Chapitre 10

Muryd

 

La chose est rare, mais il arrive que les pires coupe-jarrets fassent preuve d’honneur et de bonté.

Cette histoire advenue sur une terrasse de Muryd le montre mieux qu’un long discours.

Un ronge puceau s’apprêtait à saillir la femelle qui l’avait séduit par ses cris et son odeur quand un grand mâle soudain s’interpose, mord durement le puceau à la nuque et se rue sur la femelle dans l’intention de ne la laisser saillir par personne d’autre que lui.

Les gémissements du puceau dérangent un coupe-jarret ripaillant dans l’auberge d’en dessous.

Çui monte à la terrasse, voit le puceau ensanglanté, tire sa rapière, provoque le grand mâle en duel et lui transperce la gorge.

« Reprends là où tu en étais, dit-il au puceau avant de s’en retourner ripailler. Il est temps que tu connaisses le rut. Quand tu seras un ronge, tu pourras en plus apprendre le courage. »

 

Dans le pire des êtres, on trouve de la bonté, dans le meilleur des êtres, de la méchanceté, c’est affaire de circonstances.

 

Les Fabliaux de l’Humpur

 

« Pourquoi donc z’êtes mis en tête de vous aruer dans le Grand Centre ? demanda Ruogno. Y a des endroits plus recommandables. »

Bâtie sur une étendue plane à la différence de Luprat, la cité de Muryd se dévoilait dans la lumière chaude du crépuscule. On ne distinguait aucune tour, aucun donjon, aucun rempart, mais un immense troupeau de maisons basses gardé par les pics assombris de massifs montagneux. Le vent soufflait désormais dans le sens du faible courant et Ruogno avait bloqué la barre avec un filin pour venir converser avec ses deux passagers. Il tenait un morceau de bois que, de temps à autre, il portait à sa bouche pour le rogner du bout des incisives.

Ravigotée par le soleil, Tia s’était relevée au début de l’après-midi et avait esquissé quelques pas sur le pont. La faim grondait à nouveau en elle, et, comme elle n’avait aucune chance de trouver du gibier sur le radeau, elle maintenait une certaine distance avec Véhir, de peur que son odeur ne l’entraîne à commettre l’irréparable. Elle devait se méfier de la faim, ce cri tyrannique de son ventre, comme de son pire ennemi, mais elle n’avait pas d’autre choix que de la contenter, ou elle deviendrait encore plus despotique. Muryd approchait, heureusement, et bientôt elle pourrait combler le trou qui partait de son estomac et lui creusait progressivement tout le corps.

« Sommes à la recherche des dieux humains », répondit-elle, les yeux rivés sur la cité ronge.

Elle avait prononcé ces mots sans réfléchir, comme elle aurait proféré une banalité. La mâchoire inférieure de Ruogno s’abaissa d’un pouce et sa langue tomba sur le côté de sa face comme s’il n’avait plus la force de la retenir. Il avait retiré sa pèlerine. Sa chemise et sa brague de laine collées par la transpiration épousaient les rondeurs de sa poitrine et de son ventre. Les griffes de ses pieds transperçaient le cuir usé de ses bottes. Il donna quelques vigoureux coups d’incisives sur le morceau de bois, un éclat de chêne vert dont il attaquait à présent le cœur.

« Le problème des dieux, justement, c’est qu’iceux ne s’aglument pas dans le même monde que nous, marmonna-t-il en recrachant une salve de rognures. Autant chercher d’la pitié dans le cœur d’un lai ! »

Tia désigna Véhir d’un coup de museau.

« Çui a vu une de leurs demeures. Et moi, j’ai ouï qu’ils apparaissaient dans une grotte du Grand Centre.

— Fables de trouvre ! s’exclama Ruogno. Sont des histoires qu’les anciens content aux p’tios ! »

La rivière s’évasait au point de former un lac aux bords incurvés. La brise remuait une odeur de vase et de poisson pourri. Le nombre d’embarcations qui glissaient en silence sur l’eau frissonnante étonna Véhir. Plates et rectangulaires, comme le radeau, elles étaient équipées d’un, deux ou trois mâts selon leur dimension. Les plus grandes transportaient des passagers d’un point à l’autre de l’anse. Muryd s’étalait en effet de chaque côté de la Dorgne, et, étant donné la largeur de la rivière à cet endroit, la construction d’un pont, voire d’une simple passerelle, était inenvisageable. Le radeau se rapprochait d’une flottille de barques d’où des ronges aux doigts palmés et au pelage rayé plongeaient dans l’eau pour remonter des pièges à poissons. Ruogno ne semblait pas pressé de se réinstaller à la barre et Véhir, crispé, irrité par la laine rêche du passe-montagne, estima que le radeau éperonnerait les petites embarcations en moins de temps qu’il ne fallait à un faucheur de Manac pour larigoter une gourde de vin.

