Chapitre 1

Véhir

 

Ainsi s’en vient le grogne, l’allure pesante, la fourche ou la faux sur l’épaule, la tête baissée sur cette terre qu’il éventre de son soc et engrosse de sa sueur, et sa peur l’ensuit comme une ombre.

Un jour, un hurle errant et de mauvais aloi croise le chemin d’un grogne âgé et frappé par la maladie des os mous.

« Es vieux et guère alléchant, failli grogne, mais, foi de hurle, ta boucane sera meilleure encore que la carne des bêtes sauvages.

— N’y songez pas, seur hurle, répond le grogne.

Si vous me ripaillez, serai’j comme une maladie dans votre sang et dans vos os. Et mourrirez avant la fin de la lunaison des arbres défeuillés… »

Le hurle réfléchit et dit :

« Tu as peut-être raison, pue-la-peur, mais si je ne te saigne pas sur l’instant, je serai mort avant la fin du jour. »

Et il se jeta sur le grogne pour l’égorger.

 

Puissent un jour les dieux de l’Humpur nous délivrer de ces deux fruits de l’ignorance que sont la faim et la peur.

 

Les Fabliaux de l’Humpur

 

« Grrrooooo… »

La brise du crépuscule colporta de val en val le cri du veilleur. Vidés de leur énergie, les moissonneurs suspendirent leurs gestes et restèrent immobiles le temps d’un passage d’oies sauvages. Le soleil couchant teintait de pourpre les vagues ondulantes des champs de blaïs, les ramures des grands chênes, la surface ridée des retenues d’eau, les pierres affûtées des faux, les perles de sueur qui scintillaient sur les visages, les bras et les torses nus. L’odeur des nids de mulots et des terriers de lapins se mêlait aux senteurs de chaume et de terre brûlée.

Recru de fatigue, les yeux dans le vague, Véhir saisit machinalement la gourde de peau que lui tendait son voisin de gauche. Aigri par la chaleur, le vin tiède lui brûla l’œsophage et lui tira une grimace. Le manche rugueux de la faux avait semé des ampoules sur ses paumes et la pulpe de ses doigts. Il remit la gourde à son voisin de droite et laissa errer son regard sur les lourds épis de blaïs qui, une fois ensilés, constitueraient la base de l’alimentation de la communauté grogne de Manac. À la lunaison des arbres défeuillés, les troïas battraient les gerbes au fléau, broieraient les grains ronds et bruns dans les grandes meules de pierre, confectionneraient les pains, les galettes et les gâteaux pour les occasions exceptionnelles comme la fête de l’Humpur ou les cérémonies du grut.

Les pluies persistantes de la lunaison des bourgeons avaient fait craindre le pire : il avait fallu trier et arracher les tiges qui avaient commencé à pourrir sur pied, creuser des rigoles, canaliser l’eau vers les retenues et l’empêcher de gâter l’ensemble de la récolte. Par la grâce de l’Humpur, le temps chaud et sec était revenu avec la lunaison des fleurs, et la communauté ne serait pas obligée, pour passer l’hiver, de puiser dans des réserves déjà fortement entamées par les deux cycles précédents.

« Grrrooooo… »

Au deuxième cri du veilleur, les bouviers aiguillonnèrent les attelages de leur pique de bois et les quarante charrettes chargées de gerbes s’ébranlèrent au rythme pesant des bœufs. Les lieurs, les mâles encore trop tendres pour manier la faux ou les anciens dispensés des travaux de force, glissèrent les ficelles dans les poches de leurs bragues et prirent à leur tour le chemin de la communauté. Les faucheurs attendirent encore quelques instants avant de leur emboîter le pas.

« Le grut de la lunaison des orages, dans un peu plus de cinq nuits, grrrooo… »

Ces paroles produisirent sur Véhir le même effet que l’apparition d’un hurle de Luprat. Il se retourna avec vivacité vers le grogne qui venait de parler, Graüm, un géant dont les doigts jouaient négligemment avec le tranchant de sa faux et dont les muscles épais se découpaient sous une couenne tannée par le soleil. Vêtu d’une brague courte d’où s’évadaient des cuisses aussi larges que des troncs d’arbres, il donnait de petits coups de bassin pour mimer la saillie. Ses yeux brillaient comme des braises rougeoyantes entre les soies blanches de ses cils.

« Planterai’j mon soc dans le sillon des troïas, insista-t-il en fixant Véhir. Et serai’j le premier à ensemencer la terre de troïa Orn. »

Des grognements, des sifflements, des applaudissements soulignèrent ses paroles. Chargés avec les autres vaïrats dans la force de l’âge d’assurer la pérennité de la communauté, les faucheurs se réjouissaient à l’avance d’être enfermés pendant trois jours et trois nuits dans l’enclos de fécondité. Ils se lancèrent des coups d’œil égrillards, se donnèrent des coups de coude, entrechoquèrent les lames de leurs faux, entonnèrent le refrain des reproducteurs :

 

Mélangeons la semence dans le sillon des troïas,

Engendrons les grognelets,

Vaïrats deviendront, mères deviendront,

Engendreront d’autres grognelets,

Qu’à jamais vive la communauté de Manac.

