CHAPITRE 1

« C’est demain l’anniversaire, mon gars. »

Le vieil homme leva sur Jean un regard triste. Les autres étaient partis quelques minutes plus tôt après avoir vérifié qu’aucun gendarme royal ne rôdait dans les ruelles ténébreuses du vieux Paris. La répression s’était accentuée au cours de l’année, les arrestations s’étaient multipliées, les prisons engorgées.

Jean hocha la tête. Un an déjà que la foule, poussée par la faim, avait marché sur Versailles. L’armée royale avait ouvert le feu, laissant plusieurs centaines de milliers de morts dans les rues de la capitale. Depuis le 25 décembre 2008, le Noël de Sang, les autorités maintenaient la population parisienne dans une terreur permanente. Les familles n’avaient pas pu enterrer leurs morts, ensevelis dans de gigantesques fosses communes creusées dans les campagnes environnantes. Pas de sépulture pour ceux qui avaient osé défier le pouvoir royal. Vidé d’une grande partie de sa population, Paris s’était replié sur lui-même et enveloppé dans une résignation morne.

« Y a plus personne qu’est capable de relever la tête, reprit le vieil homme. Encore heureux qu’il reste des gars comme toi. »

Jean contempla un instant la flamme vacillante de la bougie qui finissait de se consumer à l’intérieur d’un pot en verre ; les autres s’étaient éteintes, plongeant la pièce dans la pénombre. Des lettres tracées d’une main maladroite s’étalaient sur la planche peinte utilisée comme tableau. Jean essuya ses doigts blancs de craie sur le chiffon humide qui servait également d’éponge. Le cours avait duré plus longtemps que d’habitude. Les élèves, des hommes et des femmes âgés de seize à soixante-treize ans, avaient bravé la nuit, le froid et les patrouilles pour apprendre les rudiments de l’écriture et de la lecture. Joseph, un ancien cheminot devenu portefaix, se montrait le plus assidu, le plus curieux également.

Le vieil homme tira une montre gousset de la poche de sa veste et la présenta à Jean.

« Quelle heure ça dit ? Je l’ai ramassée un jour dans la rue, mais j’ai jamais appris à lire l’heure.

— Vingt-trois heures trente.

— Il serait temps de rentrer, tu crois pas ? »

Jean acquiesça d’un clignement de paupières. Il se sentait las, mal remis de la mauvaise fièvre qui l’avait terrassé pendant cinq jours. En outre, deux bons kilomètres séparaient son logement de la salle où il donnait ses cours clandestins. Il avait intégré le réseau des Pères Noël du savoir en juin 2009, après avoir passé la plus grande partie de ses soirées à perfectionner, sous le contrôle de Clara, ses connaissances en français, en histoire, en géographie et en arithmétique. Ils étaient parvenus à entrer en relation avec l’organisation clandestine rendue méfiante par les récents événements. Après avoir franchi les différentes étapes et montré toute leur détermination, ils avaient rejoint les rangs des insurgés du savoir qui risquaient leur vie pour apprendre aux cous noirs à lire et à écrire. On leur avait confié chacun une classe, Clara dans le quartier de Montmartre, Jean dans le XIe arrondissement, tout près de la place que le peuple de Paris continuait d’appeler Bastille bien qu’elle fût rebaptisée Louis-XVI.

« Pourquoi tenez-vous tant à apprendre, Joseph ? » demanda Jean en essuyant la planche peinte.

Le sourire du vieil homme dévoila une dentition incomplète et creusa de quelques millimètres ses rides déjà profondes.

« À mon âge, tu veux dire ? » Il marqua un petit temps de silence en remuant les lèvres, comme s’il polissait les mots à l’intérieur de sa bouche. « Ça va sans doute te paraître stupide : j’ai vécu comme un ignorant, je ne voudrais pas mourir comme un idiot. »

Jean se retourna et le considéra avec un respect mêlé d’émotion

« Je ne trouve pas ça stupide du tout, Joseph.