« Il faut savoir déterrer le fond de vérité qui se cache dans les légendes », argumenta Tia.

Elle ne savait pas pourquoi elle s’obstinait ainsi à essayer de convaincre son interlocuteur. Il n’était pas intervenu en pleine nuit dans le seul but de soustraire Véhir aux griffes des miaules. Son univers se limitait à cet instinct de possession qui l’avait entraîné à dérober le radeau de son maître batelier.

« Ça vous r’garde après tout, murmura Ruogno. Faites ce que vous voulez de vos pièces et de votre temps. Et puisqu’y a pas moyen de vous empêcher de vous aruer dans les ennuis, j’dois vous prévenir qu’il vaudrait mieux prendre certaines précautions pour traverser le royaume d’Ophü.

— Quelles précautions ?

— Vous joindre à une caravane marchande. Elles seules sont autorisées à parcourir le territoire des siffles. Si vous avez le malheur d’être agrappis par leurs prévôts en dehors d’une caravane, ne reverrez pas votre pays de sitôt, aussi vrai que j’m’appelle Ruogno. »

Il jeta un regard de biais à la hurle tout en mordillant son bout de bois. Véhir fixait avec inquiétude les barques des pêcheurs qui, pas davantage que Ruogno, ne semblaient se soucier d’une éventuelle collision. La rivière rougie par le soleil couchant se perdait à l’extrémité resserrée de la gorge. La nuit s’était déjà déposée sur les aiguilles montagneuses.

« J’connais un convoyeur de caravane, reprit Ruogno. Si vous voulez, j’peux vous mettre en rapport avec çui à Muryd. »

Tia planta les griffes de sa main droite dans la barre supérieure du bastingage.

« Qu’est-ce que ça nous coûtera ?

— Dix pièces pour le convoyeur, dix pour moi.

— C’est cher. »

Les yeux de Ruogno se braquèrent sur la poche de la robe de Tia, gonflée par la bourse de cuir. Guère courageux, comme la plupart de ses congénères, il n’avait pas osé s’en prendre à la hurle pourtant affaiblie et désarmée, et dont la résurrection l’avait à ce point impressionné que toutes ses peurs s’étaient réveillées. Seul il ne se sentait pas de taille à se mesurer aux griffes et aux crocs de sa passagère. À Muryd, il s’arrangerait pour s’entourer d’une troupe nombreuse et solidement armée.

« Vingt faillies pièces pour être certains d’arriver sains et saufs dans le Grand Centre, j’dis plutôt que c’est une bonne affaire.

— Tu t’enrichiras vite à ce train-là. »

Le ronge haussa les épaules, lâcha le bastingage et se dirigea vers la barre de son allure pataude.

« Les temps sont difficiles pour les bateliers de la Dorgne.

— Et ton ancien maître, il ne réclamera pas son radeau ?

— Oh çui ? Là où il est, risque pas de réclamer son bien ! » gloussa Ruogno en débloquant la barre.

Au grand soulagement de Véhir, le radeau effectua son virement de bord, peu prononcé mais suffisant pour passer au large de la flottille de barques.

Une foule braillarde et gesticulante se pressait sur le quai. L’odeur des poissons étalés sur des comptoirs de bois imprégnait l’air fraîchissant du crépuscule. Des discussions animées, presque agressives, opposaient les pêcheurs et leurs clients, des ronges mâles et femelles vêtus de peaux ou de laine écrue et grossièrement filée. Ils avaient perdu le secret de la teinture, comme à Manac, comme dans la plupart des communautés agricoles. Ou bien ils considéraient la fabrication des substances colorantes végétales comme une perte de temps. Si les ronges terrestres présentaient des différences notables avec leurs congénères aquatiques – face habillée d’un pelage gris, ras, uniforme, museaux courts et oreilles d’un rose délavé, yeux ronds et noirs, doigts non palmés – , ils offraient également quelques ressemblances telles que les incisives proéminentes, l’allure sautillante et les cris suraigus dont ils ponctuaient leurs phrases. Bon nombre d’entre eux vaquaient à leurs occupations en rongeant avec frénésie un morceau de bois.

Même s’il avait abaissé son passe-montagne et relevé le col de son manteau, Véhir n’était guère rassuré au milieu de cette multitude grouillante. Dans l’obligation de se frayer un chemin à coups d’épaule et de coude, il craignait à tout moment d’être trahi par son odeur. Fort heureusement, la puanteur qui submergeait le quai avait de quoi détraquer le flair de n’importe quel prédateur. Il essayait de coller au train de Tia devant laquelle les ronges s’écartaient avec une crainte révérencieuse, mais, comme l’eau, la foule se refermait à une vitesse étonnante sur le passage de la leude. Les grondes, dont il portait les vêtements et avait à peu près la corpulence, ne suscitaient visiblement pas les mêmes craintes que les hurles dans le duché de Muryd.

