TREIZE
Taryn Honan pénétra dans le vestibule de la demeure de Kasimir de Valtos. Il jeta un coup d’œil par la porte entrouverte de la salle à manger. Des verres en cristal brisés et de la vaisselle en morceaux parsemaient le sol d’un côté de la table. Quelle honte de voir un si bel ouvrage détruit, pensa-t-il.
Il oublia complètement ces considérations lorsqu’il aperçut la pelisse d’une dame pendue à un portemanteau, à côté de la porte d’entrée. Il passa avidement la langue sur ses lèvres couvertes de rouge et s’empressa de renifler le tissu, respirant avec délice la douce senteur qui s’en dégageait. Oui, il reconnaissait là le parfum de la délicieuse Solana. Était-elle présente ce soir, elle aussi ? se demanda-t-il. Il n’avait pourtant pas vu son attelage quand il était arrivé.
Quelqu’un s’éclaircit la gorge, en haut, dans les escaliers, et il se retourna en laissant tomber la pelisse, rouge de honte.
Kasimir de Valtos et Vendare Taloun se tenaient sur le pallier et le regardait. Honan s’avança au milieu du vestibule et s’éclaircit la gorge pendant que les deux autres chefs de cartel descendaient le rejoindre. Il remarqua que Kasimir était en forme et de bonne humeur, tandis que Vendare semblait extrêmement pâle et tremblait, comme s’il venait d’apprendre une terrible nouvelle.
— Qu’est-ce que vous fichez là ? demanda Kasimir sur un ton hostile qui choqua Taryn. Je vous ai dit de ne pas venir, vous vous rappelez ?
— O… o… oui, balbutia Taryn. Mais je devais vous voir. Le gouverneur m’a convoqué ce matin au palais. Si vous saviez les questions qu’on m’a posées ! Je veux dire, c’était tout à fait déplacé. Ils ont demandé toutes sortes de choses. Ils…
— Taryn, calmez-vous, ordonna Kasimir en plaçant le bras autour des amples épaules de Honan. Venez, prenons place au salon et discutons devant le feu entre gens civilisés, d’accord ?
Taryn acquiesça avec soulagement et se laissa guider à travers la porte opposée à celle de la salle à manger.
Comme promis, un grand feu brûlait dans l’âtre et Taryn s’installa dans un fauteuil en cuir noir à haut dossier, tandis que de Valtos servait trois généreux verres d’uskavar provenant d’une bouteille placée sur un onéreux plateau roulant. Taloun s’empressa de rejoindre Kasimir et vida son verre cul sec. Les deux hommes eurent un rapide échange à voix basse puis Kasimir vint s’asseoir en face de Taryn et lui tendit un verre d’alcool ambré. Vendare resta debout à côté du plateau et se servit un deuxième verre.
— Bien. Que disiez-vous, Taryn ?
Celui-ci but une gorgée d’alcool pour se calmer avant de continuer son récit.
— Oui, c’est un véritable scandale ! Le président d’un cartel important tel que moi, traité comme un criminel de droit commun par un membre de l’Adeptus Administratum. Ce nouvel adepte, Barzano, m’a assailli de questions à propos de ma maison en ville, vous savez, celle que je vous ai prêtée ?
Kasimir hocha la tête. Il se mordit la lèvre et Taryn remarqua qu’il semblait souffrir de la chaleur, car de grosses gouttes de sueur étaient apparues sur son front.
— Vous allez bien, Kasimir ? s’enquit Taryn.
— Loin de là ! intervint Taloun en se servant un autre verre.
Kasimir lui adressa un regard vicieux et hocha la tête.
— Continuez, Taryn, je vous en prie. Ne vous souciez pas de Barzano, bientôt il ne nous causera plus aucun problème. Mais que vous a-t-il demandé ?
— Eh bien, il m’a affirmé que l’Église des Temps Anciens avait utilisé ma maison pour lancer une de leurs méprisables attaques. De chez moi, vous vous rendez compte ? Incroyable, non ?
