CHAPITRE XIII
Taref apparut à la grande porte dans sa vieille combinaison sans couleur et fit coulisser le panneau tranquillement. Si quelqu’un le regardait, il avait l’air si naturel que rien ne se devinait.
Romaric changea doucement de position et reprit sa surveillance au moment où Akra apparaissait, loin derrière un autre bâtiment. Elle portait un gros sac sur le côté et marchait d’un pas fatigué.
Elle en avait beaucoup fait, ces derniers temps. C’est elle qui avait finalement trouvé le moyen de détruire les objectifs. Un truc tout simple, qui avait le mérite de ne laisser aucune trace.
Les conducteurs d’énergie étaient simplement posés le long des parois, dans ces grands entrepôts. Elle avait imaginé de faire des dérivations sur un mètre puis de rétablir le passage, de nuit pour que l’interruption rapide d’énergie ne se remarque pas.
Ensuite les portions de câbles dérivés avaient été grattées pour éliminer l’isolant. Les dérivations comprenaient un rupteur, de même que les parties isolées, commandé par radio. Au signal, les rupteurs des dérivations seraient coupés et ceux des parties isolées jusque-là, ouverts. L’énergie passerait à nouveau sur le câblage d’origine. A une nuance près, c’est que les câbles étaient dénudés… Le feu éclaterait avec violence, immédiatement, en détruisant les dérivations. Plus de traces ! Le coup était d’autant plus jouable que l’installation n’était pas réglementaire !
Là-bas, Taref s’éloignait paisiblement en direction de la droite où Hal était installé en recueil. Akra venait par ici et Rom commença à reculer dans l’ombre. Rien ne bougeait, aux abords de la petite ville.
Il laissa passer la jeune fille et suivit dès qu’il eut à nouveau contrôlé qu’elle était en sécurité. Le petit Trans était posé à trois kilomètres. Dans une heure ils seraient tous à bord.
Un peu plus loin, il s’arrêta pour attendre Taref dans l’ombre d’un grand arbre. Il faisait assez clair, cette nuit.
Au moment où il passait devant lui, le grand gars sifflota négligemment. Un personnage, celui-là. Il les avait rejoints depuis cinq jours, au moment où ils commençaient les installations de sabotage.
Prisca avait adressé à chaque famille, acceptant d’envoyer quelqu’un, un quartz chauffé. Elle avait chauffé ensemble une quantité de quartz, modifiant ainsi de manière identique et imprévisible leurs caractéristiques. Placés dans des communicateurs, ils garantissaient une discrétion totale. C’est Akra, encore elle, qui lui avait donné l’idée.
De cette façon, chaque membre de la Famille qui débarquait sur Stoll II pouvait signaler sa présence sans risque de se faire repérer.
Taref avait appelé une nuit. Pool était allé le chercher à Stajil en Trans au moment où ils se préparaient à partir pour une petite ville de l’hémisphère sud où Péral avait de grandes installations, près de la mer. En fin de nuit, Taref était en train de gratter un câble d’énergie, comme si c’était tout naturel. Ce type avait une décontraction peu commune. Électronicien-navigant sur Transport spatial, il avait une sacrée pratique de la technologie et travaillait à une vitesse folle tout en lançant des conneries, le visage imperturbable. Il avait le génie des phrases qui ne veulent rien dire, prononcées très sérieusement. Si bien qu’au début on se demandait ce qu’il fallait répondre à une phrase du genre : « Pour le déjeuner, il faudrait voir à manger quelque chose, ce serait plus conséquent… »
Hal l’adorait. Comme les autres, d’ailleurs. Surtout les deux frères qui ne le quittaient plus. Akra était béate d’admiration…
Le communicateur que Romaric portait accroché à l’épaule gauche eut un petit bip à peine audible. Il pressa le bouton de réponse et porta l’appareil à son oreille.
— Le temps est dépassé de dix minutes, fit la voix de Prisca. Est-ce que ça va ?
— Oui, il répondit simplement.
Il entendit la porteuse encore une dizaine de secondes avant la coupure. La jeune fille aurait voulu ajouter autre chose mais s’était ravisée. Il savait bien ce qu’elle voulait entendre mais n’était pas capable de le dire. Rien n’avait changé pour lui. Il était accablé, beaucoup plus par sa responsabilité que par sa mort prochaine. Il sentait la tendresse de Prisca et cela ne faisait qu’ajouter à son tourment.
Lui, l’individualiste forcené, était pris au piège des autres. Comment tout cela avait-il pu lui arriver ?
