CHAPITRE VII

 

Une voix. Une voix monocorde et cependant vibrant d'une tension contenue. Affairée à égrener les mots sans faire saillir l'un ou l'autre, comme pour noyer leur signification profonde sous le déluge de leur nombre. Angoisse, angoisse derrière tout cela...

«... Aussi nous déconseillons à ceux d'entre vous qui seraient malgré tout contraints de sortir aujourd'hui d'emprunter les rues que nous venons de citer car les autres sont pour la plupart rendues inutilisables par l'abondance du mucilum. Il en va de même pour certaines passerelles des lignes FW et 204. On vient de nous apprendre que plusieurs d'entre elles sont endommagées. Pour vous déplacer, le moyen le plus sûr demeure les aérobus, mais attention aux longues files d'attente. Conservez votre calme et ne rendez pas plus compliquée la tâche de la police qui a déjà fort à faire. Le métro est bondé pour l'instant. Une nouvelle série de faits divers vient tout juste de nous parvenir. Plusieurs personnes ont été blessées dans Woodward Avenue par des projections d'acide. Dans le Bloc 17, Kimberley Avenue, une maison s'est effondrée sous le poids de la végétation. Trois morts.

« Dans le même temps, les représentants officiels de plusieurs ambassades se sont réunis en conseil extraordinaire et viennent de publier le communiqué suivant : ils dénoncent, je cite : « L'indécence du mouvement de grève amorcé par les Civiques et le péril qu'il fait peser sur le comptoir tout entier ». Ils souhaitent néanmoins que le conflit trouve rapidement une issue et que les responsables de la Compagnie poursuivent les négociations. D'autre part, ils annoncent que l'absence de toute solution rapide et efficace les contraindrait à prendre des mesures autoritaires au niveau politique. Voilà pour cette déclaration. Il est évident que les délégués ont en tête l'idée de faire intervenir les forces armées stationnées sur Petrom pour suppléer à la tâche de désinfection. Mais chaque heure qui passe voit empirer une situation déjà dramatique. Bien entendu, nous continuerons de vous tenir informés régulièrement de l'évolution du... »

J'ouvris complètement les yeux. Cheval Bandant était accroupi près de moi. Il me tendit un bol où fumait une sorte d'infusion fortement aromatisée.

— C'étaient les nouvelles de la télé ? demandai-je, en constatant que l'écran était maintenant éteint.

— Oui. Et ça ne va pas bien.

— J'ai un peu entendu. Qu'est-ce que c'est que ce machin ?

— Bon pour le corps, se borna-t-il à répondre avec un haussement d'épaules.

— La peste végétale est dans la ville, hein ?

— Tu dis qu'on peut les reconnaître ?

J'avais déjà raconté à mon compagnon toute mon aventure, dans ses moindres détails. Il m'avait écouté sans m'interrompre, mais ses yeux plissés dénotaient une forte concentration. Ensuite, il m'avait proposé de dormir. Je l'avais vu allumer sa pipe et en tirer de profondes bouffées, puis entendu murmurer un chant en se balançant d'avant en arrière. Et le sommeil m'avait gagné sans que je m'en rende compte. Visiblement, il avait profité de sa veille pour réfléchir. Une sorte de feu luisait au fond de ses yeux, à présent. Je secouai la tête.

— Non, je n'ai pas dit ça. Seulement que mon double... Enfin, j'ai cru remarquer une sorte de bulbe sur sa nuque lorsqu'il m'a tourné le dos. Mais peut-être n'est-ce qu'accidentel et...

— Je ne pense pas, coupa Cheval Bandant. S'il est possible de les différencier, cela peut nous procurer un début de solution, bien que cela ne change rien aux données fondamentales du problème. De toutes les manières qu'on l'aborde, convaincre ne sera pas facile. Quand je dis pas facile...

— Il faut rappeler Sarah Turner. C'est la seule qui marchera. Elle me connaît, et c'est une fille qui a du nez.

— Cette journaliste est un bon choix. Je me souviens d'elle. Elle voulait absolument connaître mon vrai nom indien...

— Tu ne le lui as pas dit. Cela l'avait vexée au plus haut point. Dis-moi...

— Quoi?

— Ton nom indien. Ce nom imprononçable. Cheval Bandant, c'est complètement ridicule et indigne de toi.

