VI
CUTLASS vit le gamin trop tard.
Tout d’abord, il vit le fusil à canon scié, le gosse ensuite. Et il comprit que ce gosse savait parfaitement bien utiliser l’engin qu’il tenait à la hanche.
« Bouge pas, » dit le gamin.
Cutlass ne bougea pas. Pas d’un poil. Il s’en voulait d’avoir dormi, d’être tombé de l’assoupissement malgré tout vigilant dans le sommeil, et ce au moment inopportun. Il était persuadé que les autres (le gamin n’était certainement pas seul) avaient patiemment attendu cet instant.
« Et alors ? » dit Cutlass, sur un ton qu’il voulait détaché.
En même temps, de son œil plissé, il fouillait la pénombre rousse de l’alentour. La nuit était là, pas encore véritablement noire, sanguinolente sous les flots rouges que déversait dans la brume le cadavre quotidien du soleil. Il aperçut quelques ombres glissantes, dans les plaies des rochers, à quelques mètres au-dessus du gamin.
Parfait, Cutlass. Tu laisses venir…
Le gamin fit un pas en avant, se carrant solidement sur ses pieds. Il restait à bonne distance, pas question pour Cutlass de tenter quoi que ce soit – dans le genre essayer d’attraper son revolver, ou à plus forte raison sauter sur le gosse.
Le gamin avait une crinière blonde hérissée – pendant un moment, Cutlass crut qu’il s’agissait d’une sorte de bonnet de poils –, un petit visage très dur et osseux. Il était vêtu en tout et pour tout d’un short de toile décolorée et de cartouchières croisées sur sa poitrine maigrichonne.
« Lève-toi, commanda-t-il. Essaie pas de toucher ton pétard. »
Cutlass obéit lentement, s’appuyant de la main droite au rocher. Les ombres, là-haut, se dessinèrent plus nettement : il y en avait au moins quatre, et tous, apparemment, des gosses.
« Donne ton pétard, » dit le gamin.
Cutlass eut un petit sourire du coin des lèvres :
— Sans le toucher ?
— Ton pied. »
Cutlass posa le bout de sa botte contre le revolver, il hésita deux secondes, puis poussa l’arme vers le gosse. Avec une rapidité stupéfiante, ce dernier se baissa, ramassa le revolver, le passa dans sa ceinture et reprit sa position décidée.
D’en haut, une voix lança :
« Son couteau.
— J’me fous de son couteau, dit le gamin.
— T’es de cette île ? demanda Cutlass. (Il ajouta :) Je ne vous veux aucun mal. Je ne suis pas ici pour vous. »
Pour toute réponse, le gamin hoqueta une sorte de rire ironique. Il remarqua :
« C’est le canot de Bross « Eyes » Gore, là. »
Pas moyen de dire le contraire.
— Exact.
— On vous a vus arriver. Il est où ?
— Bross « Eyes » Gore ?
— Ouais. Il est où ? »
Cutlass soupira. Il dit, après avoir lentement frotté du bout des doigts la barbe crissante de ses joues et de son menton :
« Écoute, garçon. J’ai probablement plus de trois fois ton âge et j’ai descendu au cours de ma vie, avec ce revolver que tu portes dans ta ceinture, plus de gens que ton fusil n’a jamais tiré de cartouches. Il y a des questions auxquelles je veux bien répondre, sous la menace d’un deux-canons sciés braqué par un môme, et il y en a d’autres que j’entends même pas. Si t’es là pour me cueillir et m’emmener quelque part, fais-le. »
L’assurance et la détermination affichées par Cutlass laissèrent le gosse hésitant un moment. Du haut des rochers, une autre voix laissa tomber :
« Fais comme il dit, Tob. On va l’amener à Ola. Elle aimerait pas que ça se passe autrement. »
Le gosse hocha la tête. Il jeta un coup d’œil du côté du canot, puis reporta son attention sur Cutlass. La nuit de soleil mourant donnant à sa crinière une couleur de feu.
« Alors, monte, dit-il, accompagnant l’ordre d’un mouvement sec de son fusil.
