QUATRE
Le croiseur d’attaque des Ultramarines Vae Victus glissait rapidement à travers les ténèbres de l’espace, sa coque reflétant la pâle lueur des étoiles. C’était un léviathan ailé aux ornements gothiques. L’antenne placée au sommet de la flèche de cathédrale qui abritait la passerelle de commandement se prolongeait vers l’arrière, jusqu’aux puissants réacteurs à plasma.
De chaque côté de la proue acérée qui hébergeait le canon de bombardement, se trouvaient des ponts de lancement garnis de créneaux, d’où étaient lancés les Thunderhawks et les torpilles d’abordage du navire. Sur toute la longueur du croiseur se trouvaient des batteries de canons en forme de gargouilles ainsi que des tubes lance-torpilles.
Le Vae Victus était ancien. Construit sur les chantiers de Calth quelques trois mille ans auparavant, il arborait les embellissements caractéristiques des constructeurs de ce monde, comme les arches gothiques qui entouraient ses ponts de lancement ou les arcs-boutants où étaient logés ses moteurs.
Durant sa longue carrière, le croiseur d’attaque avait traversé plusieurs fois la galaxie et livré un nombre incalculable de batailles contre des adversaires aussi bien humains qu’extraterrestres. Il avait affronté les tyranides à la bataille de Macragge, détruit le vaisseau amiral du capitaine renégat Ghenas Malkorgh, donné le coup de grâce au space hulk ork Captor of Vice et, plus récemment, détruit les défenses orbitales de Thracia durant la croisade d’Appolyon.
Sa coque affichait fièrement les cicatrices laissées par chacun de ces engagements. Les artificiers Ultramarines avaient réparé chaque blessure avec soin, honorant pour chaque victoire le vaste esprit qui habitait le cœur mécanique du vaisseau.
La passerelle de commandement du Vae Victus était une immense chambre éclairée par des chandelles, dont le plafond culminait à une quinzaine de mètres au-dessus du sol. Des projecteurs holographiques ainsi que d’anciens écrans runiques encombraient les cloîtres de chaque côté de la nef de commandement, et un serviteur cyborg au crâne rasé était raccordé à chacun des systèmes de régulation du vaisseau. Une large baie d’observation qui dominait l’avant de la chambre, affichait une vue de l’espace devant le navire. De plus petits écrans, placés à chaque coin de la baie, indiquaient la trajectoire et la vitesse de l’appareil, ainsi que les objets célestes locaux détectés par les systèmes de surveillance.
La nef était coupée en deux à l’arrière par un transept. De part et d’autre se trouvaient les postes d’artillerie et de surveillance. Des officiers de bord Space Marines portant de simples robes en toile de jute par-dessus leurs armures supervisaient chacun de ces postes.
L’air recyclé était lourd du parfum qui s’échappait des encensoirs qu’agitaient des prêtres encapuchonnés, et un chœur à peine audible envahissait tout le pont depuis la sacristie et le dôme du navigator situé derrière le pupitre du capitaine.
C’est là que se tenait
le commandant du Vae
Victus, les yeux rivés sur l’écran placé à côté de lui.
L’itinéraire du croiseur et l’orbite de Pavonis y étaient
tracés à côté du chrono indiquant la durée estimée du voyage.
Le seigneur amiral Lazlo Tiberius observait la passerelle de commandement de son vaisseau, satisfait de voir que tout était à sa place.
Tiberius était un géant à la peau sombre qui avait passé pratiquement les quatre siècles de son existence à combattre dans l’espace. Les horribles cicatrices qui barraient son visage étaient le résultat d’un engagement avec un bio-vaisseau tyranide qui s’était écrasé contre le pont du Vae Victus au début de la campagne de Circe. Son crâne était rasé et sa peau avait l’aspect du cuir tanné. Le pectoral de son armure bleue était orné de médailles honorifiques en bronze, qui encadraient l’or de la médaille des héros de Macragge.
Le seigneur amiral se
tenait debout les mains serrées derrière le dos et étudiait les
données tactiques avec attention, calculant combien il faudrait de
temps au Vae Victus pour
atteindre l’orbite de Pavonis. Il regarda l’écran et constata à sa
satisfaction que ses propres estimations correspondaient aux
prédictions du moteur logique du vaisseau.
Cela dit, son estimation était la plus raisonnable.
Devant lui, des hommes en robes de bure s’affairaient à leurs écrans de surveillance, qui contrôlaient les nombreux senseurs et augures qui balayaient l’espace. Tiberius savait que même le meilleur des capitaines n’était rien sans son équipage, car toute la finesse tactique de la galaxie était inutile si on lui transmettait des informations erronées ou si ses ordres n’étaient pas observés rapidement et sans hésitation dans les ponts inférieurs.
Et le seigneur amiral savait qu’il disposait d’un des meilleurs équipages de la flotte d’Ultramar. Ses hommes avaient fait leurs preuves au cours d’innombrables batailles, suivant sans hésiter ses directives. Le Vae Victus avait survécu à des offensives qui semblaient pourtant désespérées, mais son équipage n’avait jamais démérité. Cela était dû en partie au fait que Tiberius demandait à chacun de ses hommes d’avoir une conduite exemplaire en toutes circonstances, qu’il s’agisse d’un humble ouvrier de maintenance ou de son état-major. Mais c’était également un reflet du dévouement et de la loyauté des serfs des Ultramarines qui constituaient l’essentiel des effectifs du navire.
Une fois encore, ils naviguaient dans des eaux dangereuses et Lazlo ressentait une exaltation familière à l’idée d’abattre une fois encore l’épée vengeresse de l’Empereur sur Ses ennemis. Il y avait bien longtemps que le Vae Victus n’avait pas combattu les eldars et, bien que leur nature profondément étrangère le révulsât au plus haut point, il était forcé de reconnaître qu’il respectait leur maîtrise des tactiques de harcèlement.
Tiberius savait que les eldars ne s’engageaient dans une bataille spatiale que si les conditions leur étaient favorables, car leurs appareils étaient fragiles et ne bénéficiaient pas de la protection divine des boucliers impériaux. Ils comptaient sur la discrétion et la ruse pour s’approcher de leur cible, puis employaient leur blasphématoire magie xenos pour brouiller les cogitateurs des armes de leurs adversaires. Bien souvent, le seul avertissement de telles attaques était l’impact des tirs qui détruisaient les boosters de manœuvre de leur victime. Après cela, la puissance de feu ne comptait plus vraiment, car les vaisseaux eldars encerclaient alors leur adversaire plus imposant et le réduisaient en pièces méthodiquement.