Les piaillements des oiseaux s’étaient tus lorsque le radeau s’était calé contre le quai. Au pied de la passerelle, deux maîtres bateliers s’étaient inquiétés auprès de Ruogno de l’absence de leur confrère.

« Avons essuyé une faillie tempête, avait-il répondu. Mon maître et mon équipier sont tombés dans le courant en essayant de décoincer une voile. J’ai pas pu les regrappir, pas pu sauver la cargaison. »

Les deux maîtres bateliers avaient hoché la tête d’un air grave.

« La Dorgne a réclamé son dû, avait murmuré l’un d’eux.

— Te v’là asteur le seul maître du radeau, avait ajouté l’autre.

— J’aurais aimé mieux qu’ça se passe dans d’autres circonstances », avait conclu Ruogno en arborant une mine tragique qui avait tiré un voile de compassion sur les faces de ses interlocuteurs.

Le ronge, la hurle et le grogne se faufilèrent entre les monticules de caisses, les ballots, les billes de bois et les cordages enroulés sur les pavés. Ils parvinrent à sortir du quai sans encombre et s’enfoncèrent dans une artère tellement étroite qu’il leur était impossible de marcher de front. Les flammes timides des torches, disposées tous les dix pas environ, repoussaient déjà le serpent de ténèbres qui s’insinuait entre les façades des maisons basses.

La densité du flot de piétons interdisait à Véhir de se détendre. Il apercevait l’intérieur des habitations par les portes entrebâillées, des pièces basses, nues, criblées de cavités d’où émergeaient parfois les têtes entièrement roses de rongeons. Un remugle indéfinissable supplantait désormais l’odeur de poisson. Véhir serrait instinctivement les fesses chaque fois qu’ils croisaient des groupes de prédateurs errants aux allures de comploteurs sous leurs amples capes, des miaules et des cousins roux en grande majorité. Sans doute appliquait-il inconsciemment les conseils de Jarit pour qui le trou du cul était le puits d’où s’exhalait la peur. Il suait à grosses gouttes sous son passe-montagne et la double épaisseur de ses vêtements. De temps à autre, Tia se retournait et lui décochait, par-dessus son épaule, un regard où il lisait du courroux. Mais il ne savait pas comment arrêter cette maudite transpiration. Ni comment chasser cette terreur sournoise qui se déployait en lui en même temps que la nuit s’étendait sur Muryd.

À l’angle d’une boutique qui regorgeait de rouleaux de laine, Ruogno emprunta une venelle transversale et les entraîna dans une succession d’escaliers et de terrasses.

« J’connais un endroit où vous serez tranquilles en attendant le convoyeur. »

Aucune torche n’éclairait l’inextricable enchevêtrement des constructions reliées par des escaliers tournants, des toit étagés et des cours intérieures. L’obscurité soufflait les derniers feux du jour comme un immense éteignoir se posant sur une bougie. Silencieuses et pressées, les quelques silhouettes qui déambulaient dans la pénombre levaient sur Tia des yeux agrandis par l’effroi.

Lors des veillées d’hiver, les anciens de Manac avaient évoqué les guerres sanglantes qui avaient jadis opposé le comté de Luprat au duché de Muryd. Les hurles avaient compensé leur infériorité numérique par une férocité qui, visiblement, avait laissé une impression durable dans la mémoire de leurs ennemis.

Ils accédèrent par une volée de marches à une cour intérieure où s’entrecroisaient les voix aiguës d’une dizaine de ronges. Trois femelles dépoitraillées distribuaient aux mâles des gobelets d’un liquide parfumé. Leurs mamelles n’étaient pas au nombre de deux, comme les troïas ou la leude Tia, mais de quatre ou cinq. Plus petites, alignées à la verticale, elles saillaient à peine du pelage ajouré de leur abdomen. Leurs roucoulements et leur comportement rappelèrent à Véhir le grut collectif de la communauté de Manac.

« De jeunes femelles, précisa Ruogno à voix basse. Cherchent un mâle vigoureux pour fonder une bonne lignée. »

Leurs jeux de séduction les accaparaient à un point tel qu’ils ne prêtèrent aucune attention aux trois arrivants. Un mâle se précipita sur une femelle, mais un autre surgit dans son dos et lui planta ses incisives dans la nuque. Flattée, l’élue arracha sa robe de laine et poussa des cris assourdissants pour les encourager à se battre.

« J’aurais pas sailli celle-là, grrii, souffla Ruogno. L’est trop maigre. Descampissons : risquons de prendre un mauvais coup. »

Son estime pour les ronges baissa encore d’un cran dans l’esprit de Tia. Cette façon de se livrer ainsi à la concupiscence de plusieurs mâles lui répugnait. Il lui semblait que le rut chez les hurles se pratiquait avec davantage de dignité, même si la règle permettait aux aristocrates d’épouser plusieurs femelles. Au moins, à Luprat, l’accouplement se déroulait dans l’intimité des appartements, et non au vu et au su de tous. Mais la civilisation des ronges – pouvait-on encore parler de civilisation ? – connaissait un déclin accéléré. Comme celle des pue-la-merde des communautés agricoles. Comme celle de son clan qui s’enlisait dans une décadence peut-être plus lente mais tout aussi inexorable.