Cutlass grimpa. Son épaule où s’était logée une grenaille de chevrotine le tiraillait un peu. Il se retrouva sur un petit plateau de roc et de broussailles épineuses rases, cerné par six ou sept jeunes gens dont l’âge maximal ne devait pas dépasser quatorze ans. Ils portaient tous des crinières échevelées du style de celle de Tob, les mêmes cartouchières, les mêmes pantalons déchiquetés. Il y avait une fille parmi eux, les seins arrogants et pointus entre les colliers croisés des douilles de cuivre.
Le plateau montait doucement, graduellement, jusqu’au chapeau conique d’un pic central, à la base duquel venait s’effondrer la petite portion d’autoroute qui traversait l’île en partie. Cutlass remarqua quelques feux, ici et là, ceinturant le pic. La plupart se trouvaient au niveau de l’autoroute effondrée, à une distance approximative d’un kilomètre, un kilomètre et demi.
D’une touffe d’épineux ébouriffés comme les chevelures des jeunes en armes, à moins de dix pas, surgirent deux personnages adultes. Deux hommes en vêtements de bâche tachés, portant des chapeaux de toile cirée et bardés de cartouchières comme tout ce qui semblait vivre sur cette île. L’un portait son fusil contre sa poitrine, entre ses bras croisés, l’autre tenait l’arme sur ses épaules, une main posée sur le canon et l’autre sur la crosse, dans une attitude de crucifié.
« Ça va, les gosses, dit ce dernier. Vous avez fait du bon boulot. »
Ils s’approchèrent. À trois pas de Cutlass, s’arrêtèrent. Le type qui portait son fusil sur ses épaules avait un visage joufflu, l’autre était plus barbu que le buisson d’épines de derrière lequel il sortait. Le joufflu contempla Cutlass, sourit, puis jeta un coup d’œil au gamin nommé Tob.
« Rends-lui son revolver, Tob. »
Le gamin dit :
« C’est le canot de Bross Gore qu’est en bas. »
Le type acquiesça.
« Rends-lui son flingue. »
Tob obéit, un peu à regret, marmonnant quelque chose entre ses lèvres minces. Il lança l’arme à Cutlass qui la récupéra au vol, vérifia le chargement du barillet avant de passer l’arme dans sa ceinture.
« J’m’appelle Bennie, dit le joufflu. Si ça te dérange pas, on va voir Ola, tous ensemble. M’est avis que toi comme nous, on cherche la même chose et qu’y a pas de raison, a priori, de se tirer dans les pattes.
— C’est pas idiot, a priori, répondit Cutlass, reprenant l’expression de Bennie. Et qui est Ola ?
— Ola Crazy. On est de l’autoroute N°7, là. Les premiers a avoir entendu parler du clebs et les premiers à avoir mis pied sur cette île. »
Il se mit en marche, considérant sans doute en avoir suffisamment dit pour le moment. Cutlass interrogea :
« Et des Îliens, il en reste ?
— Quelques-uns, dit Bennie, laconique. »
Sur le chemin, escorté par la petite troupe et suivant Bennie et le barbu, Cutlass en rencontra effectivement quelques-uns. Étendus dans les rocailles et les herbes, gorge ouverte ou criblés de balles. Des hommes, des femmes, des enfants aussi. Il remarqua également des ruines de cabanes incendiées qui avaient cessé de fumer depuis longtemps. La bande du tronçon N°7 avait établi son campement en bout de la bretelle d’autoroute effondrée dans les rochers. Une trentaine, réunis et affairés autour de quatre feux. D’après ce que Cutlass put en juger au premier coup d’œil, la bande se composait de deux tiers d’hommes, d’un tiers de femmes et d’enfants. Il comprit sans difficulté pourquoi on lui avait rendu son revolver… Tenter de s’en servir contre cette petite armée n’aurait pas donné plus de résultat, au final, que s’il avait eu la sotte idée de se battre à coups de dents…
Ola Crazy était assise sur une petite caisse individuelle de munitions, devant un des feux sur lequel grillaient des tranches de viande épaisses. Elle n’avait guère plus d’une vingtaine d’années, un visage agréable, décidé, une chevelure de lionne rejetée en arrière et maintenue par une tresse de cuir. Ses vêtements de grosse toile bâchée, comme tous ceux de la bande, estompaient les formes de son corps, ne laissant deviner qu’une taille mince enserrée par une ceinture-cartouchière et son holster.
