CHAPITRE XVII

 

 

Romaric s’était assis dans le petit local du Centre de tir, derrière le poste de pilotage proprement dit. Il n’avait pas l’intention d’utiliser efficacement l’armement de bord, d’autant qu’il n’était pas sûr du tout que les deux navigants sauraient s’en servir, mais voulait au moins pouvoir effectuer un tir, comme ça, pour intimider le Transport.

Tous les navigants civils faisaient une période de plusieurs mois d’accoutumance aux unités militaires de manière à être facilement transformés sur ces engins en cas de guerre, mais il est évident qu’on ne leur montrait pas tout.

Karem entra.

— Pour l’enregistrement ça collait, hein ? J’ai vérifié que le dernier quartz était en fonction. La nouvelle caméra était bien branchée.

C’était vital pour leur projet. Il fallait que les autorités sachent immédiatement que Péral était dans le coup. On l’interrogerait très vite et il nierait toute participation, bien sûr, mais les mots prononcés par Fazec, son propre pilote, étaient accablants. Néanmoins ça ne suffisait pas. Il fallait une autre preuve qu’ils allaient maintenant forger !

— C’est bon, il fit en se tournant. Tu as fait du bon travail, Karem… Comme tout le monde, d’ailleurs.

Le grand Karem sourit légèrement.

— C’est bon d’être là, de se sentir revivre, de redresser la tête…

Il voulut ajouter quelque chose mais Romaric s’était replongé dans l’examen des indications, près des commandes de tir, et il sortit.

Sur ces engins faits pour tenir l’espace durant des mois sinon des années, l’équipage bénéficiait d’installations particulières. Chacun avait sa propre cabine comportant une couchette fixe et une autre, repliée contre la paroi, pour accueillir un passager supplémentaire, en cas de besoin.

En l’occurrence elles avaient toutes été dépliées. Romaric avait insisté pour que tout le monde s’allonge pour le décollage. Il ne devait pas être violent puisqu’ils partaient aux anti-g mais c’était une précaution. L’accélération se ferait dans l’espace, donc sans risquer de dommages.

Diston passa la tête par la porte ouverte.

— Taref te demande.

Romaric se leva et passa à côté où le navigant pianotait sans interruption sur les consoles, devant lui.

— Tu y arrives ? fit Rom.

— Oui, ça va, dit Taref sans lever le visage. Ces trucs ont une automatisation poussée au maximum, utilisable hors combat. Il fallait juste en piger le développement des séquences. Ça va, maintenant. Je crois, il ajouta avec un geste de la main, qu’il faudrait donner sa potion à notre valeureux pilote sinon il va tourner de l’œil.

— Tu as une liaison avec l’ensemble du bâtiment ?

— Ouais, ici, il montra en redressant un rupteur.

Rom se pencha :

— Qu’on apporte le produit destiné à Fazec.

Le pilote transpirait à grosses gouttes. Rom remarqua pour la première fois que les tempes du gars commençaient à s’argenter. Il ne dit rien. Ça agissait drôlement vite, cette saloperie. Même s’il ne s’agissait évidemment pas de ce qu’il craignait…

Hal arriva avec un petit tube dont il versa quelques gouttes dans un gobelet contenant de l’eau. Fazec avala rapidement, d’une main pas très sûre. Il irait mieux dans quelques minutes.

— Alors, où y sont les mineurs ? demanda Hal.

— On va le savoir dans quelques minutes, répondit Taref, je fais effectuer un relèvement et une trajectoire d’interception.

— La radio raconte encore rien ?

— Trop tôt, intervint Romaric. Il faut encore une bonne heure. Taref, tu me préviens quand tu sais comment aller chercher nos copains.

— Vous avez des copains en vol ? demanda Fazec qui allait déjà mieux.

Il n’était pas au courant de la deuxième partie du programme et Romaric se dit qu’il était temps de le lui dire. D’une voix tranquille il laissa tomber :

— On va capturer le Transport.

— Quoi ! Mais vous êtes dingues… je ne marche pas, moi. C’est un crime fédéral, ça.

— Tandis qu’nous massacrer c’t’une bricole, pas vrai, p’tit salopard !

Fazec reprenait du poil de la bête, il fallait immédiatement le contrer.

— Hal, amène ici un miroir, lâcha Rom d’un ton sec.

Le vieux sortit sans répondre et revint presque immédiatement avec un nécessaire d’hygiène comportant un mini-miroir grossissant.

— Tiens, fit Romaric, regarde-toi bien.