Le seigneur amiral fit le vœu que son vaisseau ne connaîtrait jamais ce destin.
Dans les ténèbres de l’espace, à six heures de vol en avant du Vae Victus, un vaisseau aux lignes élégantes et mortelles glissait hors des ombres de l’astéroïde qui lui servait de base. Sa proue segmentée se terminait par une pointe semblable à une aiguille tandis que des voiles solaires aussi aiguisées que des cimeterres jaillissaient des moteurs d’une facture exquise situés à l’arrière. Une passerelle de commandement en forme de dôme gracile faisait la jonction entre les moteurs et la proue, et c’est de là que le maître de cette gracieuse machine de guerre gouvernait son vaisseau.
Le commandant du Stormrider regardait avec un appétit non dissimulé l’écho radar que son écran de contrôle affichait. Enfin un adversaire digne de ses talents. Un vaisseau de l’Adeptus Astartes ! Le voïvode Kesharq de la cabale de la lame brisée s’était en effet bien vite lassé de tendre des embuscades à de pesants navires marchands, de déjouer la surveillance des vaisseaux de défense planétaire ou de lancer des raids contre les hameaux primitifs des mon-keigh. Il se souciait fort peu du butin que lui rapportaient ces attaques, et même torturer les pauvres êtres qu’il capturait au-delà des limites de la tolérance humaine ne tirait plus le moindre sourire à cette âme blasée.
Des proies aussi piteuses ne lui avaient même pas permis de mettre ses capacités à l’épreuve.
Un fin trait de sang courut du coin de sa bouche et Kesharq mit sa tête en arrière pour tendre la peau sans vie de son visage, avant d’en rajuster les extrémités sur les sutures de sa nuque. Il avait beaucoup plus d’ambition que cela et il commençait à penser que son pacte avec les kyerzak était une erreur.
Mais voilà qu’une proie de choix se présentait enfin à lui.
À trois ponts en dessous de la passerelle de commandement du Vae Victus, la chapelle de la 4e compagnie résonnait des prières des Space Marines. La salle, dotée d’un haut plafond, était suffisamment grande pour accueillir tous les frères de bataille de la compagnie. Une nef aux dalles de pierre polie conduisait à un autel noir lisse comme un miroir et un pupitre de bois placés au fond de la chapelle.
Des vitraux majestueux aux couleurs magnifiques dominaient les hauteurs de la chapelle. Chacun était placé au sein d’une arche en forme de feuille. Des électro-flambeaux situés derrière les vitraux projetaient une lueur spectrale sur l’assemblée des guerriers, et chacun illustrait une partie de la riche histoire de l’Imperium : l’ère des Luttes, l’âge de l’Apostasie, l’Empereur déifié et l’Empereur victorieux. Les honneurs de bataille gagnés par la compagnie au cours d’une dizaine de croisades étaient suspendus sous les vitraux, chacun se voulant le témoignage d’une tradition de bravoure qui perdurait depuis dix mille ans.
Les guerriers de la compagnie se tenaient en ordre de parade sous la lueur vacillante des flambeaux, les yeux baissés en direction du sol. Ils chantaient une litanie de remerciement à celui qui régnait depuis la Terre, l’Empereur-Dieu à qui ils avaient juré fidélité.
Le silence se fit sur l’assemblée alors que la porte cerclée de fer de l’autre côté de la nef s’ouvrit pour laisser passer deux personnages. Comme un seul homme, les Space Marines se mirent au garde-à-vous.
Le capitaine de la 4e compagnie traversa la nef, sa cape cérémonielle flottant derrière lui. Devant lui marchait un guerrier au port sinistre et aux traits blafards, une cape blanche posée sur ses épaules.
Judd Clausel, chapelain de la 4e compagnie, portait une armure d’un noir de jais ornée de crânes garnis de crocs. Sa cuirasse et ses jambières étaient rehaussées d’or et de bronze qui scintillaient sous la lumière ambiante. Son heaume en forme de crâne grimaçant était accroché à sa ceinture, à côté d’un ouvrage volumineux relié avec de la peau d’ork.
Il tenait dans sa main gauche un encensoir qui décrivait un lent mouvement de va-et-vient, les herbes aromatiques et les huiles parfumées qu’il contenait répandant dans toute la salle l’odeur entêtante des paysages montagneux de Macragge. Son poing droit tenait fermement son crozius arcanum, à la fois arme de guerre et symbole de sa charge. Il s’agissait d’un sceptre d’adamantium délicatement ciselé, surmonté d’un aigle en or, dont les ailes majestueuses étaient aussi affûtées que des rasoirs. L’objet se terminait par un crâne avec deux joyaux écarlates en guise d’yeux.
La puissance de l’homme était palpable. Clausel ne méritait pas seulement le respect, il l’exigeait. Sa carrure était massive, plus imposante encore que celle d’Uriel, et aucun détail n’échappait à son regard inflexible. Un de ses yeux, d’un bleu-gris pénétrant détaillait chaque visage à la recherche du moindre signe de faiblesse, tandis que l’autre observait son environnement à travers la lentille rouge d’un implant bionique rudimentaire.
Son crâne était entièrement rasé à l’exception d’une natte d’un gris argenté qui descendait depuis la couronne de sa tête jusqu’à ses épaules. Son visage épais, barré de nombreuses cicatrices et figé en une parodie de sourire, contemplait les Space Marines assemblés devant lui.
— À genoux ! ordonna-t-il. Le son de dizaines de genoux en armure résonna dans la salle alors qu’ils touchaient le sol à l’unisson. Uriel fit un pas en avant pour recevoir l’encensoir et le crozius. Il se plaça ensuite derrière le chapelain, la tête respectueusement inclinée. Aujourd’hui est un jour de liesse ! rugit Clausel, car aujourd’hui nous est offerte la chance de brandir la lumière de l’Empereur pour chasser les ténèbres et détruire ceux qui voudraient barrer la route à Ses serviteurs. Mes frères, nous ne sommes pas encore une compagnie complète, car nombre des nôtres ont péri sur Thracia, mais nous savons qu’ils ne sont pas morts en vain. Ils ont pris leur place au côté de l’Empereur et conteront leurs actes de bravoure jusqu’à la fin des temps. Clausel tendit son poing puis frappa sa cuirasse à deux reprises. De mortuis nil nisi bonum, entonna le chapelain, tout en reprenant l’encensoir à Uriel.
Il quitta ensuite l’autel pour s’avancer dans
les rangs des Space Marines, enfonçant ses doigts dans les cendres
de l’encensoir pour tracer des runes protectrices et des symboles
rituels de bataille sur l’armure de chacun des hommes tout en
chantant la litanie de pureté. Une fois qu’il eût ainsi
consacré l’armure du dernier soldat, il se retourna vers
l’autel.
