CHAPITRE X

Alk’Ki, étonné, semble dépassé par l’événement. Il hésite un long moment, puis, tout naturellement, il alerte Pan’Os. Celui-ci s’encadre sur un écran :

— Eh bien ! Alk’Ki ?

— Les Solariens, toujours protégés par leur champ d’ondes, se présentent au sas Trois.

Le premier magistrat reste impassible :

— Je sais.

— Ah ! Tu le savais ?

— Oui. Rien n’échappe à ma vigilance. Mon cabinet de travail est équipé de façon que j’aie une vue d’ensemble d’Aquontas. Je préviens Riga.

— Que comptes-tu faire pour les Solariens ?

— La Cité leur reste ouverte. Nous n’avons pas les moyens de les repousser. Or, s’ils sont descendus à moins dix mille, c’est qu’ils cherchent à me voir.

— Pour quelles raisons ?

— Rejoins-moi au Point Zéro, nous l’apprendrons ensemble.

Alk’Ki acquiesce, éteint l’écran. Au travers des parois translucides, il observe les évolutions du 0-10 qui s’apprête à franchir le sas Trois.

Celui-ci s’ouvre. Alors, le bathyscaphe se propulse vers la chambre de translation. Alk’Ki suit la manœuvre avec intérêt, puis, se déplaçant au ras du sol, il gagne le Point Zéro. Pan’Os et Reg’So l’ont précédé.

— Ah ! Alk’Ki…, recommande le premier magistrat. Je connais tes idées. Elles ne correspondent pas exactement aux miennes. Tu vois d’un très mauvais œil l’accession des Zürgs à la civilisation.

— Je pense que la cohabitation de nos deux communautés posera tôt ou tard des difficultés. J’étais d’accord pour que les Zürgs aient droit à une certaine évolution. Mon programme comportait diverses étapes.

— Rappelle-moi ton plan.

— Est-ce nécessaire ? dit Alk’Ki.

— Oui. Je te le demande.

— Eh bien ! à mon avis, l’accession des Zürgs à un degré supérieur aurait dû être progressive. Riga a choisi, parmi les civilisations du cosmos, trois communautés déjà trop évoluées. Des trois, il aurait dû opter pour celle des Fags, de loin la plus primitive. Or, il plonge les Zürgs dans une telle ambiance, qu’ils éprouvent un certain vertige dangereux. La preuve en est que Kssu pose maintenant des conditions.

Pan’Os, sur un écran, contrôle l’arrivée des Terriens. Il ne perd pas le fil de la conversation :

— Tu as peut-être raison, Alk’Ki. L’avenir nous départagera. Mais je veux mettre les bouchées doubles, brûler les étapes. Les Zürgs auront la promotion qu’ils méritent, le plus rapidement possible.

— Nous aurions pu choisir un autre lieu pour leur évolution, un monde autre qu’Ustrula, reproche Alk’Ki.

— Sans doute. Mais tu oublies trop vite que les Zürgs ont toujours été nos concitoyens, qu’on le veuille ou non. Ils ont toujours habité l’atmosphère de la planète. Ils auraient refusé leur déportation.

— Bref, tranche l’opposant, tu sacrifies tout pour nos frères inférieurs ? Tu en fais ton cheval de bataille ?

— Oui, affirme Pan’Os avec sincérité. Cette vaste opération de reconversion, je peux presque dire cette opération de survie, de résurrection, marquera mon passage à la tête des Yos. Mon successeur sera en droit de poursuivre mon œuvre, ou de la détruire.

La conversation s’arrête entre les Yos. Pour la seconde fois dans les annales d’Aquontas, des étrangers pénètrent dans la Cité. Ils franchissent le Point Zéro et non sans surprise, Pan’Os note que Brice n’est pas là, que Korski le remplace.

Reg’So remarque aussi l’absence de l’Américain, personnage marquant chez les Solariens : Il regarde Mâ et Josiane Kervec.

— Nous attendions Brice, explique-t-il. Jugez notre surprise.

Riga traduit. Aussitôt, Korski attaque, incisif :

— Brice et ses compagnons ont découvert des hommes et des femmes, privés de mémoire et d’une partie de leur volonté, sur un continent désertique. Parmi eux, ils ont reconnu beaucoup de nos camarades, Jell, Ganet, entre autres, que vous déteniez à Aquontas. Or, vous aviez promis de les renvoyer sur la Terre.