Cutlass subit sans sourciller le regard incisif d’Ola ; les autres personnages rassemblés autour du feu le dévoraient pareillement des yeux.
« Tu as faim ? » demanda finalement Ola.
Cutlass fit un mouvement de tête, une sorte d’acquiescement. Quelqu’un piqua une tranche de viande sur le gril, à la pointe d’un couteau, et la lui tendit.
Il se mit à manger, debout, rapidement.
Ils le regardaient et ne disaient rien. Lorsqu’il eut avalé la dernière bouchée, craché un morceau d’os, Ola dit :
« Je suis Ola Crazy, c’est comme ça qu’ils m’appellent. On vient du N°7, ce tronçon au nord, là-bas, qui repose en permanence sur une terre immergée. Ton nom, à toi ?
— Cutlass. »
Elle laissa peser son regard sur le coutelas passé dans la ceinture de Cutlass.
« Je crois que j’ai déjà entendu ce nom-là, dit-elle. C’est possible ?
— Possible.
— Tu es un tueur, n’est-ce pas ? Tu cherches le chien ? »
Cutlass ne répondit pas… sinon par son demi-sourire qui lui plissait le coin des lèvres.
« Tu es un tueur, affirma Ola. Tu es venu ici avec Bross, parce que tu cherches le chien. Où est Bross ?
— Mort. Il a essayé de m’avoir.
— Il était dans le canot avec toi pour la traversée. Tu l’aurais tué en abordant ?
— C’est ça.
— Ou alors, dit Ola, il cherche, et tu l’attendais. Bross sait tout, il est à l’affût de tout. Il travaille pour le gouvernement et c’est ce qui le rend intouchable, mais il épie partout. C’est pour cette raison que tu es allé le trouver ? Pas un seul tueur n’a franchi la baie. Ça ne nous intéresse pas de voir débarquer des professionnels. Beaucoup n’ont pas vécu le temps de poser le pied sur un bac.
— Je sais. »
Ola ordonna :
« Allez voir sur la côte, et récupérez le canot. Trouvez-moi le corps de Bross. S’il dit vrai, le cadavre doit flotter par-là, dans les récifs. »
Une partie du groupe s’égailla, dont la plupart des enfants.
« Il a essayé de t’avoir, hein ? » dit Ola.
Elle se servit une tranche de viande qu’elle tint précautionneusement entre ses doigts, grignotant du bout des dents. Son regard d’un ton très pâle ne quittait pas Cutlass.
« Il ne voulait pas venir. Il ne voulait pas se mêler de ça. J’ai failli y laisser ma peau. Je ne pouvais pas le laisser repartir.
— Peur qu’il nous prévienne de ta présence ? Nous, ou bien une autre bande ?
— Il m’a laissé deux grenailles de chevrotines dans la peau.
— Pourquoi être venu ici ? Il ne t’a pas dit que nous y étions ?
— Je voulais voir les Îliens. Le point de départ.
— Et Bross ne savait rien…
— Il ne savait rien. »
Ola agita doucement son morceau de viande, dubitative.
« Il faudrait que je sois certaine de ça… (Elle pointa le steak sur Cutlass.) Le type qui a trouvé le chien s’est empressé de le raconter aux siens. Un imbécile a appelé un passeur, et nous avons intercepté le message. Nous sommes arrivés ici les premiers… mais apparemment le type a pu se sauver, se cacher. On a ratissé toute l’île. Tu sais quelle est la situation, à présent ?
— Vous êtes coincés ici.