Tandis que les deux mâles roulaient entremêlés sur les dalles de pierre et que des couinements rageurs se répercutaient sur les murs de la cour intérieure, Ruogno, Tia et Véhir s’engouffrèrent dans une pièce par une ouverture arrondie. Des trous de la largeur d’un pas criblaient le dallage de pierre, par lesquels fusaient des colonnes tremblantes de lumière. Le batelier s’introduisit par les pieds dans l’une de ces cavités et, d’un geste de la main, invita la hurle et le grogne à l’imiter. Ils s’exécutèrent avec d’autant d’empressement que le plafond bas les obligeait à courber l’échine et rendait pénible la station debout.

« Suffit d’vous laisser riper jusqu’en bas, indiqua Ruogno. Y a pas de danger. »

Pas de danger, répéta intérieurement Véhir.

Il lâcha le bord de la cavité et fut happé tout entier par une sorte de puits à la paroi usée par les frottements. Il prit de la vitesse et, le temps d’un bourdonnement d’abeille, il crut qu’il allait s’écraser en contrebas. Mais la pente se redressa au dernier moment et le déposa en douceur dans une vaste salle étayée par des poutres verticales et éclairée par des torches suspendues. D’autres ouvertures circulaires s’ouvraient sur le sol de terre battue entre les tables de pierre. Les habitations ronges ne s’étendaient pas en largeur comme à Manac ni en hauteur comme à Luprat, mais en profondeur, une particularité qui expliquait l’aspect écrasé de la cité de Muryd. Au lieu de se tendre vers le ciel, l’agglomération s’était développée dans les entrailles de la terre. Les maisons n’étaient que de simples vestibules, d’où, grâce à un système de puits communicants, on pouvait accéder aux étages inférieurs.

Véhir chercha Tia du regard, l’aperçut à quelques pas de lui, assise sur le rebord du puits, la robe retroussée jusqu’en haut des cuisses. Son apparition avait suspendu les conversations et les gestes autour des tables. Tous les ronges attablés s’étaient tournés vers elle, les yeux écarquillés par la terreur. Elle n’avait rien d’une apparition amicale avec les griffes effilées de ses pieds et de ses mains, ses crocs imposants sous sa lèvre supérieure retroussée, son pelage hérissé et sa robe déchirée.

« Ct’e hurle et l’autre, le gronde, sont d’mes connaissances. N’ayez aucune crainte. »

L’intervention de Ruogno détendit l’atmosphère. Comme subitement ramenés à la vie, les ronges se remirent à discuter, à ripailler à rire, à boire, à émailler leurs conversations de braillements suraigus. Ruogno entraîna Véhir et Tia vers une table libre dans un recoin de pénombre.

« S’rez tranquilles ici. C’est une bonne auberge. Trois repas, ça vous f’ra qu’une petite pièce.

— Je croyais que nous étions tes invités, hoorrll, marmonna Tia en s’asseyant sur le banc de pierre.

— J’ai pas encore le cul cousu de pièces, grrii. »

 

Le menu se composait de poisson cru en phase avancée de décomposition, de galettes de blaïs dures et d’une variété de légumes avariés, le tout à volonté. Tandis que Ruogno s’en régalait avec une invraisemblable gloutonnerie, Tia et Véhir, affamés eux aussi, faisaient passer le tout avec de larges rasades d’un breuvage sucré que l’aubergiste, un ronge bouffi et pelé, avait présenté comme « le meilleur vin de nave de Muryd, grrii ». Ne disposant ni de couverts ni d’assiettes, ils puisaient à même les plats communs avec les mains. Véhir devait remonter le bas de son passe-montagne chaque fois qu’il lui fallait enfourner les aliments dans sa gueule. Les galettes de blaïs n’avaient qu’un lointain rapport avec celles, croustillantes et chaudes, de Manac, mais elles éveillaient en lui une nostalgie pernicieuse. Au fur et à mesure qu’il s’éloignait de la communauté, il avait tendance à en occulter les aspects les plus déplaisants. La mémoire était un filet sournois, qui draguait les fonds de son être pour le ramener dans les murs de sa vieille existence. Un joug qui lui pesait sur la nuque et le poussait à creuser toujours le même sillon. Il en venait à espérer qu’ils ne trouveraient pas de place dans une caravane marchande, qu’ils n’auraient pas d’autre choix que de retourner à Luprat et que, sous la protection de Tia, il pourrait regagner Manac. Le temps effaçant les déchirures, la communauté l’accueillerait à bras ouverts, comme avant ce coup de folie qui l’avait poussé à briser les planches de l’enclos de fécondité.