Josiane ne laisse pas le temps à Pan’Os de placer une parole. Elle remplace Korski, volubile :

— Autre chose. Brice a demandé à Gly et à Soh de survoler ce continent. Ils ont repéré des groupes d’Abrix et de Fags qui vivent dans les mêmes conditions d’infortune que nos malheureux compagnons. Il semble, à priori, que vous ayez dégradés, déchus, ceux que vous avez remplacés par des Zürgs. Vous en avez fait des épaves vivantes, des déchets d’humanité.

Les trois Yos enregistrent ces dépositions. Suivant le clan dans lequel ils se trouvent, ils réagissent différemment. Alk’Ki prend position en premier :

— Vous trouverez en moi un ami. J’ai toujours proposé un autre règlement pour le problème des Zürgs. Mais le premier magistrat d’Aquontas possède toute liberté d’action. Ainsi le veulent nos lois. Légalement, je m’incline.

Pan’Os prend le relais de son rival. Le mensonge s’exclut des sentiments des Yos. Aussi il tient un langage de stricte vérité :

— Kssu nous a posé un ultimatum. Ou nous accédons à ses désirs, ou il sabote mon plan. Or, j’ai bâti toute mon action en fonction des Zürgs. Je ne varierai pas de mon chemin.

— Nous avons parfaitement compris, grogne Korski, pas tellement déçu. Nous nous attendions à votre prise de position très nette. Que veut faire Kssu de nos compagnons, de nous tous, puisque dans un délai plus ou moins lointain, nous aurons tous été remplacés par les Zürgs ?

— Des robots, annonce Reg’So.

— Comment ? sursaute Josiane, figée.

— Des créatures soumises, disciplinées, précise le bras droit de Pan’Os. Il n’existera pas de meilleurs androïdes que des êtres vivants.

— Je vois ! persifle Korski, très pâle. Justement. Nous sommes venus pour régler cette question. Brice se doutait que vous prépariez une vacherie de ce genre. Heureusement, nous avons pris certaines précautions et nous ne voudrions pas que vous nous traitiez comme du bétail. Sinon, vous vous méprendriez sur notre civilisation.

Aucun regret n’assaille le premier magistrat. Ce qu’il fait, ce qu’il ordonne, ce qu’il organise, lui paraît logique, normal, plein de sagesse. Il reste pacifiste, mais il ne tient pas compte des sentiments de ceux qu’il exploite à fond.

— Riga m’avait averti que Brice avait découvert le continent Un. Nous l’avons laissé agir, parce que nous estimons que nous n’avons pas le droit de vous priver d’une lutte que nous croyons juste, sincère, loyale.

— Vous appelez ça une lutte loyale ? proteste le Russe. Vous possédez d’énormes moyens en comparaison des nôtres. Pourtant, nous avons décidé de perturber certaines de vos intentions.

Il marche vers Pan’Os, s’arrête à un mètre du Yos. Il le dévisage sans crainte, avec même une sorte de défi. L’exaltation fait battre les veines de son cou.

— Kssu est le seul à vous avoir posé cet ultimatum ?

— Oui, jusqu’à présent, dit Riga.

— En ce cas, s’il disparaissait, reviendriez-vous sur votre décision ? Je parle de mes compagnons, désormais inutiles. Les renverriez-vous sur la Terre ?

La machine, prise au dépourvu, met quelques secondes à répondre :

— Nous avons décidé de protéger Kssu, de faciliter sa tâche.

Korski lâche, avec une sorte de satisfaction dans la voix :

— Justement. Nous avions prévu ça aussi. Kssu est en notre pouvoir.

Actuellement, Riga doit mettre tous ses sens en action pour vérifier les affirmations du professeur. En moins d’une minute, il comprend que le Russe ne plaisante pas.

— Exact, reconnaît-il. Kssu échappe à mon contrôle.

— Comment ? s’étonne Pan’Os, tourné vers le cerveau. Tu ne peux pas le localiser ?

— Non, malgré tous mes efforts.

— Vous n’y parviendrez pas, ricane Josiane Kervec. Brice, Mervey, Skill, Kssu et Quas se trouvent entourés d’un champ de force analogue à celui qui protège le 0-10. Vos habituels moyens de détection restent inefficaces.

Reg’So devine que les Solariens marquent un avantage. Mais il ne discerne pas le but qu’ils poursuivent. Aussi il exige des précisions.