— Pas vraiment, Taryn, railla Kasimir, une note d’hystérie clairement audible dans son rire. Voyez-vous, c’est vrai. Entièrement vrai. Seulement, vous êtes trop stupide pour vous en rendre compte.
Taryn ouvrit la bouche pour protester, mais de Valtos le coupa net.
— Vous n’avez aucune idée de ce qui se passe sur cette planète, n’est-ce pas ? Les événements se déroulent selon ma volonté. La mienne ! J’ai trop investi, trop perdu, pour laisser un gros tas inutile tel que vous gâcher mes plans, Taryn.
L’attaque était si brutale que Taryn Honan en eut les larmes aux yeux.
— Voyons Kasimir, il est inutile de dire de telles choses. Après tout, nous sommes amis, pas vrai ?
— Amis ? railla de Valtos. Non, Taryn, nous ne sommes pas amis. Vous n’êtes qu’un pathétique tas de fumier dont je me suis accommodé pour atteindre l’immortalité. Et le temps est venu de me débarrasser de vous.
Taryn entendit une porte s’ouvrir derrière lui. Kasimir de Valtos leva les yeux et sourit au nouvel arrivant, mais son expression était entièrement dénuée de chaleur. Taryn chercha désespérément du regard le soutien de Taloun, car son vieil ami Vendare ne laisserait certainement pas Kasimir lui parler ainsi.
Mais Vendare Taloun restait bouche bée, figé
d’horreur devant la personne qui venait d’entrer. Taryn entendit
des pas dans son dos et une pâle main
veinée se posa délicatement sur son épaule.
Ses ongles étaient taillés en pointe et vernis en noir. Une forte odeur de désinfectant en émanait.
Taryn Honan était maintenant tout à fait terrifié.
— Kasimir, que se passe-t-il ? implora-t-il.
Sa masse grotesque se tortilla sur son fauteuil et il se retourna. Un homme grand et mince vêtu d’une blouse rouge et d’un masque chirurgical se tenait là. Seuls ses yeux, d’un violet profond étaient visibles. L’autre main du nouveau venu se saisit de la peau du cou gras et flasque de Taryn Honan et la tendit. Malgré sa peur, un frisson de plaisir le parcourut au contact de cette main.
Kasimir de Valtos était assis dans son fauteuil et sirotait son verre, impassible.
Honan voulut parler mais il n’en eut pas le temps ; le nouveau venu lui enfonça une longue aiguille dans la gorge. L’insoutenable douleur le fit tressaillir puis disparut aussitôt, remplacée par une bizarre euphorie. Ses paupières lui parurent affreusement lourdes. Kasimir parlait, mais Honan avait du mal à saisir ce qu’il disait.
— Taryn, voici mon chirurgien. Je pense que vous devriez faire plus ample connaissance, qu’en dites-vous ?
Taryn Honan eut un sourire stupide et opina machinalement de la tête, vaincu par le soporifique. Le verre d’uskavar lui glissa des mains et roula au sol.
Barzano quitta la salle d’interrogatoire où Ortega et Sharben questionnaient la fille secourue par Learchus. Mykola Shonai, Almerz Chanda et Leland Corteo observaient derrière un miroir sans tain. Si le visage impassible du gouverneur indiquait une détermination sans faille, Chanda et Corteo étaient clairement mal à l’aise face aux violences dont ils étaient témoins.
— Vous croyez qu’elle sait quelque chose ? demanda le gouverneur.
— Je ne pense pas. Ou rien d’utile en tout cas. Elle nous donnera sans doute des noms de personnes à arrêter pour interrogatoire, mais c’est un trop petit rouage dans la machine. Elle ne sait rien de valable.
— Alors pourquoi ces… désagréments ? s’enquit Chanda en indiquant la malheureuse torturée de l’autre côté de la vitre.
— Parce qu’on ne sait jamais où l’on va trouver la clef de l’énigme, mon cher Almerz.
Chanda fronça les sourcils et détourna le regard.
— Elle était sur la statue. Elle fait partie des meneurs. Elle sait forcément quelque chose.
— Peut-être, admit Barzano. C’est une militante fanatique. Elle ne cédera pas facilement.