— Les rites de bataille ont été accomplis, mon capitaine, déclara-t-il.
— Vos paroles nous honorent, chapelain Clausel. Voulez-vous conduire la prière ?
— Qu’il en soit ainsi, mon capitaine, répondit Clausel.
Il monta les marches menant à l’autel, puis s’agenouilla et embrassa la surface de basalte en prononçant les paroles du catéchisme de l’affirmation.
Ceci fait, il se releva et entama un chant tandis que les autres Ultramarines se dressaient à leur tour.
— Seigneur de l’Humanité, nous, tes humbles serviteurs, Te remercions pour cette nouvelle journée. Alors que nous préparons nos forces pour une bataille honorable, nous nous réjouissons de cette nouvelle occasion d’employer nos talents en Ton nom. Le monde de Pavonis est victime d’extraterrestres dégénérés et de conflits internes. De par ta grâce et ta bénédiction, la sagesse impériale prévaudra bientôt en Ton nom. Pour cela nous Te remercions et ne demandons rien en retour, sinon la chance de servir. Nous prions pour cela en Ton nom. Loué soit Guilliman !
— Loué soit Guilliman ! répondirent les Space Marines.
Clausel baissa les bras et fit un pas de côté, les bras croisés sur sa poitrine tandis qu’Uriel Ventris s’avança devant ses hommes. Il était nerveux à l’idée de s’adresser à sa compagnie pour la première fois et se reprocha mentalement son manque de concentration. Il avait affronté les ennemis du genre humain pendant plus d’un siècle et voilà qu’il craignait de s’adresser à une compagnie de Space Marines.
Uriel laissa son regard errer sur ses frères de bataille, ces hommes d’élite, et eut un hochement de tête en direction du géant qu’était le sergent Pasanius. Son ami d’enfance avait continué à grandir durant son entraînement et était de loin le membre le plus fort et le plus imposant du chapitre. Il faisait passer la plupart des autres Marines pour des freluquets, si bien que les techmarines du chapitre avaient dû très tôt utiliser les éléments d’une armure Terminator irréparable pour lui en forger une sur-mesure.
Pasanius lui rendit imperceptiblement son salut, et Uriel reprit confiance. Le sergent vétéran l’avait constamment soutenu alors qu’il gravissait les échelons et il était fier de le compter parmi ses vrais amis. Derrière Pasanius, le capitaine aperçut la silhouette sculpturale du sergent Learchus et de son ami Cleander.
Toute rivalité puérile était désormais oubliée, et ils s’étaient mutuellement sauvés la vie à plusieurs reprises, mais ils n’étaient jamais devenus amis, et n’avaient jamais partagé les liens fraternels qui caractérisaient le reste du chapitre.
Uriel regrettait d’avoir autant de difficultés à se rapprocher de ses hommes, comme le font les grands officiers. Idaeus était un chef-né qui imaginait ses propres solutions au lieu d’appliquer les préceptes du saint Codex Astartes, le traité de stratégie rédigé par Roboute Guilliman. Il avait mené ses hommes avec une facilité presque instinctive qu’Uriel aurait du mal à égaler. Il se redressa de toute sa taille, résolu à suivre le conseil d’Idaeus et de rester lui-même. La 4e compagnie était sous ses ordres maintenant, à lui de s’assurer que ses hommes s’en rendent bien compte.
— Repos, ordonna-t-il. Vous me connaissez tous. J’ai combattu aux côtés de la plupart d’entre vous pendant plus d’un siècle. Et c’est fort de cette sagesse que je vous demande de profiter de cette nouvelle chance de prouver notre dévotion à notre primarque et à l’Empereur.
Uriel plaça délibérément la main sur le pommeau de l’épée d’Idaeus, soulignant ainsi le fait que c’était à lui que son prédécesseur avait confié cette arme.
— Je sais que je ne suis pas votre commandant depuis bien longtemps, et je sais également que certains d’entre vous préféreraient que je ne sois pas votre capitaine. Il marqua une pause, pesant soigneusement ses prochains mots. Le capitaine Idaeus était un grand homme, et le regarder mourir fut sans doute une des plus dures épreuves de ma vie. Personne ne le regrette autant que moi. Mais il est mort et je le remplace désormais. J’ai porté la lumière de l’Empereur aux quatre coins de la galaxie. J’ai combattu les tyranides dans des vaisseaux-ruches en flammes, j’ai affronté les redoutables guerriers du Chaos sur des mondes peuplés d’horreurs innommables et j’ai vaincu les orks sur des déserts glacés. Je me suis battu aux côtés de certains des plus grands guerriers de l’Imperium, alors sachez ceci : je suis le capitaine de cette compagnie. Je suis Uriel Ventris des Ultramarines et je préfère mourir plutôt que risquer de déshonorer notre chapitre. Je suis fier d’appartenir à cette confrérie et si je devais choisir les guerriers qui combattent avec moi, je ne saurais trouver de meilleurs éléments que ceux de la 4e compagnie. Chaque homme ici, comme chacun de ceux qui ont péri, s’est acquitté de son devoir avec honneur. Soyez-en tous remerciés !
Uriel dégaina l’épée d’Idaeus et la brandit au-dessus de sa tête.
Des éclairs d’énergie d’un bleu profond coururent le long de la lame, qui reflétait la lueur des électro-flambeaux.
Les Marines se levèrent et frappèrent leur cuirasse du poing. Un bruit assourdissant emplit la chapelle.
— Nous sommes les Ultramarines, affirma Uriel. Et nul ne nous vaincra tant que nous aurons foi en l’Empereur.
Le capitaine alla se placer derrière le pupitre en bois pour consulter la tablette de données qui y était intégrée. Il n’avait pas besoin de la lire car il avait mémorisé les détails de la mission durant le trajet, mais avoir tous les détails à portée de main le rassurait.
— Nous nous dirigeons vers Pavonis, où nous sommes chargés de restaurer l’autorité de l’Imperium. Ce monde n’a pas rempli ses devoirs envers l’Empereur. Pour rectifier ce problème, nous sommes chargés d’escorter un adepte de l’Administratum qui montrera aux responsables de cette planète comment remplir leurs obligations. Ces derniers pensent en effet que les lois de l’Imperium ne s’appliquent pas à eux. Ensemble, nous leur apprendrons qu’ils se trompent. Béni soit le primarque !
— Béni soit le primarque ! reprirent en chœur les Space Marines.