— C'est curieux que tu me demandes ça maintenant... Tu es bien un Homme Blanc. Si près de la mort qu'il comprend enfin la signification de la vie...

— C'est vrai. Tout se met à prendre de l'importance. Les détails...

— Ten Squah Ta Wah. C'était aussi le nom d'un prophète.

Je hochai la tête, satisfait qu'il m'ait livré son vrai nom, même si j'étais déjà incapable de le répéter. Un silence s'installa entre nous. Mon regard parcourut les murs de la cellule. Aujourd'hui, tout semblait prendre une autre signification pour moi. Ces couvertures, ces colifichets d'une autre époque. Je me sentais bien ici. A l'abri de tout. Même de Lui.

— Il m'a dit qu'il me laissait cette nuit de sursis, parce qu'il ne voyait pas suffisamment clair en moi. La voilà passée. Crois-tu qu'il soit prêt à me tuer, maintenant ?

— Tout dépend s'il a parfaitement assimilé ton inconscient. Ton âme, en quelque sorte, ce qu'il y a de plus inaccessible en toi. Dommage que vous autres Visages pâles ayez perdu tout sens de la religion. Car cela aurait constitué une barrière de défense contre ce fléau. Néanmoins sa précaution est étrange. Il est possible que tu te caches quelque chose à toi-même, Laghan.

Non, ne fais pas l'effort de chercher quoi. N'oublie pas qu'il connaît la moindre de tes pensées, qu'il n'a cessé de les suivre depuis que tu es ici, même si je ne lui facilite pas la tâche.

— Tu veux dire que tu peux lui faire obstacle ?

— Dans une certaine mesure. Car mon esprit est fort de celui de tous mes ancêtres réunis. Ils vivent tous en moi. Ta seule arme, c'est de tenter de masquer tes pensées. Songer à « ciel » quand ta main cherche le couteau. « arbre » quand tu veux fuir. « Mer » quand tu attaques. Il faut que tu démantèles tous tes acquis, tous tes réflexes d'être civilisé. Que tu désapprennes les choses et que tu retournes aux sources de ton être. Ta pensée prendra alors un tour qu'il ne pourra saisir car il lui manque l'expérience, le vécu nécessaire.

— Je tâcherai.

— Il faut.

— Oui, je le ferai. Et toi, tu n'as pas peur de voir apparaître un autre semblable à toi dans ton sillage ?

Il secoua la tête, presque amusé.

— Ils n'ont pas besoin de moi. Ils savent ce que je suis. Mes doubles sont déjà là, unis dans la paix. (Il désigna son cœur.) Ce qu'ils veulent me donner, je le détiens déjà.

— C'est la mort, et rien d'autre, qu'ils veulent nous donner, m'emportai-je. Ce sont des monstres, des inhumains qui veulent notre peau.

— Visage Pâle toujours aveuglé par les apparences. Tant de choses existent derrière les décors monotones du quotidien. Tant de choses, Laghan... Je haussai les épaules.

— Il faut appeler Sarah Turner, dis-je.

— Le visiophone est derrière le totem, à ta disposition.

Je me levai et composai le numéro de la journaliste, le cœur battant la chamade. J'eus de nouveau droit au dessin animé et à la voix de la sinistre secrétaire.

— Je vous la passe, annonça-t-elle, manifestement à contrecœur.

Inespéré. Les figurines stressantes s'effacèrent pour céder la place au visage autrement plus agréable de Sarah Turner. Elle n'avait pour ainsi dire pas changé depuis notre dernière rencontre. Toujours cette même énergie un peu naïve répandue sur ses traits réguliers, où son charme tout féminin parvenait toutefois à se laisser entrevoir, au gré d'un mouvement de ses mèches brunes ou d'un regard très bleu. Inutile de vous le cacher, cette femme était la seule depuis la mort de Luona à m'avoir inspiré un certain sentiment de tendresse. Peut-être même était-il partagé, mais je n'avais pas réellement cherché à le savoir, préférant jouir du seul contentement de me sentir encore un homme animé de désirs.

— Laghan, ça me fait rudement plaisir de vous revoir, me lança-t-elle sans ambages. Vous êtes tout de même un vieux salaud d'avoir attendu trois ans pour donner de vos nouvelles. En principe, quand une fille file son numéro de visio à un gars, il ne tarde pas à en profiter.