— Faites ce que vous avez à faire pour qu’elle craque, ordonna Shonai. Peu importe comment, je veux savoir qui est derrière tout cela et le faire payer.
— Oh, nous allons découvrir qui donne les ordres, je vous le garantis. Un de vos rivaux a été très subtil, très intelligent. Il s’est servi d’hommes de paille et de cellules d’activistes pour brouiller les pistes et faire en sorte qu’on ne puisse pas dévoiler tout le complot avec une seule arrestation. Je sais comment ce genre de choses fonctionne. Aucun document écrit, aucune trace, mais les personnes concernées savent ce qu’elles ont à faire. J’imagine qu’une fois l’impulsion donnée, la manifestation s’est développée de façon autonome sans nécessiter d’orchestration minutieuse.
— À partir de là, il suffisait d’une étincelle pour mettre le feu aux poudres, dit Shonai.
— Exactement. Et c’est ce maudit capitaine Vedden qui a fourni l’étincelle.
— Il est réveillé ? Nous pouvons lui parler ?
— Pas encore, non, mais votre médecin estime qu’il reprendra connaissance plus tard dans la journée, bien que l’idée que nous interrogions son patient ne lui plaise guère.
— Je me fiche de ses problèmes d’éthique. Je veux briser ce salaud. Je veux savoir tout ce qu’il sait. Nous sommes près du but, Ario, je le sens.
— Bien. En attendant, j’aurais bien besoin d’un verre. Qui m’accompagne ?
Shonai lança un regard courroucé à l’adepte, puis son expression sévère s’adoucit un peu et elle acquiesça.
— Bien sûr, pourquoi pas ?
— Eh bien, j’ai toujours pensé que laisser un homme boire seul portait malheur, dit Corteo en riant. Alors oui, je viens avec vous.
— Almerz ? demanda le gouverneur.
— Merci pour l’invitation gouverneur, mais je préfère rester ici, au cas où les juges apprendraient quelque chose de capital.
Avant d’emboîter le pas à Barzano et Corteo, le gouverneur Shonai posa la main sur l’épaule de Chanda et lui adressa un sourire las.
— Vous êtes un ami fidèle, Almerz. Merci pour tout.
Almerz Chanda s’inclina devant elle puis se retourna pour contrôler la suite de l’interrogatoire.
— Ainsi, vous avez une certaine expérience de ce genre d’affaires, adepte Barzano ? demanda Leland Corteo tout en bourrant sa pipe. Barzano, qui était assis les jambes croisées sur son lit hocha la tête tout en buvant son uskavar. Les deux hommes et la femme s’étaient détendus quasiment en arrivant dans les appartements de l’adepte.
— En effet, monsieur Corteo. J’ai beaucoup voyagé dans la galaxie, et j’ai rencontré de nombreuses personnes qui se croyaient exemptes de leurs devoirs envers l’Empereur.
— Et vous leur avez démontré le contraire ? s’enquit Mykola Shonai.
— Absolument, répondit Barzano dans un sourire.
— Et que ferez-vous une fois que vous aurez ce que vous voulez ?
La question était posée
sur un ton informel, mais Barzano sentit que le gouverneur était
parfaitement sérieuse. Il envisagea un moment de lui
mentir, mais décida qu’il lui devait bien la vérité.
— Vous serez vraisemblablement démise de vos fonctions. L’incapacité à garder le contrôle d’un monde impérial est un crime, et l’on ne peut pas vraiment dire que votre mandat est une réussite, n’est-ce pas ?
Le visage de Corteo devint rouge de colère à ces mots. Il reposa violemment son verre sur la table
— C’en est assez ! Vous êtes peut-être un petit malin de Terra, mais vous n’avez pas le droit de parler à un gouverneur impérial de la sorte !
— Au contraire Leland, il a tous les droits, dit Shonai dans un murmure. En outre, il a raison, j’ai bel et bien échoué. J’ai laissé les problèmes s’accumuler et j’ai trop longtemps essayé de cacher ce qui se passait. Peut-être méritons-nous d’être remplacés, après tout.