Uriel se surprit à penser qu’il aimerait en savoir plus sur cet adepte. Il n’avait même pas encore rencontré l’homme dont Marneus Calgar lui avait confié la protection. Jusqu’à présent, celui-ci avait passé la totalité du voyage dans ses appartements, uniquement entouré de ses scribes, clercs et valets.
Eh bien, il devrait se montrer très bientôt puisque le Vae Victus n’était qu’à un jour de leur destination.
Uriel baissa la voix alors qu’il passait au point suivant de son briefing.
— En raison sans doute de l’incapacité des autorités locales à faire respecter la loi impériale, un groupe se faisant appeler l’Église des Temps Anciens est apparu. Ces hérétiques se sont lancés dans une série d’attentats terroristes dans le but de ramener la société de Pavonis à ce qu’elle était avant l’arrivée du glorieux Imperium. Un murmure incrédule courut dans l’assemblée. Jusqu’à présent, ils ont tué trois cent cinquante-neuf serviteurs de l’Empereur et causé d’incalculables dégâts. Ils posent des bombes dans Ses usines. Ils tuent Ses prêtres et brûlent Ses temples. Ensemble, nous les arrêterons. Béni soit le primarque !
— Béni soit le primarque !
— Mais, mes frères, Pavonis ne souffre pas uniquement du mal causé de l’intérieur par les hérétiques, car le fléau xenos s’est aussi abattu sur ce monde. Depuis des années, les eldars, un peuple si arrogant qu’il pense pouvoir envahir nos territoires et piller les ressources de l’Imperium en toute impunité, grouillent dans ce secteur. Ensemble, nous les chasserons. Béni soit le primarque !
— Béni soit le primarque !
Uriel quitta le pupitre.
— Regagnez vos cellules, mes frères. Honorez votre équipement pour qu’il vous protège lors du conflit à venir. Que l’Empereur soit avec vous !
— Qu’il soit avec vous, mon capitaine, répondit Pasanius, quittant les rangs pour s’incliner devant Uriel.
Les guerriers de la compagnie avaient hésité mais, voyant que Pasanius acceptait Uriel en tant que commandant, ils firent tous un pas en avant et imitèrent le sergent vétéran avant de quitter la chapelle.
Pasanius quitta la salle en dernier et se retourna pour lancer un regard à son capitaine.
Uriel adressa un remerciement silencieux à son plus vieil ami.
Le voïvode Kesharq fit un geste à l’adresse de son second.
— Augmentez lentement le régime des moteurs et préparez-vous à activer la machine de camouflage sur mon ordre, dit-il dans un gargouillis immonde.
— Oui, grand voïvode.
Kesharq passa un mouchoir parfumé dans son cou dégoulinant avant de cracher un morceau de matière ensanglantée mêlée de salive dans un gobelet placé à côté de lui. Même parler lui était difficile maintenant, pensa-t-il avant d’avaler sa salive, maudissant une fois encore le nom honni d’Asdrubael Vect.
Les plaies suintantes de son cou ne se
refermeraient jamais, le tourmenteur personnel de Vect y avait
veillé quand il s’était occupé de lui dans les chambres de torture
situées dans les sous-sols du palais de sa cabale. Kesharq
avait
planifié son coup d’État avec minutie, mais Vect avait eu vent de
ses plans et son putsch avait échoué avant même d’avoir
commencé.
Des mois de torture avaient suivi. Il avait souvent prié pour connaître l’oubli, mais le tourmenteur avait toujours fait en sorte de le garder aux portes de la mort avant de le ramener à son existence de douleur infinie.
Il pensait qu’il mourrait là-bas, mais Vect avait ordonné que sa peau soit recousue sur ses chairs mutilées et qu’il soit libéré. Il se souvenait encore clairement de l’expression de joie cruelle qu’arborait le beau visage d’Asdrubael quand il lui avait rendu visite, dans un rare moment de répit. Il aurait voulu fermer les yeux pour faire disparaître le sourire de son tortionnaire, mais ses paupières avaient été soigneusement arrachées une semaine auparavant.
— Tu crois que tu vas mourir ici ? lui avait demandé le seigneur suprême de la cabale du cœur noir. Sans attendre de réponse, le seigneur eldar noir avait lentement fait non de la tête avant de poursuivre. Eh bien, non ! Je ne t’accorde pas ce luxe, avait annoncé Vect, tout en passant ses doigts parfaitement manucurés sur les côtes de Kesharq, exposées à l’air libre. Tu t’es conduit comme un idiot, Kesharq, à te vanter de tes projets d’assassinat alors que tu aurais dû savoir que mes espions me rapporteraient immédiatement tes paroles.
Vect avait alors émis un soupir, comme s’il était plus déçu que furieux.
— Je peux comprendre que l’on me trompe ou qu’on me trahisse, je peux même le pardonner. Mais la stupidité et l’incompétence m’irritent au plus haut point. Ta vanité et ton orgueil ont causé ta perte, et je trouve normal qu’ils t’accompagnent dans ton échec. Je t’exile de Commorragh et te condamne à errer dans les ténèbres parmi nos proies.
Kesharq n’avait pas cru Vect, pensant qu’il s’agissait d’une ruse pour lui faire croire qu’il allait survivre, afin de mieux anéantir ses espoirs.
Mais son ennemi n’avait pas menti. Moins d’une semaine après, lui et les survivants de sa cabale avaient quitté Commorragh dans l’humiliation de la disgrâce. Kesharq avait juré de se venger d’Asdrubael Vect et des siens, mais celui-ci s’était simplement contenté de rire, et ces sons narquois avaient été comme des fouets ardents pour son âme.
Mais Vect ne rirait bientôt plus, se dit Kesharq en repensant à la récompense qui l’attendait une fois qu’il aurait dupé ces idiots de kyerzak. Mais d’abord, il lui fallait s’occuper de ces nouveaux arrivants qui menaçaient ses plans.
La proie était si proche que Kesharq pouvait presque sentir le sang des Space Marines sur ses lèvres mortes. Il se leva de son siège et s’approcha de l’écran principal avec le pas souple d’un danseur, et ce en dépit de sa peau mutilée et de la hache imposante accrochée dans son dos. Son armure verte était semblable à du jade poli, soulignant le teint blafard du masque de peau qui couvrait son visage. Des cheveux blancs garnis de mèches violettes tombaient sur ses épaules, tenus en place par un fin diadème d’or posé sur son front. Il humecta ses yeux sans paupières avec un petit atomiseur et étudia l’image qu’affichait l’écran.
