Minuit moins une heure

Ils forment un cercle sur le sable, sous les filaos, face à la plage. Une ronde pas très grande, juste assez pour entourer les trois glacières. Ils se tiennent tous serrés. Quinze garçons et deux filles.

Jo et Ju.

Justine regrette un peu d’avoir dit oui, d’avoir insisté auprès de sa copine : Allez, Johana, ça ne coûte rien d’aller boire un coup avec eux, on ne va pas faire les nonnes jusqu’à minuit toutes les deux. Ils ont l’air sympas, ils sont entre potes, tu ne m’as pas dit que ton île, c’était le melting-pot ?

 

Justine déchante. Elle aurait dû écouter Johana.

C’est pas que les mecs ne sont pas sympas. Ils sont juste lourds.

Les quinze paradent avec des tee-shirts de marque et visiblement se contrefoutent de l’âge des petits enfants qui les ont tricotés. Ils font tourner une bouteille de rhum qu’ils boivent au goulot, entre deux bouffées de zamal1. Peut-être que d’ordinaire, ce sont des gars normaux, drôles, avec des métiers passionnants, peut-être même une conversation intéressante, si on arrive à en attraper un, à l’isoler ; mais ainsi, en troupeau, impossible de lancer une phrase qui ne se termine pas par un éclat de rire général.

 

— Allez les filles, une taffe, une seule.

Justine teste, une fois, pour goûter. Johana non.

Le calumet de la paix tourne. Fait la course avec la bouteille. Ça devient long. Impossible de parler d’autre chose que bagnoles, foot… et sexe.

Justine tousse. Un géant bodybuildé se précipite à son chevet.

— Ma belle, vite, une gorgée ? Pour faire passer.

Justine refuse la bouteille, Johana aussi.

Les garçons insistent à peine. Ni susceptibles ni vraiment collants.

— Vous êtes toutes seules ou vous attendez des copains ?

— Ou des copines ?

Et ça rigole…

Ça ne drague même pas, au fond, Justine vient de s’en rendre compte. Ils sont tous là pour se défoncer, avec tous ceux et celles qui voudront bien entrer dans le cercle, on peut l’agrandir à l’infini. C’est le soir du grand karma, mais sûrement pas la nuit du Kamasutra. Pour l’amour, aucun ne sera en état, et puis où trouver une intimité sur ce littoral surpeuplé ?

Dommage…

Au fond, Justine aurait bien aimé une petite aventure avec un type un peu bourré qui lui jure qu’elle a deux beaux yeux, qui la trouve exotique, qui lui demande de parler de la tour Eiffel, qui lui prend la main pour qu’elle touche ses gros muscles, sa peau d’ébène, son jean moulant. Un pas trop bête, un gentil, un qui trouve le bon équilibre entre audace et timidité.

Son regard fait le tour du cercle.

Y en a un !

Plus silencieux que les autres, plus introverti. Plus beau aussi. Elle en ferait bien son doudou pour la nuit.

Le seul à préférer regarder les filles plutôt que la course du joint et de la bouteille.

Sauf que pour être précise, remarque Justine, il ne regarde pas les filles.

Il regarde une fille.

Pas elle.

Johana.