Barzano se pencha en avant et posa son verre par terre, puis il appuya ses coudes sur ses genoux avant de répondre.
— Peut-être méritez-vous de partir, mais je n’ai pas encore pris de décision. Et puis, qui vous remplacerait ? Ballion Varle ? Vendare Taloun ? Taryn Honan ? Je ne le pense pas, mon cher gouverneur. Non, laissons de côté ces affaires pour le moment et concentrons-nous sur le problème actuel.
— Qui est ? le coupa Corteo, toujours furieux après l’adepte.
— Je pense que des gens sur cette planète collaborent avec les eldars. Ils se servent de leurs raids pour couvrir d’autres activités tout en semant la discorde sur Pavonis pour détourner l’attention de leur véritable but, quel qu’il soit, expliqua Barzano en se redressant, s’appuyant contre le mur. Le gouverneur et son conseiller politique en restèrent sans voix. L’idée que tous les ennuis que leur planète avait connus aient une seule origine les horrifiait au point qu’ils étaient incapables de réagir.
— Je ne crois pas que les événements qui se sont déroulés ici soient le fruit de circonstances malheureuses. Il y a trop de coïncidences. Et je ne crois pas aux coïncidences.
— Mais qui est responsable ? parvint finalement à demander Shonai.
Barzano haussa les épaules.
— Je ne sais pas encore, mais j’espère que nous le découvrirons bientôt, car la situation approche la masse critique.
— Ce qui veut dire ?
— Cela veut dire, ma chère, que tout va bientôt exploser.
Dans un des couloirs du palais impérial, un point de lumière apparut. Lentement, le point s’étendit tout en décrivant une spirale violette dans l’air. La matière semblait se déformer autour de lui, comme une feuille de papier que l’on froisse.
Les luminaires au plafond implosèrent soudain tandis que le vortex de lumière émit un gémissement, un son infâme évoquant d’odieux appétits. Quatre points de ténèbres se formèrent, comme autant de tumeurs sur le cœur luminescent. Les formes liquides furent prises dans la spirale de lumière sale qui s’était formée dans le couloir, se solidifiant de plus en plus rapidement tout en s’extrayant de la masse luisante.
Enveloppées dans leur membrane amniotique, ces choses continuaient de grossir, et l’air ambiant semblait déformé et distordu par les spasmes de leur naissance obscène.
Le tissu de la réalité se déchira tout à fait dans un bruit atroce et les quatre formes violacées tombèrent au sol alors que la spirale lumineuse qui leur avait donné naissance se replia sur elle-même, plongeant le couloir à nouveau dans l’obscurité.
Les quatre choses étaient étendues au sol pendant quelques secondes en tremblant, avant de déplier leurs pattes sinueuses et de se redresser, exposant leurs épines venimeuses, leurs griffes tranchantes et leurs gueules garnies de crocs redoutables.
Elles s’extirpèrent de leur membrane amniotique puis reniflèrent à l’unisson, leur existence tout entière vouée à accomplir la mission donnée par leur maîtresse.
Tuer la proie.
Les soldats Korner et Tarnin parcouraient le corridor mal éclairé, leur fusil laser pointé devant eux. Quelque chose de louche se passait là, ils en étaient sûrs. Korner avait entendu des bruits bizarres et ils avaient signalé par radio qu’ils partaient enquêter.
Tarnin marchait devant. Il fut le premier à remarquer les lampes fracassées et le verre brisé qui jonchait le couloir.
Un bruit étrange, comme un glissement humide, leur parvenait de devant eux. Sans se retourner, il s’adressa à son compagnon.
— Korner, file-moi ton illuminateur. Il tendit la main pour attraper la lampe portative.
Il la déclencha et balaya le sol du couloir avec le faisceau. Il ne vit jamais la créature qui le tua.
Une forme souple jaillit des ténèbres et l’éventra d’un rapide coup de griffe. Les serres de vingt centimètres de long le coupèrent en deux, et les énormes mâchoires de la bête lui brisèrent le crâne.