 

Les gourdes volèrent à nouveau de main en main, des rigoles sombres sinuèrent sur les mentons, les bras, les torses. Véhir n’avait pas le cœur à rire, à chanter, à boire avec les autres. Ils l’invitaient à quitter les rêves de l’enfance pour entrer dans le monde des adultes. Dans un peu plus de cinq nuits, troïa Orn, sa chère troïa Orn, serait poussée dans l’enclos avec les femelles en âge de procréer et subirait les assauts de tous les vaïrats de la communauté. La loi interdisait aux troïas de faire des préférences, de se donner au mâle de leur choix. Il n’avait jamais participé à un grut mais des anciens lui avaient conté qu’une fois dans l’enclos les réticences étaient balayées comme des balles de blaïs au vent de l’automne et que les saillies se succédaient à un rythme effréné jusqu’à ce que les uns et les autres s’écroulent d’épuisement. C’était, selon les trois lais de l’Humpur, un présent de l’âge de l’Humanité, une énergie surnaturelle que les dieux humains avaient offerte aux grognes afin de réduire les risques de stérilité et permettre à la communauté de se perpétuer.

Véhir se fichait comme de sa première brague de ces fables de stérilité et d’énergie surnaturelle. Il comprenait seulement que la prochaine cérémonie du grut lui enlèverait sa troïa, que le ventre de la belle Orn deviendrait une terre communautaire au même titre que les champs de blaïs, les vignes, les plantations de patates truffières et les serres légumières. Il avait beau se répéter que son étrange désir de réserver une femelle à son seul usage, fût-elle la plus jolie grognesse du pays pergordin, contrevenait à la règle fondamentale du partage, que cette idée puérile risquait de fissurer la cohérence de la communauté de Manac, il ne pouvait s’empêcher de ressentir une colère teintée de détresse chaque fois qu’il imaginait Orn dans les bras d’un autre mâle. Il ne savait pas d’où lui venait ce sentiment, cette souffrance indicible qui le réveillait en plein cœur des nuits glaciales ou brûlantes et l’empêchait de replonger dans l’oubli du sommeil. Il n’avait jamais osé s’ouvrir de ses tourments à un ancien, de peur d’être exilé ou offert en pâture aux hurles du comté de Luprat.

Une bourrade le tira de ses réflexions. Il faillit s’écorcher la joue sur la lame de pierre de sa faux. Le soleil sombrait dans les vagues grises des collines environnantes.

« Sera ton premier grut, Véhir ! s’exclama Graüm. Pourra’t labourer les troïas… Et troïa Orn… après qu’aurai’j défloré icelle. »

Les lèvres du géant s’écartèrent en une grimace qui dilata les narines de son large groin et dévoila ses dents jaunes. Véhir se contint pour ne pas lui sauter à la gorge.

« L’est colère, ct’e puceau ! ricana Graüm. Attendra’t la prochaine fête de l’Humpur pour te battre.

— L’est en fraye avec troïa Orn, fit une voix.

— Croit sans doute que c’te femelle est qu’à lui ! »

La brûlure de la honte se propagea sur le front et les joues de Véhir. Les faucheurs, et l’ensemble de la communauté sans doute, se riaient de ses escapades avec Orn. Oh, il n’avait pas commis le grut en dehors des cérémonies ! Il ne tenait pas à offenser les dieux humains et à défier les trois lais en transgressant la loi sacrée de l’Humpur, mais il s’était promené avec elle le long de la rivière Dorgne, il l’avait tenue par la main, s’était couché à son côté sur l’herbe grasse et odorante de la lunaison des fleurs, avait posé la tête sur son ventre et s’était laissé aller à des rêveries qui l’avaient entraîné très loin en lui-même. Les mains de la troïa, aussi ensorcelantes que les onguents des anciennes, avaient couru sur son torse et éveillé un désir brutal que seul un bain dans l’eau fraîche de la Dorgne était parvenu à chasser.

Devant la bouille déconfite du puceau, les faucheurs éclatèrent de rire. Ils se resserrèrent autour de lui comme pour le contraindre à écouter ce qu’ils avaient à lui dire. Le ciel s’assombrissait rapidement, la nuit tombante avalait les reliefs, le vent séchait leur sueur, soulevait leurs chevelures blondes, grises ou blanches, jouait dans les plis de leurs bragues. Ils piétinaient les chaumes durs et coupants, mais leurs pieds à trois ou quatre doigts – seule une poignée d’anciens en comptait cinq – étaient enrobés d’une telle couche de corne qu’ils pouvaient marcher sur des pierres aux arêtes tranchantes ou sur les ronces sans même s’en apercevoir.