— Y en a qui disent que je ferais mieux de laisser tomber et d’attendre tranquillement la mort. J’ai déjà dépassé la limite : soixante-treize ans, c’est bien vieux pour un cou noir. Je sais pas comment te dire ça, je ne maîtrise pas bien les mots, mais j’ai l’impression qu’apprendre me maintient en vie. »

Après avoir enfilé leurs manteaux, leurs gants et leurs bonnets de laine, ils sortirent de la salle chauffée par un antique poêle à charbon et longèrent le couloir incurvé qui donnait sur une ruelle arrière dont l’étroitesse interdisait le passage aux véhicules. Le bâtiment, une ancienne usine désaffectée, n’abritait qu’une poignée de sans-abri en quête d’un toit pour la nuit. Ils scrutèrent un long moment les ténèbres avant de s’aventurer dans le froid. Le vent glacial, soufflant par bourrasques, transperçait leurs vêtements. Jean remonta le col de son manteau et abaissa son bonnet sur ses oreilles et ses sourcils. La ruelle se jetait au bout d’une cinquantaine de mètres dans un boulevard. Ils restèrent immobiles le temps qu’une voiture blindée frappée de l’insigne doré de la gendarmerie royale s’éloigne dans la ville soumise au couvre-feu. Ils se séparaient à partir de là, le vieil homme prenant la direction de la Seine, Jean remontant vers la gare de l’Est.

« Qu’est-ce que tu vas faire pour Noël ? demanda Joseph.

— Je resterai chez moi, bien au chaud. Et vous ? »

Les yeux délavés du vieil homme s’emplirent de mélancolie.

« Je serai seul. Pour la première fois de ma vie. Ma femme est morte, et mes deux fils ont été tués l’an dernier à Versailles. Tu m’as demandé pourquoi je voulais apprendre. La voilà, la vraie réponse : je ne tiens pas à finir ma vie comme un chien. Passe un bon Noël, Jean. Dommage que ce ne soit pas toi le roi de France !

— Les cours reprennent le 7 janvier. Vous serez là ?

— Et comment, que je viendrai !

— À bientôt, Joseph. »

Le vieil homme s’éloigna d’une démarche légèrement claudicante en direction de la Seine. Jean devait maintenant regagner à pied la gare de l’Est en évitant les patrouilles. Tout individu surpris à cette heure-ci dans les rues finissait sa nuit dans une cellule du poste de gendarmerie et n’était pas certain d’en ressortir libre. En six mois, il avait appris à déchiffrer la rumeur nocturne de la ville, se cachant sous une porte cochère ou dans un renfoncement dès qu’il percevait des bruits de pas, des murmures, des ronronnements de moteurs. Appris, également, à déjouer les caméras de surveillance installées par les forces de l’ordre à de nombreux croisements. Il connaissait désormais chaque venelle, chaque passage, chaque cour intérieure, chaque bouche d’égout entre la place Louis-XVI et la gare de l’Est. Paris fourmillait de recoins secrets.

La fatigue pesait sur sa nuque et ses épaules comme un joug. Demain il pourrait rester au lit une partie de la journée. L’organisation des Pères Noël du savoir lui octroyait, ainsi qu’à Clara, un dédommagement financier qui leur permettait de subvenir à leurs besoins fondamentaux. Ils complétaient leurs revenus en effectuant de petits boulots aux alentours des Halles.

Clara s’était habituée à la rude existence des cous noirs. Ni sa famille ni le luxe de l’hôtel particulier de Versailles ne lui manquaient. Elle était restée de longs jours choquée, prostrée, après avoir échappé au massacre de la place Jean-III. Puis elle avait éprouvé une colère sourde contre ceux de son ordre, le gouverneur militaire et les pairs du royaume capables de canonner sans états d’âme des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants dont le seul crime était d’être rongés par la faim. Elle se réjouissait d’avoir été bannie de son monde et dispensait ses cours clandestins avec une ferveur et une ardeur qui l’entraînaient parfois à commettre des imprudences.