— Exact. Sur ce roc désert. Et il y a deux solutions, deux possibilités. La première est que les autres aient compris que nous n’avons rien trouvé, ce qui leur permet de chercher pour leur compte. La seconde est qu’ils s’imaginent que nous avons trouvé et ils nous attendent, tous : Cole le Mort de la 108, Tackie de la terre un, May Lucas de la 52, Day Mateo de Golden Bay, Take Hope de la 48 sur la terre trois. Sans parler de Mato Hunter, le grand caïd de la 36 et des échangeurs de la terre deux. Voilà. Soit ils cherchent pendant que nous gâchons notre temps, soit ils se font des idées et nous attendent pour nous tomber dessus.
— Et les Îliens ?
— Rien à en tirer. Je suis sûre que la plupart ne savaient pas où le type avait pu se planquer. Il y a mille épaves, dans ce coin. Mille cachettes. »
Le bruit des broussailles froissées leur fit lever la tête. Le petit commando envoyé sur la plage par Ola quelques instants auparavant était déjà de retour.
Et ils avaient retrouvé le corps de Bross « Eyes » Gore.
« Avec quoi tu l’as flingué ? demanda un homme. Un obusier ?
— Il est passé dans l’hélice, » dit Cutlass d’un ton neutre.
Il poussa de la pointe de sa botte quelques morceaux de bois à demi calcinés qui avaient roulé hors du feu. Il dit :
« Je pars. Il ne me reste rien à faire ici. Je reprends le canot et je m’en vais. »
Ola Crazy, la bouche pleine de viande, cessa de mâcher. Tous ceux qui formaient le groupe échangèrent des regards ahuris. Il y eut un gloussement lointain.
Ola se remit à mâcher, avala. Il s’écoula encore un temps de silence et d’immobilité presque parfaits sur le groupe, puis Ola se leva. Elle était grande et forte, presque aussi grande que Cutlass.
« Écoute, dit-elle. Et viens. Suis-moi. »
Sortant de la lumière du feu, elle s’engagea dans les multiples décombres qui jonchaient le sol, sous le tronçon d’autoroute. Là encore, dans ces décombres, Cutlass repéra négligemment des cadavres. S’il restait des Îliens en vie, leur nombre ne devait pas être très élevé. Il suivit Ola Crazy sur une centaine de mètres, ce qui les mena au bord d’une falaise raide tombant comme un couperet dans la mer.
« Regarde », dit-elle.
Il y avait l’océan et la brume rousse. Très proche, presque au ras des vagues, une longue bande plate sur laquelle brillaient des feux, une bande d’un kilomètre ou deux de long, légèrement incurvée.
« C’est la N°7, dit Ola Crazy. Notre territoire. Un des plus menacés par les marées, un des plus pauvres en nombre d’habitants. Notre territoire. Nos abris y sont solidement amarrés ; on a vu parfois des vagues passer par-dessus le bitume. Et ça nous est arrivé aussi de venir chercher refuge ici, quelquefois. Les piles s’effritent, les vagues les mangent progressivement. Un jour, la 7 s’effondrera.
— Quittez-la », dit Cutlass.
Ola tourna violemment la tête dans sa direction ; il ne vit pas son regard mais en devina la dureté. Elle reporta son attention sur la bande éclairée de la portion de route.
« On est des Tollmen. On ne quittera pas les ponts, ni les routes. Pour aller où ? Rejoindre les crasseux des côtes ? Partir à l’aventure ?
— Il y a un autre choix ?
— Il y a toujours un autre choix, bien entendu. S’allier à une autre bande vivant sur un niveau plus élevé, sans pour autant déchoir. Une alliance, en quelque sorte. Prouver que l’on vaut quelque chose et gagner un haut niveau à l’abri des marées. C’est ce que cherchent toutes les bandes. (Il la sentit sourire ironiquement.) C’est ce qui nous reste en manière d’ascension sociale.
— Et qui occupe le plus haut niveau ?
— Mato Hunter, sur la 36 et l’échangeur de la seconde terre. C’est lui le maître des Tollmen. Il n’a jamais manqué de bandes qui ont essayé de le déloger, mais il est le plus fort.
— Et tu veux une alliance avec ce type ? Tu veux gagner le haut niveau ? À quel prix ?