« Sommes tous passés par là, dit Graüm. Avons tous été en fraye avec une grognesse avant le premier grut. »

Véhir perçut de la bienveillance dans les yeux du géant. Les autres hochaient la tête et grognaient d’approbation.

« Frayai’j avec troïa Erl, fit l’un.

— Étai’j avec troïa Und, dit l’autre.

— Troïa Abr…

— Troïa Opk…

— Troïa Imp, grrrooo… »

Véhir fut soudain environné de regards mélancoliques, de mâchoires serrées, de faces rembrunies. Ils n’avaient pas renoncé à leurs chimères de gaieté de cœur, ils gardaient au fond d’eux la nostalgie de ces jours anciens où ils avaient rêvé d’appartenir à la femelle de leur choix. Ils avaient traversé les mêmes épreuves que lui, sacrifié leur enfance sur l’autel de la communauté, arraché leurs désirs « individules » comme on séparait sans pitié l’ivraille des pousses de blaïs.

Graüm posa une main calleuse sur l’épaule de Véhir. Bien que ce geste fût une marque d’affection, un réflexe poussa le jeune grogne à se reculer d’un pas.

« Le Grand Mesle, le démon, l’est çui qui pousse au fraye avec une seule troïa, déclara Graüm sans tenir compte de sa réaction. Compren’t ça, Véhir : le Grand Mesle s’aglisse dans la tendre tête des grognelets pour ébouiller les communautés. »

Véhir avait toujours jugé contradictoire la terreur du mélange symbolisée par le démon et le grut collectif prescrit par l’Humpur.

« Si les troïas et les vaïrat s’emmêlent, font la même chose que le Grand Mesle, pas vrai ?

— Pour le moment, le partage des semences renforcit la race des grognes, répondit Graüm avec patience. Ainsi le veut la malédiction du Grand Mesle. Mais quand les temps seront venus, quand la grâce de l’Humpur sera redescendue sur le pays de la Dorgne, un mâle pourra saillir trois, deux ou même une seule femelle. En attendant, puceau, buvons au prochain grut ! »

Graüm agita une gourde sous le groin de son vis-à-vis. L’odeur qui s’échappait du goulot retourna les tripes de Véhir mais il n’osa pas décliner l’invitation : après l’avoir houspillé, voire rudoyé, tout au long de cette journée de moisson, les faucheurs le jugeaient digne d’être intronisé dans la confrérie des reproducteurs. La moitié de la rasade reflua par les commissures de ses lèvres et dégoulina de chaque côté de son menton. Le vin aigre se répandit sur son torse et raviva les multiples écorchures qui lui parsemaient la couenne. Des mouches attirées par le sucre bourdonnèrent autour de lui. Il n’eut pas la force de les chasser, trop occupé à contenir les spasmes de dégoût qui lui contractaient le ventre et la gorge. Il frissonna de la tête aux pieds et ses soies se hérissèrent comme les piquants d’un hérisson.

Graüm l’enveloppa d’un regard à la fois ironique et compatissant, lui reprit la gourde, larigota une longue rasade de vin, s’essuya les lèvres d’un revers de main.

« À Manac ! fit-il en levant sa faux.

— À Manac ! » crièrent les autres en écho.

 

Les moissonneurs traversèrent le pont de bois qui enjambait la Dorgne, large en cet endroit d’une demi-lieue. Les bâtiments de la communauté entouraient une vaste cour où se dressaient l’enclos de fécondité, la chêneraie truffière et les margelles des puits. Au nord, les silos de blaïs et les greniers dressaient une muraille imposante sur laquelle se brisaient les vents hurlants de l’hiver. À l’ouest, s’étendaient des constructions basses reliées les unes aux autres par des passages couverts, les logements des trois lais de l’Humpur, le temple, les quartiers des troïas et des grognelets. À l’est, les dortoirs des mâles jouxtaient d’un côté les ateliers où étaient entreposés les outils et les charrettes, de l’autre les étables qui abritaient les vaches laitières et les bœufs pendant les lunaisons des grands froids. Au sud enfin, l’entrée principale d’une largeur d’un cinquième de cinquième de lieue séparait la salle du conseil communautaire et la grande soue des gavards. Dans un coin de la cour, une vingtaine d’anciennes, les robes remontées jusqu’à la taille, piétinaient le torchis de terre et de paille destiné à consolider les murs avant les tempêtes d’automne. Perchés sur les toits, les jeunes mâles chargés de l’entretien recalaient les lauzes, consolidaient les charpentes, arrimaient les branches creuses qui faisaient office de chéneaux. Çà et là, on allumait des torches dont l’éclairage fuyant révélait une mère en train de laver un nourrisson dans un bac de pierre, des grognelets tout roses qui jouaient au pied d’un chêne, des anciens assis sur une margelle, le menton posé sur leur bâton.