Korner aperçut une masse de griffes et de crocs dans le faisceau de la lampe, puis il entendit le hurlement de terreur de Tarnin, rapidement coupé. Il fut arrosé du sang de son compagnon. Il se retourna pour s’enfuir.
Quelque chose s’abattit sur son dos et le plaqua au sol, lui faisant perdre son arme. Le souffle brûlant du monstre le faisait suffoquer et il sentit les griffes déchirer ses vêtements. Il voulut crier mais il n’en eut pas le temps.
La bête issue du Warp lui arracha la tête dans une gerbe de sang et l’avala en une bouchée. Elle enfonça ses griffes profondément dans le dos et commença à se nourrir, broyant les os et déchirant la chair de sa victime.
Une deuxième créature fit claquer ses mâchoires et émit un grognement menaçant. L’autre monstre abandonna son repas et suivit le chef de meute, qui partit en courant dans les couloirs du palais.
La proie était toute proche.
Barzano releva brusquement la tête. Il se leva en un mouvement fluide et jeta un regard inquiet au gouverneur Shonai. Il se précipita vers la porte de sa suite qu’il ouvrit brutalement pour se retrouver dans le couloir.
Les deux Ultramarines qui surveillaient la porte se mirent au garde-à-vous. Frère Cleander s’adressa à l’adepte.
— Quelque chose ne va pas, frère Barzano ? Celui-ci hocha la tête.
— En effet, cela ne va pas du tout. Où est le reste de votre escouade ?
— Ils gardent les points d’accès de cette aile du palais. Rien ne peut venir sans passer par un de mes frères de bataille.
— Ou à travers lui, répondit Barzano.
— Je vous demande pardon ?
— Rien. Frère Cleander. Contactez vos hommes par radio et prévenez-les que quelque chose d’extrêmement dangereux a franchi le périmètre de sécurité du palace. Nous sommes tous menacés.
Cleander fit signe à l’autre sentinelle d’appliquer l’ordre de l’adepte, puis il arma son bolter.
— Que se passe-t-il, adepte ?
— Pas le temps de vous expliquer. Dites simplement à tous les gardes d’être parés à toute éventualité et de tirer sur tous ceux qu’ils ne reconnaîtront pas. Faites-le !
Le visage de Cleander était dissimulé par son casque, mais Barzano sentit que recevoir des ordres de la part d’un humble scribe le rendait furieux.
— Votre ton manque de respect, adepte, je… commença-t-il.
— On s’en fiche de mon ton, Cleander. Faites ce que je dis ! le coupa Barzano. Des tirs de bolter résonnèrent dans le couloir, tout près d’eux. Il y eut d’autres tirs, puis un hululement effroyable se fit entendre.
— Trop tard, dit Barzano.
Les trois créatures couraient à une vitesse incroyable, semant aisément ceux qui tentaient de les intercepter. Elles avaient abandonné le corps de la quatrième, qui se dissolvait en un tas informe d’humeur violacée à côté des cadavres de deux Ultramarines.
Le filet se resserrait autour d’elles, mais elles ne se préoccupaient pas de leur propre survie.
La proie était tout ce qui importait
Barzano retourna précipitamment dans la chambre et s’agenouilla devant le casier qui se trouvait au pied de son lit. Il posa le doigt sur la géno-clé tandis que Shonai et Corteo se levèrent en même temps, visiblement paniqués par son attitude. Il ne pouvait pas les en blâmer.
— Que diable se passe-t-il ? s’enquit Shonai.
— Vous vous rappelez quand nous parlions de masse critique tout à l’heure ? demanda Barzano tout en fouillant dans son casier.
— Oui, bien sûr.
— Eh bien, il se trouve que nous y sommes. Nos ennemis viennent juste de franchir une nouvelle étape. Là ! s’exclama Barzano, en leur lançant chacun un pistolet. Vous savez vous en servir ?
— Pas vraiment, non, admit Corteo.
— Gouverneur ?
— Je ne pense pas. Je n’ai jamais utilisé d’arme à feu.