Jean hâta le pas, taraudé par un pressentiment. Il arriva sans encombre en vue de la gare de l’Est. Aucune activité devant le bâtiment d’habitude pris d’assaut par les voyageurs. Les trains, tout comme les automobiles et les tramways à gaz, cessaient de rouler à vingt et une heures précises. Les travailleurs de nuit devaient se débrouiller pour être sur le lieu de travail avant le couvre-feu et ne pas en repartir avant le lendemain matin à six heures. Une dizaine de camions militaires traversèrent en brinquebalant l’avenue de Strasbourg. Leurs gros phares ronds éclairèrent furtivement les façades ensommeillées et les arbres frissonnants. Il régnait dans l’air une humidité annonciatrice de neige. Noël 2009 serait sans doute un Noël immaculé, vierge de sang. Il attendit que le convoi s’éloigne pour franchir les deux cents derniers mètres jusqu’à son logement, l’ancien refuge d’Athanase le clochard, la cave qui, selon son ancien occupant, datait du temps des Romains. Clara et lui l’avaient aménagée de manière à la rendre à la fois agréable et pratique. Ils avaient fait chambre à part pendant les quatre premiers mois, puis, une nuit du mois de mai, Clara s’était glissée discrètement dans le lit de Jean. Il était resté interdit en la découvrant tout près de lui, enveloppé de sa chaleur. Ils s’étaient patiemment apprivoisés, explorés. Ils avaient découvert que l’amour avait la vertu particulière d’embellir l’existence, de mettre des couleurs sur des murs noirs, de compenser les privations et le froid, de changer la tristesse en joie.

L’anxiété de Jean augmentait au fur et à mesure qu’il se rapprochait de l’ancien logement d’Athanase. Il lui arrivait de s’inquiéter pour sa mère, ses sœurs et son oncle Michel, mais jamais avec cette intensité. Il franchit en courant la porte cochère usée, traversa la cour intérieure pavée, se faufila par le soupirail et parcourut en quelques secondes la galerie qui donnait accès à la cave voûtée.

« Clara ? »

Aucune réponse.

« Clara ? »

Il ne vit ni le manteau, ni le bonnet, ni les chaussures de Clara, d’habitude posés soigneusement dans l’entrée. Son cœur se serra. Il explora la pièce qui faisait office de cuisine et de salon, puis l’ancienne chambre de Clara, conçue désormais pour être salle de lecture, leur chambre commune, la salle de bains, une petite pièce isolée par un paravent où se dressaient les deux bassins en pierre datant du temps des Romains.

« Clara ? »

La voix de Jean résonna un long moment dans le silence de la cave. Pas dans les habitudes de Clara d’arriver après lui : elle avait beaucoup moins de chemin à parcourir. Il se dit que le cours s’était probablement prolongé, comme le sien, qu’elle allait bientôt apparaître, puis il pensa qu’elle avait peut-être été arrêtée par une patrouille sur le chemin du retour et conduite dans un poste de gendarmerie. Ou, pire, la police secrète du royaume, les cafards, était intervenue au beau milieu du cours et avait arrêté tout le monde. Les mineurs seraient alors expédiés dans des camps de redressement, les adultes tâteraient de la prison pendant quelques mois, l’institutrice, elle, serait fusillée ou, avec un peu de chance, condamnée au bagne.