Chaque fois qu’il longeait la grande soue d’où s’exhalait une suffocante odeur de lisier, Véhir songeait qu’il aurait pu faire partie des gavards, ces malheureux sélectionnés depuis leur plus jeune âge pour leur faculté à produire de la graisse, castrés à l’issue de leur premier cycle et condamnés à finir dans le ventre des hurles de Luprat. Bien qu’il eût toujours été aussi sec que l’écorce d’un vieux chêne, Véhir ne pouvait s’empêcher d’éprouver de la pitié lorsque les intendants du comté venaient prendre livraison des gavards parvenus à ripaille. Les pauvres étaient tellement patauds qu’ils n’avaient plus la force de remuer, ni même de crier, qu’il fallait les hisser avec des palans et des cordes dans les chariots grillagés. Ils se laissaient emporter avec une résignation qui avait quelque chose de choquant, de poignant. Le regard de Véhir s’échoua machinalement sur les formes immobiles et silencieuses allongées dans les courettes de la soue.

« C’tes gavards ! s’exclama un faucheur derrière lui. L’ont pas encore atteint leurs trois printemps que pèsent déjà des livres et des livres ! Les hurles auront bonne ripaille pour l’hiver ! »

Véhir lui aurait volontiers abattu sa faux sur la tête s’il n’avait aperçu troïa Orn qui, portant un baquet, se dirigeait d’une démarche gracieuse vers le quartier des femelles. Comme chaque fois, il fut émerveillé par sa beauté. Elle avait retroussé sa robe de lin jusqu’en haut des cuisses. Ses fines soies rehaussaient le rose délicat de sa couenne, sa chevelure claire dévalait ses épaules comme une cascade ensoleillée. Il aimait par-dessus tout son groin aussi fin qu’un museau de hurle, ses yeux d’un rouge si profond qu’ils semblaient habités par la nuit, ses lèvres pleines qui appelaient le frotti-frotta, ses mamelles arrogantes qui tendaient le tissu comme deux truffes appétissantes. Elle se retourna, croisa son regard, lui adressa un petit signe de connivence avant de se remettre en marche, ployée par le poids du baquet.

À nouveau, un vent mauvais le traversa lorsqu’il l’imagina offerte à Graüm et aux autres vaïrats. Bien que puceau, il savait comment se pratiquait le grut. À Manac, la reproduction se limitait aux deux cérémonies annuelles mais on en parlait sans pudeur le reste du temps. Les grognelets apprenaient très tôt que leur dardelet n’était pas seulement destiné à vider la vesse, qu’ils s’en serviraient un jour comme d’une charrue pour labourer la terre des femelles. Véhir n’avait pas cru la chose possible jusqu’à ce que son vit lui pousse en bas du ventre et devienne aussi dur que le soc d’un araire.

Les charrettes traversèrent la cour intérieure, contournèrent l’enclos et s’alignèrent devant les portails des granges. Les chaînes se formèrent aux lueurs des torches, les gerbes s’empilèrent dans les greniers, le blaïs fut mis à l’abri d’un caprice des cieux avant la tombée de la nuit noire. Puis on tendit les pièges devant les ouvertures pour empêcher les rats et les mulots de grignoter la récolte, on tira soigneusement les vantaux de bois, on détela les bœufs, on vida quelques gourdes pour célébrer la générosité de l’Humpur. La gorge sèche, Véhir ingurgita cette fois une généreuse rasade de vin qui, même s’il abandonna un goût de fiel dans sa gorge, eut le mérite de le désaltérer.

 

Il but encore pendant le repas, plus copieux que d’ordinaire, servi par les troïas dans la grande salle à manger de la communauté. Les yeux des mâles, embrasés par l’alcool, se posaient avec insistance sur Orn. Elle roulait des hanches, distribuait des sourires, se complaisait en mines et poses aguicheuses. L’approche du grut réveillait en elle les réflexes ancestraux du partage. Véhir et elle avaient pourtant vécu des instants magiques les soirs précédents sur les bords de la Dorgne, seuls au monde, unis comme deux doigts d’une même main. Avait-elle été sermonnée par les troïas expérimentées comme lui-même avait été chapitré par les faucheurs ? Il remarqua qu’elle évitait soigneusement de croiser son regard, qu’elle s’arrangeait pour desservir d’autres tablées que la sienne. Alors il remplit son gobelet d’un vin plus frais et capiteux que celui des gourdes, le vida d’un trait, empoigna le cruchon, se servit de nouveau, recommença plusieurs fois de suite jusqu’à ce que le liquide reflue par les trous de son groin.

« L’a le feu au gosier, Véhir ! s’exclama son voisin.

— L’aura bientôt ailleurs, le pichtre ! renchérit un ancien.

— L’enterre sa vie de grognelet !