— Enfer et damnation. Tant pis, ce sera l’occasion d’apprendre. Il leur montra rapidement comment armer le pistolet et comment le recharger. Quand vous tirez, visez bas, parce que ces trucs ont un vilain recul.
— Mais nous sommes censés tirer sur quoi ? protesta le gouverneur. Que se passe-t-il, enfin ?
Barzano revint au casier et en sortit une épée dont la lame fine était ornée de lignes étranges, puis il se releva. Dans l’autre main, il tenait un pistolet massif dont le canon était doté d’un énorme système de ventilation. Son attitude désinvolte avait complètement disparu, remplacée par une détermination farouche.
— Nos ennemis ont envoyé des créatures issues des profondeurs de l’enfer pour nous éliminer. Il faut les tuer avant qu’elles ne nous tuent. Il appuya sur une rune placée sur la poignée de son épée et la lame fut soudain parcourue d’une lueur ambrée.
— Une épée énergétique ! s’exclama Corteo. Mais quel genre d’adepte êtes-vous ?
— Le pire qui soit, répondit-il, un sourire féroce sur les lèvres.
Frère Cleander entendait les coups de feu, le claquement bruyant des bolters et le son plus faible des fusils laser, se répercuter le long des couloirs alors que la menace, quelle qu’elle soit, se rapprochait. Puisque l’écho dû à la disposition des lieux l’empêchait de déterminer dans quelle direction se trouvait l’ennemi, il se posta dans une direction et ordonna à Dambren de couvrir l’autre. Cleander aurait aimé se porter au secours des autres gardes, mais il était de son devoir de protéger les appartements de l’adepte. Il était un citoyen de Macragge, et il aurait préféré mourir plutôt que d’abandonner son poste.
Les tirs du bolter de Dambren furent le premier signe que l’ennemi était sur eux. Cleander se retourna et vit trois créatures monstrueuses charger dans leur direction. Il ajouta sa propre puissance de feu à celle de Dambren. Les rafales de projectiles à ogive réactive des deux Space Marines taillèrent le premier monstre en pièces sans problème.
Mais la vitesse de ces créatures était phénoménale. Le cadavre de la première n’avait pas touché le sol que les deux autres bondirent pour attaquer. L’une d’elles sauta sur Cleander, qui se plaqua au sol et roula par terre pour l’éviter tout en essayant de lui tirer dessus. Ses bolts ratèrent leur cible et allèrent s’écraser au plafond.
Il vit l’autre chien monstrueux saisir le bras de Dambren dans ses puissantes mâchoires et arracher le membre d’un coup sec dans une gerbe de sang.
Mais il n’avait pas le temps de venir en aide à son camarade car son adversaire chargea de nouveau.
Cleander tira une autre rafale et un bolt toucha le prédateur à l’abdomen. Celui-ci hurla de rage, mais le tir n’arrêta pas pour autant sa charge et il alla s’écraser contre la poitrine du Space Marine. Les deux combattants s’écrasèrent contre la porte de la chambre de l’adepte, qu’ils défoncèrent, pénétrant dans la pièce dans une avalanche de fragments de bois.
Shonai hurla de terreur quand la porte explosa et qu’un Ultramarine aux prises avec une créature de cauchemar entra et fut plaqué au sol. Le monstre, qui essayait d’arracher le casque du Space Marine, était baigné d’une étrange lueur iridescente. Des pointes osseuses jaillissaient de son dos le long de sa colonne vertébrale. Son énorme tête était garnie de cornes et ses crocs dégoulinaient de sang. Chacune de ses pattes musculeuses se terminait par des griffes, et ses yeux étaient noirs comme la nuit et entièrement dénués d’expression.
Barzano s’élança pour frapper de son épée ardente le chien infernal.
Mais malgré sa taille, la vitesse du monstre était incroyable et la bête évita aisément la lame avant de quitter d’un bond le Space Marine sur lequel elle se tenait. Elle frappa avec ses griffes mais manqua Barzano de peu, arrachant à la place un morceau de bois du bureau.