L’autre ne comprit pas très bien et jeta un œil rapide dans le miroir.

— Mieux que ça, fit Rom… les tempes, par exemple. Tu trouves pas que ça te va bien ?

— Qu’est-ce… qu’est-ce qui m’arrive ?

La voix du pilote trahit soudain sa panique.

— Jus’un p’tit coup d’vieux, dit Hal, décontracté, mais c’est rien à côté de c’qui s’passerait si on prenait du retard à te donner ta p’tite potion, tu m’suis ?

— Salauds, salauds, vous n’avez pas le droit !

Romaric le prit par le col et le força à se tourner de son côté.

— On a tous les droits avec un homme de Péral, tu comprends ça ? Ce qui me fait mal au cœur, c’est qu’on t’ait promis la vie sauve. Si tu savais combien j’ai envie de te voir crever… Alors ferme-la, ne me fais pas regretter ma parole, c’est déjà tangent !

L’autre déglutit difficilement, voulut ajouter quelque chose mais se tut.

Un quart d’heure avant que la radio n’annonce la capture du Fusesp, à Stajil, le Transport était localisé.

— En accélération max continue on le chope en neuf heures, expliqua Taref.

— On sera loin du but ? interrogea Romaric en réfléchissant.

Le navigant fit la moue.

— Environ une demi-journée à son allure à lui. Le changement de trajectoire n’est pas sorcier, d’après ce que raconte notre ordinateur de navigation.

Romaric hocha la tête.

— Transfère-moi la radio dans le poste à côté, sur casque, il précisa.

Il alla s’installer dans le siège du servant de la Centrale et posa un casque sur la tête.

C’était l’affolement, en bas, à Stajil. Les gars de la Spatiale avaient d’abord découvert le départ de leur engin et ensuite les prisonniers du Contrôle, qui ne se souvenaient de rien. Enfin ça c’était la version officielle. En ce moment on devait être en route pour aller chercher Péral…

Personne, jusqu’ici, ne semblait se douter de la raison de l’opération. En tout cas aucun message ne passait à destination du Transport. De toute façon ça ne changerait rien, il ne pouvait pas échapper à un Fusesp de la Spatiale, mais autant que la surprise joue à fond.

Romaric finit par abandonner l’écoute, la confiant à Pool, et il gagna la cabine où se trouvait Prisca. La jeune fille sourit en le voyant entrer.

— Fatigué ?

— Oui, un peu. La pression, je suppose.

Il s’assit à l’autre bout de la couchette.

— Tu me fuis ? dit-elle en se moquant légèrement.

— Non, non, bien sûr que non… je ne m’impose pas, c’est tout.

Elle rit silencieusement en secouant la tête. Il remarqua pour la première fois sa coiffure. Elle avait coupé ses cheveux et leur avait rendu leur couleur. Il décida de faire bientôt la même chose. La teinture de Hal lui paraissait soudain une contrainte insupportable.

— Rom, elle murmura… tu es un drôle de personnage, tout de même. Tu joues les timides, maintenant… Tu attends peut-être que je fasse tout le travail ?

Elle se marrait carrément et il se raidit un peu. Presque tout de suite elle s’en aperçut et vint poser une main légère sur son bras.

— Fichu cabochard. Tu as pris une décision et tu n’y reviendras pas, hein ? Si on doit faire notre vie ensemble, c’est moi qui parlerai ou ça ne se fera pas, c’est ça ?

— Non, il dit lentement. Pour l’instant on est coupable d’un délit fédéral et on va en commettre un autre, alors les projets…

Elle le regarda longuement avant de répondre.

— D’accord, Rom, je peux comprendre ça, surtout après ce que tu viens de vivre.

Il redressa la tête.

— Tu avais deviné, n’est-ce pas ?

— Oui. Je te connais depuis peu et pourtant je te sens tellement bien… C’est curieux, illogique, ça ressemble à ces histoires à l’eau de rose de la Tridi et pourtant je le ressens ! Je m’en veux d’être aussi banale et j’en suis heureuse à la fois. Idiot, hein ? Enfin oui, j’ai compris ce qui te rongeait.

— Tu m’en as voulu ?

— Sûrement pas ! J’en ai été fière un instant. Le sens des responsabilités à ce point, c’est rare. Je pense que c’est le propre d’une belle âme, alors j’étais fière de toi et de… de tout ce que ça représentait pour moi. Et puis j’ai cherché comment t’aider.