— La cuite avant le grut, sera bientôt un vaïrat, ggrroo ! »

Il ne les entendait plus, il luttait contre l’instabilité du sol, contre l’envie de vomir, contre la tristesse qui lui enserrait le cœur comme une poigne de glace. Tout se mit à tournevirer autour de lui, la table, les pains dorés, les plats de terre cuite débordant de légumes, de champignons, de glands, de truffes, les trognes rougeaudes des mâles, les silhouettes affairées des troïas, les taches lumineuses des torches… Il eut l’impression que le banc se dérobait sous ses fesses et que le sol de terre battue se soulevait pour lui frapper l’échine.

Et vint le grut de la lunaison des orages.

Vint l’aube où les anciennes dévêtirent et poussèrent à l’intérieur de l’enclos les pucelles ou les troïas qui n’avaient pas été fécondées lors du premier grut de la lunaison des bourgeons.

Les trois lais de l’Humpur bénirent les vaïrats regroupés dans la cour. Véhir n’aimait pas ce trio de castrés qui se présentaient comme les seuls intermédiaires entre les dieux humains et leurs frères grognes. Ils occupaient une place prépondérante au sein du conseil communautaire. Ils combattaient avec sévérité les déviations individules inspirées par le Grand Mesle et n’hésitaient pas à condamner au bannissement les vaïrats ou les troïas qui transgressaient les lois sacrées. Or, déchu de la protection du comté, privé d’abri, forcé par les prédateurs errants, l’exilé n’avait aucune chance de survivre hors de la communauté. Les véritables chefs de Manac n’étaient pas les anciens du conseil, dont le rôle se bornait à la répartition des tâches et à la distribution des ressources, mais bel et bien ces trois lais qui gardaient la connaissance humaine dans le temple réservé à leur seul usage et qui, vêtus de longues chasubles noircies au brou de noix, évoquaient une nichée de grolles.

Le soleil se levait dans un ciel blême où s’étiraient quelques nuages paresseux. Le vent fleurait l’herbe humide, signe qu’il allait pleuvoir au cours de la journée. L’eau pouvait tomber maintenant que le blaïs était engrangé. Les premiers cèpes déploieraient leurs grosses têtes brunes au pied des chênes, la terre asséchée s’amollirait pour absorber les feuilles et le lisier étalé sur les chaumes.

Tous les membres de la communauté se pressaient de part et d’autre de l’enclos. Un lai s’avança, leva le bras et prononça les paroles rituelles d’une voix aigrelette :

« Que l’Humpur donne à ct’es vaïrats bon et long durcissement du vit, afin que fertilisent les troïas de bonne et féconde semence et que naissent moult grognelets à la lunaison des fleurs. Que soient respectées les lois sacrées des dieux humains pour qu’iceux accordent éternelle vie aux grognes de Manac.

— Éternelle vie à Manac ! » clama l’assistance.

Véhir discernait des regrets dans les yeux des anciens et de l’envie dans le regard des grognelets. Les vaïrats se débarrassèrent de leurs bragues. Certains d’entre eux, déjà touchés par la grâce de l’Humpur, arboraient un vit aussi roide et noueux qu’une branche de chêne. Véhir prévoyait de prendre les autres de vitesse et de saillir Orn en premier, une compensation dérisoire au regard du sacrifice qu’exigeait la discipline communautaire. Il se coucherait ensuite en attendant la fin de la cérémonie. Il n’avait pas l’intention de devenir l’un de ces fanfarons qui se targuaient de réussir trente ou quarante saillies pendant les trois jours de grut. Un regard insistant lui lécha la nuque. Il se retourna, aperçut Graüm qui dépassait les autres d’une bonne tête et le dévisageait d’un air goguenard.

Deux anciens du conseil ouvrirent le portail de l’enclos, une palissade d’une hauteur de trois grognes et couverte d’une immense bâche de lin huilé. Placé aux premiers rangs, Véhir écarta ses voisins à coups d’épaule et s’élança mais quelque chose – quelqu’un – lui accrocha le pied et le fit trébucher. Un déluge de rires accompagna sa chute. Il mordit la poussière, se redressa, se rendit compte que les autres, aiguillonnés par les encouragements des troïas, s’étaient déjà engouffrés dans l’enclos.

« Empresse, andouille ! glapit le lai. Devons fermer asteur ! »

Fou de colère, Véhir sauta sur ses jambes et se précipita vers le portail sans accorder la moindre attention aux bouilles hilares des anciens et des grognelets. Il entendit, comme dans un rêve, le grincement des vantaux qui se refermaient dans son dos.

