Chapitre neuf
L’affaire neyret,
ou la corruption à tous les étages

La fuite in extremis de dealers alerte la police des polices

Par une fraîche soirée de novembre 2010, rien ne bouge dans le quartier Saint James, un des plus résidentiels – et des moins animés de Neuilly sur Seine. Toute proche de Paris, la ville dont l’ex-président Sarkozy a été maire est un refuge doré pour le milieu de la finance et du « show bizz ». Mais pas seulement. Vers 22 h, rue Édouard Nortier, une dizaine de policiers débarquent brusquement pour monter au deuxième étage d’une résidence moderne. Ils entrent dans un appartement en travaux qu’on leur a indiqué. Là, c’est le jackpot : un butin de 110 kilos de cocaïne qu’ils trouvent au milieu des pots de peinture, ainsi qu’un peu de liquide : plusieurs centaines de milliers d’euros. Immédiatement, une série de perquisitions et d’arrestations est lancée, au beau milieu de la nuit, dans plusieurs lieux de Paris.

Quatre personnes vont être arrêtées à cette occasion. Mais deux autres s’enfuient quelques minutes avant que la police n’arrive. Malgré la prise record, qui sera ultra médiatisée, pour les policiers, c’est un échec. Si les principaux trafiquants ont échappé à la police, c’est parce qu’ils ont été prévenus. Donc qu’il y a des fuites. Et en interne. Pour une affaire de stupéfiant aussi énorme, c’est une faute majeure. La « police des polices », ou Inspection Générale des Services se penche immédiatement sur le dossier.

Parmi les deux hommes qui ont réussi à s’échapper ce soir-là, un certain Yann, connu des services de police et déjà recherché, repart en cavale avec son faux passeport. Né en Moselle, d’une mère italienne et d’un père français, Yann a déjà, à 34 ans, un beau CV de bandit. Il a déjà été condamné, dans le nord de la France, pour avoir cédé des véhicules de luxe aux origines douteuses à des trafiquants qui les utilisaient pour transporter de la drogue. Alors que le « car-jacking » se développe, sous la houlette des frères Hornec de Montreuil, Yann est cité dans plusieurs affaires concernant le clan des Gitans. Il est à l’époque à la tête d’un garage de voitures de luxe dans le XVIIe arrondissement de Paris, dans lequel le clan de l’Est parisien a visiblement investi. Comme ses mentors, qui ont tenu le haut du pavé du grand banditisme parisien durant les années 1990, Yann recycle rapidement ses ressources dans l’immobilier. Mais pas en France. Se sachant potentiellement en danger – et il a déjà été la cible d’une tentative d’assassinat au fusil à pompe, Yann a choisi des destinations exotiques : le Panama, les Émirats Arabes Unis ou les États-Unis.

C’est l’épisode de la fraude à la TVA sur le carbone qui lui a donné des ailes. Sous un autre nom d’emprunt – un troisième, Marco –, il a manipulé un « homme de paille », un retraité de 65 ans qui avait déjà travaillé dans le passé pour le clan des Gitans, pour organiser un réseau de fraude à la TVA sur le carbone. Le réseau lui aurait fait gagner plus de 10 millions d’euros selon la justice allemande ; mais c’est sans compter les autres pays européens où il aurait également fait tourner des quotas : la Belgique, l’Espagne, l’Italie. Les fonds seront bien utilisés : c’est grâce à ces millions que le brigand est parvenu à organiser sa cavale. Mais surtout à quérir de précieuses informations sur les activités de la police.

Arrêté à Dubaï le 31 juillet 2011 à la demande des enquêteurs français, Yann va être relâché début septembre, dans des conditions obscures. L’intercession d’un gros bonnet de la police française, qui l’aurait fait passer pour un indic afin qu’il puisse échapper aux forces de police de Dubaï en l’échange d’une caution, y serait pour quelque chose. C’est la deuxième fois qu’il est aidé de la sorte. Pour la police des polices, ces deux irrégularités gravissimes auraient pour responsable un seul et même homme, un homme insoupçonnable, chevalier de la Légion d’Honneur pourtant. Il s’agirait du commissaire Michel Neyret.

