CHAPITRE VIII

 

 

Une fin d’après-midi, quand Hal s’amena au rendez-vous, ils décidèrent d’aller chasser dans un petit bois au loin et en approchèrent en silence.

Ils tombèrent pile sur un campement ! Les réflexes jouèrent. Rom tirait comme un fou, à peine conscient de la présence de Hal qui avait épaulé son flingue. La chaleur montait autour d’eux… Devant, des silhouettes tentaient de se redresser… s’effondraient…

Et puis tout fut terminé et une horrible pensée traversa le crâne de Romaric. Qu’est-ce qu’ils venaient de faire ? C’étaient peut-être des chasseurs ?

— T’as l’œil, gamin, fit Hal d’une voix rauque. Moi j’avais pas remarqué les étuis et leurs fringues d’amateurs.

Une sorte de tremblement secoua Tom qui ne répondit rien.

— Il faut fouiller le coin, ouvre les yeux.

Il n’y avait personne d’autre dans le bois. Rien. Rien sauf un Trans, dissimulé sous les arbres. Un bel engin privé. Personne à l’intérieur.

Revenus au campement, ils fouillèrent les débris et récupérèrent deux flingues, un fulgurant et un communicateur en « veille ». Le reste était foutu, écrasé, informe sous les ondes du broyant… Terriblement impressionnant. Rom songea que sans cette arme ils n’auraient pas pu s’en tirer. Il en connaissait un bout, le vieux Jos.

— On va ramener le Trans, dit Romaric, si j’arrive à le piloter.

C’était un modèle moderne, avec pas mal d’automatismes et il s’y repéra assez vite. Ils retrouvèrent sans peine le Poly que Hal convoya.

La véritable réaction se produisit au campement, quand ils n’eurent plus rien à faire. Romaric n’avait pas dormi depuis près de dix-huit heures mais se sentait trop tendu pour s’allonger. Hal ne dit rien mais commença à préparer un repas chaud.

Une vague trouille traînait dans le crâne de Rom. Ces gars étaient-ils vraiment des hommes à Péral ? Est-ce qu’ils n’avaient pas anéanti de simples chausseurs malgré ce qu’avait dit Hal ? Ils n’avaient aucune preuve… Ce serait un véritable assassinat !

L’idée se développait en lui, le rongeait…

Et puis il y eut un bip d’appel.

Surpris, Romaric tourna la tête de chaque côté… avant de se souvenir du communicateur. Il alla le ramasser. Le voyant rouge clignotait, signalait un appel. Il croisa le regard indécis du vieux.

Il fallait savoir. Il pressa le poussoir. Aussitôt une voix s’éleva.

— Alors, où en êtes-vous ? Ils sont localisés, les salopards ?

Rom hésita puis éleva l’appareil à sa bouche et grogna :

— Non.

Il y eut un silence, puis la voix reprit :

— Les équipes du sud vous rejoignent. Placez une balise pour qu’ils vous retrouvent. Souvenez-vous que je veux ces trois salauds vivants. En tout cas pas trop abîmés.

Péral ! C’était Péral lui-même qui dirigeait les recherches… Quelque chose démarra dans le cerveau de Romaric, effaçant l’espèce de paralysie qui l’avait envahi. Il fit entendre un « oui » vague.

La voix reprit.

— La ville est calme, maintenant. Je vais vous envoyer d’autres renforts. Pour l’instant, on fouille la maison et on installe un piège à l’entrée. Ils n’ont pas de soutien en ville et plus de repli possible, c’est une question de temps. Avec un Poly ils ne peuvent pas aller bien vite. Quadrillez toute la région, ils finiront bien par sortir de leur trou. Personne ne se baladera dans cette région, j’ai l’accord de la Sécurité. Alors tâchez de vous magner un peu.

— Vorèle de Vorèle !

Hal avait pâli de colère. Rom sentit, lui aussi, monter la colère puis il se calma en un seconde et amena le communicateur devant sa bouche.

— Eh, Péral, ils sont plutôt minables, tes hommes. C’est pas les meilleurs que tu as envoyés, pas possible. Tu voulais me vexer, hein ?

Il y eut un silence, puis :

— Qui parle ?

Rom prit une voix ironique.

— T’as drôlement baissé, dis donc, le vieillard, tu t’es amolli. Allez cherche, essaie de faire marcher ton cerveau sénile, doit bien rester quelques neurones encore en état de fonctionner ? Un effort, pépère !

— Foutu bâtard ! Espèce de fumier de Van Teflin, je…

Il s’en étranglait de colère…

— … On va t’attraper, salaud et tu flamberas moins quand…

Rom rit très fort devant le micro.

— Tu parles beaucoup, Péral. C’est tout ce que tu peux faire, maintenant. Plus capable de rien, tu te réfugies derrière tes tueurs. Autrefois tu serais venu sur le terrain, mais aujourd’hui vaut mieux qu’on ne voie pas à quel point t’es dépassé. Dis donc, ça doit te poser des problèmes devant tes hommes. Ils doivent drôlement se marrer, quelquefois. Tu t’en es déjà rendu compte ?

Péral ne répondit pas tout de suite. Quand il reprit la parole, sa voix était étrangement calme.