La disposition de l’enclos le dérouta. Il s’était attendu à une salle unique, une sorte de gigantesque couche de terre battue où les couples se seraient unis et désunis dans un enchevêtrement digne du Grand Mesle, et il se retrouvait dans un couloir étroit, sombre et désert dont il ne distinguait pas l’extrémité. Des sifflements, frottements, chuintements, soupirs, gémissements le prévinrent que troïas et vaïrats ne l’avaient pas attendu. Après qu’il se fut accoutumé à l’obscurité, il remarqua des entrées basses découpées sur des cloisons de bois, franchit la première en rampant, se releva dans une pièce basse où, sur la paille étalée, des troïas à quatre pattes subissaient les assauts frénétiques de vaïrats accroupis. Il ne distinguait pas le visage des femelles mais il sut, à leurs chevelures blanches pour les unes et grises pour les autres, que troïa Orn n’était pas parmi elles.

Inquiet, fébrile, il explora les pièces du premier couloir, s’engouffra dans un deuxième passage, visita d’autres stalles, y découvrit des scènes qui lui inspirèrent davantage de dégoût que de désir. Il ne voyait pas de différence entre l’accouplement des grognes et la monte des bovins dans les pâturages. Une, peut-être : les taureaux ne venaient pas se vanter à tout propos de la vaillance de leur vit, un levier autrement impressionnant que le soc tordu des vaïrats.

Son cœur s’arrêta de battre lorsqu’il se glissa dans l’une des dernières pièces du labyrinthe et qu’il reconnut Troïa Orn à quatre pattes sur l’épais tapis de paille, la face à demi enfouie sous un rideau agité de cheveux d’or. Ses mamelles tressautaient à chacun des coups de boutoir que lui assenait Graüm. Elle leva sur lui un regard trouble et se mordit la lèvre inférieure. Il ne lut aucun regret dans ses yeux, dans son sourire, seulement un mélange de douleur et de plaisir qui déformait ses traits, qui l’enlaidissait.

Des grognements de plus en plus bruyants, de plus en plus précipités s’échappaient de la gueule du géant. Secoué par une série de spasmes, il poussa une longue plainte et s’affaissa sur l’échine de la troïa comme un sac de jute vidé de ses grains. Il resta prostré un petit moment en buffant comme un bœuf assoiffé, puis il se releva, donna une petite tape sur les fesses de la grognesse agenouillée et se dirigea d’un pas vacillant vers l’ouverture de la pièce. Il transpirait encore plus qu’après une journée entière de fauchage dans un champ de blaïs et répandait une odeur âcre qui emplissait toute la pièce.

« L’ai’j sacrément foutue, ct’e femelle, haleta-t-il. Pourrai’j encore la labourer, ggrroo, mais sui’j pour le partage et te la laissai’j, Véhir. Ai’j envie de nouvelles conquêtes. »

Il lâcha un rire gras et s’accroupit pour disparaître par l’ouverture basse.

« L’a fait mal, ct’e brute, soupira Orn en s’asseyant. Sui’j déchirée… »

Elle mentait. Ni ses yeux ni sa voix ni ses gestes languides n’exprimaient la souffrance. Désespéré, pétrifié, Véhir fixait jusqu’au ver-tige le ventre de la grognesse, ce ventre qu’il avait tant rêvé de posséder et qui lui paraissait à présent plus hideux qu’une peau de crapaud.

« Pourquoi… »

Les hoquets étouffèrent les mots dans sa gorge.

« Va’t pas pleurer comme un puceau, Véhir, murmura-t-elle. Sera’t un vaïrat dornavant. »

Des rais de lumière s’infiltraient par les jours du galandage, dessinaient des cercles clairs sur le sol, sur les cloisons, sur les cruches de vin. Des nuées de mouches et de guêpes bourdonnaient autour des plateaux de truffes, de noix, de glands et de gâteaux disposés au petit jour par les anciennes.

« Aurai’j dû être ton premier vaïrat, bredouilla Véhir. L’était ta promesse…

— Premier, deuxième, dernier, quelle importance ? Le partage des semences, l’est pour le bien de la communauté. Sui’j aussi prête à t’accueillir, ggrroo. »

Véhir se leva avec une telle vivacité que des fétus de paille volèrent autour de lui et dessinèrent des arabesques étincelantes dans les faisceaux de lumière.

« Après ce pichtre de Graüm, jamais ! »

Orn le saisit par le poignet et le tira vers elle.

« Après çui, viendront d’autres. Et d’autres encore. Veu’j maintenant ta semence. »

Elle se retourna, se remit à quatre pattes et frotta ses fesses contre le bassin de Véhir. La puissance du grut, cette énergie surnaturelle dont parlaient les anciens, déferla en lui avec la force d’un torrent. Même saccagée, la terre de troïa Orn lui parut attirante comme jamais. Le bas-ventre parcouru de frissons, il se sentit aussi dur et brutal que l’araire crevant les mottes attendries par une averse. Le temps d’une stridulation de grillon, il oublia sa détresse et aspira de tout son être à plonger en elle.