Il attendit une demi-heure, rongé par l’inquiétude, puis, incapable de tenir en place, il quitta la cave, traversa de nouveau la cour intérieure pavée, parcourut la ruelle et descendit le boulevard en direction de Montmartre. Il ne croisa personne dans les rues livrées à la froidure et au silence nocturnes. Aucun véhicule ne circulait. Il ne savait pas exactement dans quel bâtiment ni dans quelle rue Clara dispensait ses cours. Le réseau leur avait demandé de ne révéler à personne l’adresse exacte des classes, pas même aux intimes. On ne doutait pas de leur courage ni de leur probité, mais on préférait s’entourer de toutes les garanties au cas où ils seraient arrêtés et interrogés par la police secrète. Jean se dirigea vers Montmartre en rasant les murs et en s’immobilisant à chaque bruit suspect. Il gravit la butte par les escaliers de pierre, explora les ruelles environnantes, n’y remarqua aucune silhouette ni aucune trace d’activité. Le froid de plus en plus vif lui pinçait les joues, les oreilles et le nez. Il continua ses recherches pendant une bonne heure, tellement fébrile qu’il faillit se faire surprendre par deux gendarmes royaux en uniforme blanc qui s’étaient approchés silencieusement dans son dos. Alerté par l’éternuement de l’un deux, il ne les aperçut qu’au dernier moment et eut tout juste le temps de se dissimuler dans le renfoncement d’un mur. Après que les asticots se furent éloignés, il se résigna à rebrousser chemin. Il ne servait à rien de battre les rues sans savoir quel itinéraire empruntait Clara pour rentrer. Elle l’attendait peut-être chez eux, d’ailleurs. Il courut tout au long du trajet retour, oubliant toute prudence. Par chance, il ne croisa ni patrouille ni véhicule de surveillance.

Alors qu’il se faufilait dans le soupirail, quelque chose bougea dans un recoin de la cour pavée.

« Hé… »

Il demeura paralysé une poignée de secondes, craignant de voir surgir de l’obscurité un ou plusieurs policiers en civil.

« Eh, mon gars, c’est pas toi qui vis là-dedans avec la jolie petite blonde ? »

Il reconnut la voix du clochard qui passait une partie de ses nuits d’hiver sous un petit auvent de la cour. Jean s’avança d’un pas prudent vers le refuge du sans-abri. Le rugissement d’un avion volant très bas au-dessus de Paris emplit brutalement les ténèbres.

Le silence retomba sur la ville.

« Pourquoi me demandez-vous ça ? »

La face sillonnée de rides du clochard émergea de l’obscurité et flotta cinquante centimètres au-dessus du sol. Ses cheveux étaient blancs et ses joues blêmes, comme s’il s’était maquillé de givre. Ses vêtements empestaient la crasse et l’urine.

« Parce que des hommes sont venus ici il y a de ça deux heures. Des gars pas très fréquentables, si tu veux mon avis. Ils m’ont fichu la trouille, alors je suis resté bien sagement planqué dans mon coin. Heureusement qu’ils ne m’ont pas repéré…

— Quel rapport avec Clara ? »

Le clochard cracha par terre avant de répondre.

« Le rapport, mon gars, c’est qu’ils l’attendaient pour s’emparer d’elle et l’emmener avec eux.

— Quoi ?

— Elle avait pas l’air d’accord, si tu veux mon avis, mais elle a pas eu le temps de crier, vu qu’ils l’ont endormie avec un coton imbibé d’éther. Après, m’a semblé voir qu’ils la jetaient dans une voiture. »

Jean fixa le clochard dans les yeux pour y déceler d’éventuelles traces de moquerie : son interlocuteur avait l’air très sérieux. De plus, quel intérêt aurait-il eu à inventer une telle histoire ?

« Est-ce que… c’étaient des cafards ? »

Le clochard pencha la tête sur le côté pour cracher une deuxième fois.

« Dame non ! Ceux-là, on les reconnaît tout de suite. Je dirais plutôt qu’elle a été enlevée par des affreux d’un clan.

— Pourquoi ? »

Le clochard haussa les épaules ; il y avait toute la fatalité du monde dans son geste.

« Est-ce que j’en sais quelque chose ? Le bruit court que les clans enlèvent les jolies filles pour les boucler dans des maisons closes. »

Les pensées déferlèrent en désordre dans le cerveau de Jean. De ce tourbillon émergèrent les dents pointues, les cheveux fous, les joues creuses et pâles de Jules, le garçon qui lui avait sauvé la vie et l’avait introduit dans le clan de l’Anguille, puis, en arrière-plan, un homme élégant d’une cinquantaine d’années aux cheveux blancs, M. Bernier, l’Anguille. Jules était mort sur l’île de la Marne, mais, si vraiment Clara avait été enlevée par un clan, M. Bernier et ses hommes seraient capables de la retrouver dans la fourmilière de Paris. Même si Jean n’avait pas donné de nouvelles après l’expédition ratée sur l’île aux Loups, l’Anguille accepterait peut-être de lui venir en aide. En échange, il devrait accomplir des missions délicates (racket auprès des commerçants, élimination de rivaux) pour le compte du clan, mais, si c’était le prix à payer pour la délivrance de Clara, il se chargerait des basses besognes sans état d’âme.