— Qu’espérez-vous ?

— C’est simple, dit sèchement Korski. Très simple. Nous marchandons la vie de Kssu et de Quas contre la liberté de nos compagnons, des Abrix et des Fags, qui errent lamentablement sur le continent Un. D’ailleurs, pour vous prouver la véracité de mes propos, nous avons établi une ligne de télévision extérieure. Les images sortent du champ de force, mais n’y entrent pas. Gû et nos techniciens se sont surpassés. De ce fait, la communication ne pourra s’établir que dans un sens. Nous verrons Brice, mais il ne nous verra pas. J’espère que ça marchera, grâce au câble axial d’Aquontas qui, de la surface, amène jusqu’ici les faisceaux.

Il fait un signe conventionnel à l’Abrix :

— Allez-y, Mâ.

Le végétal comprend. Il se met en relation immédiate, par télépathie, avec le continent Quatre. Il demande à Brice de projeter les images.

Les relais automatiques d’Aquontas se chargent de la retransmission. Tout d’abord, l’écran central du Point Zéro reflète une image floue, fluctuante. Très rapidement, la qualité s’améliore. Alors, les Yos contemplent les trois Américains et les deux Zürgs.

Ils se tiennent debout dans une sorte de caverne. Des gros projecteurs éclairent les lieux. Kssu et Quas sont solidement encadrés par les Terriens. Autre détail, le plus probant : Brice tient un pistolet au napalm dans sa main. C’est une arme qui se trouvait à bord de la BX.14.

La voix du commandant s’insinue dans les entrailles de la Cité. Une voix vibrante, autoritaire :

— Vous voyez le pistolet que je tiens à la main ? Il projette une giclée de napalm. Tout objet touché par le jet est immédiatement calciné. Je préférerais ne pas vous faire une petite démonstration sur l’un des Zürgs, mais je m’y résoudrais, si nécessaire. Alors réfléchissez bien.

Korski réitère l’ultimatum. Alk’Ki profite de l’occasion pour blâmer une fois de plus le plan de son supérieur :

— À votre place, Pan’Os, j’accepterais.

— Seulement, Alk’Ki, vous n’êtes pas à ma place, remarque Pan’Os sans aucune émotion. Si je cède, Kssu pensera que je l’abandonne. Or, je n’en ai pas l’intention.

Le professeur serre les poings. Il devine le marchandage long et pénible, délicat. Néanmoins, il garde confiance.

— Traduisez pour Mâ, s’il vous plaît.

Riga obéit. L’Abrix sait que Brice, là-bas, n’entend rien, ne voit rien. Il le tient au courant par transmission de pensée. Or, Riga n’a même pas l’idée de tarir le fluide de la créature végétale. Cette action sort de son esprit parce qu’il n’en discerne pas l’utilité.

Le chef d’équipage de la BX.14 prouve qu’il a compris le refus de Pan’Os. Alors, il applique le plan prévu. Il oriente son arme vers Quas :

— Première victime innocente ! annonce-t-il. Tant pis pour vous. Il faut vraiment que je mette les points sur les « i ».

Il appuie sur la détente. Une immense flamme déchire l’écran, fulgure, blesse les paupières. Même les Yos tressaillent. Puis Quas s’écroule, le corps entièrement noirci.

Dans la caverne, les Américains se pincent le nez. Une affreuse odeur de chair grillée les pénètre. Kssu, lui, ouvre de grands yeux et contemple le cadavre de son compagnon. Il n’aurait peut-être jamais cru que les Solariens disposaient d’un pouvoir fascinant : celui de donner la mort.

Maintenant, au Point Zéro envahi par le silence, tous les regards se tournent vers Pan’Os. De sa décision, d’elle seule, dépend la vie de Kssu. Car Brice, déjà, retourne l’arme vers le second Zürg. Son visage est tellement pétri de volonté que personne ne doute de ses intentions. Il n’hésitera pas.

***

Le suspense ne s’éternise pas. Grâce à Kssu. Le Zürg comprend brusquement qu’il place Pan’Os dans une situation inextricable. D’autre part, la vision – et l’odeur ! – de Quas, calciné, réduit en cendres, lui travaille puissamment le système nerveux et les méninges en particulier.