Le Trans était posé dans un coin entouré de buissons épais où ils avaient eu de la peine à trouver un passage, entre les longues épines. Pas question d’en couper. Il ne devait rester aucune trace de leur séjour par ici.
C’était le quatrième dépôt qu’ils piégeaient. Il restait encore le plus important, la grande bâtisse de Stajil, au spatioport. Là ce serait beaucoup plus difficile d’approcher. Il y avait du monde et une surveillance de nuit, ne serait-ce qu’au contrôle. A circuler sur les aires de stationnement on pouvait se faire remarquer. D’autant que le hangar de Péral était à l’écart. Une chance, pour ne faire courir aucun risque aux autres installations, mais pas pour y pénétrer…
Il fut le dernier à entrer dans le Trans. Taref était aux commandes. Son expérience spatiale le désignait naturellement pour ça. Même s’il n’était pas pilote spatial de formation évidemment.
Dans cette région assez plate le retour s’effectua à grande vitesse.
Pendant que les autres dormaient, Rom examina une fois de plus les plans du spatioport. Là, pas de problèmes, ils s’étaient procuré des plans officiels, à l’échelle. Il avait beau chercher, il ne trouvait aucun accès discret pour arriver au hangar immense.
Étant donné la taille de la bâtisse, il fallait multiplier encore les pièges pour que le feu ne soit pas maîtrisable. Donc y passer encore plus de temps. Pour les autres, trois dérivations avaient suffi, mais ici il en faudrait beaucoup plus. Et sans avoir pu inspecter l’intérieur, impossible d’en fixer le nombre à l’avance. Sûrement plusieurs heures de travail, en tout cas…
Il était en train de tracer des chemins d’accès en minutant le temps nécessaire quand un bip retentit au poste pilote du petit Trans où il était installé. Il leva les yeux, un peu étonné, et identifia tout de suite l’appareil. C’était l’un des communicateurs de Prisca. Elle en avait placé plusieurs, dans chaque cellule des Trans. Comme il lui restait encore pas mal de quartz chauffés, elle avait l’intention de se procurer d’autres appareils pour que chacun en ait un, dès que tout le monde serait là.
Il tendit le bras et prit le communicateur.
— J’écoute, il fit, prudemment.
— Taij, ici. Est-ce que Capris est là ?
C’était le nom de code que Prisca avait donné. Une anagramme de son nom, tout bêtement.
— Elle dort, répondit Rom. Où es-tu ?
Il y eut un silence. L’autre se méfiait. Rom alla chercher la liste des survivants contractés et chercha le nom de Taij…
« Taij Brakham, vingt-huit ans, fils de Bort, vendeur de mobiles : Combi, Poly, Trans, etc., venant de Partha. »
— Faisait beau à Partha ? lança Romaric.
— Moins qu’ici, répondit l’autre immédiatement, visiblement soulagé.
— Où te trouves-tu ? recommença Romaric.
— Dans un centre de nuit de Stajil. Mais… on est plusieurs.
— Ah… beaucoup ?
— Eh bien oui. Ce truc est vraiment sûr ?
— Oui, tu peux y aller. Les quartz ont une sorte de brouillage naturel.
— Si tu le dis. On est quatorze.
Romaric en resta sans voix. Vaguement excité, d’abord, puis accablé la seconde suivante. De toute façon il s’y attendait et reprit :
— Vous ne bougez pas. On prendra contact avec vous aujourd’hui.
— Bien… On est impatients.
— Pas de bêtises, baladez-vous. Un type se fera connaître.
Pas question que Prisca aille trop souvent à Stajil, de jour, les hommes de Péral devaient avoir son holo. Taref irait, avec Akra. Il serait d’ailleurs assez habile de les attirer du côté de Biskrand ces jours-ci. Quand les autres s’éveillèrent, il les tint au courant.
Taref et Akra montèrent dans le petit Trans et le reste décida de se rapprocher de la capitale. Il y avait une zone tourmentée, sèche, dans le sud-est, à moins de deux cents kilomètres, où ils pourraient se dissimuler et qui constitueraient leur base arrière. Ils l’avaient déjà repérée.
Taref partit tout de suite après que Prisca lui eut décrit Taij. Le grand Trans prit son temps pour se rendre au futur campement. Mais, à la nuit ils étaient confortablement installés. L’engin était même dissimulé sous un surplomb rocheux où il avait été difficile de le faire glisser. En revanche, le départ pouvait être rapide, il suffisait de progresser de trois mètres et de mettre la puissance à fond, ça ne risquait rien.