Vous, mon vieux, vous avez la palme de l'élégance frustrante !

— Miss Turner, je... Il faut que nous nous voyions au plus vite.

— Je croyais que vous continuiez à m'appeler Sarah, dans vos rêveries solitaires.

— Sarah, j'ai des choses importantes à vous dire. Je sais que vous êtes très occupée, et que...

— Ma secrétaire m'a déjà expliqué, ne vous fatiguez pas. Entre parenthèses, je l'ai même savonnée... Ce que vous avez à me dire a un lien avec le mouvement de grève des Civiques ?

— Oui. Mais, Sarah, écoutez. Je préfère vous prévenir que mes révélations risquent de vous choquer. Il se passe de drôles de choses, ici, des choses dont vous n'avez pas idée. La grève, c'est le sommet d'un iceberg. Seulement, je ne peux pas venir vous en parler sur Petrom.

— Alors j'arrive. Il était justement question au journal d'expédier quelqu'un pour couvrir l'événement. Je me désigne volontaire et me voilà. Dites donc, comment va-t-il votre diable de copain, le Cheyenne mal embouché?

— Il est à côté. Il vous entend et ça le fait marrer.

— Dites, Laghan, vous n'avez pas l'air d'aller très fort, hein ?

— Sarah, c'est sérieux. Il n'y a que vous peut-être pour me tirer de là. C'est une question de vie ou de mort.

— Vous pouvez compter sur moi, vous le savez. Je prends la première navette. Ma secrétaire va en faire une jaunisse. La grande Sarah Turner rappliquant au premier coup de sifflet d'un quidam parfaitement inconnu. Si on continue, on ne tardera plus à faire la une des magazines cochons.

— Merci.

Je raccrochai, soulagé. Tout s'était déroulé bien mieux que je n'avais osé l'espérer. Cheval Bandant se garda de tout commentaire sur le moment. Ce n'est qu'un peu plus tard qu'il lâcha entre deux bouffées de son calumet :

— Après tout, tu as peut-être une chance...

***

— Cheval Bandant, voudriez-vous me redonner un peu de cette tisane épicée ? Je crois que j'en ai rudement besoin...

Sarah Turner tendit son bol vide en secouant son opulente chevelure brune. Elle eut un petit sourire dans ma direction, peut-être pour adoucir le regard scrutateur avec lequel elle était en train de me détailler. Je sentis qu'elle était indécise, ne sachant trop à quelle opinion se rallier. Elle était arrivée deux heures plus tôt sur Intimar, et après avoir congédié son photographe attitré, avait suivi l'Indien qui était venu l'attendre. Je lui avais raconté mon incroyable aventure dans tous les détails, et j'attendais son verdict avec l'angoisse d'un inculpé qui connaît la minceur de ses chances.

— Si je ne vous connaissais pas, Laghan, je vous le dis franchement, je sortirais d'ici sur-le-champ, vraiment furieuse que vous m'ayez fait déplacer pour le seul plaisir de confier vos fantasmes à quelqu'un. Mais... Votre ami et vous, êtes justement tout le contraire des petits plaisantins rêvant de voir leur nom en première page. Pourtant, je ne vous croirais pas quand même, si je n'avais, moi, rencontré dans ma carrière des choses difficilement concevables, sur tel ou tel monde. J'ai beaucoup voyagé, beaucoup vu, c'est ça votre chance. Je ne suis pas abrutie de préjugés. Au début... Je me souviens de mes premières armes dans le métier. A l'époque où comme la plupart des gens, je m'abritais derrière le grand mur de mes certitudes. Au-delà, point de salut... Ouais, et puis j'ai avancé dans la vie. Celle des autres, surtout. Des autres et des ailleurs. A chaque nouvelle découverte, mon beau mur s'effondrait. Oh, je le reconstruisais rapidement, mais jamais aussi haut qu'avant. Je me disais : tu vois, ce truc absolument insensé est arrivé là. Qui sait si ce ne sera pas encore plus extraordinaire la prochaine fois? Et aujourd'hui, je n'ai plus le moindre mur. Je peux tout voir, tout entendre. C'est ça qui vous sauve, Laghan.

