CHAPITRE II

 

 

Crevé. Ces voyages en subespace, en classe bas tarif étaient exténuants. Pas de cabine mais des couchettes alignées dans de grandes salles communes haute densité. Il fallait attendre son tour pour passer dans les cabines d’hygiène. Non qu’il y ait beaucoup de monde à bord mais une seule petite salle était ouverte pour les quelques passagers et deux cabines seulement. Moralité, il se sentait sale et fatigué.

Mais heureux d’être là ! En descendant de la navette de débarquement il emplit ses poumons et retrouva l’odeur qu’il n’avait pas oubliée, faite des parfums des grands sindras, ces arbres jaune foncé, caractéristiques de Stoll II.

Rien ne semblait avoir changé. Stajil, la capitale, du nom du commandant de bord découvreur de la planète, n’avait guère grandi.

Il ne s’attarda pas, se dirigeant tout de suite vers un aircar en partance pour Biskrand, la petite ville de l’hémisphère nord près de laquelle se trouvait la maison. Il était seul à bord et le pilote lui était inconnu. Jusqu’ici il n’avait rencontré personne de connaissance. Si le tueur le suivait, il était vraiment anonyme !

Biskrand non plus n’avait pas changé. Toujours cet air de provisoire, ces rues de terre et des trottoirs comme dans les bourgades d’autrefois, en bois. Ça ne manquait pas par ici… Les maisons étaient toujours construites en panneaux de synthétique, inusable mais pisseux rapidement.

Toujours les clubs avec leurs enseignes lumineuses. Ça, c’était la tradition des planètes des confins. Les pionniers aimaient se retrouver en ville, dans les premiers temps et, comme ils n’avaient évidemment pas de maison, ils allaient boire un verre avec les copains dans un club. Un vieux nom de la préhistoire planétaire qu’ils avaient remis à la mode depuis plusieurs siècles.

Romaric avançait doucement sur un trottoir qui bougeait légèrement sous ses pas. Il regardait de chaque côté, retrouvant des noms, ravivant ses souvenirs, goûtant ce moment de paix. Il se rendit compte qu’il se dirigeait instinctivement vers le Big Chance, le club que son grand-père écumait quand il était en ville !

Il secoua la tête doucement, songeant que les années n’enlèvent rien aux vieux réflexes. Il était encore très tôt et personne ne circulait encore. Il aimait autant. Pas envie de donner des explications. Moins de gens connaîtraient son retour, mieux ça vaudrait pour ce qu’il allait faire.

Pour la première fois il prit conscience que la seule issue à cette fuite était la mort. La sienne ou celle du tueur… Il devait se préparer à tuer un homme ! Curieusement cette idée, qui aurait dû le heurter, le laissait indifférent. Plus tard peut-être ? Il préférait l’imaginer.

Devant le Big Chance il s’arrêta un instant. La façade était carrément dégueulasse, complètement délavée par le soleil et les pluies ; l’enseigne, à moitié éteinte, semblait lui faire de l’œil et il sourit.

Il vit son reflet dans la porte de plastoverre, grande silhouette dégingandée aux bras interminables. Il sourit encore. Pas beau gosse, le mec, mais à part les bras, assez harmonieusement bâti. C’est qu’il avait grandi depuis son départ. Il baissa les yeux vers son ensemble marron, le bas bouffant comme tout le monde dans les planètes intérieures et une vareuse cintrée en haut. Il secoua la tête. Cette mode était ridicule, il s’en rendait compte ici.

Un peu mécontent, il pénétra à l’intérieur. Trois types assis autour d’une table basse tournèrent les yeux de son côté. Il les reconnut immédiatement. La bande à Jos ! Des gars de son âge, des indépendants indécrottables, travaillant à droite ou à gauche, tantôt sur un track de transport de bois, tantôt piégeant des khôls. Prototypes de la vieille population de Stoll II.

Ils parurent le reconnaître et il se passa quelque chose d’étrange. Ils parurent vaguement gênés, troublés plutôt. Il en fut mal à l’aise.

Il leur dit bonjour tranquillement, comme si autant d’années ne s’étaient pas écoulées, demanda des nouvelles des uns et des autres. Ils répondaient juste le nécessaire pour ne pas être impolis… Il les salua d’un coup de tête et sortit.