En arrivant, Romaric avait fait une montée rapide. Il n’y avait aucune ferme, aucune exploitation dans un rayon d’une bonne cinquantaine de kilomètres. Et ce coin était trop désertique pour que quelqu’un vienne y chasser. Il fallait seulement résister à la chaleur…
Sous le surplomb, au-delà du Trans, ils firent du feu avec le bois archi sec que Diston alla chercher en Trall. Il adorait cet engin qu’il maniait bien, maintenant.
A la nuit, Romaric appela Taref et lui dit d’acheter le lendemain, avant de partir, un combi biplace rapide, qu’ils laisseraient sur place, ou un Poly si ce n’était pas trop cher. Il fallait veiller à ne pas épuiser leurs cartes de crédit que le voyage de Prisca avait fortement entamé.
Au milieu de la matinée, le lendemain, Taref rappela. Ils étaient tout près et prévenaient que tout allait bien.
Ce fut une scène étrange. Le Trans se posa d’abord, suivi de deux Polys qui paraissaient presque neufs, en tout cas d’un modèle très récent.
Tout le monde était sorti au soleil, devant le surplomb. Les nouveaux arrivants descendirent et restèrent là, immobiles, gauches, un peu perdus.
Il y avait trois femmes, parmi eux. Certains étaient habillés de combine de voyage, d’autres étaient carrément élégants. Reflet de ce qu’était leur vie sur leur planète respective…
Le silence était pesant, devenait franchement pénible, comme s’il y avait un mur entre ces gens d’une même famille mais qui étaient étrangers les uns pour les autres. Ils attendaient vaguement quelque chose, un signe ?
Sans qu’il en prenne vraiment conscience, Romaric avança lentement vers eux et approcha d’une femme d’une quarantaine d’années.
— Bonjour, cousine, je suis Romaric, dit-il doucement.
Puis il se pencha et l’embrassa sur la joue. Près d’elle se tenait un homme qui faisait probablement plus que son âge. Il paraissait avoir dépassé la trentaine.
Rom rencontra ses yeux et reçut un choc. Ce type avait un regard clair. Toute l’honnêteté, la droiture du monde y étaient. Il se donnait, en ce moment…
C’est lui qui avança vers Rom en écartant les bras. Ils se donnèrent l’accolade, une main dans le dos, serrant l’autre contre la poitrine. Quand ils se séparèrent, le gars dit simplement :
— Bonjour, cousin… Mon nom est Bovit… Puis il ajouta après un temps :
— … que de temps perdu !
Romaric ne voyait plus très bien. Ses yeux étaient étrangement embués.
Il se retrouva devant les autres. Et il donna à chacun l’accolade, embrassant les jeunes filles sur la joue.
Alors seulement l’autre groupe, les anciens, Hal, Prisca, les frères, avança, comme s’ils avaient voulu que Romaric soit le premier à accueillir la Famille. Et l’atmosphère changea en une seconde. Tout le monde riait, se présentait. Hal n’arrêtait pas de lancer des « Vorèle de Vorèle » en posant la main sur l’épaule des gars ou le bras des femmes, comme s’il voulait les toucher vraiment pour s’assurer qu’ils étaient bien là.
Taref était un peu à l’écart, regardait tout ça d’un œil amusé. Il vit que Romaric le regardait et approcha.
— Ça valait la peine, non ? il fit négligemment.
— De les faire mourir ? lâcha Rom.
Taref le regarda longuement, plus sérieux, soudain.
— Peut-être. Mais ça ne te regarde pas. Chacun est libre de sa vie. Un Van Teflin plus qu’un autre, probablement. Personne ne les a forcés. Ils ont choisi librement leur destin. Leur vie ou leur mort ne regarde qu’eux. N’aie pas de mépris pour eux, ils ont un droit imprescriptible, celui de décider de leur existence. Et n’essaie surtout pas de décider à leur place qui doit vivre ou mourir. Et combien. Au besoin je t’en empêcherai !
Les derniers mots avaient été prononcés d’une voix dure et Rom lui jeta un œil stupéfait. Taref continua :
— Tu as eu un mérite formidable. Celui de nous rassembler, de nous faire relever la tête, de nous redonner le sens de la Famille, l’honneur de la Famille. Personne ne pourra rien faire qui efface cela. Et si tu craques, maintenant, devant la peine, la souffrance et le sang à venir, un autre prendra ta place et continuera. Parce que quelqu’un, un jour, devait forcément faire ce que tu as fait, parce que c’était inscrit, si tu veux, dans notre destin. Il n’a rien d’exceptionnel, notre destin, on n’est pas des modèles, des surhommes, on est nous, la FAMILLE.