L’arrestation du commissaire Neyret, un coup de filet dans le carbone

Le 29 septembre 2011, un jeudi, c’est la panique dans la police lyonnaise. Au petit matin, un des principaux commissaires de la ville, le numéro deux, a été arrêté chez lui dans sa maison en Isère, et placé en garde à vue par la police des polices. À 55 ans, le commissaire qui se revendique « flic à l’ancienne » derrière une apparence de vieux beau à la mise impeccable avait l’intention de quitter la police en 2012. Après un début de carrière à Versailles, il a passé 20 ans à la cellule antigang de la seconde ville de France, où il est revenu après un passage sur la Côte d’Azur. Il connaît tous les rouages du banditisme de la région, mais aussi ses boîtes de nuit, ses brasseries, ses cafés nocturnes qu’il fréquente avec des indics. Jusque-là, rien que de très normal. Mais les « bœufs-carottes », la police des polices aussi appelée l’Inspection Générales des Services, l’ont à œil depuis quelques mois. Ils l’ont placé sur écoute téléphonique après l’épisode des 110 kilos de cocaïne et du départ hâtif des suspects. Ces super flics à la réputation de « durs » ont de sérieuses interrogations sur le fonctionnement, les relations et la moralité du commissaire. Leur surnom vient du fait qu’ils ont l’habitude de faire mijoter leurs suspects avec beaucoup de patience. Leur enquête les conduit à mettre Michel Neyret en examen et l’écrouer pour corruption, trafic international de stupéfiants et blanchiment d’argent, des chefs d’accusation auxquels viendront s’ajouter d’autres par la suite.

Des policiers grenoblois sont aussi arrêtés, ainsi que quelques hommes réputés proches du commissaire : ses corrupteurs. Michel Neyret, qui vient justement de participer au tournage d’un film sur les relations complexes entre la police et le milieu, Les Lyonnais d’Olivier Marshall, se retrouve au cœur du drame. Personnalité charismatique et controversée, il est aussi considéré comme l’un des très bons flics de sa génération, grâce à quelques faits d’armes majeurs ; comme la capture du gang qui pillait les bijouteries en Rhône-Alpes, en 2009, ou celle de Tony Musilin, recherché après le braquage d’un fourgon blindé. Il a aussi à son actif des prises impressionnantes dans le cadre de la lutte contre les trafics de stupéfiants, priorité absolue de la police française. Mais ce n’est pas nouveau : qui dit bon flic, dit bons indics. La proximité avec le milieu des escrocs est essentielle pour pouvoir mieux les comprendre, et avoir les bonnes informations. « Toutes les polices dans le monde entier fonctionnent comme ça, on n’a pas le choix ; et encore, la France est à la traîne, parce qu’on manque de budget pour rémunérer les indics » explique un officier de police. C’est justement pour cette raison que le commissaire a visiblement dévié du droit chemin.

Pour rémunérer les indics, et surtout dans la lutte contre les stupéfiants, la police a tendance à payer en nature. C’est à dire, avec les « prises » qu’ils font sur le terrain, comme la résine de cannabis ou la cocaïne. Un petit jeu qui s’avère dangereux. Parmi la dizaine de chefs d’accusation dont a hérité le commissaire Neyret, on lui reproche notamment le recel de cannabis. Une pratique courante, qui pourrait donner lieu à des poursuites dans tous les grands services de police judiciaire. Mais il y a plus grave.

Des fiches de police destinées aux escrocs du carbone

La proximité du commissaire avec un milieu proche du grand banditisme, et des soupçons d’enrichissement personnels pèsent sur lui, si l’on en croit les écoutes téléphoniques pratiquées par l’IGS. Pour obtenir des infos sur un réseau de drogue, il serait visiblement devenu un peu trop proche d’un circuit concurrent, qui a cru et embelli avec l’argent du CO2. Là encore, la fraude à la TVA sur le marché du CO2 a eu des effets dévastateurs sur le fonctionnement normal de l’administration.

Le parcours exemplaire du commissaire aurait en effet déraillé à partir du moment où l’argent de la fraude à la TVA sur le CO2 a décuplé les moyens financiers de ses contacts, qui ont commencé à lui proposer des services voire de l’argent en échange d’informations. Avant que leurs millions n’inondent le pays, et permettent aux corrupteurs présumés de Neyret de lui prêter des voitures de luxe, de l’inviter dans des voyages en Afrique voire de le rémunérer en liquide via des comptes ouverts à l’étranger, le commissaire était de fait incorruptible. Par l’intermédiaire de l’un d’eux, dont il était proche, il aurait en revanche transmis ou vendu des informations confidentielles à la plupart des gros fraudeurs à la TVA sur le CO2, souvent réfugiés à l’étranger, si l’on en croit les listes de requêtes réalisées auprès du fichier STIC. En plus de cette fraude, ces clients présumés ont parfois commis des escroqueries de grande envergure. Car l’argent du CO2 n’est pas très propre. Certains escrocs ont recyclé l’argent de la drogue dans le CO2 ; d’autres ont au contraire réinvesti les millions d’euros issus de cette fraude dans des cargaisons de cocaïne.