Zogar, oui, c’était Zogar qu’il fallait voir. Il se dirigea vers la petite baraque que le copain de son grand-père habitait autrefois, aux limites de la petite ville.

Il n’y avait personne. Les ouvertures étaient bouclées. Il devait travailler quelque part. Il contourna la construction et aperçut le vieux combi découvert, sous un toit servant de hangar. Il était encore là, ce machin ? Il en approcha doucement. Zogar ne se déplaçait que dans cette machine, déjà antédiluvienne à l’époque, quand il venait voir Jos à la maison. Ils devaient d’ailleurs en être plus ou moins copropriétaires tous les deux.

Romaric caressa doucement la carrosserie cabossée, revoyant Jos sortir de la maison, quand il entendait le sifflement du combi au loin…

Le vieux Zogar ne lui en voudrait pas de l’emprunt. Il écrivit un mot qu’il accrocha à la porte et entreprit d’enfourcher le combi dont le propulseur partit en hoquetant. Lentement, pour se laisser le temps de retrouver les gestes, il démarra et commença à s’éloigner vers le nord, sur la piste de terre.

Quatre heures plus tard il arrivait enfin à la forêt. Il se sentait plus habile, maintenant et ralentit à peine en enfilant la vieille sente principale. Le sol commença à monter. Il slalomait entre les grands arbres, passant au travers des buissons en se baissant pour ne pas être cinglé par les branches. Mais sa vareuse changeait de couleur avec les petites boules rouges qui s’y écrasaient.

Et puis il jaillit dans la clairière et stoppa sèchement. Il apercevait la maison.

Elle était bâtie sur une sorte de tumulus, adossée à la pente. Cette fois il fut vraiment ému et resta là, immobile, à regarder, laissant les flashes remonter en foule dans son crâne. Le vieux Jos sortant avec son équipement de chasse, le hissant sur son dos, quand il était gamin, les départs pour la traque, comme il disait, prétendant que c’est le meilleur moment pour un vrai chasseur…

Plus tard il s’aperçut que le propulseur était arrêté et il le remit en route pour approcher.

« Il y a un temps pour tout, petit, faut pas les mélanger. » La phrase revint toute seule. Il avait raison, le grand-père Si le tueur avait déjà été sur ses traces, il serait mort à l’heure actuelle. Une cible pareille ne se rate pas !

Il était temps de s’endurcir s’il voulait vivre. Il se sentit plus calme et réfléchit. La première chose était de chercher du matériel. Jos avait aménagé ce qu’il appelait son « repaire », une ancienne construction en partie démolie et, depuis, enfouie totalement sous la végétation, à cinq cents mètres de la maison. Il s’y dirigea et stoppa le combi.

En enjambant les petits buissons, il se dit qu’il fallait trouver des bottes de chasse en priorité. Avec ses petites sandales de ville, il était à la merci du premier sorpouv venu, dans ces herbes. Il retrouva l’entrée qu’il dégagea prudemment. La porte apparut et il composa le nom de son grand-père sur la serrure codée. La porte s’ouvrit.

Il était souvent venu avec Jos ici, quand il était gamin. Le vieux en était très fier et, pour Romaric, c’était la caverne aux trésors.

Le vieux Trall était là, à droite. C’était un engin presque aussi ancien que le combi, plus rapide et fait pour le voyage alors que l’autre n’était utilisé que pour les déplacements courts. On ne voyait pas grand-chose ici, les batteries étaient probablement vidées depuis le temps. Comme celles du Trall évidemment. Il retrouva, pendu à sa gauche, la lampe que Jos laissait toujours là et la brancha. C’était une lampe portative de chasse, longue durée et elle fonctionnait encore. Cette fois il put s’éclairer et avança. Il y avait là des quantités de matériels, parfaitement rangés. Il alla jusqu’au fond où se trouvait une porte qu’il n’avait jamais eu le droit de franchir. Il la poussa en refoulant énergiquement les souvenirs. Pas le moment !

Le faisceau de sa lampe éclaira des armes dans un râtelier au mur. Il approcha et identifia des armes de chasse. Et d’autres, aussi…

Il y avait un magnifique flingue de grande chasse. Laser et lunette de tir à amplification de lumière. Redoutable, à voir la taille du convertisseur. Le rayon devait pouvoir arrêter les plus grands Bassots malgré leur carapace. Il tendit la main et s’en empara.