Elle se pencha de son côté et l’embrassa doucement, au coin des lèvres. Paradoxalement il en fut terriblement remué, eut envie de la serrer contre lui. Elle était très innocente en amour et pourtant trouvait toujours le geste parfait. Elle vit dans ses yeux ce qui se passait en lui et rosit légèrement.

— Je vais voir comment sont installés les autres, il fit en se levant.

*

**

D’après la détection, ils étaient derrière le Transport. C’était maintenant ou jamais. Chaque seconde les rapprochait de Stoll II.

— Tu sauras tirer une salve ? lança Romaric à Taref qui l’avait rejoint dans la Centrale de tir.

— Eh bien, on peut régler à une dizaine de degrés sur le côté et laisser faire l’automatisme.

— Est-ce que l’ordinateur acceptera cette erreur, justement ? Si on les touche, tout est foutu. Je ne me pardonnerai jamais ce massacre et le plan s’effondrera.

Taref parut réfléchir.

— Alors faisons un tir manuel. Je vais essayer de me débrouiller.

— Ça ne m’empêche pas de leur parler à la radio. Ils nous ont repérés, non ?

— Forcément. En fait, ils doivent nous appeler depuis un moment.

Rom libéra la place et passa dans le poste pour s’installer devant la console communication. Il savait au moins se servir de ça. Il sélectionna la fréquence espace sans passer sur image. Tout de suite la voix se fit entendre.

— … vous répondre ?

— Transport, il commença immédiatement, vous êtes arraisonné. Vous allez prendre un nouveau cap.

Le silence !

— Ne vous y trompez pas, reprit Romaric, ce Fusesp n’est plus contrôlé par la Spatiale. Ne m’obligez pas à tirer, je récupérerai de toute façon votre cargaison…

Une autre voix. On avait dû commuter au commandant de bord.

— Vous savez comment ça s’appelle, cette ânerie ? Piratage ! Et vous comptez vous en tirer ? Vous êtes malade.

Romaric tourna les yeux vers le message que lui avait laissé Taref.

— Prenez le cap P-027 de Stoll II, dernier avertissement.

Il y eut un silence, puis :

— C’est la direction de l’ancien relais de navigation, ça. Vous voulez vous y poser ?

Il paraissait incrédule. D’après les renseignements que Pool avait extraits de l’ordinateur fédéral, le relais était encore plus ou moins habitable. Ses installations n’étaient sûrement pas confortables, mais elles étaient encore debout. De toute façon, avec le bâtiment ils pourraient tenir le temps de recevoir des secours.

— Ça y est, Rom. Je crois que j’ai pigé. Je peux y aller quand tu veux, fit la voix de Taref dans le général.

Il frémit à retardement et balança.

— A tout le monde, interdiction absolue de parler !

Toute intervention pendant qu’il émettait passerait dans le Transport…

— Excuse-moi, lança Taref avant de préciser : Pré-viens-moi quand tu leur parles.

— O.K., vas-y pour ton tir.

Quinze secondes plus tard il y eut une sorte de bruissement.

— Ça marche, on ne les a pas touchés !

— Attention, j’émets… Transport, vous avez reçu mon message ?

— Foutus salopards, je serai là pour votre exécution.

— Si vous n’obéissez pas tout de suite, ça m’étonnerait…

Un temps puis :

— C’est bon, je change de cap.

Taref était revenu dans le poste et se penchait sur les instruments de la détection.

— Voilà… il appuie à gauche… Viens au 027, toi, il lança à Fazec qui obéit.

— … On est au poil, il dit encore, hilare. Dans un peu plus de douze heures on arrivera sur l’astéroïde-relais.

*

**

Il avait fallu charger les trois derniers containers dans la navette du Transport, ça ne rentrait pas dans le Fusesp ! Plein à craquer, l’engin de la Spatiale. Pas fait pour ça. Désormais il fallait faire de l’escalade pour circuler dans les couloirs. D’autant que les containers devaient être fixés solidement pour l’approche en atmosphère et en pesanteur normale.

 

Il n’y avait eu qu’un seul incident au débarquement de l’équipage du Transport. Un type avait sorti une arme.

Bovit avait réagi à une vitesse folle. Il avait levé son désintégrant et tiré dans le même mouvement ! L’extrémité du fulgurant du gars avait fumé… Hors d’usage !

Et tout ça sans un mot…

Après, tout avait été tranquille. Même le chargement des containers de quartz naturels. Rom, visière rabattue comme les autres, avait annoncé au commandant de bord qu’ils emmenaient la navette, évidemment. L’autre avait haussé les épaules. Il s’en doutait.