« Enfonce donc, asteur ! »

Les cheveux étalés de troïa Orn se confondaient avec les brins de paille. Les grosses mains de Graüm avaient imprimé des marques rouges sur la couenne de son échine et de ses flancs. Véhir savait qu’il rentrerait définitivement dans le rang s’il accédait à la requête de la grognesse. Il deviendrait un vaïrat, un mâle qui mettrait sa vigueur au service de la communauté, qui observerait avec docilité les règles édictées par les trois lais. Protégé des clans errants par les hurles de Luprat, régi par le cycle des saisons, il mènerait à Manac une existence sans surprise. Laboureur à la lunaison des grands vents, semeur à l’orée de l’hiver, bineur au printemps, cueilleur à la lunaison des fruits, faucheur avant les orages de la fin de l’été. Il s’abrutirait dans les ripailles et les beuveries des célébrations de l’Humpur, il mourrait une poignée de cycles après être devenu un ancien, victime comme tous les grognes de la malédiction du Grand Mesle, une accélération subite du vieillissement qui donnait aux os des vieux grognes la consistance de brins d’herbe et les condamnait à recevoir le coup de grâce de la main des mâles dans la force de l’âge.

« Saillis, saillis, ggrrooo… »

Ensorcelé par le murmure de troïa Orn, par les mouvements de ses hanches, il oublia ses tourments, ne songea qu’à butiner sa fleur comme un bourdon ivre. Puis, un mâle et une femelle s’introduisirent dans la pièce et, sans leur prêter la moindre attention, s’accouplèrent avec une frénésie, avec une dureté qui le dégrisèrent. Rebuté par les entrechoquements de leurs corps, il s’écarta de Orn, les regarda copuler pendant quelques instants, observa leurs faces congestionnées, les ondulations de la couenne de la troïa, le déhanchement frénétique du vaïrat, les rigoles de sueur qui leur couraient l’échine et accrochaient des éclats de lumière.

« Qu’atten’t, pichtre ? » grogna Orn, impatiente.

Elle tenta encore de se coller à lui mais il se déroba et fila vers la sortie. De son désir ne subsistait qu’une tension agaçante qui semblait le tirer vers l’avant. Orn lui décocha un regard courroucé. Il la trouva moins belle tout à coup, comme dépouillée de sa grâce. Les deux autres, absorbés par le grut, ne relevèrent même pas la tête.

« Si es’t incapable de saillir, Véhir, sera’t qu’un zirou de coupé ! »

Elle ne disait pas cela pour le préserver de la castration réservée aux mâles inaptes à la reproduction, mais parce que sa rebuffade l’avait humiliée. Elle ne comprenait pas pourquoi la fascination qu’elle avait exercée pendant des cycles et des cycles sur ce grognelet se volatilisait dans le clair-obscur de l’enclos. Elle ne lui avait pas réservé la primeur de son ventre, la belle affaire ! Une ancienne lui ayant recommandé d’offrir son pucelage à un mâle expérimenté, elle avait choisi Graüm, le géant dont la carrure soulevait l’admiration de toutes les femelles de Manac. Elle ne le regrettait pas. Fécondée par le vaïrat le plus vigoureux de la communauté, elle mettrait au monde un beau grognelet à la lunaison des fleurs, un mâle, espérait-elle, qui deviendrait aussi robuste que son géniteur. Elle aurait participé à sa manière au renforcement de la race grogne.

« Serai’j ni vaïrat ni coupé ! déclara Véhir d’une voix calme mais résolue.

— Qui sera’t, alors ? »

Il n’avait aucune réponse à cette question, il savait seulement ce qu’il ne voulait pas être.

« À la Grâce de l’Humpur, troïa Orn. »

Les couinements aigus de l’autre mâle annonçaient la fin imminente de la saillie. La femelle, le groin dans la paille, tendait désespérément le cou pour respirer. Orn s’avança vers Véhir, les cheveux emmêlés et les épaules parsemées de brins entrelacés.

« Arrête de faire l’animal. »

Il jeta un regard lourd de regrets aux mamelles qu’il avait si souvent caressées en pensée, pivota sur lui-même, s’accroupit et franchit sans hésiter l’ouverture basse.

« Véhir ! »

Le cri de troïa Orn se perdit dans le tumulte. Une odeur âpre, suffocante, imprégnait la chaleur humide. Véhir fonça vers l’extrémité du couloir, fermée par le galandage de l’enclos. Il repéra, au travers des interstices, les cordes de lin qui liaient les planches entre elles, prit son élan et percuta de l’épaule celle qu’il jugea la moins résistante. Elle céda au premier coup dans un craquement sinistre. Le vent et la pluie, s’engouffrant par l’ouverture, lui giflèrent la face et la poitrine. Il aperçut un pan de ciel aussi noir que la chasuble des lais, un coin de la cour centrale désertée par les anciens et les grognelets. Il fracassa la planche voisine pour agrandir le passage, brisa du poing les éclats de bois aussi effilés que des lames.

