CHAPITRE IX

 

 

Ils dormirent vingt-quatre heures ! A leur réveil, le jour se levait et ils se demandèrent un instant s’ils ne venaient pas de s’endormir.

Finalement ils s’étaient réfugiés dans le Trans, sur des couchettes du compartiment arrière. Plus raisonnable, avec les fauves. Ils retournèrent au lac pour se baigner et se laver. Ensuite seulement ils se préparèrent à manger.

Ce fut un repas de paix. Ils se sentaient très loin de Péral et de sa haine. Il faut dire qu’ils étaient à mille deux cents kilomètres à vol d’oiseau de leur ancien campement et, aussi puissant que soit le salopard, il ne pouvait pas quadriller toute la planète. Sauf…

L’idée venait de lui venir. Est-ce que Péral était assez tordu pour imaginer de leur mettre la Sécurité sur le dos ? De leur coller une sale histoire et de laisser la Sécurité faire les recherches ?

— A quoi tu penses, gamin ?

Hal avait terminé son repas et s’était allongé sur le dos tranquillement. Rom se mit sur un coude et raconta.

Le vieux finit par se redresser.

— Tas l’don d’réconforter tes amis, dis donc.

— Il faut… le battre de vitesse, songea Romaric à voix haute. Lui couper l’herbe sous le pied. Garder une longueur d’avance.

— En faisant quoi ?

— En déposant plainte pour tentative de meurtre, en l’attaquant en face. Il aura de la peine, ensuite, à prétendre qu’on est des assassins.

— Mais tu as dit toi-même que la Sécurité ne prendrait pas au sérieux une plainte, qu’elle ferait disparaître les documents !

— Exact. Mais imagine… imagine que je dépose plainte par l’ordi municipal. C’est légal.

— Mais y faut que le plaignant vienne en personne pour valider la plainte, tu le sais et là ils te coincent.

Rom sourit.

— Au contraire. L’enregistrement, je le passe aussitôt sur l’ordi fédéral et je disparais. Qu’est-ce qui se passe ? L’enquête ne peut pas démarrer puisque je ne suis pas venu en personne, mais l’enregistrement fédéral interdit de classer l’affaire. Tu vois la subtilité ? Péral ne pourra plus nous faire rechercher par la Sécurité puisqu’il sera, lui-même, en position d’accusé : D’accord, un accusé qui ne risque rien, mais une plainte de sa part ne ferait que renforcer ma déposition…

Il se leva aussitôt pour aller consulter les cartes. Il y avait bien une ville qui pouvait faire l’affaire, à l’ouest de Stajil, la capitale. La disparition du Trans était peut-être signalée, il faudrait se poser avant la ville et finir à pied. Dommage qu’il n’ait pas le Trall. Il y avait assez de place dans le Trans pour le charger.

— Hal, tu vas passer la journée seul, et peut-être la nuit. Je ne connais pas le coin, alors prends des précautions. Reste toujours à portée du Poly et garde un flingue près de toi en permanence. Et ne va pas te baigner.

— Te fais pas de mouron, gamin, j’serai sage !

Romaric calcula sa route et grimpa dans le Trans.

Le voyage s’effectua sans incident. A huit mille mètres il était trop haut pour être repéré. A quatre kilomètres de Blasky, la petite ville où il se rendait, il posa la machine au terme d’une longue descente prudente. La région avait l’air encore moins habitée que les alentours de Biskrand. Pourtant, d’après la carte, il y avait bien un bâtiment fédéral.

Il attendit la tombée de la nuit pour se mettre en marche. Le bâtiment fédéral était au centre de la ville. Plusieurs clubs étaient ouverts et il avait contourné soigneusement les zones de lumières. En principe il ne connaissait personne par ici, mais Péral était capable d’avoir alerté des correspondants partout. C’est pourquoi il portait le pisto-laser sur la cuisse. Beaucoup de gars étaient armés sur Stoll II, personne n’y faisait attention. Et la Sécurité n’y voyait aucun mal à condition qu’il s’agisse d’armes autorisées. Pas de désintégrants, par exemple.

Il entra dans le bâtiment fédéral et se dirigea tout de suite vers le terminal Sécurité. Il avait réfléchi dans la journée et tapa immédiatement sa déclaration, racontant le récit de Sav Lock.

Dès que la copie sortit du terminal, Romaric pressa le bouton « enregistrement » puis introduisit la copie dans la fente du terminal fédéral qui l’avala avant de la rendre avec le numéro d’enregistrement. Il l’apprit par cœur et mit la feuille dans l’incinérateur. Voilà, il ne restait aucune trace. Impossible, même par la voie officielle, d’accéder aux mémoires fédérales, sans connaître le numéro ! En revanche, tous les bureaux de la Sécurité allaient recevoir une copie de la plainte.

Il reprit lentement le chemin du Trans en se demandant comment avertir Zogar qu’ils avaient dû s’enfuir très loin.

Rom avait beau retourner le problème dans tous les sens, il ne trouvait pas de solution.

Plutôt si… y aller. Les risques étaient importants et il remua la question longuement avant de prendre sa décision.

Dans le Trans il fit des calculs. Il lui faudrait sept heures au moins pour gagner Biskrand, ce qui le ferait arriver sur place au matin. Non, pas question. Donc il fallait passer la journée quelque part et partir pour être là-bas au milieu de la nuit prochaine.

Il décolla et vola un moment vers le nord-est pour se rapprocher de Biskrand, puis se posa dans une région montagneuse, au fond d’une vallée.