Karem, Pool et Taref étaient alors entrés dans la navette. Le navigant pensait qu’il saurait piloter tant bien que mal la navette pour suivre le Fusesp. C’étaient des engins rudimentaires, néanmoins Rom n’était pas tranquille. Un navigant était capable probablement de contrôler une navette dans l’espace mais pour la poser en atmosphère ?

Il décida de rester près de Fazec jusqu’à l’arrivée pour le forcer à donner des indications, au besoin, à Taref. La navette mit un moment à se calibrer sur la bonne trajectoire puis commença à accélérer. Pool appela pour annoncer que tout allait bien.

Le voyage se déroula normalement. En vue de Lhorm III, Romaric regarda longuement la boule marron foncé qui approchait. Fazec avait dormi plusieurs heures après lui avoir indiqué les instruments à surveiller. Le pilote de Péral semblait abattu depuis le déchargement du Transport. Le produit, sûrement, et la suite pour lui. Il savait qu’ils le libéreraient mais devait se demander comment échapper aux hommes de Péral, après. Il ignorait encore les détails du plan de Romaric. Surtout il ne savait rien de l’enregistreur supplémentaire, au Contrôle de Stajil !

Il reprit sa place et commença à préparer le Fusesp à la mise en orbite et à la descente. Il fallait d’abord ralentir considérablement.

Régulièrement il lançait des indications à Taref, par radio en émission focalisée. La navette suivait bien.

— Il s’en sortira pas en approche réglementaire, dit le pilote au bout d’un moment. On va entrer en atmosphère en s’enfonçant, autrement il va griller.

— Explique, fit Romaric.

— On laisse baisser la vitesse jusqu’à ce que l’engin descende lui-même, par la pesanteur. Mais ça empêche de guider la trajectoire et on ne saura pas où on débouche.

Il y avait un risque de passer au-dessus d’une ferme et d’être repéré…

Romaric réfléchit longuement avant de prendre sa décision.

— Tu connais bien Lhorm III. Si on se fait piéger dans une région où il y a du monde, je te brûle. Notre accord ne tiendra plus. Dès que le sol sera en vue tu dois être capable de nous amener dans une région de montagnes, c’est là que je veux aller.

Le pilote ne fit pas de commentaires, se bornant à hocher la tête. Il avait visiblement la trouille de se retrouver ici.

Des témoins lumineux se mirent bientôt à clignoter sur l’immense tableau de bord. Aussitôt le pilote appela Taref.

— Attention, on va pénétrer en atmosphère. Tu vas perdre le contrôle de la navette pendant un instant. Sois prêt à enclencher l’assiette et la poussée max. Vérifie que vous êtes tous attachés. Ensuite réagis vite et laisse faire.

A l’entendre, ça allait être de l’acrobatie. Si Taref ne pouvait pas remettre rapidement la navette sur trajectoire horizontale ils allaient s’écraser…

Tout bascula brutalement. A bord de Fusesp, ils étaient attachés serré depuis un bon moment déjà. Pourtant Romaric se sentit tiré en l’air dans son siège !

Une écrasante accélération suivit, qui l’aplatit contre le dossier.

— Laisse faire comme ça, fit la voix de Fazec qui devait s’adresser à Taref.

La voix de celui-ci leur parvint, déformée légèrement comme s’il avait de la peine à parler.

— On descend…

— Le correcteur d’assiette !

Romaric récupérait et tentait de voir quelque chose sur l’écran extérieur.

— … Voilà, redresse doucement, maintenant. Romaric ne comprenait rien mais Fazec avait l’air de jouer le jeu. Il avait quitté des yeux un petit écran sur sa gauche que Rom ne voyait pas et regardait le grand tableau.

— Virage à droite, maintenant, 80 degrés. Tu contrôles ?

On voyait distinctement le sol, maintenant. De la verdure et des montagnes à la courbure de la planète. Le pilote manœuvra ses commandes et le Fusesp entama un virage à droite.

— Tu peux me suivre ?

— Pas trop serré, le virage j’ai de la peine à garder la bête sur trajectoire.

Fazec diminua le rayon de virage. Il était lui-même tendu, aux commandes d’un engin qu’il découvrait. Mais il connaissait bien son métier. Normal, Péral n’engageait pas n’importe qui.

Romaric n’intervenait pas, laissant les deux hommes se concentrer.

— La grande vallée, dans l’axe, maintenant, tu la vois ?

