant la présence du nouveau venu. C’était un jeune homme noir qui devait avoir entre 25 et 29 ans. Chaque année, il arrivait déguisé en Michael Jackson, époque « Thriller ». Il portait une veste en cuir rouge, un pantalon assorti, en cuir rouge également, et un T-shirt bleu. Ses cheveux étaient courts, et sa permanente impeccable.

Chaque année, Jacko passait toute la journée dans le restaurant à discuter avec Joe en buvant de copieuses quantités de café, dans l’espoir qu’un automobiliste accepte de le conduire à l’Hôtel Pasadena, pour le grand concours de chant « Back From The Dead », « De retour d’entre les morts ». Et chaque année, il échouait misérablement. Pourtant, il ne perdait jamais courage, et, aussi sûr que deux et deux font quatre, il revenait tenter sa chance chaque jour d’Halloween.

Joe le vit entrer en jetant un coup d’œil autour de lui. Très vite, leurs regards se croisèrent, et les deux hommes échangèrent un sourire. Jacko s’exprima en premier : « Toujours là, Joe ?

– Toujours là. Comme d’habitude ?

– Oui, m’sieur. »

Il marqua une pause, hésitant et un peu mal à l’aise, avant de poursuivre. « Mais tu sais que je n’ai pas un sou sur moi, hein ?

– Je sais. »

La vieille chaise en bois sur laquelle était assis Joe craqua bruyamment lorsqu’il se leva pour se diriger vers le comptoir qui se trouvait à l’autre bout de la salle. Derrière, une étagère en bois était fixée au mur, à hauteur des yeux. Plusieurs tasses à café y étaient alignées, identiques à celle dans laquelle Joe buvait son café. Il se saisit de celle qui se trouvait au milieu et la posa sur le comptoir. Puis il attrapa la verseuse à café qu’il avait posée sur un meuble, juste à côté de la porte des cuisines, et remplit la tasse. Lorsqu’il eut fini, il constata que Jacko avait pris sa place. Et qu’il lisait son journal. Joe eut un petit sourire désabusé. La même chanson chaque année.

« Comment vont les affaires ? lança Jacko sans lever les yeux du journal.

– Comme d’hab.

– Tant mieux, tant mieux. »

Joe alla déposer la tasse de café en face de Jacko, juste à côté du journal. Il baissa les yeux, et s’aperçut qu’il lisait la une.

« Tu crois que t’auras de la chance cette année ? demanda-t-il.

– J’ai un excellent pressentiment, cette année.

– À ce point, hein ? Eh bien moi, je te parie 5 dollars qu’une fois de plus personne te prendra en stop. »

Jacko releva enfin la tête, pour révéler un sourire parfait, un sourire d’un blanc éclatant, plein d’optimisme, un sourire dont le vrai Michael Jackson, à l’époque de « Thriller », aurait pu être fier.

« Ah ! Joe. Homme de peu de foi. Dieu m’enverra quelqu’un, cette année. Je le sens. »

Joe hocha la tête. « S’il y a bien un truc que Dieu va envoyer par ici, c’est des emmerdes, mon ami. Si tu arrives à entrer dans la voiture de qui que ce soit, je suis quasiment certain que je te reverrai pas l’année prochaine. »

Jacko rit. « J’en ai rêvé, la nuit dernière. J’ai eu la prémonition qu’un homme, envoyé par Dieu, m’aiderait à traverser sans péril cette contrée. J’ai aujourd’hui rendez-vous avec mon destin. »

Joe soupira. Jacko aimait vraiment se la raconter. Et il était vraiment le seul à parler comme ça dans toute la région. Mais c’était aussi ce qui le rendait plutôt attachant.

« Et tu sais qui est ce type que Dieu va t’envoyer ?

– Pas encore.

– Une idée de ce à quoi il peut ressembler ?

– Non. Aucune. »

Joe tendit la main et ébouriffa la permanente de Jacko. Puis il sourit. « OK. Le petit déj sera prêt dans cinq minutes.