« Tu m’as l’air rudement pensif, mon gars, reprit le clochard.

— Vous ne le seriez pas, vous, si on vous annonçait qu’on vient d’enlever l’être que vous aimez le plus au monde ? rétorqua Jean avec une agressivité teintée de désespoir.

— Oh moi, j’ai jamais aimé personne et personne m’a jamais aimé. Voilà ce que c’est de vivre avec une blonde : on n’est jamais tranquille. »

Au bord des larmes, Jean se contint pour ne pas frapper son interlocuteur. Le carillon d’une église proche émit deux notes graves et prolongées ; deux heures du matin. À la fois trop tard et trop tôt pour commencer les recherches, sans compter le couvre-feu. Il lui fallait attendre le lever du jour. Et passer de longues heures dans l’insupportable attente, dans l’angoisse atroce qui lui obstruait la gorge et lui nouait les entrailles.

« Vous… vous m’avez dit la vérité, n’est-ce pas ? »

Le clochard le dévisagea avec une expression de colère et de défi.

« Pourquoi je t’aurais menti ? Je suis à la rue depuis une bonne trentaine d’années, mon gars, et je m’en fous pas mal de ce que les gens peuvent penser de moi, mais je suis pas un bonimenteur. Je t’ai dit ce que j’ai vu, libre à toi de me croire ou non. »

Ayant prononcé ces mots, le clochard se rallongea sous l’auvent et tira sur lui les trois ou quatre morceaux de tissu crasseux qui lui servaient de couvertures.

« Désolé d’avoir douté de votre parole, murmura Jean en se dirigeant vers le soupirail.

— Pas grave, mon gars, répondit le clochard d’une voix déjà embrumée de sommeil. Quand on est malheureux, on n’est pas toujours aimable. Je te souhaite de la retrouver en tout cas, même si tu dois courir pour ça à l’autre bout du monde. Et un bon Noël, quand même, mon gars. »

 

Jean s’endormit vers cinq heures du matin, assis sur un fauteuil, emmitouflé dans une couverture. Une douleur lancinante au cou le réveilla deux heures plus tard. Il fouilla du regard la pénombre, embrasé par l’espoir soudain de découvrir la silhouette de Clara dans un coin ou l’autre du logement. L’angoisse, de nouveau, enfonça ses serres dans sa poitrine et son ventre. Il se leva, fit quelques mouvements pour se dégourdir les membres, mangea un bout de pain déjà rassis, se changea et se passa un peu d’eau froide sur le visage. Il se demanda si M. Bernier se souviendrait de lui. Il résidait avec ses hommes rue de Tanger, dans le cœur du Paris historique. À moins qu’ils n’aient été victimes d’une guerre et qu’un autre clan ait pris leur place. Jean n’avait pas d’autre piste, de toute façon. Il enfila son manteau, son bonnet, ses gants, et sortit.

Une fine dentelle de neige s’était tendue sur les pavés de la cour. Le clochard avait déserté son auvent, abandonnant les bouts de tissu entremêlés et les reliefs de son maigre repas, sans doute parti mendier ou récupérer les fruits, les légumes, les pains rassis et les restes de viande jetés dans les poubelles des Halles.

Jean franchit la porte cochère et demeura un temps indécis sur le trottoir enneigé du boulevard. Une voiture de luxe blanche et frappée d’un blason avança dans sa direction. Il ne lui prêta pas attention jusqu’à ce qu’elle s’arrête à sa hauteur, que la vitre arrière se baisse et que, dans la pénombre de l’habitacle, apparaisse un visage qui ressemblait étrangement à celui de Clara.