— Je suis heureux que vous me croyiez. Peut-être...

— Ne vous emballez pas. Personne d'autre que moi ne vous croira, et surtout pas les lecteurs. Ils croiront à un canular, demanderont des preuves, ou crieront au scandale.

— Mais... des preuves, il y en a ! m'écriai-je, atterré. Cette créature rôde autour de moi pour me détruire. Pour m'unir à elle», comme elle dit !

— Mais d'où vient-elle, qui l'a créée ? Quelle intelligence tire les ficelles? Une épidémie de doubles, Laghan, cela exige une explication irréfutable...

— Alors vous refusez de publier un article là-dessus ?

— Vous savez que je n'ai pas l'habitude des fioritures et des effets de style. Oui, tant que je n'ai pas en main des preuves suffisantes pour convaincre l'opinion. Je peux jouer ma carrière sur un coup comme ça. Soit on me sacre meilleure journaliste de l'année, soit on me descend en flammes. J'admets que je ne suis pas assez courageuse pour m'embarquer sans biscuits. Imaginez un peu la sensation si le Morning Post se met à titrer : « Untel n'est pas celui qu'on croit, mais un autre qui lui ressemble et viendrait de derrière la Limite ? » Non, ce qu'il me faut, ce sont... des témoignages, par exemple ! Quelqu'un qui vous aurait aperçu avec ce... cet être et aurait remarqué la similitude.

— Non, il s'est toujours arrangé pour m'apparaître sans témoin.

— Moi, je l'ai vu, intervint doucement Cheval Bandant qui n'avait pas ouvert la bouche jusqu'ici et fumait dans son coin. Je sais qu'il dit vrai.

— C'est insuffisant, je suis désolée. C'est votre ami. En plus vous savez ce que vaut une parole d'Indien.

Mon compagnon hocha la tête. Sans aucun doute, il le savait.

— Il avait raison, soupirai-je.

— Qui ça ?

— Lui. L'autre. Il m'avait prédit que personne ne me croirait assez pour lui nuire.

— Ecoutez, soyez patient. J'arrive à peine. Vous m'avez convaincue de défricher la voie, c'est déjà bien, non? Vous avez un bol pas possible de me connaître, Laghan, et aussi que j'aie une dette envers vous. Votre interview d'il y a trois ans s'est drôlement bien vendue. J'ai gagné un pactole, grâce à vous.

— Il n'y a pas de quoi.

— Raison de plus pour ne pas faire de faux pas. Il faudrait que je le rencontre.

— Lui ? Le rencontrer ? Mais vous êtes tarée ! Comment ?

— Je suis une journaliste. Je suis neutre. Et puis il aime peut-être la pub ou...

— Neutre, vous croyez ?

— Il n'en sait rien.

— Si, justement, il le sait. C'est comme s'il était là, assis au milieu de nous, à écouter sans rien dire. Il connaît chaque pensée que je formule. Même à distance. J'ai beau essayer de les maquiller, je ne suis pas sûr de...

— Laghan, faites-moi confiance, hein?

— D'accord... D'accord, Sarah.

— Votre ami veille sur vous comme une mère poule. Je suis sûre que vous ne risquez rien tant qu'il est présent. Accordez-moi quelques heures de réflexion, hein? Je suis descendue au New Savoy, chambre 1812. Au cas où vous auriez besoin de moi. Et surtout, restez tranquille dans votre coin. Ne commettez aucune imprudence. N'oubliez pas que vous êtes en danger de mort.

Je fis un vague signe d'acquiescement mais le cœur n'y était pas. Je commençais à douter sérieusement du bien-fondé de mon raisonnement. Je regrettais maintenant d'avoir mêlé Sarah Turner à tout ça. J'avais un peu trop cru au miracle. Une colère sourde montait en moi, née de l'angoisse et de l'impuissance à agir. La journaliste dut comprendre les pensées qui m'agitaient. Elle m'embrassa doucement sur la joue. Cela me fut agréable, bien sûr, mais d'aucun réconfort.

— A plus tard, Laghan.

Cheval Bandant la raccompagna jusqu'à la porte. Quand il revint, il souriait. Comme on sourit à un malade dont on sait que ça n'arrangera pas les affaires.