Le commissaire est soupçonné par les enquêteurs d’avoir transmis, ou vendu, des informations sur une tripotée de voyous, dont à Yann. Il avait pour cela recours à ses contacts, mais aussi aux fichiers de la police : le STIC, ou Système de traitement des infractions constatées, qui recense toutes les personnes concernées par des mises en examen, garde à vue ou simple audition dans le cadre d’une enquête. Mais aussi aux recherches d’Interpol, l’organisation internationale des polices, installée sur les bords du Rhône à Lyon.

Yann est recherché par la police allemande à la fois pour une histoire de drogue et pour les fraudes sur le carbone. Pénalement plus grave, les poursuites pour trafic international de stupéfiants ont dans ces cas-là la priorité. Mais les deux escroqueries sont interdépendantes : sans les fonds de la cocaïne, Yann n’aurait pas commis autant d’arnaques sur le carbone, et sans l’argent du CO2, il ne se serait sans doute pas lancé dans l’importation de 110 kilos de cocaïne de la Colombie jusqu’à Neuilly en passant par les Antilles françaises.

La saisie record de cocaïne représente un fait divers marquant, d’autant qu’il se déroule à Neuilly, et de surcroît dans l’appartement d’une princesse saoudienne. Mais l’épisode n’est qu’une goutte d’eau dans les conséquences potentiellement dévastatrices du recyclage de l’argent du CO2. À l’échelle de la fraude à la TVA et des 10 à 20 milliards détournés des caisses de l’État à cette occasion, les 110 kilos de cocaïne représentent un épiphénomène. Soit quelques millions d’euros à l’achat en Colombie, 4 millions d’euros à la vente sur le marché de gros en Europe, et 7 à 8 millions d’euros au détail pour un gramme de coke qui se vend entre 60 et 80 euros. Alors que les plus petits cas de fraude sur le CO2 portent au moins sur une dizaine de millions d’euros. Et pour plusieurs centaines de millions, pour les plus gros. Car Yann n’est pas le seul escroc en cavale à avoir bénéficié des informations privilégiées du commissaire. Des profils d’une envergure nettement plus importante en ont aussi profité.

Des mafieux qui ne manquent pas de connexions

L’un d’eux, un français réfugié en Israël, se dissimule derrière pas moins de trois identités différentes, et se fait surnommer entre autres : « le Maigrichon »… Or le commissaire Neyret aurait réclamé des informations sur deux de ses identités. Histoire de savoir, et de transmettre, où en étaient les enquêtes sur son compte. Et elles sont nombreuses : l’homme aux multiples identités est recherché par le FBI, Interpol, la Belgique…

Mais c’est la fraude à la TVA sur le CO2 qui l’a visiblement révélé en tant qu’escroc d’envergure internationale. « Le Maigrichon ? Sur le carbone, c’est lui le plus gros ! » rigole un connaisseur. L’homme se targue d’avoir gagné plus d’un milliard d’euros, dont l’essentiel durant la fraude à la TVA sur le CO2. Il a d’ailleurs organisé un raout pour fêter ça, invitant les Black Eyed Peas, un groupe de pop très apprécié en Israël, à se produire à cette occasion dans sa boite de nuit, à Tel-Aviv. Esbroufe, ou vrai milliard ? Le Maigrichon a certainement accumulé beaucoup d’argent.

À la tête d’une boite branchée non loin de la mer, cet homme d’affaires un peu particulier est très proche des Russo-Israéliens, qu’il accueille en priorité dans son établissement trash, où des filles se trémoussent tous les soirs en petite tenue sur le bar. Il ne se déplace qu’avec plusieurs gardes du corps, et a été au centre d’une rixe dans laquelle l’un d’entre eux est décédé en 2010. Dans des conditions obscures, qui alimentent la rancœur des locaux envers l’établissement, dont l’entrée leur est le plus souvent refusée. Parmi les clients de la boite de nuit, où trônent des références à la France – par exemple un portrait de Coluche –, on retrouve surtout des Russes, et d’autres étrangers.