À ses pieds grouillait une petite meute de créatures grotesques, faites de fragments de chair cousus ensemble pour former de petits êtres recouverts de griffes et de crocs acérés. C’était les animaux de compagnie de Kesharq, les excrents, comme il les appelait, fabriqués par son tourmenteur en chef. Ils rampaient en sifflant aux pieds de leur maître, malveillants et décérébrés, montrant leurs crocs jaunâtres dégoulinant de venin à quiconque s’approchait d’eux.
La proie était presque à portée et Kesharq se sentit gagné par l’excitation. Son rythme cardiaque s’accélérait à l’idée d’infliger mille souffrances aux guerriers du cadavre de Terra. Les coins de sa bouche se contractaient nerveusement et il avait des picotements dans les doigts. Il décida qu’il en garderait un comme animal, et le regarderait hurler de souffrance quand ses tourmenteurs le découperaient lentement en morceaux pour nourrir ses excrents.
— Grand voïvode, le vaisseau proie est à portée de nos armes, indiqua son second.
— Excellent, sourit Kesharq. Mettez les batteries sous tension et alignez la machine de camouflage.
Le vaisseau ennemi était encore trop éloigné pour apparaître sur l’écran, mais Kesharq le sentait tout près. Il regagna son siège et sorti sa hache de son étui. Il aimait attiser la soif de sang de sa lame d’onyx à chaque fois qu’il tuait quelqu’un.
— Amenez-nous à leur tribord avant, avec le soleil dans notre dos, ordonna-t-il.
Il caressa doucement le fil de sa hache.
— Permission de monter sur le pont, seigneur amiral ?
Tiberius quitta l’écran tactique du regard pour voir deux hommes en robes à l’entrée de la passerelle de commandement et il fit de son mieux pour masquer son irritation. Il voulait à tout prix d’éviter d’avoir des civils sur le pont de son vaisseau, mais cet adepte était nanti du plus haut sceau de l’Administratum, si bien que refuser sa requête serait politiquement difficile.
Le seigneur amiral accepta d’un signe de tête et descendit de son pupitre alors que les visiteurs s’approchaient des marches menant à la nef de commandement. L’un d’eux était un homme visiblement très âgé revêtu de robes épaisses, qui s’aidait d’une canne en ivoire pour marcher, tandis que l’autre semblait avoir la quarantaine, avec un visage tout à fait banal. Tiberius se dit qu’il ressemblait à tous les autres adeptes insignifiants de l’Administratum qu’il avait pu rencontrer dans sa vie.
Le vieil homme n’était guère impressionné par ce qui l’entourait, tandis que l’autre avait du mal à cacher son enthousiasme.
— Mille mercis, seigneur amiral. Il est extrêmement généreux de votre part de nous accepter sur le pont, le saint des saints, votre nid d’aigle, si vous préférez. C’est très gentil à vous.
— Que puis-je faire pour vous, adepte Barzano ? demanda Tiberius, déjà excédé des piaillements incessants du civil.
— Oh je vous en prie, seigneur amiral, appelez-moi Ario, répondit gaiement Barzano. Lortuen Perjed, mon scribe personnel, et moi-même, souhaitions simplement voir la passerelle de votre puissant navire de guerre avant d’atteindre notre destination. Nous avons été si occupés ces derniers temps que nous n’avons pas vraiment eu l’occasion d’admirer ce qui nous entoure.
Barzano marcha le long de la nef en direction de la baie d’observation, qui affichait le disque minuscule de Pavonis et la sphère incandescente de son soleil.
Barzano inspecta un certain nombre de postes occupés par des serviteurs tout en passant. Il fit signe à Tiberius et à Lortuen Perjed de le rejoindre.
Le vénérable scribe eut un haussement d’épaules et partit à la suite de son maître, qui était penché sur un écran et agitait la main devant l’expression impassible du serviteur qui y était affecté. La créature lobotomisée ignora l’adepte, son cerveau cybernétiquement modifié étant incapable de remarquer sa présence.
— Fascinant. Absolument fascinant, observa l’adepte au moment où Tiberius le rejoignait. Que fait celui-ci ?
— Ce poste contrôle les variations de température du cœur de plasma du moteur, expliqua le seigneur amiral, maîtrisant à grand-peine son agacement.
— Et celui-là ?
— Il régule le système de recyclage de l’air sur les ponts d’artillerie.
Mais Barzano s’était déjà dirigé vers un autre poste placé sous les arches du transept, où des officiers Space Marines travaillaient aux côtés des serviteurs automatisés.
Plusieurs visages se tournèrent vers lui quand il arriva, mais Barzano secoua la tête.
— Faites comme si je n’étais pas là, annonça-t-il. Il se tenait penché au-dessus d’une table de navigation bordée de pierre au centre de la chambre et posa ses coudes sur le côté de la table, comme pour mieux étudier les dizaines d’informations tactiques affichées par l’énorme tablette de données qui s’y trouvait.
— Tout cela est fascinant, seigneur amiral. Vraiment fascinant.
— J’apprécie l’intérêt que vous portez à mon navire, adepte Barzano, mais…
— Ario, s’il vous plaît.
— Adepte Barzano, insista Tiberius. Ceci est un vaisseau de guerre, ce n’est pas…
— Seigneur amiral, interrompit Philotas, l’officier de quart.
Tiberius se dirigea vers l’ensemble complexe d’écrans où opérait Philotas.
— Vous avez quelque chose ?
— Un nouveau contact, seigneur amiral, à soixante mille kilomètres droit devant nous, répondit l’officier de quart en ajustant les runes sur son clavier et en vérifiant les données de son écran. Je viens de repérer une émission de plasma sur les scanners à moyenne portée.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Tiberius rapidement. Un vaisseau ?
— Je pense que oui, seigneur amiral. Position zéro-trois-neuf.
— Identifiez-le. Classe et type. Et découvrez comment il a pu arriver si près de nous sans être détecté !
Philotas acquiesça et se pencha à nouveau sur son pupitre de commande. Ario Barzano examina les informations tactiques de la table centrale et pointa du doigt le point lumineux qui représentait le contact non identifié. Des rangées de nombres défilèrent sur le côté de la tablette de données, constituant toutes les informations concernant le vaisseau inconnu.
— C’est le contact ? demanda-t-il.
— Oui, adepte Barzano, c’est cela, répondit Tiberius d’un ton brusque. Mais je n’ai pas le temps de vous donner un cours sur les subtilités de la navigation spatiale pour l’instant.
— Seigneur amiral ? appela Philotas.
— Oui ?
— J’ai identifié l’émission d’énergie caractéristique du moteur de l’appareil. Il s’agit du Gallant, un vaisseau de défense appartenant au système de Pavonis.
— La cible sera bientôt à portée de nos batteries, grand voïvode.