La salle se déserta peu à peu. Les clients s’en repartaient après s’être défaussés d’une pièce ou d’un éclat de bois. Ils empruntaient, pour remonter, des puits droits et hérissés d’excroissances qui donnaient, selon Ruogno, sur la pièce de sortie. L’aubergiste et une servante ramassaient les grands plats de terre cuite et nettoyaient les tables avec des chiffons qui n’avaient pas été lavés depuis plusieurs lunaisons.

Ruogno lâcha un rot sonore avant de se lever.

« J’m’en vais asteur chercher le convoyeur.

— N’allons pas avec toi ? demanda Tia.

— Ce s’ra bérède mieux si vous restez ici. » Il pointa un index poilu sur Véhir. « Avec son odeur, çui risque d’attirer tous les prédateurs errants de Muryd. N’oubliez pas : un grogne vaut ses cinquante pièces dans le duché. L’aubergiste est prévenu. Il attendra que j’sois revenu pour fermer.

— Te serait possible de me trouver une épée, des bottes et une cape dans le coin ? »

Le ronge hocha la tête avec un sourire en coin.

« Le tout f’ra une dizaine de pièces en sus. »

 

Un silence total était retombé sur la salle, troublé de temps à autre par les bruits en provenance de la cuisine et les couinements rageurs tombant de la cour intérieure. Les flammes moribondes des torches dessinaient des cercles déclinants sur les parois rugueuses de la salle. L’aubergiste et la servante étaient venus à tour de rôle demander à leurs deux derniers clients s’ils ne désiraient pas un reste de poisson ou un autre pichet de vin de nave. Tia avait refusé d’un mouvement de tête : la nourriture pourrie qu’on leur avait servie leur pesait comme une pierre sur l’estomac, le vin, qu’ils avaient bu en trop grande quantité, leur imprégnait la gorge d’un goût d’amertume et leur brouillait les idées.

Ils ressassaient d’amers regrets chacun de leur côté. Les vapeurs d’alcool dressaient un mur entre eux, les renvoyaient à leur condition, à leur solitude. Tia en voulait à Véhir de l’avoir sauvée des eaux de la Dorgne. La mort était sans doute le chemin le plus court pour rejoindre les dieux humains. Pour rejoindre Fro. Pourquoi fallait-il donc qu’elle s’encombre d’un partenaire dont l’odeur était une invitation permanente à ripaille ? Pourquoi donc devait-elle sans cesse combattre ses instincts ? La nature l’avait ainsi faite qu’elle préférait la viande fraîche de grogne au poisson avarié des ronges. Elle ne parviendrait jamais à changer son caractère. Parfois elle épiait Véhir d’un regard de biais. Quelque chose en lui l’émouvait, sans doute cette frayeur persistante qu’il s’efforçait de dissimuler avec une maladresse touchante, mais à ses yeux il restait un pue-la-merde, un être inférieur dont le destin était de finir dans l’estomac d’un prédateur. Alors pourquoi l’envie l’avait-elle hantée de frotter son corps contre le sien dans la maison des glousses ? Outre qu’elle l’aurait entraînée à transgresser le tabou majeur de l’Humpur, sa défloration par un grogne ne relevait certainement pas de ce destin glorieux qu’avaient tracé en elle les chants d’Avile le trouvre.

Les torches s’étaient pratiquement éteintes lorsque la silhouette épaisse de Ruogno se découpa dans la bouche d’un puits de descente. Il n’était pas seul : trois de ses congénères étaient déjà surgis des cavités voisines, et il en arrivait d’autres. Dès qu’elle les vit se relever et s’avancer entre les tables de leur allure sautillante, Tia devina que le batelier avait mijoté un mauvais coup. Au nombre d’une quinzaine, ils se déployaient sur toute la largeur de la salle, et les dernières flammes des torches se reflétaient sur les pointes métalliques de leurs armes. La hurle retroussa sa robe et l’attacha à hauteur de ses hanches à l’aide des « fils de commodité », les lacets latéraux dont étaient munis les vêtements des femelles de son clan.

« Ta dague, hoorrll ! glissa-t-elle à Véhir.

— Pourquoi ? Qu’est-ce que… »

Le vent de la peur dispersa les brumes d’alcool dans le cerveau du grogne. À son tour il prit conscience qu’ils étaient tombés dans un traquenard, qu’ils allaient devoir se battre contre la troupe ameutée par Ruogno. Il plongea la main dans la poche de son pardessus, empoigna le manche de la dague, puis, imitant Tia, il se releva et se plaça derrière un pilier.