Argent, pouvoir, réussite sociale : le Maigrichon est devenu une sorte de légende parmi les petits escrocs à la TVA, qu’il a dépassés depuis bien longtemps. Il disposerait de yachts à Marbella, d’un hélicoptère, de jets privés bien sûr, et de gardes armés jusqu’aux dents. Comme en France, où il avait ses entrées dans la police, il a aussi des contacts hauts placés en Israël, comme certains oligarques russes. Ainsi, la boite de nuit du Maigrichon est assidûment fréquentée par l’un d’eux, Michael Tchernoy, également appelé Cherney. Un homme qui a fait fortune après la chute de l’URSS, notamment dans le secteur de l’aluminium, en tant que courtier en métaux. Il avait aussi participé à la fusion des fonderies qui ont formé RusAl, désormais numéro un mondial de l’aluminium. Réfugié en Israël depuis 1994, il est connu pour son combat juridique visant à obtenir la participation de 20 % qu’il estime avoir dans RusAl, actuellement aux mains d’un autre oligarque russe, Oleg Deripaska. Proche de l’ancien ministre des affaires étrangères israélien d’extrême droite, Avigdor Liberman, Tchernoy est sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par Interpol pour une affaire de blanchiment en Espagne. En Israël, il aurait selon le quotidien Haaretz transféré des sommes d’argent importantes au ministre des Affaires Etrangères, en échange de menus services comme l’obtention d’un passeport. Il est directement impliqué dans l’enquête en cours depuis cinq ans à l’encontre du ministre populiste, qui défend souvent les intérêts de la communauté russe.

Comme Michael Tchernoy ou le Maigrichon avant eux, certains Français qui ont utilisé la « loi du retour » pour acquérir la nationalité israélienne ces dernières années semblent avoir atterri sur la Terre Promise, pour des raisons plus judiciaires que religieuses. C’est le cas d’un certain nombre de Marseillais qui ont investi le quartier de Herzlya, en bord de mer à côté de Tel-Aviv1.

Les corrupteurs du commissaire carburaient au carbone

Certains sont au contraire restés en France. C’est le cas de Sébastien. Principal lien entre les fraudeurs à la TVA et Michel Neyret, c’est lui qui transmettait les informations avec l’aide de son cousin, plus vieux et également proche du policier.

Les deux hommes ont été arrêtés en même temps que Neyret, pour corruption active. Depuis octobre 2011, le jeune Sébastien, âgé de 37 ans est considéré par les flics comme l’ennemi public numéro un. On le change de prison toutes les trois semaines, dans des convois armés. La police craint son évasion. Pourtant, son profil judiciaire est au premier coup œil plutôt maigre. Officiellement, il n’a eu dans sa vie qu’une condamnation d’un an de prison pour fraude fiscale. Par l’opération du Saint-Esprit, ou plutôt de son ami commissaire, son casier judiciaire était pourtant vierge lorsqu’il a été appréhendé par la police. En plus d’avoir trempé dans des affaires de drogue, et d’avoir joué l’intermédiaire entre les escrocs en cavale et le commissaire, l’homme serait aussi impliqué dans la fraude à la TVA sur le marché du CO2, pour un montant de 50 millions d’euros.

Une fraude qui était dans la continuité de ses précédentes escroqueries. Il aurait été à la tête de deux sociétés lyonnaises qui ont fondu sur le marché du CO2, et qui font aujourd’hui l’objet de deux informations judiciaires ouvertes par le Parquet de Lyon. L’une d’elles, installée en plein cœur de la ville, rue de Créqui, affichait une activité étonnante au milieu de l’agglomération : la production et le commerce de gros d’électricité. La justice peinait à le coincer pour ces faits d’armes. Elle y est parvenue au printemps 2012, et a émis un mandat de dépôt à son égard, si bien que le jeune homme est resté détenu alors que les autres acteurs de l’affaire Neyret étaient libérés en juin de la même année. Tombeur, beau gosse, richissime à 34 ans, il habitait à Lyon et louait une maison à 12 000 euros par mois, à la Roquette-sur-Siagne, à 10 kilomètres de Cannes, tout en allant fréquemment en Israël. Où un certain nombre de fraudeurs comptaient sur lui, ce qui explique que la police se méfie de lui. En prison, il a continué à alimenter son compte Facebook, où il était surtout lié à des femmes. Pour l’heure, ses avocats prétendent qu’il a fait fortune en vendant des poupées habillées de djellabas dans le monde arabe. S’il semble bien à l’origine du projet, la construction de sa fortune sur ces poupées intégristes semble plutôt douteuse. Selon son ami Raphaël, il a une très bonne connaissance des matières premières, notamment du pétrole, qui lui aurait permis de faire des opérations avec de gros producteurs, dont l’Indonésie. Dans des conditions qui restent mystérieuses. C’est aussi en Indonésie que des comptes en banque auraient été ouverts au profit du commissaire corrompu. Des opérations qui auraient été facilitées par un autre lyonnais travaillant dans une banque à Singapour.