Kesharq se passa la langue sur les lèvres, goûtant le sang coagulé qui souillait sa bouche tout en contrôlant à grand-peine son excitation. Oui, ces idiots s’étaient laissés berner et prenaient le Stormrider pour l’un des leurs.
— Redirigez l’énergie vers les batteries d’artillerie et préparez-vous à faire feu. Je veux les mettre hors de combat d’une seule salve.
— Oui, grand voïvode.
Tiberius regagna son poste de commande.
— Communications, contactez le Gallant et saluez son capitaine de ma part.
— À vos ordres, seigneur amiral.
Le capitaine du Vae Victus fixait attentivement la baie d’observation dans l’espoir de distinguer la silhouette du vaisseau de défense, mais la couronne incandescente de l’étoile au centre du système l’empêchait de voir quoi que ce soit. Il se tourna vers les instruments de surveillance et sentit la colère monter en lui en voyant que Barzano se tenait devant un des terminaux d’une des banques de données du vaisseau.
— Adepte Barzano ? demanda Tiberius.
L’envoyé de l’Adeptus Administratum lui fit un vague signe de la main, trop absorbé par l’écran devant lui pour répondre correctement, aussi le seigneur amiral décida qu’il en avait assez supporté. Officiel de haut rang ou pas, personne n’avait le droit de faire montre d’un tel manque de respect au commandant d’un vaisseau. Tiberius quitta son pupitre de commande au moment même où Barzano venait précipitamment à sa rencontre.
— Seigneur amiral, activez les boucliers et les systèmes d’armes ! ordonna le civil, la voix soudain pleine d’autorité.
Tiberius croisa les bras et regarda droit dans les yeux de l’adepte, visiblement tendu.
— Et pourquoi le ferai-je, adepte Barzano ?
— Parce que selon les archives de la flotte de l’Ultima segmentum, le gouverneur de Pavonis a déclaré le Gallant perdu corps et biens il y a cinq ans de cela, seigneur amiral.
Le sang de Tiberius reflua complètement de son visage lorsqu’il comprit ce qu’impliquaient les paroles de Barzano, ainsi que le risque mortel que couraient son navire et son équipage.
— À tribord, toute ! cria-t-il. Activez les boucliers de force et augmentez l’énergie des accélérateurs linéaires avant !
— Feu ! ordonna le voïvode Kesharq lorsqu’il vit la proue imposante du vaisseau des Space Marines qui commençait lentement à virer pour leur faire face. Le navire eldar noir trembla sur toute sa longueur alors que les batteries avant libéraient un torrent d’énergie sur sa proie. En l’espace d’un battement de cœur, la salve avait atteint sa cible. L’écran d’observation fut momentanément saturé par l’explosion qui en résulta.
Le Vae Victus s’embrasa comme une supernova alors que les premiers tirs surchargeaient ses boucliers. La salve s’abattit sur la proue renforcée de l’astronef. Bientôt, des flammes s’échappèrent du vaisseau comme le sang d’un animal blessé.
Une telle puissance de destruction à une si courte portée était une vision magnifique et Kesharq rugit de triomphe.
Même à une distance aussi grande, il se remarqua sans peine que les dommages causés par l’armement de son vaisseau au croiseur ennemi étaient effroyables. Des plaques d’adamantium de plusieurs mètres d’épaisseur avaient été arrachées de la superstructure de l’appareil comme s’il s’était agi de tissu et des poutrelles d’acier jaillissaient des sections de proue que les canons avaient frappées.
L’oxygène qui s’échappait en jets de la coque
fracturée se cristallisait dans le froid de l’espace, alors même
que les portes étanches se fermaient lentement pour maintenir
l’intégrité de l’atmosphère à l’intérieur de l’appareil
endommagé. Kesharq savait que des centaines d’humains avaient dû
périr lors de l’impact initial et il ne put réprimer un rire
mauvais à l’idée que d’autres avaient dû rapidement les suivre dans
la mort alors que certains compartiments étaient isolés pour
préserver le reste du navire.
— Virez de bord et amenez-nous sur leur gaillard d’arrière. Nous allons détruire leurs moteurs.
La passerelle du Vae Victus glissa brusquement sur le côté, projetant la totalité du personnel de navigation alors que le vaisseau donnait dangereusement de la gîte sous le coup de la terrifiante décharge qui venait de le frapper. Des explosions secondaires, dont les détonations ressemblaient depuis le pont à des martèlements sourds, se firent bientôt ressentir.
Les sirènes d’alarme résonnèrent, les veilleuses rouges de l’état d’alerte remplacèrent l’éclairage habituel de la passerelle tandis que l’équipage gagnait les postes de combat. Les équipes d’urgence étaient déjà à l’œuvre, jugulant les incendies qui s’étaient déclarés et prenant soin des blessés au milieu des jets de vapeur, de la fumée et des flammes qui jaillissaient des tuyaux sectionnés et des moniteurs fracassés. Les corps sans vie de dizaines de serviteurs gisaient au sol.
Tiberius se releva. Une plaie profonde barrait sa joue, mais son métabolisme surhumain était déjà affairé à cicatriser la blessure, aussi décida-t-il de l’ignorer.
— Je veux un rapport sur les avaries ! Maintenant !
Il courut jusqu’au poste d’artillerie et arracha le serviteur de visée qui s’y trouvait. Il était mort, sa chair brûlée et ses systèmes artificiels complètement détruits. Les cogitateurs luttaient pour évaluer l’étendue des dégâts, mais Tiberius savait d’ores et déjà qu’ils avaient été durement atteints. Pas encore mortellement, mais les dommages étaient sérieux.
— Les boucliers de force sont en surcharge et nous avons des brèches dans la coque sur les ponts sept à neuf, rapporta l’officier de pont. Le canon de bombardement de proue est temporairement hors d’usage et le pont d’envol principal a été touché. Nous avons eu de la chance. Les derniers tirs nous ont à peine effleuré, seigneur amiral. Votre manœuvre nous a sauvés.
Tiberius se contenta de répondre par un grognement, se sentant indigne d’un tel compliment, et regagna son pupitre de commande. Barzano l’avait averti au moment décisif et c’est à lui seul que le vaisseau devait sa survie. Ils avaient à peine eu le temps d’activer les boucliers avant que la salve ne frappe le Vae Victus.
Il posa un regard furieux sur la baie d’observation et se maudit de s’être laissé ainsi berner alors qu’une forme noire dont les voiles ondoyaient dans les vents solaires traversait l’écran, quittant la protection de l’astre voisin pour se glisser sur le flanc tribord du vaisseau Space Marine.