— Oui.

— On va la prendre et descendre encore. Diminue la poussée des axiaux et commence à en mettre sur la sustentation… jusqu’au repère orange. On va transformer l’altitude en vitesse horizontale.

Romaric passa la main sur son front qui le démangeait et découvrit des gouttes de sueur. Sa passivité provoquait des réactions. Il aurait voulu poser des questions mais se tut.

Le Fusesp passa aux anti-g et le bruit assourdissant des propulseurs disparut. Fazec parut se détendre un peu.

Romaric avait les yeux fixés sur l’écran. Ils arrivaient maintenant à la hauteur des sommets des montagnes, au milieu d’une vallée immense. Fazec semblait vouloir l’emprunter.

Ils continuaient à descendre, au milieu de la vallée, désormais. Les montagnes défilaient lentement.

— On commence à virer à gauche dans l’autre vallée, tu la vois ?

— Oui.

— Dépasse-moi. Tu vas te poser droit devant toi.

— D’accord.

La voix un peu rauque, Taref !

La navette apparut sur l’écran central et Romaric ne la quitta plus des yeux. Elle descendait vite, lui sembla-t-il. Fazec avait immobilisé le Fusesp aux anti-g à cinq cents mètres du sol et continuait à donner ses instructions.

— Davantage de sustentation… comme ça… enclenche la séquence du poser… et maintenant sur automatique !

La navette parut vaciller, se redressa et descendit jusqu’au sol.

— Posé.

Un sacré soulagement dans la voix de Taref… Romaric respira longuement.

— Maintenant on cache le Fusesp, il dit au pilote. Trouve un coin encaissé. Tu sauras le faire.

L’autre inclina la tête et commença à manœuvrer, venant vers le flanc de la montagne. Ils cherchèrent un moment avant de trouver une plate-forme entourée de rochers, dans un creux. Romaric la désigna du doigt et Fazec fit la grimace mais commença une approche.

Ce fut tangent mais ils touchèrent le sol, glissant jusqu’au bord !

Romaric passa longuement les mains sur son visage, cherchant à se détendre.

Hal entra dans le poste.

— Alors ça dort ici. N’a pas qu’ça à faire.

Rom se leva lentement. Il avait de la peine à se remettre en action. Hal s’en rendit compte.

— Bon, j’vais faire descendre tout le monde.

Derrière on entendait les autres s’agiter. Ils étaient en train de nettoyer le Fusesp pour ne laisser aucun indice.

Dehors il faisait bon. Froid mais supportable. Ils se mirent en marche vers la navette. Il leur fallut quatre heures pour y arriver. Fazec prit alors les commandes de celle-ci pour revenir au Fusesp. Il y avait juste assez de place à côté pour la poser.

Il faisait nuit quand ils eurent débarqué les containers stockés dans la navette et retrouvé les autres dans la vallée.

— Maintenant tu vas nous amener au spatioport, ou ce qui en tient lieu.

— Celui de Péral ? Vous êtes fous, il y a du monde là-bas.

Affolé, le pilote.

— Il n’y a pas d’alternative, répondit Romaric. Pour partir d’ici il n’y a pas d’autre solution que de piquer un engin.

— Vous voulez voler…

Atterré !

— T’inquiète pas, lâcha Hal en agitant un désintégrant. On a d’quoi rend’tes copains compréhensifs.

— Tu n’as pas le choix, de toute façon, reprit Romaric ; si Péral te trouve ici, tu y as droit. On doit partir jusqu’à ce que ça se tasse. Alors tu vas nous guider de ton mieux.

Fazec ne répondit pas, le visage baissé. Au bout d’un moment il monta à bord de la navette où tout le monde avait embarqué. Akra ne quittait pas Taref qui avait récupéré. Bovit vint vers Rom.

— J’ai distribué les désintégrants des gars de la Spatiale. On est tous armés, maintenant.

— Il faudra penser à faire disparaître ces trucs.

— Je m’en occuperai.

Romaric se glissa vers le poste pilote et s’installa derrière Fazec qui ne bougeait pas. Ses cheveux étaient totalement blancs, maintenant. Mais il ne s’en était pas rendu compte. Ça ne lui allait d’ailleurs pas mal !

Le pilote finit par hocher lentement la tête.

— Comment ça va se dérouler, ici ?

— J’ai besoin de renseignements. Il n’y a sûrement pas de vrai spatioport, comment faites-vous ?