– Je t’en remercie infiniment », dit Jacko, faisant preuve d’une politesse fort déplacée dans un établissement tel que le restaurant Sleepy Joe, que l’adjectif « merdique » aurait parfaitement défini.

Le patron disparut en cuisine et se mit à préparer le petit déjeuner de Jacko. Il en connaissait la composition par cœur. Deux tranches de bacon, deux saucisses, deux galettes de pommes de terre et un œuf au plat. Les quatre tranches de pain de mie étaient déjà beurrées, prêtes à être servies.

Il piocha les ingrédients dans le vieux frigo, posa une poêle sur l’un des feux, y fit glisser une noix de beurre, suivie des tranches de bacon et des saucisses. Il tira ensuite une spatule en métal rouillé d’un des tiroirs qui se trouvaient sous l’évier, en face de la cuisinière, et se mit à retourner les saucisses. La viande froide grésillait dans le beurre bouillant, et son fumet emplit les narines de Joe. En inspirant l’odeur à pleins poumons, il se dit que la journée avait bel et bien commencé. Réfléchissant à tout ce qui allait s’ensuivre, il s’écria en direction de la salle du restaurant : « Y a un tas d’inconnus qui vont se ramener, tu sais. Et à ce que raconte le journal, l’un d’entre eux est peut-être un tueur en série. T’as déjà entendu parler de ce “Bourbon Kid” ? S’il se pointe ici, je te recommande fortement de pas essayer de monter dans sa caisse. »

Jacko lui répondit en faisant porter sa voix : « Je suis prêt à monter dans la voiture de n’importe qui. Je suis pas difficile.

– Ce mec est un assassin, Jacko. J’doute fortement que ce soit l’envoyé de Dieu que t’attends.

– Les envoyés de Dieu peuvent prendre bien des apparences.

– Comme celle d’un type qui aurait assez de munitions sur lui pour conquérir le Mexique, par exemple ?

– C’est possible.

– Alors c’est peut-être bien l’homme que t’attends. »

Il y eut une pause, puis Jacko reprit la parole : « Il est très bon, ton café, Joe.

– Ouais. Je sais. »

Pendant la petite heure qui suivit, Jacko mangea son petit déjeuner gratuit, puis feuilleta les journaux tout en discutant de tout et de rien avec Joe, qui s’était assis sur un tabouret de bar, derrière le comptoir. Il en était à sa troisième tasse de café brûlé lorsqu’une voiture se gara devant le restaurant. Un peu plus tôt, Joe l’avait vu passer à toute vitesse. Au carrefour qui se trouvait à un peu moins d’un kilomètre de là se dressait un panneau indiquant la direction de l’Hôtel Pasadena. Mais chaque année, à Halloween, le panneau disparaissait, et tout automobiliste qui passait devant le restaurant faisait invariablement demi-tour au bout de quelques minutes pour demander son chemin.

Joe connaissait la chanson par cœur. Si quelqu’un entrait et demandait où se trouvait l’Hôtel Pasadena, il devait feindre la surprise et l’ignorance. Jacko pourrait ainsi se proposer comme guide, et, en échange, se faire déposer à l’hôtel, afin de réaliser son rêve.

La voiture était noire et racée, avec un très long capot. À en juger par la taille de celui-ci, on pouvait déduire sans trop se mouiller qu’il cachait un très gros et très puissant moteur. Et le fait était que les rugissements qu’il poussait au point mort étaient pour le moins impressionnants. En fait, il semblait même que le conducteur accélérait volontairement au point mort afin de faire comprendre qu’il avait besoin d’un renseignement. C’était une voiture extrêmement puissante, et il était évident que celui qui la conduisait entendait le faire savoir. Elle était recouverte de sable et de poussière, sans doute à cause d’une longue route au milieu du désert. En bon vieux con aigri, Joe n’était pas du genre à exprimer d’une façon ou d’une autre son admiration face à un véhicule pareil. Il avait un vieux pick-up de merde, et jalousait toute personne qui se trouvait au volant de quelque chose de mieux. En vérité, si cela n’avait tenu qu’à lui, il n’aurait pas prêté la moindre attention à la voiture noire. Mais malheureusement, Jacko voulut en savoir un peu plus :

« C’est quoi, comme voiture ? » lui demanda-t-il. Joe fit semblant de ne pas avoir remarqué la présence du véhicule, et jeta un regard exagérément insistant à travers la vitrine poussiéreuse. Il reconnut aussitôt le modèle.