Sur la crosse il y avait une inscription « A Jos », et en dessous, « Van Teflin », suivi d’un sigle incompréhensible.

Songeur il retourna l’arme, la soupesant machinalement pendant qu’il réfléchissait. Jos lui avait raconté, un jour, qu’il avait simplifié leur nom, trop compliqué. Ils s’appelaient Vant et Romaric n’avait jamais eu la curiosité de lui en demander davantage.

Curieux, ce truc. Pas le temps de s’y attarder. Ses yeux tombèrent sur des déclencheurs de résonances automatiques. Ça pouvait servir de piège-radio pour surveiller les abords d’un trou ou de la maison. Jos en plaçait toujours en la quittant.

Pendant qu’il était là n’importe qui pouvait approcher il songea qu’il fallait aller en placer tout de suite sur les sentes. Pas besoin de batteries pour ces trucs, ils faisaient eux-mêmes leur énergie d’après les bruits, ou plutôt le niveau de bruit enregistré. Il en prit trois et régla le niveau sonore sur le maximum, celui d’un engin, quel qu’il soit.

Quand il ressortit, ses pieds enfoncèrent dans les hautes herbes. Bon Dieu… Il fallait penser à tant de choses à la fois ! Il fit demi-tour et chercha des bottes de chasse avant d’aller placer les pièges-radio. Puis il alla ouvrir la maison qui sentait la poussière et le vieux bois.

C’était le milieu de l’après-midi il faisait sacrément chaud. Il trouva des aliments déshydratés qu’il prépara dans leur enveloppe automatique. Pendant qu’ils se réhydrataient et chauffaient il fouina au hasard, dans la maison.

Dans la grande pièce, devant, il retrouva l’immense carte murale. Instinctivement ses yeux tombèrent sur la région du Grand Lac. C’est là qu’ils allaient, là que Jos lui apprenait à chasser. A se débrouiller dans la nature, à en éviter les pièges et à réfléchir. « Sers-toi de ton cerveau, petit, c’est ton arme la plus efficace. »

Voilà où il devait se rendre pour attendre l’autre. Sur « son terrain ». Il y trouverait un avantage certain. Ça les mettrait peut-être à égalité ? Il mangea en regardant la carte, revoyant les coins qu’il connaissait le mieux. L’autre ne trouverait pas tout de suite mais il finirait par venir. Il était trop acharné !

La fatigue tomba sur ses épaules, après. Il alla se coucher dans sa chambre, s’endormant immédiatement.

*

**

Quand il refit surface, le jour se levait. Pas d’eau dans la maison, il but un flask de jus de fruit et retourna au repaire pour assembler un équipement. Devant le flingue de grande chasse il se maudit. Les batteries étaient vides, bien entendu, il aurait dû penser la veille à remettre le système de charge de la maison en marche ! Il avait perdu une journée…

Du coup il cavala pour brancher la grande parabole, sur le toit, qui absorbait la lumière solaire et rechargeait les batteries générales. Dehors il vérifia que ça fonctionnait. Oui, la parabole oscillait doucement sur son axe.

Il alla chercher la batterie du Trall pour la brancher, elle aussi, en direct. Ça irait plus vite.

Dans le repaire, il choisit soigneusement dans les vêtements de Jos une combine de chasse, avec ses poches multiples et un harnais pour accrocher n’importe quoi. Il y fixa immédiatement une gourde thermique, conservant la température du liquide que l’on y versait et un long couteau tous usages, au fil inusable.

Il prit un sac dorsal où il enfourna une combine de rechange et du matériel de première nécessité, trousse de soins, conserves, désinfectant pour l’eau compas électronique sonore, des cartes.

Dans la pièce du fond il découvrit un pisto-laser, l’une des armes repérées la veille, et le fixa sur sa cuisse droite. Il y avait aussi un engin bizarre qu’il mit une bonne minute à identifier. Il finit par reconnaître un broyant ! Une de ces armes au terrible pouvoir de destruction, pulvérisant les os d’un être vivant, au milieu des chairs… Même la Spatiale n’en utilisait plus… Comment le vieux Jos avait pu se procurer ça ? Et, en plus, il l’avait bricolé. Le tube de résonance était raccourci. Les ondes de choc devaient quitter le tube en formant un cône très large, donc la portée était forcément limitée.

Il songea que c’était précisément voulu. Une arme pour le combat de près.