En plus d’une société de location de voitures de luxe, destinées à faire du blanchiment, Sébastien partageait aussi un yacht avec Raphaël : le 26, un bateau à moteur de 23 mètres de marque Leopard. Un véhicule « un peu fatigué » selon un proche, qui a néanmoins été saisi par la justice. Le bateau était immatriculé au nom d’une société installée à Jersey, qui dissimule volontiers les noms des actionnaires. Réclamé par Sébastien alors que Raphaël était sous les verrous, le bien ne lui a pas été rendu. C’est même l’une des rares saisies de l’État qui devrait lui permettre de récupérer quelques deniers – environ 400 000 euros théoriquement.

En plus du bateau et des voitures, Sébastien partageait avec Raphaël la même passion pour un restaurant cacher du XVIIe arrondissement de Paris, avenue Niel. Il était utilisé comme base arrière de leurs différents trafics : l’argent destiné à être blanchi passait par là. Après quelques mois de fermeture, le restaurant a rouvert. Il appartient à une femme d’affaires, Charlotte, qui était aussi la « nourrice » dans leurs opérations. Dans le milieu de stupéfiants, la nourrice est la personne qui conserve soit la drogue, soit l’argent soit les armes chez elle. En l’occurrence, c’était au sous-sol du restaurant ; et ce sont surtout les liquidités qui atterrissaient là avant d’être blanchies. Après quelques mois de prison, elle est parvenue à sortir, sans payer la totalité de sa caution. Plus étonnant, elle a aussi rouvert son restaurant, haut lieu de rencontre des « mecs du CO2 », alors que l’interdiction de gestion est souvent la première mesure prise par les juges. Un mystère qui est loin d’être isolé.

Les difficultés de la justice ne tiennent pas seulement à l’aspect technique de la fraude à la TVA sur le carbone. Le transfert de richesse entraîné par l’arnaque du siècle a effectivement rendu les fraudeurs « Invulnérables » – comme le nom d’une société qui faisait tourner des quotas, au Danemark.

Les moyens financiers quasiment illimités des fraudeurs pèsent lourd sur le fonctionnement de la justice. Autour des rares fraudeurs identifiés et mis en cause en France, les dysfonctionnements se sont accumulés. Frédéric et Raphaël ont à la fois fait la nouba en prison et continué la fraude, à distance. Le numéro trois de la police judiciaire parisienne, proche de Frédéric à qui il aurait offert un téléphone portable, s’est retrouvé rétrogradé pour des raisons encore obscures. Les proches de Raphaël ont été prévenus des perquisitions, et lui-même est sorti de prison sur une erreur de procédure très étrange, qui s’est produite à l’intérieur de la prison où il se trouvait-ce qui est rarissime.

L’affaire Neyret est toutefois le point culminant de la corruption engendrée par les millions dispersés dans la nature. Les services de police de Paris et de Marseille ne seraient pas indemnes de complicité interne. Certains milieux ont toujours un accès privilégié aux informations, alors que le filon lyonnais n’est plus.

Parmi les mystères de la fraude à la TVA, des scellés disparaissent régulièrement. Ainsi, dans une affaire ancienne de téléphones portables à laquelle était mêlé Frédéric, des documents majeurs ont brulé. Dans l’affaire Ethan, qui concerne Raphaël, certains scellés, comprenant des chèques et des listes de clients, ont aussi disparu comme par enchantement.

 


1  GUILLEDOUX (Fred), « Arnaque au CO2. La vie dorée des Marseillais réfugiés en Israël », La Provence, 4 janvier 2012. Article disponible en ligne : http://www.laprovence.com/article/marseille/arnaque-au-co2-la-vie-doree-des-marseillais-refugies-en-israel.