« Véhir… »

Troïa Orn s’était approchée dans son dos. Ses yeux griotte n’exprimaient plus la colère ni le mépris, mais la tristesse, les remords. Le temps d’un coasse de grenouille, il espéra qu’elle partagerait sa folie, qu’elle le suivrait sur les chemins du hasard. Vaïrats et troïas se poursuivaient en roucoulant dans la pénombre. Eux limitaient leur univers aux cloisons de l’enclos. Peut-être étaient-ils dans le vrai, peut-être recevraient-ils la grâce de l’Humpur, peut-être un grogne n’avait-il pas d’existence légitime en dehors de la communauté ?

« Où va’t ? » demanda Orn.

Il haussa les épaules.

« Sai’j pas.

— Finira’t dans l’estomac d’un hurle ou d’un autre prédateur, comme un gavard ou un banni.

— Aimai’j mieux servir de pâture aux ripailleurs que de finir ma vie à Manac. »

Elle lui posa la main sur l’avant-bras, le premier geste qui rappelait leur ancienne complicité depuis que le portail de l’enclos s’était refermé sur eux.

« Savai’j pas pour Graüm…

— Si, savai’t ! »

La pluie plaquait sur son crâne et ses tempes les cheveux blancs de Véhir, aussi clairsemés que les feuilles des arbres à la lunaison des tourmentes.

« Reste à Manac, l’implora-t-elle.

— Viens avec moi dans le monde. »

Elle leva sur lui un regard navré et secoua la tête à trois reprises. Ses cheveux dansèrent autour de sa tête comme un soleil dans le lit d’une rivière. L’intrusion d’un mâle poussa Véhir à franchir la brèche et à passer dans la cour. La pluie avait transformé la terre battue en une boue collante. Le tonnerre roulait dans le lointain, le vent sifflait dans les branches des chênes, dans la bâche de lin, des rus serpentaient sur les chemins empierrés, les chéneaux recueillaient les rigoles qui dévalaient les toits des bâtiments et les canalisaient vers les immenses barriques dressées à la verticale sous les gouttières.

« L’est pichtre, Véhir ! gronda le vaïrat. Les trois lais castreront çui si ne revient pas tout de suite. Faut être zirou pour refuser de saillir la belle troïa Orn.

— Refuserai’j pas d’accueillir un bon vaïrat, ggrroo… »

Véhir crut déceler de la détresse dans la voix de la grognesse, mais peut-être n’était-ce que l’écume de ses propres regrets. Il chercha des yeux les bragues, ne les trouva pas, présuma que les anciennes les avaient ramassées pour les soustraire à l’orage. Entièrement nu, il s’élança vers la porte monumentale de la communauté, passa sous l’arche des veilleurs et franchit en courant le pont qui donnait sur le chemin de Luprat.

Il parcourut quatre bonnes lieues à travers champs avant d’éprouver la très nette sensation d’être suivi. Il se retourna, examina les buissons et les bosquets environnants, huma le vent, ne perçut aucune odeur, aucun mouvement, entre les troncs d’arbres et les cordes de pluie. Il n’en fut pas rassuré : les hurles et les autres prédateurs étaient maîtres dans l’art de pourchasser leurs proies sans trahir leur présence. Il commença à prendre peur mais repoussa fermement la tentation de rebrousser chemin. La colère de l’Humpur se déversait autour de lui avec une violence inouïe, éclairs et coups de tonnerre se succédaient à une cadence soutenue. Il perdit rapidement ses repères et erra comme une âme en peine entre les collines parées d’une noirceur effrayante. Il s’embourba à plusieurs reprises dans les fossés, roula dans les torrents qui bondissaient au-dessus des talus et emportaient tout sur leur passage, s’écorcha sur les arêtes des pierres, sur les branches basses, sur les épines, sur les souches. La nature tout entière s’acharnait sur lui, cieux, terre, minéraux, végétaux, comme pour lui faire regretter d’avoir quitté la communauté et transgressé la loi des dieux humains.

Épuisé, frigorifié, il finit par se réfugier dans une grotte dont l’entrée voilée par des buissons se découpait sur une paroi rocheuse dévorée par le lierre. Il y demeura jusqu’à ce que la faim le pousse à affronter les éléments hostiles. Les glands à moitié pourris qu’il déterra au pied d’un chêne ne firent qu’aviver son appétit. Il avait toujours mangé à sa faim à Manac, où les réserves de blaïs, de patates truffières et de fruits secs permettaient de subvenir aux besoins de tous les membres de la communauté, il faudrait dorénavant partir en quête de sa nourriture quotidienne.

À l’orée du crépuscule, l’orage s’éloigna, la pluie décrut, le vent chassa les nuages et les rayons du soleil couchant tombèrent en colonnes ensanglantées dans les sous-bois. Alors qu’il flairait l’humus à la recherche de champignons ou de truffes tardives, une branche craqua derrière lui. Saisi, il se retourna et aperçut, entre les entrelacs de brume, une silhouette qui fondait sur lui.