« Pontiac Firebird, grommela-t-il.

– Une quoi ?

– Une Pontiac Firebird, répéta-t-il en articulant méticuleusement chaque syllabe.

– C’est quoi, une Pontiac Firebird ? Je n’en ai jamais entendu parler.

– Une voiture de méchant.

– Pourquoi est-ce que… »

Jacko s’interrompit au premier tintement de la clochette, qui annonça que le conducteur de la fameuse voiture venait d’entrer dans le restaurant.

Joe sut immédiatement que sa prédiction était juste. C’était bel et bien un méchant. L’aura du type ne laissait aucun doute. Il avait une présence hors du commun. N’importe qui l’aurait remarquée, même à une centaine de mètres. Sauf peut-être Jacko.

L’inconnu portait un pantalon treillis noir, des bottines noires, et une lourde veste en cuir noir dans le dos de laquelle pendait une capuche sombre pour le moins incongrue. Sous la veste, on pouvait voir un T-shirt moulant, noir également. Il était impossible de discerner ses yeux à travers les verres opaques de ses lunettes de soleil. Ses cheveux étaient épais, sombres et, pour tout dire, franchement sales. Ils lui tombaient aux épaules, sans effet de style particulier. Ce mec avait l’air naturellement cool, comme s’il dormait toujours habillé et s’en foutait complètement.

En s’avançant vers le comptoir, selon toute probabilité pour demander son chemin à Joe, il jeta un regard en direction de Jacko, à qui il décocha un court salut de la tête. Pas de doute : c’était le type dont la photo s’étalait en une du journal. Joe avait les mains moites. Est-ce que c’est un signe ? Moins de deux heures auparavant, il s’était demandé ce qu’il ferait s’il se retrouvait confronté au tueur en série dont le journal parlait. Et à présent, comme pour le mettre à l’épreuve, Dieu lui avait précisément envoyé cet homme. Joe pensa à la récompense de 100 000 dollars. Aurait-il le courage de suivre son plan, en butant cet assassin recherché par les autorités si l’occasion se présentait ? C’était là la seule chance qu’il aurait de toute sa vie de se faire un tel paquet de pognon. Il était comme plongé dans une transe, jaugeant les risques qu’il lui faudrait courir pour empocher la récompense, lorsque l’homme s’exprima. Sa voix était particulièrement rocailleuse, avec un ton désagréable, voire carrément sinistre.

« Vous savez ce que c’est, un panneau indicateur, dans le coin ? » demanda-t-il.

Joe haussa les épaules, comme pour s’excuser. « En temps normal, les seules personnes à circuler par ici sont des gens du coin, monsieur. Pas besoin de panneau indicateur.

– Est-ce que j’ai l’air d’être du coin ?

– Non, monsieur. »

Comme prévu, Jacko, assis sur la gauche de l’homme, saisit cette opportunité de se mêler à la discussion. « Je peux vous indiquer le chemin à prendre, si vous voulez, monsieur. »

L’homme se retourna, abaissa ses lunettes et toisa Jacko par-dessus ses verres opaques : « T’as pas l’air d’être du coin, toi non plus.

– C’est vrai. Mais je connais bien la région.

– Et comme par magie, tu sais où je vais ? »

Le son de sa voix évoquait celui de petites pierres roulant au fond du lit d’une rivière.