Dans un tiroir il trouva un minuscule pisto-laser. Il avait entendu parler de ces trucs mais n’en avait jamais vu. Il tenait dans le creux de la main. Quatre coups à tirer seulement mais des décharges aussi redoutables que celles d’un gros modèle. Il le glissa dans sa botte gauche, à l’intérieur de la jambe. Un petit couteau était déjà dans la droite, au même endroit. Il y avait trois petites batteries à côté, sûrement pour le mini, il les empocha pour les mettre à recharger.

Il y avait d’autres batterie plus loin pour le flingue de chasse et le broyant. Il emporta le tout pour aller les brancher sur les sorties directes du chargeur, dans la maison, avec une pile tous usages.

Une nouvelle fois il revint au repaire pour préparer le matériel pour camper. Une tente sous laquelle il avait souvent dormi, autrefois, transparente, avec un réseau électrifié interne et un réseau de détection volumétrique. Jos installait ça autour de la tente dans un cercle de trente mètres de rayon. Tout ce qui traversait le périmètre était signalé dans la tente. Encore un de ses bricolages !

Il restait à inspecter le Trall. Un truc costaud au possible qui avait bien dû résister au vieillissement. Il démonta les propulseurs sans y penser. Ses doigts retrouvaient les gestes comme s’il n’avait jamais quitté la maison.

Tout en travaillant, il songeait à ses découvertes. C’est vrai que son grand-père lui avait parlé de cette histoire de changement de nom, par exemple, mais il n’y avait pas apporté beaucoup d’attention. Pour un gosse, ça n’avait guère d’importance.

Malgré tout il se rendait compte, maintenant, qu’il y avait de sacrées zones d’ombre dans sa vie. Ses parents étaient morts quand il était bébé. Un accident. En tout cas c’est ce qu’avait dit Jos. Mais, depuis hier il découvrait tant de choses. Ces armes, par exemple. Pourquoi gardait-il ces choses ? Et cachées, en outre.

Le Trall était bien en état de fonctionner. Il le remonta rapidement, bénissant les heures passées à apprendre à bricoler, quand il était seul, autrefois. Son grand-père lui donnait un programme de travaux pratiques, pour ainsi dire, quand il partait en expédition de chasse sur une autre planète.

Il alla prendre des comprimés de vitamines dans la réserve du repaire, referma la porte et s’embusqua le long de la sente débouchant sur la maison, dans les premières branches d’un grand sindra. Pas question de se laisser surprendre et bloquer dans la maison.

Néanmoins il finit par s’endormir.

Le signal sonore du récepteur des pièges-radio le réveilla en fin d’après-midi. Un Trans rappliquait. Et semblait venir droit sur la maison.

Il passa à la verticale et commença des cercles au-dessus de la bâtisse. Romaric descendit un peu, tendu. Mais l’engin Trans s’éloigna.

Pourquoi ces détours ? Les gens n’étaient pas aussi curieux auparavant. Et il n’y avait pas de raison apparente à venir survoler une habitation inoccupée depuis des années. Il tourna les yeux de son côté et comprit. La parabole était animée de vibrations et ça se voyait. En outre, en charge de surpuissance elle dégageait un brouillage radio qui devait perturber les instruments des Trans dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres… Pour la discrétion…

A la tombée de la nuit il alla voir où en était la batterie générale. Trois voyants sur cinq étaient au vert. Ça suffirait pour terminer la charge des batteries des armes et du Trall. Elles avaient déjà commencé à se regonfler en direct mais étaient loin de la moitié. Il les sélectionna sur la générale qui débita tout de suite. Dans une bonne heure elles seraient pleines.

Il débrancha la surpuissance dès que le soleil fut couché mais laissa la parabole couplée. Elle continuerait à stocker les jours suivants mais à vitesse normale et rien ne le révélerait, de l’extérieur. Les armes furent en état de fonctionnement les premières.

Quand le voyant de la batterie du Trall passa au vert il alla immédiatement la mettre en place et chargea son matériel à l’arrière dans les coffrets de rangement. Puis il enfourcha la machine. Un petit pincement au cœur en pressant la mise en route. Tout de suite les propulseurs crachèrent. Un sacré sifflement. C’était l’inconvénient de ces vieux engins. L’avantage était une maniabilité exceptionnelle et une robustesse sans égale à l’heure actuelle.