En fin d’après-midi il s’éveilla, nauséeux, le cœur sur les lèvres, le moral à zéro. Il dut faire un effort important pour se préparer. Il n’avait emporté que le pisto-laser et c’était léger…

*

**

Trois heures du matin. Romaric était dissimulé dans un coin d’ombre à une cinquantaine de mètres de la baraque de Zogar. Rien ne bougeait pourtant il n’arrivait pas à se décider. Son cerveau ne voulait pas fonctionner, ce soir. Ses tripes lui disait qu’il ne fallait pas y aller. Et puis il en eut brusquement marre. Marre d’être le gibier, marre de devoir se cacher, marre que les gens qu’il aimait soient pourchassés…

Sans s’en rendre compte, il s’était décidé et se trouva en train de cavaler comme un fou en direction de la baraque abandonnée. Il y mettait toutes ses forces et arriva comme une bombe, sautant au dernier moment, le pied gauche en avant vers la porte !

Elle vola à l’intérieur sous l’impact et il tomba dans le noir, sur le flanc, le pisto-laser déjà à la main. Sans chercher à voir quelque chose il roula sur lui-même.

Sa main gauche toucha un objet sur le sol qu’elle ramassa et projeta plus loin.

Il y eut une lueur bleue, un rayon que Rom identifia immédiatement : un fulgurant. L’information parvint à son cerveau qui traduisit tout de suite. Le gars qui était là n’était pas un tueur, autrement il aurait utilisé un désintégrant. Rom avait sa chance.

Il n’avait pas eu le temps de fermer les yeux et avait perdu son accoutumance à l’obscurité. L’autre aussi, probablement. « Pas de mouvements inconsidérés, réfléchis d’abord. »

Il se força à l’immobilité, fermant les yeux. Le rayon zébrait toujours ses paupières mais commençait à perdre de l’intensité.

L’autre avait tiré en direction du point de chute de ce qu’il avait lancé. Le rayon venait de… la droite, Rom en était sûr. Il pressa frénétiquement la mise à feu de son arme…

Il y eut un gémissement.

Puis un choc sourd… Rom se releva et fonça en avant !

Quelque chose lui bloqua les jambes et il tomba brutalement, allant se cogner la tête contre un paroi. Un peu étourdi, il ne réagit pas tout de suite, allongea la main et découvrit une jambe inerte.

Le gars était hors de combat. Rom se releva, empoigna le pied de sa victime et la traîna dehors. Là, il faisait assez clair pour qu’il distingue son adversaire. Un type d’une quarantaine d’années, qu’il n’avait jamais rencontré. Il avait dégusté en pleine poitrine et son torse était terriblement brûlé. Mort. Rom le repoussa contre la baraque, regarda longuement si les bruits de la bagarre avaient attiré l’attention d’un complice éventuel.

Rien ne bougeait.

Il fila en silence vers la baraque de Zogar et gratta à la porte, discrètement.

Pas de réponse.

Il insista un certain temps avant de comprendre. Pas là, le père Zogar ! Au fond, ça valait probablement mieux pour lui. Il ne pourrait pas être impliqué dans la disparition de l’autre, dehors. Romaric avait, cette fois, l’intention d’emmener le corps. Ça n’empêcherait pas Zogar d’être suspecté par Péral, mais les Sécu ne pourraient rien lui reprocher.

Désormais Zogar ne devrait plus les rencontrer, il serait manifestement surveillé d’encore plus près.

Il rédigea un message à Zogar et contourna la baraque. Le combi était bien là, donc Zogar devait faire un boulot quelque part. Il démonta le capotage du propulseur et débrancha l’une des alimentations puis y glissa le message. Le propulseur démarrerait mais sans la puissance normale. Le vieux trouverait ce qui clochait.

Après quoi, il alla charger le corps sur son épaule et s’éloigna. Il avait ramassé le fulgurant qu’il avait coincé dans son ceinturon du côté de sa main libre.

Ce fut une marche épuisante, le gars était foutrement lourd. Mais il faisait encore nuit quand il décolla et mit le cap à l’ouest pour faire un large détour.

En fin de matinée, il descendit vers le lac qu’il survola au ras de l’eau. Il retrouva facilement l’enclave et vint toucher le sol près du Poly.

— T’en as mis du temps, gamin. J’m’demandais s’y faudrait pas que j’aille voir c’que t’étais devenu.

Le vieux était embusqué dans les arbres, sur la droite, le flingue à la main. Romaric en fut content. Il n’oubliait pas le père Hal.

— J’ai fait un détour pour laisser un message à Zogar.

Hal vint à sa rencontre.

— Ça s’est bien passé ?

— J’ai dû descendre un mec qui planquait près de chez lui.

— On va lui demander des comptes, non ?

— J’ai balancé le corps dans un petit lac à cinq cents kilomètres de là.

Il jeta un regard autour.

— … Dommage qu’on n’ait pas le Trall, j’aurais pu aller explorer les environs. Le Poly n’est pas assez maniable, au milieu des arbres. Enfin j’ai demandé à Zogar de nous l’apporter s’il le peut, la prochaine fois, dans un autre coin, si on ne le surveille pas.

— Qu’est-ce que tu lui as dit, exactement ?

— Autrefois Jos et lui communiquaient par des vieux bekars. Il a encore le sien. Un de ces jours j’irai en ville tâcher d’en trouver un aussi. Il suffira ensuite d’écouter et c’est Zogar qui nous appellera quand il sera tranquille.

Les bekars utilisaient des longueurs d’ondes abandonnées désormais. Ces appareils exigeaient une dépense d’énergie trop importante.

— A propos, fit Rom, on va installer la parabole de recharge de la batterie principale du Trans. Elle est à demi vide, maintenant.

— Tu veux pas manger d’abord ?