Cleander roula au sol en direction de la bête et enroula ses bras puissants autour de son cou. Le molosse démoniaque s’en prit alors au Space Marine, plongeant ses griffes dans sa cuirasse, qu’elles transpercèrent sans difficulté. Cleander rugit de douleur lorsque le sang jaillit de ces entailles.
— Tirez-vous de là ! cria Barzano en braquant son pistolet à plasma sur l’animal.
Cleander ignora l’adepte et raffermit sa prise sur la créature, hurlant son propre cri de guerre tandis que son adversaire inhumain lacérait son armure. La deuxième créature apparut dans l’embrasure de la porte, sa gueule trempée de sang et Barzano la prit immédiatement pour cible.
Le tir de plasma percuta le flanc du chien monstrueux, qui partit en arrière sous la violence de l’impact. Un liquide répugnant s’écoula de la plaie béante tandis que la chose retournait rapidement au néant qui l’avait engendrée.
Cleander luttait pour préserver sa vie face au dernier des assaillants, cherchant en vain à repousser les griffes qui lui labouraient la chair, mais il savait qu’il ne pouvait pas gagner ce combat car la créature était plus forte que lui. Elle donna un coup de tête à Cleander, dont l’arrière du crâne heurta le sol. Son casque craqua sous l’impact et il relâcha son étreinte une fraction de seconde.
C’était tout ce dont le chien du Warp avait besoin. Ses griffes se levèrent pour s’abattre sur le plastron de Cleander et broyer sa cage thoracique.
Corteo et Shonai ouvrirent le feu sur l’animal blessé, mais ils ne parvinrent pas à le toucher.
Barzano les écarta violemment alors que le meurtrier de Cleander dégagea ses griffes et commença à s’avancer vers eux. Même blessé, il était capable de tous les tuer. Le bourdonnement du pistolet à plasma de Barzano indiquait qu’il n’était pas encore rechargé, il lui était donc inutile.
La bête prit appui sur ses pattes postérieures et chargea.
Ario Barzano plongea en avant sous ses griffes mortelles.
Il roula au sol et fit décrire un arc à son épée énergétique, qui trancha net les pattes arrière. La bête s’écrasa au sol, ses moignons battant l’air.
Barzano se redressa et alla se placer aux côtés du gouverneur et de Corteo tandis que le monstre rampait vers eux, se dissolvant lentement au fur et à mesure de sa progression.
Seuls restaient son torse et sa tête quand elle les atteignit. Barzano pointa son épée vers le bas et transperça le crâne de son adversaire démoniaque.
Épuisé, il se laissa tomber à côté de son épée plantée dans le sol alors même que Learchus et son escouade entraient dans la pièce. Le sergent s’agenouilla devant le cadavre de son ami et, de rage, abattit son poing sur le sol. Barzano le laissa à son chagrin, rejoignant Shonai et Corteo, pâles et effrayés. Il jeta négligemment le pistolet à plasma sur le lit et désactiva son épée, qu’il posa sur le bureau fracassé.
— Vous l’avez tué, dit Shonai, sous le choc. Comment avez-vous réussi ?
— Il vaudrait mieux que je vous montre, répondit simplement Barzano en écartant le portrait de Forlanus Shonai pour révéler le coffre-fort dans le mur.
Il tapa un code à dix chiffres et celui-ci s’ouvrit.
À l’intérieur se trouvait une boîte, dont il se saisit et qu’il posa au sol à côté de lui.
Barzano retira un autre objet plus petit du coffre-fort, qu’il tendit à Shonai. Elle le prit pour l’examiner et quand elle reconnut ce que c’était, elle eut une expression de surprise mêlée de crainte.
Elle tenait entre ses mains un saphir rectangulaire, de quinze centimètres de haut par huit de large et cinq d’épaisseur. C’était une chose insignifiante en vérité, mais le symbole dont elle était ornée était tout sauf insignifiant.
Un crâne gravé sur un « i » majuscule stylisé.
Le gouverneur Shonai regarda le visage de l’homme qu’elle avait cru connaître.
— Je suis Ario Barzano, dit-il, de la Très Sainte Inquisition de Sa Majesté l’Empereur de l’Humanité.