« Dos contre dos, chuchota la leude. Comme ça, nous verrons des deux côtés à la fois. »

Les ronges approchaient avec circonspection, les yeux rivés sur la hurle. Ils se désintéressaient du grogne, considérant sans doute qu’il ne leur opposerait aucune résistance. Un signal retentit, une flèche siffla dans la pénombre, se ficha en vibrant dans un étai de bois.

« Ces boîtres ont des arcs et des flèches, chuchota Tia. Si restons là, sommes fichus. » Elle esquiva un deuxième projectile d’un retrait du buste. « Devons foncer vers un puits de sortie. Tu es prêt ? »

Véhir bredouilla un vague acquiescement. Il n’était prêt à rien, débordant d’une panique qui lui gelait l’esprit et le corps. Les yeux des ronges le cernaient comme une nuée de lucioles venimeuses.

« Le grogne vaut plus cher vivant ! »

La voix de Ruogno avait surgi d’un recoin sombre de la salle. Peu téméraire, il laissait à ses complices le soin de mener les opérations.

« Allons-y ! » cria Tia.

Et, sans attendre l’approbation de Véhir, elle poussa un hurlement et se rua toutes griffes dehors vers ses adversaires les plus proches. La soudaineté de son attaque, sa vélocité, sa férocité surprirent les ronges, qui n’eurent ni le temps de tirer leurs flèches ni celui de battre en retraite. Elle détendit le bras et arracha la gorge du premier d’un coup de griffes.

« Tuez-la ! » glapit Ruogno.

Elle s’enfonça dans leurs rangs sans leur laisser le loisir de se réorganiser. Folle de rage, elle lacéra l’abdomen d’un deuxième, planta ses crocs dans le cou d’un troisième. La pointe d’une pique lui arracha un pan de sa robe et un lambeau de peau, mais la douleur et le sang qui coula de sa blessure, loin de l’affaiblir, ne réussirent qu’à exacerber sa fureur. Les ronges refluaient maintenant en désordre, se dirigeaient pour certains vers les puits de montée. Accroupi derrière une table, Ruogno les exhortait à reprendre le combat, mais Tia tournoyait au milieu d’eux comme un tourbillon de griffes et de crocs, frappait sous tous les angles, visait les yeux, les gorges, les ventres, les entrejambes. Elle en avait tué ou blessé cinq, trois d’entre eux s’étaient enfuis, il en restait donc sept, qui se ressaisirent sous les coups de gueule de Ruogno. Quatre d’entre eux tendirent leurs longues piques vers l’avant et réussirent à coincer la leude contre un mur tandis que les trois derniers, armés de massues, s’avançaient vers le grogne isolé.

La main dans la poche de son pardessus, Véhir se plaqua contre la paroi et les regarda approcher. C’étaient des ronges terrestres vêtus de peau grossièrement tannées et serties de plaques métalliques. Ils ne se méfiaient pas de lui mais jetaient sans cesse des petits coups d’œil vers la hurle qui, dix pas plus loin, reprenait son souffle en fixant ses quatre adversaires. L’exemple de Tia et le contact prolongé avec le métal de la dague avaient chassé toute frayeur chez le grogne. Les muscles relâchés, l’esprit vidé de toute pensée parasite, il décelait la peur de ses vis-à-vis dans l’odeur aigre qui s’échappait de leurs vêtements. L’initiative de la hurle avait bouleversé le rapport des forces, c’étaient désormais les agresseurs qui se retrouvaient dans la peau des proies.

« M’le faut vivant ! » couina Ruogno en se redressant.

Un ronge acquiesça d’un grognement et leva sa massue. Il prit tout son temps pour l’abattre sur la tête de Véhir. Il se rendit compte de son erreur lorsque la dague jaillit de la poche du pardessus du grogne et s’enfonça jusqu’à la garde sous sa cage thoracique. Déséquilibré par le poids de sa massue, il bascula vers l’arrière et s’effondra sur l’un de ses congénères. Véhir exploita instantanément la stupeur engendrée par sa riposte pour, d’un mouvement tournant, planter sa lame dans le flanc du ronge resté debout. Le choc lui meurtrit le bras jusqu’à l’épaule. La surprise qui s’afficha sur la face de l’autre se changea en une expression de terreur qui déforma ses traits, blanchit son museau et délava ses yeux. Il s’affaissa sur une table où il demeura vautré le temps d’un huant de hibou avant de glisser en douceur sur le sol.

Véhir s’assura que le troisième ronge, coincé sous le cadavre de son congénère, n’avait pas la possibilité de nuire pour l’instant et se rua sur les quatre adversaires de Tia. Ils essayaient maladroitement d’embrocher la hurle avec leurs piques. Elle se jetait d’un côté sur l’autre pour esquiver les pointes effilées. Donnait de petits coups de patte circulaires pour tenter de happer les hampes au passage. Libérait des grondements sourds, presque plaintifs, qui préludaient à une nouvelle offensive.