Des eldars ! De quel noir enfer était donc sorti si soudainement ce vaisseau ? Par Guilliman, comment avaient-ils pu tromper leurs augures et leurs systèmes de détection ?
— Contrôle radar ! Je veux un balayage amplifié de toute la zone. Signalez-moi tout ce que vous trouverez ! Batteries tribord, feu à volonté !
Philotas acquiesça et relaya rapidement les ordres de son capitaine.
— Et que quelqu’un fasse taire cette maudite sirène !
La passerelle retrouva soudain le calme lorsque l’alarme de la sacristie fut arrêtée. Seuls le sifflement des machines endommagées, le bruit des étincelles et les gémissements des serviteurs brisaient le silence. Il sentit les vibrations du vaisseau alors que les batteries tribord ouvraient le feu, mais sans un contrôle d’artillerie efficace, il doutait que celles-ci touchent quoi que ce soit.
Tandis que Tiberius essuyait le sang coagulé qui souillait son front, Ario Barzano tituba jusqu’à son pupitre, soutenant la forme inanimée de son scribe. Perjed saignait d’une blessure superficielle à la tête et, une fois qu’il eût déposé le vieil homme sur une des marches du cloître, il retourna au poste de surveillance.
— Merci pour votre intervention opportune, adepte Barzano, lui dit Tiberius, avant d’afficher sur son écran tactique les coordonnées de l’ennemi. Malheureusement, l’écran n’affichait que des données aberrantes et les détecteurs à courte portée relevaient des dizaines de signaux contradictoires. Maudite soit la sorcellerie de ces eldars, pensa le capitaine du Vae Victus, car le vaisseau adverse pouvait se cacher derrière n’importe lequel de ces signaux.
Il lui fallait sauver son navire, mais que pouvait-il faire avec des informations si peu fiables ? Il en vint rapidement à la conclusion que prendre une mauvaise décision valait mieux que de ne pas prendre de décision du tout.
— Barre à tribord toute et feu de toutes les batteries. Éloignez-nous de ce salopard ! Nous avons besoin d’espace pour manœuvrer.
— Non, seigneur amiral ! cria Barzano depuis la table de navigation. Je crois que nous combattons un vaisseau de la branche ténébreuse des eldars. J’ai entendu parler de tels astronefs et nous ne devons surtout pas nous en éloigner.
Tiberius hésita, peu habitué à voir ses ordres remis en question sur la passerelle de son propre navire, mais l’adepte avait jusqu’à présent vu juste et il semblait au fait des capacités du vaisseau ennemi.
— Fort bien, adepte Barzano, mais nous n’avons guère de temps. Que voulez-vous que je fasse ?
— Nous devons nous rapprocher de l’ennemi, le noyer sous les tirs et espérer pénétrer ses holochamps.
— Exécution ! ordonna Tiberius à son timonier. Activez les propulseurs de manœuvre bâbord et portez-nous au cap zéro-neuf-zéro !
Kesharq regardait attentivement l’écran, où il pouvait voir sa proie blessée virer sur son axe. La proue endommagée tournait rapidement et, remarqua-t-il soudain, se rapprochait d’eux. Il jura lorsqu’il comprit que quelqu’un chez l’ennemi devait connaître les capacités de son appareil.
Il pointa l’écran du doigt et cria à ses hommes :
— Maintenez-nous derrière lui, bande d’imbéciles !
La passerelle trembla alors que des explosions saturaient la zone autour du vaisseau. Les artilleurs ennemis ne pouvaient pas localiser leur position exacte, mais sous un tel déluge de tirs, ils ne tarderaient pas à placer un coup au but, et le Stormrider n’était pas fait pour survivre à un tel feu de barrage.
Le Vae Victus luttait pour contrer leur manœuvre, mais il ne pourrait y avoir qu’un seul gagnant dans cette affaire.
— Tubes lance-torpilles de proue parés à faire feu, voïvode !
— Envoyez toute la bordée, hurla Kesharq. Feu !
— Torpilles en approche, seigneur amiral ! avertit Philotas.
— Par l’Empereur, qu’ils brûlent en enfer ! À bâbord toute ! Faites tirer les tourelles de défense !
— Batteries de flanc, verrouillez le point d’origine des torpilles et tirez ! cria Barzano.
— Contrôle de tir, faites ce qu’il dit ! confirma Tiberius.
La passerelle balança violemment et le seigneur amiral s’agrippa à son pupitre alors que le Vae Victus virait de bord.
Six torpilles fonçaient à travers l’immensité de l’espace en direction du Vae Victus, leurs systèmes de brouillage xenos créant un champ de distorsion qui rendait toute interception extrêmement ardue. À si courte portée, et en volant au travers d’un feu nourri, il était inévitable que certaines torpilles n’atteignent pas leur but et deux d’entre elles explosèrent sous les tirs des batteries de flanc. Une autre fut désorientée par les émissions radioactives de la proue endommagée et frôla le Vae Victus. Les trois dernières se rapprochaient inexorablement du croiseur d’attaque et arrivaient à portée de ses canons défensifs.
— Trois torpilles détruites ! annonça Philotas, une tension évidente dans sa voix.
— Il en reste trois, commenta Tiberius. Éliminez-les !
— Les tourelles défensives verrouillent leurs cibles !
L’immense baie d’observation montrait les ténèbres de l’espace, où l’on pouvait distinguer ça et là les explosions qui fleurissaient tout autour du sillage des trois torpilles. Tout le monde sur la passerelle de commandement pouvait voir les projectiles foncer sur eux et chaque homme sentait que leurs ogives les visaient directement.
Les hommes d’équipage retinrent leur respiration, ou murmurèrent des prières à l’Empereur lorsque la dernière ligne de défense du Vae Victus entra en action.
Chaque tourelle était contrôlée par un serviteur équipé de ses propres augures, ce qui leur permettait de verrouiller indépendamment les cibles en approche. Les torpilles eldars étaient dotées de manœuvres d’esquive préprogrammées, mais c’était dans la phase finale d’approche qu’elles étaient le plus vulnérables. En effet, lorsqu’elles ralentissaient pour confirmer le verrouillage de leur cible, elles ne pouvaient plus échapper aux tirs de défense avec la même efficacité et c’est ainsi que l’une d’elle fut détruite par une rafale de projectiles à haute vélocité.
Un obus tiré par une
des tourelles de défense effleura une autre torpille, ce qui ne fut
pas assez pour la détruire mais permit de perturber son gyroscope
interne. L’engin pensait maintenant que le Vae Victus était directement au-
dessus de sa position réelle et explosa trois cents kilomètres trop
haut.