— Le tien, Cutlass. Tu es avec nous, tu es chasseur professionnel, tu es arrivé ici avec Bross « Eyes » Gore. »
Cutlass garda le silence. Au bout d’un temps, il dit :
« Fameux coup de bluff, non ?
— Je ne sais pas. J’ignore si Bross, réellement, ne savait rien. Ce que je vois, c’est que tu es tout seul, et que si tu tiens à continuer à l’être, ça te sera très difficile. Au moins, ici, tu es avec nous. C’est un marché presque équitable. On t’aidera. On fera savoir à Hunter que le seul professionnel qui ait tenté le passage et l’ait réussi est avec nous, qu’il est passé par Bross « Eyes » Gore, et ça le fera réfléchir. On n’arrivera pas en quémandeurs, mais en égaux.
— Sauf que si Hunter est le caïd que tu dis, rien ne l’empêche de vous avoir en force.
— Pas au risque de te perdre. Cutlass, c’est un nom connu.
— Connu au point qu’un type comme Hunter estime avoir besoin de ses services ?
— Oui. Les Tollmen ne sont pas des chasseurs. On défend nos territoires, on épie les Supérieurs, là-bas, et les marées, on protège ceux des côtes quand ils nous le demandent, en échange de quoi ils nous nourrissent. Fouiller les épaves ou razzier les bas niveaux des ponts suspendus, ce n’est pas de notre ressort. Et le chien est là. C’est là qu’il se cache, c’est là qu’il faut le trouver avant qu’il ne s’enfuie. Quelle est la prime offerte par le gouvernement ?
— J’en sais rien, dit Cutlass. Réellement.
— On parle de trente mille. Ou plus. Et la bande qui l’amènera aux chercheurs jouira en plus d’une belle dose de considération. Non seulement dans le domaine, mais pour ceux qui gouvernent, je sais pas où, sur terre. »
Un souffle de vent se leva. Frisa la mer et poussant des bancs de brume, remonta à pic le long de la falaise et embroussailla les cheveux d’Ola. Cutlass soupira. Il défit le bandeau de cuir qui lui cachait l’œil droit et le noua autour de sa tête. Son œil dévoilé était intact.
« Je ne tenais pas à être reconnu, dit-il, avant d’avoir à dire mon nom, en traversant toutes ces contrées. (Il ajouta :) Je suis venu seul, j’ai entendu parler de ces histoires de chiens évadés et… trafiqués. Je ne suis pas payé par le gouvernement, ni par quelque mafia que ce soit, ni par la recherche. Je suis venu… parce que de toute façon, j’étais sur le chemin. Je voulais revoir ce pays.
— Revoir ?
— Et me voilà. Je sais pas comment je suis encore debout, Ola, après quinze ans de chasses et de contrats remplis. J’ai trente-neuf ans, c’est plus que vieux, pour un loup. Cet après-midi, jamais Bross n’aurait dû pouvoir me tirer dessus. Ça veut dire que je suis vieux.
— Ça veux dire que tu acceptes cette partie, avec nous ?
— Ça veut dire que je veux retrouver ce chien, pour moi tout seul, peut-être, et qu’en dépit de toute alliance temporaire, il vous faudra vous méfier de moi. Même Hunter, s’il marche. »
La main d’Ola Crazy se posa sur le bras de Cutlass. Elle serra, brièvement, sans un mot.
Leurs regards se tournèrent ensemble vers les trois terres de San Francisco, et les enchevêtrements de ponts et d’autoroutes brisés, illuminés dans le brouillard.
À cet instant, le mot Oakland résonna de façon très claire dans la tête de Cutlass. Si net, si fort, qu’il pensa une seconde que Ola l’avait prononcé. Mais non. Il n’avait pas entendu. Il avait reçu le son au creux de son cerveau. Comme un cri.
Le souffle de vent doux le glaça des cheveux aux orteils.
Parce que s’il n’était pas en train de devenir fou, il connaissait cette voix intérieure. Il la reconnaissait.
« Préviens Hunter, dit-il. Fais vite. »
Ola Crazy le tira par la manche. Ils retournèrent en se hâtant vers le campement sous les décombres de la bretelle de béton.