« Derrière vous, grrii ! brama Ruogno. Le grogne ! »

L’avertissement du batelier engendra un flottement chez ses complices, pas long mais suffisant pour donner à Tia le signal de la charge. Elle plongea brusquement dans les jambes de l’un d’eux, lui lacéra la cuisse, roula sur elle-même, se releva derrière lui, lui planta ses crocs dans la nuque. Les vertèbres du ronge craquèrent comme une coquille d’escargot. Elle se recula juste à temps pour dévier une pique d’une parade du bras et lança son pied vers l’avant. Ses griffes transpercèrent la veste du peau de son nouvel adversaire et lui écorchèrent le cuir du haut du torse jusqu’au bas-ventre. Coinçant la hampe de la pique entre son coude et ses côtes, elle se rapprocha du ronge tétanisé et lui ouvrit la gorge d’un geste vif et précis.

Elle se retourna, embrassa la salle du regard, s’aperçut que Véhir, après avoir défait le troisième, s’apprêtait à donner le coup de grâce au dernier. Elle entendit des pas précipités, vit, malgré l’obscurité presque totale retombée sur les lieux, deux silhouettes se ruer vers les puits de montée. Elle sauta par-dessus une table, rattrapa les fuyards en trois bonds, renversa l’un d’un croche-pied, lui laboura l’échine avec les griffes de ses pieds. Le second avait déjà engagé le haut du corps dans la cavité, mais elle parvint à lui agripper les jambes avant qu’il n’ait eu le temps de se hisser à l’étage supérieur. Elle n’eut ensuite qu’à tirer vers le bas pour le contraindre à lâcher prise. Il tomba sur le sol comme un fruit mûr, essaya de se débattre, s’immobilisa lorsqu’il comprit qu’il n’avait aucune chance de lui échapper.

« Pitié », haleta-t-il.

Elle reconnut alors Ruogno, le saisit par le col de sa tunique et le hala à quelques centimètres de ses crocs. L’odeur du batelier lui fouetta les narines. Il évacuait sa peur par tous les pores de son cuir. Les ronges se prétendaient prédateurs, mais leurs sécrétions les apparentaient aux proies, aux pue-la-merde, raison pour laquelle les hurles de Luprat avaient tant répugné à les combattre quelques générations plus tôt.

« Donne-moi une seule raison de t’épargner, hoorrll, gronda Tia.

— J’connais… j’peux asteur vous conduire à un convoyeur de caravane.

— Où est celui que tu devais ramener ? »

Ruogno ne savait pas ce qui l’effrayait le plus, ou les canines et les yeux clairs de la hurle, ou l’expression terrible de Véhir qui, après avoir remonté son passe-montagne, se penchait sur les ronges blessés pour les achever. Il décelait de la diablerie dans le comportement de ce grogne. Jamais on n’avait vu un membre d’une communauté agricole manier une arme avec une telle adresse, encore moins occire quatre ou cinq prédateurs au cours d’un même combat.

« J’ai… pas été le quérir, déglutit Ruogno. J’voulais… j’voulais gagner quelques pièces en r’vendant ce grogne à une famille aristocratique de Muryd. »

Tia lui frappa sèchement le haut du crâne du plat de la main, puis, d’un mouvement de menton, désigna les corps étendus.

« Ceux-là, qui sont-ils ?

— La bande de… de Graïrl. Des coupe-jarrets de Muryd. J’avais promis cent pièces à leur chef s’ils m’aidaient à r’grappir le grogne.

— Et à toi, combien ça t’aurait rapporté ?

— Trois cents pièces, p’tète quatre cents… »

Tia se releva sans relâcher le batelier, si bien que celui-ci, plus mort que vif, décolla du sol et se retrouva suspendu au bout de son bras.

« Je ne sais pas si je dois encore croire à ton histoire de caravane.

— Aruez-vous avec moi chez le convoyeur, çui vous le dira mieux que moi.

— Conduis-nous chez lui. C’est ta dernière chance, ronge d’égout. Si tu m’as menti, si tu essaies encore une fois de nous rouler, si tu essaies de nous fausser compagnie, je t’arrache les coïlles avec les dents et te les fourre dans la gueule, hoorrll ! »

 

« Les caravanes s’en partent de l’autre côté de la Dorgne, dit Ruogno en lançant un regard tendu sur le quai. Devons traverser. »

Ils avaient attendu le lever du jour dans l’auberge. Le patron et la servante, tremblants de frousse, leur avaient servi un plat de poisson frais et des galettes de blaïs chaudes qui avaient ravi le palais et l’estomac de Véhir. L’odeur de mort, de plus en plus dense, ne lui avait pas coupé l’appétit. Pas davantage qu’à Tia, qui avait englouti trois poissons entiers. Ni même à Ruogno qui, remis en forme par sa grâce inespérée, avait mangé avec un bel entrain, comme s’il avait déjà rayé sa traîtrise de sa mémoire.