Il avait martelé le mot.
Taref n’eut pas le temps d’ajouter quelque chose, on le tirait en arrière. Il fit demi-tour et reçut Prisca et Akra dans les bras. En silence elles l’embrassèrent longuement. Prisca sur la joue, Akra sur les lèvres !
— Vorèle de Vorèle, hurla soudain Hal, plus loin, regardez ce qu’il a apporté, le cousin !
Il brandissait un flacon qu’on aurait dit en verre.
— Et il en a d’aut’…
Près de lui, le premier à qui Romaric avait donné l’accolade souriait sans rien dire.
— Forcément, ça vous dit rien à vous, bande de jeunots. Mais y en a qui se souviennent des traditions, ’reusement. Autrefois, quand la Famille se r’trouvait pour une fête, y avait toujours des vieux alcools d’l’ancienne époque… R’gardez-moi ça…
Il lut l’étiquette :
— Armagnac Montesquiou ! Alors, maintenant, c’est vraiment la fête !
— Viens boire, fit Prisca, en tirant Rom par la main.
Ils s’assirent tous à l’ombre, Pool apporta des gobelets et Hal servit.
*
**
Plus tard, ils parlèrent. Hal raconta comment tout avait commencé, leur vie dans la brousse, les bagarres et les projets actuels. Prisca expliqua comment Péral était devenu aussi puissant.
Les nouveaux posèrent des tas de questions. Romaric restait silencieux et, curieusement, les arrivants n’osèrent pas lui adresser la parole. Ils n’étaient au courant de rien à son sujet mais sentaient qu’ils devaient respecter son silence.
Peu à peu il fut essentiellement question du projet de sabotage. Taref prit la parole en leur nom et précisa, dans le détail, ce qu’ils avaient fait et ce qui restait à accomplir à Stajil.
— Et après ? demanda Vali, un jeune garçon au visage équilibré.
— Chaque chose en son temps, mon gars, fit Taref. On avisera.
Le jeune ne parut pas satisfait de la réponse et remua un peu.
— Tout de même… Là on porte un coup sévère à Péral mais on se met aussi dans une position d’accusés. Vous pensez bien qu’une enquête sera ouverte et que les suspects seront désignés d’office.
— Le déclenchement se f’ra par radio, précisa Hal, et nous on s’ra quelque part ailleurs, avec des tas de mecs pour l’jurer.
— Ça ne suffit pas. Voyons, il faut mettre Péral en difficulté… personnellement, je veux dire. Si j’ai bien compris, tout le monde pense que vous êtes trois, n’est-ce pas ?
Hal commençait à s’échauffer et allait répondre sèchement. Romaric lui prit le bras pour le faire taire, et lâcha :
— Tu as une idée, vas-y, je… on t’écoute.
Le jeune se tourna à son côté.
— Voilà. Je pense que la Sécurité doit ouvrir une enquête sur Péral. Une enquête qu’elle ne puisse pas éluder. Ça permettrait de relier le passé à ce qui se passe aujourd’hui. Officiellement, je veux dire. Je…
Il respira comme s’il allait se jeter à l’eau.
— Je suis juriste interplanétaire… Enfin, je viens de terminer mes études. Mais j’ai été formé à réfléchir en fonction des lois… C’est pourquoi… Imaginez que le cousin Romaric, Hal et Prisca aillent à Biskrand. Qu’ils passent devant le Centre de nuit. Vous avez dit qu’il était plein d’hommes de Péral. Imaginez qu’on leur tire dessus, depuis le Centre. Il serait logique qu’ils courent se réfugier à la Sécurité. Et il y aurait bien des témoins pour déclarer que les tirs venaient du Centre.
— Tu crois qu’y savent pas faire mouche, les copains de Péral ? râla Hal.
— Eux, je ne pense pas, répliqua le gars, mais nous non plus. Dans mon idée c’est l’un de nous qui tirerait depuis le Centre ! Péral aurait une officielle tentative de meurtre sur le dos… Personne ne nous connaît, alors on pourrait arriver discrètement, se cacher et prendre position sans qu’on le sache. Ensuite il suffirait de quitter Biskrand sans se faire voir pour que la seule possibilité soit un homme de Péral. A ce moment les accusations du cousin Romaric prendraient beaucoup de poids. Trop pour être négligées, malgré les appuis de Péral. Et pour peu que les Patrouilleurs soient avertis…
— Ça, mon petit gars, c’est une sacrée idée, fit Taref en souriant. Tordue à souhait. T’en as souvent des comme ça ?