Il passa le casque sur sa tête et démarra, attentif à la conduite. En arrivant a la maison il se dit qu’il y aurait une période d’adaptation mais ça irait. Plus délicat à piloter que les combis rudimentaires, le Trall était plus sportif. Il y avait d’ailleurs des courses, autrefois.

Le repaire refermé et ses traces effacées, il alluma le projecteur frontal de l’engin et démarra pour de bon.

L’impression de circuler sur un matelas d’air. Les propulseurs créaient une sustentation étrange, extraordinairement confortable. Une souplesse telle qu’on avait tout de suite envie d’accélérer. Il se souvenait de cette impression et s’en méfia, restant à une vitesse raisonnable dans les sentes de la forêt.

Il était totalement reposé et avait décidé d’avancer toute la nuit. Au bout de deux heures il avait retrouvé assez d’expérience pour accélérer.

A l’aube il arriva à un petit lac où ils faisaient souvent halte. Il s’y arrêta pour remplir sa gourde d’eau. Il en avait marre des jus de fruit trouvés dans la maison.

Il resta longtemps immobile, sentant l’air du matin, essayant d’identifier plusieurs odeurs. Quand il était adolescent il pouvait en trouver immédiatement quatre ou cinq. Cette fois il ne sentit rien de particulier ! Il en fut un peu inquiet. Il allait falloir mettre les bouchées doubles pour se souvenir de tout ce qu’il avait appris.

Au moment où il allait se redresser, il vit un coula se glisser entre les herbes, vers l’eau. Il sourit de contentement. S’il n’avait pas été repéré, c’est qu’il était vraiment immobile. Il se souvenait au moins de ça…

Il le laissa boire tranquillement avant de se mettre debout. Par sécurité, il attendit un moment avant de revenir au Trall. Il suspendit immédiatement le flingue à son cou et grimpa sur l’engin. Pour l’instant il n’avait pas encore besoin de carte, il connaissait bien ce coin.

Dans l’après-midi il arriva au Grand Lac. Il le longea jusqu’au petit embarcadère qu’ils avaient aménagé, dans les arbres. Le bois paraissait bien imbibé mais l’installation semblait tenir. Il avança prudemment, tâtant du pied. Oui, ça tenait. Il en fut soudain heureux. Il laissa tomber la combine et plongea dans l’eau.

Elle était transparente avec le fond de sable rose, et presque tiède ! Il resta longtemps là, à faire la planche, en paix, heureux. L’impression d’être revenu à sa place. En remontant sur la berge, après un petit sprint en crawlant, il était essoufflé.

« Si tu n’es pas en bonne forme physique, ne prends pas de risques. » Il avait drôlement raison, Jos. Le tueur était sûrement plus entraîné que lui, dont les heures passées devant sa machine avait ramené les muscles à une proportion modeste ! Il fallait commencer par là, récupérer la forme.

Il planqua le Trall dans un buisson, enfila les bottes et passa le harnais à même la peau, sur ses épaules et autour de la taille. Il y accrocha le broyant et partit en trottant, le long de la rive. A cette heure les bêtes ne venaient pas encore boire.

Au bout d’une demi-heure, ses jambes lui faisaient déjà mal mais il continua, s’efforçant de courir en souplesse. Deux heures plus tard il était de retour. Vidé ! Il mangea et installa la tente en profitant des dernières lueurs du jour. Le réseau de détection réglé sur la programmation d’identification des intrus, selon leur taille et leur type de progression, il s’installa pour dormir.

Au jour il était debout. Il fit du feu pour chauffer de l’eau et se faire une tasse de pawal, une plante dont on tirait par ici une boisson agréable, tonique. Plus tard, tout en courant il décida de trouver un endroit plus discret.

Longuement il étudia le terrain puis finit par réinstaller le campement dans un petit bois, sur la rive ouest, ne sortant que le minimum d’affaires pour pouvoir partir en quelques secondes. Après seulement il s’occupa du ravitaillement. Les anciens collets étaient toujours dans les coffrets de rangement à l’arrière du Trall, avec des lignes, il l’avait vérifié au repaire.

Au campement il s’allongea et dormit. L’après-midi, il se dit qu’il ne pourrait pas se lever tellement il avait mal partout. Si le tueur arrivait maintenant il serait incapable de combattre. Cette pensée fit monter une rage en lui. Il gémit et se mit debout, prit le broyant et repartit…