— En général, les Transports restent en orbite basse, évidemment et on les décharge en navette. Donc pas besoin d’installations au sol. Il y a juste un Centre communication à l’est de chez Péral, à côté d’une surface vitrifiée plate pour faciliter les allées et venues des navettes.

— Beaucoup de monde ?

— Des fois oui, mais ça dépend. Il peut y avoir une trentaine d’hommes… des durs, souvent. Ou juste deux ou trois.

— L’approche peut être discrète ?

— Ça oui, surtout de nuit. Il n’y a pas de contrôle. Mais on n’a rien vu en orbite et à part l’engin de Péral qui est équipé d’anti-g il y a rarement de Transports au sol.

— C’est quoi, son engin ? L’autre se tourna vivement.

— Vous allez pas prendre le C3 de Péral… Il serait fou !

— C’est quoi, ce C3 ?

— Une sorte de petit Fusesp privé. Pas aussi rapide mais pas mal. C’est pour lui que Péral m’avait engagé, au départ.

— Combien de places à bord ?

— Douze. Fichu !

— Et les Transports, ils sont à qui ?

— La plupart du temps ils sont indépendants, loués pas Péral pour des liaisons régulières… Enfin il y met du fric aussi.

— Ils font un peu de trafic, aussi ?

L’autre haussa les épaules. A ses yeux c’était naturel et sans importance.

— Quel genre ?

— Du carium la plupart du temps, comme tous ces mecs.

Romaric se raidit. Le carium était une saloperie d’hypnotique dopant artificiellement les qualités intellectuelles du cerveau. Avec ça, un étudiant ou un type désirant passer une qualification professionnelle pouvait améliorer ses capacités considérablement. Seulement les dangers étaient à la mesure des résultats, le cerveau subissait un vieillissement prématuré définitif. Les scientifiques avaient bien trouvé des combinés qui réduisaient considérablement les séquelles mais ça valait une fortune et c’était gardé pour la Spatiale, secret militaire. Moralité, le carium brut était introduit en fraude et il y avait un marché important pour les pauvres gars qui visaient trop haut ou les étudiants en retard sur leur programme. Ça faisait de beaux légumes pour les Centres de santé. Des séniles de vingt ans…

Romaric avait réalisé une histoire là-dessus et visité un Centre… Il n’eut plus aucun scrupule.

— Quand un Transport arrive il appelle, je suppose ?

— Contact radio, bien sûr.

— On pourrait l’intercepter d’ici ?

— Oui, c’est le même genre de système de communication.

— Vas-y, branche le truc.

— Mais je vous ai dit qu’il n’y avait personne en orbite.

— D’accord, mais on va prendre l’écoute. Des Transports viennent souvent ?

— Plusieurs fois par mois.

Une main se posa sur l’épaule de Rom. C’était Taref qui venait d’arriver. Il lui fit signe de s’écarter.

— On pourrait faire deux voyages avec le C3, non ? Il dit à voix basse.

— Si on peut prendre un Transport je préférerais. Les risques d’être repérés seraient plus grands avec deux voyages.

Le grand gars fit la moue. Romaric revint à Fazec.

— Tu nous amènes à proximité de l’aire de poser des navettes mais dans un coin planqué, compris ? Et on attend.

— Vous pouvez rester là quinze jours avant de voir arriver un engin !

— C’est pas ton problème.

— Si, parce que quand les types de Péral vous auront trouvés, je serai dans le même bain…

— Démarre, fit Rom, sans répondre.

L’autre se frappa le genou du poing mais obéit. La navette s’éleva. Moins d’une heure plus tard elle descendait tout près du sol, invisible dans la nuit et finissait par se poser dans un creux.

Romaric alla expliquer aux autres qu’il fallait attendre, sans se faire repérer. Si près des hommes de Péral ils étaient nerveux. Certains auraient voulu les attaquer, d’autres préféraient aller plus loin. Romaric alla trouver Bovit.

— On va aller faire une reconnaissance, toi et moi.

— Tu devrais emmener Pool et Diston. Ils sont bien, les frères.

Il avait peut être raison. Après tout c’était son domaine.

— D’accord, préviens-les et rejoignez-moi dehors.

Il alla encore interroger le pilote pour le chemin à suivre, au sol. Ils étaient à une dizaine de kilomètres. Ça faisait un retour de jour, ou le soir. Il fallait emmener de l’eau et de quoi manger. Ils prirent chacun leur communicateur et se mirent en marche. Romaric avait confié la responsabilité des autres à Taref. Tout de suite Rom prit la tête, attentif.