Le jeune sourit, un peu gêné.
— On m’a souvent reproché d’avoir trop d’imagination. C’est plutôt un handicap pour être juriste.
— Pas grave… Qu’est-ce que t’en dis, Rom ? On monte ce coup après le sabotage et…
— Non !
Taref s’arrêta net.
— On le monte avant, fit Romaric. Et on fait tout péter pendant qu’on sera à la Sécurité, Prisca, Hal et moi. Ça ne complique en rien le sabotage, mais la Sécurité sera davantage embarrassée. En outre ce sera un argument, pour que Péral soit occupé, pendant qu’on sera entre les mains des Sécu, et ne réagisse pas aussi vite qu’il le pourrait. Et aussi une raison pour exiger de partir rapidement de leurs locaux pour nous mettre à l’abri.
— Il reste à trouver un fameux tireur, dit Hal. J’aime pas tellement avoir chaud aux fesses.
Il y eut quelques rires sourds.
— Je suis un bon tireur.
Les yeux dérivèrent vers celui que Romaric avait accueilli en premier, Bovit. Il eut un sourire tranquille.
— Je suis moniteur de tir rapide dans un stand privé pour Patrouilleurs !
Les yeux s’ouvrirent et il ajouta, pour s’expliquer :
— C’était ma façon à moi de me préparer pour notre retour. J’ai pensé que la Famille aurait besoin d’un tireur professionnel. Et ça me permettait de mieux connaître les Patrouilleurs. Vous savez qu’ils forment une vraie caste, dans la Sécurité. Ils m’ont admis. J’ai même une recommandation pour ceux d’ici, au besoin !
Rom l’examina plus attentivement. Il n’était pas très grand, plutôt mince, mais apparemment bien bâti. On le devinait sous sa combine largement ouverte jusqu’à la taille. Il donnait une grande impression d’équilibre. Ses gantes étaient toujours précis.
— Tu feras le coup, il dit en baissant la tête vers son gobelet. Pool te guidera, sur place.
— Dis donc voir, fit Hal, c’est pas qu’je doute, tu vois, mais si tu m’montrais c’que tu sais faire, là dehors ?
Il y eut des rires et Bovit se leva calmement, en souriant. Hal alla chercher un désintégrant dans le Trans et ils sortirent au soleil, suivis de quelques curieux.
Taref était resté près de Romaric et Akra n’avait pas bougé, bien entendu. De même que Prisca. Les autres se rapprochèrent.
— Et pour Stajil ? demanda Taref en s’accoudant contre une paroi de rocher.
Romaric ne répondit pas tout de suite. Il paraissait réfléchir.
— Il faut en savoir le plus possible sur les mouvements, de nuit, sur le spatioport. On va organiser une surveillance, avec tout le monde. Ce soir tu ramènes les autres en ville. Qu’ils s’installent dans plusieurs Centres de nuit. Personne ne se déplace sans son communicateur. Ils vont faire des équipes pour écumer les clubs proches du spatioport, payer à boire, écouter les conversations…
Il s’interrompit pour préciser ses propres pensées.
— Ce soir, tu chercheras l’endroit le mieux placé, sur l’aire des mobiles, pour avoir un coup d’œil général, aire de stationnement des navettes, hangars, hall, tout. Demain soir on ira y garer le grand Trans et je m’y installerai pendant plusieurs jours. A propos, pourquoi avoir acheté deux Polys ?
— Caré, la cousine en tunique, a une carte de crédit rouge.
Une rouge, ça voulait dire plus de cinq cent mille crédits ! En effet, une petite fortune… Celle de Romaric n’avait jamais dépassé les cinquante mille, aux meilleurs moments de sa vie précédente.
— Bien, il reprit. Je garderai le Trall dans le Trans, alors. Tu assureras la coordination entre les différentes équipes de surveillance. Que les filles sortent avec un garçon, pour les autres pas plus de deux personnes ensemble pour multiplier les écoutes. Hal, Prisca et Bovit resteront avec moi.
— C’est clair, fit Taref en se détendant. Tu sais, il faut pas m’en vouloir pour tout à l’heure… Je dis toujours ce que je pense.
Rom releva la tête et le regarda.
— Je sais.