La dernière torpille acheva son ultime manœuvre et se trouvait prête à détruire sa proie. Tous les canons tirèrent sur le projectile et ils la détruisirent à moins de deux cents mètres.
Des centaines d’obus atteignirent la torpille, qui explosa en une gigantesque boule de feu et de shrapnels. Cependant, les débris volaient tout de même à une vitesse incroyable et un fragment incandescent de l’engin détruisit une des tourelles de défense, une antenne de détection et fracassa plusieurs des statues qui ornaient la coque.
L’attaque des torpilles était terminée.
Tiberius s’appuya contre le pupitre lorsqu’il vit exploser la dernière torpille et il se dit que c’était la plus belle chose qu’il ait jamais vue. Des cris de soulagement se firent entendre un peu partout sur la passerelle de commandement, de même que des ferventes prières de remerciement.
— Bien joué, seigneur amiral. Nous avons réussi, soupira un Barzano en sueur et accusant clairement le contrecoup de la tension.
— Pour cette fois, Ario, avertit Tiberius. Nous avons eu de la chance, mais ne crions pas victoire trop tôt.
— Où en est notre riposte ? demanda-t-il à son officier en second.
— Nous sommes parés à tirer, répondit Philotas.
— Bien, rétorqua Tiberius en se fendant d’un sourire vicieux. Montrons à ces pourceaux ce qu’on a dans le ventre.
Kesharq n’en croyait pas ses yeux. Les torpilles avaient été contrées ! C’était tout bonnement impensable. Il en était encore à méditer sur cette nouvelle injustice lorsque le pont fut agité d’un violent soubresaut qui le plaqua au sol. Les vibrations massives d’explosions toutes proches secouaient durement le vaisseau. L’éclairage vacilla et de la fumée s’échappa des systèmes endommagés.
— Voïvode, nous sommes touchés ! s’exclama son second.
— Quel remarquable sens de l’observation, siffla Kesharq. N’oubliez pas de me prévenir si jamais je suis tué. Faites-moi plutôt un rapport des dégâts.
Le seigneur eldar noir se releva. Un morceau de peau pendait de son cou, exposant la chair humide qui palpitait en dessous. Il remit la peau de son cou en place d’un geste brusque tandis que ses subordonnées s’empressaient d’obéir à ses ordres.
Les rapports lui vinrent les uns après les autres, chacun plus alarmant que le précédent.
— Les holochamps sont désactivés !
— La voile principale est endommagée et
plusieurs haubans ont été
tranchés.
— La coque n’est plus étanche sur le pont des tourments. Les prisonniers destinés aux salles de torture sont tous morts.
Kesharq avait compris que la bataille était finie. Privé de la protection des holochamps, le Stormrider était une cible facile pour les artilleurs ennemis. Cette proie s’était décidément montrée digne de lui et il se jura de ne plus jamais commettre l’erreur de sous-estimer cet adversaire.
— Rompez l’engagement ! ordonna-t-il. Nous retournons à la base pour réparer. Cette prise attendra un autre jour.
— Le vaisseau eldar se replie ! s’exclama Philotas.
Tiberius s’autorisa un soupir de soulagement.
— Très bien, dit-il. Mettez le cap sur Pavonis et lorsque nous pourrons établir une liaison sécurisée, informez l’état-major de la flotte sur la capacité des eldars à se faire passer pour des impériaux.
— À vos ordres, seigneur amiral.
Tiberius passa sa main calleuse sur son crâne rasé. Ils avaient été pris complètement par surprise par les eldars et la leçon avait été douloureuse. Il se tourna vers son écran de contrôle pour noter qu’il s’astreignait à trente nuits de jeûne et d’études tactiques pour expier son incapacité à anticiper l’attaque, puis il se dirigea vers la nef de commandement.
Ario Barzano était assis à la base du pupitre, occupé à essuyer le sang du front de Perjed. Il sourit lorsque Tiberius s’agenouilla à côté de lui.
— Bien joué, seigneur amiral. La rapidité de votre manœuvre nous a tous sauvés.
— N’y allons pas par quatre chemins, adepte Barzano…
— Ario.
— Très bien… Ario. Sans votre avertissement, nous serions tous morts à l’heure qu’il est.
— Peut-être, admit Barzano, mais je suis sûr que vous auriez deviné leurs intentions suffisamment tôt.
Tiberius avait du mal à masquer son scepticisme.
— Comment un homme de l’Administratum en sait autant sur les vaisseaux xenos ?
Barzano eut un sourire malicieux
— J’ai beaucoup voyagé, Lazlo. J’ai rencontré beaucoup de personnes très intéressantes et je sais écouter. J’essaie d’apprendre le plus possible de tout ce que je vois et de tous ceux que je rencontre. Il haussa les épaules avant de poursuivre. Avec un poste tel que celui que j’occupe, on a accès à toutes sortes d’informations hétéroclites et j’essaie d’en retenir le plus possible. Mais venez, seigneur amiral, car la véritable de question n’est pas de savoir comment je sais toutes ces choses, mais plutôt comment nos ennemis ont su où nous trouver. Car j’imagine que vous n’avez pas employé les voies de navigation normales.
— Bien sûr que non.
— Dans ce cas, comment savaient-ils que nous serions ici ? Mon message était adressé exclusivement au gouverneur de Pavonis.
— La soupçonnez-vous d’être de mèche avec les eldars ?
— Mon cher, je suis un bureaucrate. Je soupçonne tout le monde, affirma Barzano dans un éclat de rire avant de reprendre son sérieux. Mais vous avez raison, la loyauté du gouverneur planétaire de Pavonis est un de mes nombreux soucis.
Avant que Tiberius ne puisse poser d’autre question, Lortuen Perjed grogna et porta la main à son front. Barzano aida son scribe à se relever avant de s’incliner devant Tiberius.
— Seigneur amiral, si vous le voulez bien, j’aimerais que mon médecin personnel examine Lortuen. Cela dit, la visite de votre passerelle de commandement fut riche d’enseignements. Il faudra remettre ça, qu’en dites-vous ?
Tiberius eut un
hochement de tête, sans savoir exactement ce que voulait vraiment
dire cet adepte pour le moins habile. Et plus il considérait la
question, plus il se disait que Barzano avait anticipé l’attaque
eldar. Pourquoi sinon, ce serait-il montré sur le pont à ce moment
précis ? Et lorsque les
événements s’étaient précipités, Barzano avait montré que la
passerelle de commandement d’un vaisseau spatial ne lui était pas
si inconnue.
Tiberius se demanda quelles autres désagréables surprises lui réservait ce voyage.