— Je vais venir, petit salopard de Van Teflin. C’est moi qui vais te choper, tu entends ? Comme les tiens, autrefois, tu te souviens ?

La communication fut coupée brutalement. Hal hocha la tête après quelques secondes.

— Vorèle, ça m’a secoué de l’entendre dire ces choses… Mais qu’est-ce qui t’a pris d’le provoquer comme ça ? Tu lui en as tellement dit qu’il va venir diriger les recherches.

— Justement. C’est évident qu’il est aussi redoutable qu’avant, mais peut-être pas de la même façon, tu vois ? C’était un chef de bande et il est devenu un organisateur qui ne doit pas mettre souvent la main à la pâte. Là, effectivement, il a perdu. Et c’est ce que je veux lui démontrer dans les faits. Il aura des problèmes avec ses gars et il perdra confiance en lui. Avec un peu de chance, sa sauvagerie naturelle l’amènera à faire des conneries.

— Et nous ? Romaric serra les lèvres.

— Nous, on va jouer serré… Et d’abord quitter ce coin. On va se diriger vers l’ouest avec le Poly et le Trans, du côté des grandes forêts. On y planque le Poly et on continue en Trans, au besoin. Pour l’instant s’agit de se tirer de là. On défait tout et on part.

Il leur fallut une bonne heure pour démonter le campement, ce qui donna à Romaric le temps de comprendre qu’ils s’étaient installés trop confortablement. Ils chargèrent le tout dans le Trans, ne laissant dans le Poly que deux désintégrants, le fulgurant et quelques vivres.

Au milieu de la matinée ils décollaient en direction du nord. Au ras du sol, Rom réfléchit, surveillant le Poly, derrière.

Une sacrée bonne machine, ce Trans privé. Il devait bénéficier d’une dérogation spéciale puisque les instruments affichaient la possibilité de grimper en altitude.

Romaric choisit un itinéraire survolant les régions au sol tourmenté, espérant qu’ils ne seraient pas repérés. Ils avaient prévu, dans ce cas, de se séparer pour se retrouver loin à l’ouest à la nuit. Mais pour l’instant il s’agissait seulement de quitter ce coin en attendant la nuit. C’est dans l’obscurité que Rom voulait gagner leur vraie destination.

En début d’après-midi, ils se posèrent dans un long ravin qu’ils suivirent jusqu’à son extrémité, en dessous du niveau des bords. Ce fut la partie la plus dangereuse du voyage. S’ils avaient été aperçus, l’attaque n’allait pas tarder.

Ils s’installèrent en embuscade pour attendre le soir. Mais il ne se passa rien. En revanche, Romaric sentait arriver le bout de ses forces. Trente-six heures qu’il n’avait pas dormi. Il se souvint que son grand-père s’allongeait dès que rien ne l’obligeait à rester éveillé. Il était perpétuellement en forme ! Rom comprenait maintenant pourquoi. Ça l’avait beaucoup intrigué, quand il était enfant, ce besoin de dormir.

A la nuit il prit un comprimé dopant et ils regardèrent longuement la carte.

Cette fois, ils partirent carrément vers l’ouest. Mais tous les quarts d’heure ils faisaient un virage de 90° au nord ou au sud, selon un code déterminé, et volaient encore pendant un quart d’heure. La méthode était compliquée mais avait l’avantage de troubler totalement des observateurs. Or ils étaient maintenant certains qu’ils allaient en survoler.

A quatre cents kilomètres de leur point de départ, ils débouchèrent sur le grand désert de sel qui s’étendait sur huit cents kilomètres vers le sud-ouest et sur trois cent cinquante de largeur. Maintenant la navigation était plus simple : aucune dune, donc ils pouvaient accélérer à fond.

Le sol était tellement blanc qu’il reflétait la faible lueur des étoiles et on y voyait assez pour piloter à vue.

Romaric conserva un cap plein ouest pour traverser le désert en biais. C’est de l’autre côté qu’ils arrivèrent d’abord au-dessus d’une savane puis de la grande forêt. Rom monta un peu en ralentissant et ils débouchèrent sur un grand lac. Il n’était jamais venu jusqu’ici mais en connaissait l’existence.

Les arbres venaient jusqu’à la rive sauf à un endroit où une clairière faisait une enclave, au bord de l’eau. Rom vint s’y poser doucement et fit glisser le Trans au ras du sol jusque sous les arbres. Là, véritablement, il était invisible.

Le Poly s’immobilisa à côté en pivotant. Hal l’avait bien en main, désormais.

Il faisait une chaleur éprouvante, malgré la nuit. Sans s’être concertés, ils se dirigèrent vers l’eau et plongèrent tout habillés. Rom nagea longuement, à gestes lents, pour se détendre. Peu à peu il sentit ses muscles se dénouer, son estomac devenir plus souple. Et la fatigue lui tomba dessus. Il revint lentement à la rive où Hal s’était assis.

— Quand j’pense qu’y a des coins comme ça et qu’j’ai vécu dans ma ferme à me compliquer la vie !

Romaric ne répondit pas. Il ne savait pas s’il aurait la force de sortir le matériel de couchage…