Jacko se fendit d’un large sourire. « À l’Hôtel Pasadena, je suppose. Si vous acceptiez de me prendre en stop, je pourrais vous indiquer la direction à prendre.

– Pourquoi est-ce que tu me la pointes pas du doigt, simplement ? »

Joe se sentait mal à l’aise pour Jacko. Il n’avait donc pas encore compris que ce type était un tueur en série, et, partant, pas le genre de mecs avec qui on avait envie de faire un bout de chemin ?

« Eh bien, il se trouve que, moi aussi, je cherche à rejoindre l’Hôtel Pasadena, dit joyeusement Jacko. Alors en échange de mes indications, un petit coup de pouce serait vraiment le bienvenu.

– Contente-toi de pointer la direction.

– Ben, vous voyez, ce n’est que sur place que j’arrive à me rappeler clairement par où aller. Et pour rien au monde, je ne voudrais vous envoyer dans la mauvaise direction.

– Non, effectivement. Pour rien au monde, tu ne voudrais faire ça.

– Alors vous acceptez de me prendre en stop ? »

L’homme repoussa ses lunettes vers la base de son nez, et ses yeux disparurent derrière les verres. Il semblait regarder Jacko intensément, droit dans les yeux. À cet instant précis, Joe prit sa décision.

Impossible de laisser filer une récompense de 100 000 dollars comme ça.

Très lentement, dans un geste quasi imperceptible, il tendit la main vers un petit tiroir en bois, à hauteur de la taille, juste sous le comptoir. C’était là qu’il gardait un petit revolver plaqué nickel, au cas où. Il lui suffisait de s’en saisir et de lui tirer dans le dos pendant que Jacko faisait diversion. 100 000 dollars à la banque. Joli boulot. Merci beaucoup. Sans le moindre tressaillement malgré son âge, Joe ouvrit tout doucement le tiroir, et avança sa main. Ses doigts effleurèrent le métal froid du revolver. Son cœur battait la chamade, mais il avait largement le temps. Le type debout devant le comptoir regardait toujours de l’autre côté, réfléchissant sans doute à la proposition de Jacko. Juste au moment où Joe enserrait la crosse du revolver dans sa main, l’inconnu se décida enfin à répondre : « C’est bon, je te dépose. Mais va me chercher deux bouteilles de bourbon derrière le comptoir. »

Joe vit Jacko se lever de sa chaise dans une grimace : « Euh, le problème, c’est que j’ai pas d’argent. »

L’homme soupira, puis glissa sa main droite sous le pan gauche de sa veste en cuir noir. Il en tira un gros pistolet gris sombre. Il se retourna vers le comptoir, tendit le bras et braqua le canon sur la gorge de Joe. Celui-ci écarquilla les yeux, et tira aussi rapidement qu’il put son revolver du tiroir, pour le pointer vers l’homme en noir.

Il s’ensuivit alors une puissante déflagration qu’on aurait pu entendre à des kilomètres à la ronde. Les tasses blanches posées sur l’étagère, derrière la tête de Joe, furent soudain éclaboussées du sang écarlate qui jaillissait du trou béant à la base de son crâne.

Ce n’était pas la première fois que le sang coulait ce jour-là, et c’était loin d’être la dernière.

Le cimetière du diable
titlepage.xhtml
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_000.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_001.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_002.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_003.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_004.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_005.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_006.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_007.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_008.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_009.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_010.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_011.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_012.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_013.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_014.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_015.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_016.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_017.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_018.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_019.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_020.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_021.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_022.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_023.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_024.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_025.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_026.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_027.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_028.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_029.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_030.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_031.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_032.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_033.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_034.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_035.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_036.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_037.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_038.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_039.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_040.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_041.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_042.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_043.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_044.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_045.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_046.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_047.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_048.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_049.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_050.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_051.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_052.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_053.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_054.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_055.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_056.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_057.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_058.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_059.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_060.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_061.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_062.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_063.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_064.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_065.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_066.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_067.html
3_Le_cimeti_232_re_du_diable_split_068.html