L’aubergiste et la servante avaient commencé à transporter les cadavres dans la cuisine où, selon Ruogno, ils les brûleraient pour les faire disparaître. « À moins qu’ils ne les servent à leurs clients, avait ajouté le batelier avec une grimace entendue. C’est d’la viande qu’il ont eue à pas cher ! » Tia avait noué un pansement de fortune sur la blessure à sa hanche, moins profonde qu’elle n’y paraissait au premier abord. Elle avait ensuite réclamé de quoi ravauder sa robe. La servante avait elle-même réparé les accrocs à l’aide d’une grosse aiguille en os et du fil de laine. L’aubergiste n’avait pas osé leur réclamer la moindre pièce lorsqu’ils s’étaient levés et qu’ils avaient quitté la salle par les puits de montée. Ils avaient enjambé des corps endormis sur la terrasse, les mâles qui avaient été vaincus lors des luttes de séduction et qui avaient noyé leur dépit dans le vin de nave. Ils avaient parcouru les ruelles, désertes à cette heure-ci, et avaient rapidement débouché sur le port fluvial où régnait déjà une animation soutenue.

Le ciel gris et bas assombrissait le ruban frissonnant de la Dorgne et présageait une journée sans soleil. Les pêcheurs apprêtaient leurs barques, les passagers encore peu nombreux s’égrenaient sur les passerelles des grands radeaux, des escouades de prévôts ronges, reconnaissables à leurs casques ronds, à leurs cottes de mailles et à leurs lances à trois pointes, battaient le pavé d’une allure endormie.

À aucun moment Ruogno ne chercha à tromper la vigilance de Tia. Il se maintenait même très près d’elle, comme s’il avait choisi de se placer sous sa protection. Parvenu à trente pas du radeau, il s’écarta subitement de la hurle et du grogne et alla se poster derrière des caisses en bois en attente de chargement. Tia le rejoignit en quelques foulées et le saisit sans ménagement par le poignet.

« Si tu recommences ton manège, hoorrll…

— Lâchez-moi, m’faites mal, coupa le ronge sans quitter des yeux la section du quai où était amarré son radeau. J’tez plutôt un coup d’œil par là. »

Tia regarda dans la direction indiquée par Ruogno, distingua, entre les pêcheurs, six ou sept ronges aux mines renfrognées et un miaule tout jaune de poil vêtu d’une cape, d’un pourpoint et d’une brague d’un brun sombre.

« Graïrl et son garde du corps, Hahuïtt le miaule, souffla le ronge. J’leur avais donné rendez-vous au port pour leur remettre leurs cent pièces. J’pensais pas qu’ils y seraient si tôt. Chiures de bouq, quand ils sauront que j’n’ai pas l’argent et que quinze de leurs coupe-jarrets ont été ébouillés dans l’auberge, me couperont en petits morceaux en commençant par les coïlles. » Il fixa Tia avec un sourire pâle. « Et j’y tiens, à mes coïlles. J’ai bien l’intention de fonder ma lignée. »

Tia ne craignait pas les ronges mais ne se sentait pas d’humeur à affronter le miaule. Il risquait de se révéler dangereux, comme tous ceux de son clan, et son flair aiguisé reconnaîtrait sans difficulté le grogne sous les hardes grondes.

« Le plus simple est peut-être de nous aglumer sur l’un des grands radeaux qui passent de l’autre côté », suggéra Véhir.

Ruogno le dévisagea d’un air stupéfait. À aucun moment il n’avait envisagé cette solution, pourtant évidente. Jamais l’idée n’aurait effleuré un batelier de traverser la Dorgne sur un autre radeau que le sien.

« Empressons ! dit-il en s’élançant vers l’autre bout du quai. Avons encore une petite chance de prendre le premier traversier du jour ! »

Ils quittèrent leur abri et foncèrent vers un grand radeau sur le point d’appareiller. Tia dut s’arrêter à trois reprises pour attendre Véhir, moins véloce que les deux prédateurs. Lors de son troisième arrêt, elle s’aperçut que le miaule au pelage jaune et les ronges, alertés par les cris des pêcheurs bousculés, s’étaient élancés dans leur direction. Ils gagnaient du terrain, s’encourageaient de la voix et du geste, franchissaient d’un bond les barques alignées, se faufilaient entre les cordages et les ballots.

« Dégrouille, Véhir ! »

Le grogne s’appliquait, courait aussi vite que le lui permettaient ses jambes et sa corpulence. Un voile lui tombait sur les yeux, teintait de rouille les montagnes proches, le moutonnement menaçant du ciel, les maigres reliefs des mâts et des monticules de caisses. Il garda suffisamment de lucidité pour se rendre compte que la main de Tia se glissait dans la sienne et que, une cinquantaine de pas plus loin, quatre membres de l’équipage étaient en train de remonter la passerelle du grand radeau.