— C'est une chic squaw. Je suis sûr qu'elle a dit vrai et qu'elle va sérieusement t'aider. Fais-lui confiance. Tu sais qu'elle a tout enregistré?

— Comment ça ?

— Avec un truc miniature.

— Pour le soumettre à un détecteur de mensonges ?

— Qu'est-ce que tu ferais à sa place ?

— La même chose, possible. Nous sommes des pros jusqu'au bout des ongles, chacun dans notre discipline...

— Dors un peu, Visage Pâle. Je vais passer chez toi pour te prendre des vêtements propres. Tu fais peur à voir... Ici tu ne risques rien.

— Allume la télé en passant.

Il obtempéra, puis pointa sur moi un index d'avertissement.

— Et ne t'avise pas de bouger d'ici...

Il partit, et moi, je fixai l'écran sans le voir, enregistrant mécaniquement la voix du présentateur.

 «... car le mouvement de grève semble se durcir devant les réticences de la direction à céder devant ce qu'elle qualifie de chantage infect. Le médiateur désigné par les deux parties, Alan Pierce, nous confiait il y a encore quelques minutes que les points de vue étaient pour l'instant, je cite : désespérément inconciliables.

— Alan Pierce, médiateur... Bougre d'en-foiré, me mis-je à bougonner. Tu es avec eux, salaud, hein ? Tu ne tiens pas tant que ça à ce que les choses s'arrangent. Pour ça que tu tenais tant à me voir grimper dans la hiérarchie. Tu préparais le nid pour l'autre, sacrée ordure.

— ... d'une heure à l'autre l'arrivée d'un détachement militaire qui aura pour consigne de déblayer les rues autant que faire se peut. La situation devient catastrophique et le comptoir tout entier est au bord de l'asphyxie, malgré les efforts de la police et des bénévoles. La population de nombreux secteurs a dû être évacuée à cause des risques de plus en plus grands. Des tonnes de fret sont actuellement coincées sur des passerelles que les conditions actuelles rendent impossibles à réparer. Le spatioport lui-même est menacé. Son personnel se mobilise avec les moyens du bord pour faire face à la prolifération de la végétation parasite. La soudaineté et la violence avec laquelle celle-ci se répand à travers la ville déconcertent tous les experts. Ceux-ci n'hésitent pas à prédire que certaines conséquences seront irréparables. On parle de quartiers à jamais condamnés pour l'habitation. D'autant que la pluie s'est remise à tomber et transforme la moindre dépression en marécage. Le Bloc 17, notamment, risque de devenir irrécupérable si rien n'est fait dans les heures qui viennent... »

J'avais tressailli. Comment croire à un hasard ? Tout simplement le mucilum recouvrait les derniers indices susceptibles de remonter jusqu'au responsable de tout ceci, l'intelligence cachée là-bas, de l'autre côté. La clé. Je devais découvrir la clé.

«... Malgré les pressions très fortes dont ils font l'objet, les Civiques maintiennent leur position et occupent les locaux de la Compagnie, interdisant à quiconque l'accès aux engins de la voierie. Il ne fait aucun doute que l'arrivée des militaires risque de provoquer de violents heurts. Vraiment, voici le pire mouvement revendicatif que nous ayons connu depuis bien longtemps. On nous apprend à l'instant que de nouvelles victimes sont à... »

Je m'étais dressé d'un bond et mis à tourner dans la pièce comme un fauve en cage. Allant, venant, heurtant les murs. Je ne pouvais plus rester cloîtré ainsi. Je devais sortir. Foutre le camp. Cesser d'être le gibier pour devenir le traqueur. Sans quoi j'allais devenir timbré. En finir. Maintenant. Le retrouver. Le tuer. LUI ou MOI. Peut-être ces pensées ne m'appartenaient-elles pas. Peut-être m'étaient-elles insufflées par l'autre, qui patientait, quelque part, guettant un faux pas. J'en fus conscient. Mais la pulsion était trop forte, trop intolérable.

— Est-ce que le moment est venu, dis-moi ? Est-il venu ? demandai-je à voix haute.

Et la réponse se formula dans mon esprit, tout naturellement.

— Il est temps, Laghan, mon sang. J'ai percé l'ombre qui nous séparait encore. Je suis totalement en toi, maintenant. Nous devons nous rencontrer, pour la dernière fois...