Il réfléchit vite. Très vite. En un éclair, il s’imagine, brûlé par le napalm, cette arme qu’il ne connaissait pas. Un corps vivant peut-il devenir ce petit tas informe, noirâtre, en l’espace d’une fraction de seconde ?

Kssu prend ses responsabilités. Devant l’impuissance flagrante des Yos, pourtant des génies scientifiques, comment lui, un simple Zürg même métamorphosé, pourrait-il rétablir la situation compromise ?

Sa voix s’exprime en langage terrestre, dans la langue australienne de Ganet dont il a pris les traits, l’aspect :

— Obéissez aux Solariens, dit-il. Je vous l’ordonne expressément. Ils sont résolus à me tuer. Or, leur marché préservera ma vie.

Au Point Zéro, après traduction par Riga, des réactions diverses s’expriment. Alk’Ki ne cache pas sa satisfaction. Pan’Os et Reg’So montrent une certaine indifférence. Quant à Korski, à Josiane, et même Mâ, si cette victoire les comble, ils jugent sévèrement Kssu et les Yos. Le premier a agi sous l’emprise d’une terreur sourde. Ses paroles trahissaient des pensées personnelles, égoïstes. Les maîtres d’Aquontas affichent là leur faiblesse de caractère et leur volonté de passer par les caprices des Zürgs.

— Très bien, opine le premier magistrat, tourné vers les Terriens. Votre résistance vous honore. En fait, je m’en réjouis. Elle démontre toutes les ressources de votre intelligence. Regagnez le 0-10. Riga s’occupera de vos compagnons sur le continent Un.

Korski veut des assurances. Il se méfie :

— D’accord, nous rejoignons le sas Trois. Mais nous ne remonterons en surface que lorsque vous nous aurez prouvé vos bonnes intentions.

Le professeur, accompagné de Mâ et de Josiane Kervec, quitte le Point Zéro, au centre d’Aquontas. Dans la salle de translation, en cale sèche, ils retrouvent le 0-10. La porte étanche, obturée, résiste à une poussée énorme.

Le sas ressemble à une sorte de demi-sphère. La coupole transparente, illuminée, donne l’impression que la mer s’arrête brusquement à une limite précise, qu’une force la soutient. Ce spectacle impressionne nos amis. Ils ne se lassent pas de l’admirer.

Enfin, au bout d’un certain temps, un écran s’allume, protégé par des parois étanches, translucides. Il peut fonctionner même quand le sas est rempli d’eau.

Pan’Os paraît. C’est la voix de Riga qui traduit :

— Nous vous montrons le continent Un. Regardez bien.

Le Yos disparaît de l’image, cède la place à une vallée étroite, où coule une rivière aux eaux limpides. Des satellites-relais miniaturisés, munis de télésondes, quadrillent Ustrula.

Des grottes surgissent. Des lits de feuilles séchées, des rations alimentaires, prouvent que des individus vivaient là. Mais les cavernes sont incontestablement vides.

— Vos compagnons étaient ici, dit la machine.

— Et maintenant ? demande Korski.

— Ils ont réintégré leur planète.

— Pouvez-vous traduire un message pour Mâ ?

— Oui. Allez-y.

Le professeur se tourne vers l’Abrix :

— Gly survole toujours le continent Un. Contactez-le par la pensée. Il vous donnera des informations précises, irréfutables.

Mâ incline son long pistil. Sa conversation télépathique avec le Fag dure quelques secondes. Puis il commente :

— Gly confirme la nouvelle. Il n’y a plus un être vivant sur le continent Un. Ni Solariens, ni Abrix, ni Fags.

La performance laisse Korski sceptique :

— Ils auraient tous été renvoyés sur la Terre, sur Pyra II et sur Omn VII ?

— Probablement, dit Mâ après que Riga eut traduit.

Josiane s’adresse au supercerveau :

— Si je voyais, par exemple, mon ami Thierry Jell sur la Terre, parmi ses compatriotes, ou même en un point quelconque de notre monde, alors je vous croirais.

— Impossible, affirme Riga. Seul, je suis capable de déceler si votre compagnon a bien rejoint sa planète. Je ne pourrais vous transmettre aucune image. Vous oubliez la distance. Dix années de lumière.

— Je sais, soupire la jeune fille tristement. Nous nous contentons donc d’une promesse.

Pan’Os reparaît sur l’écran :

— Nous sommes navrés de ne pas pouvoir vous donner une confirmation plus…, matérielle. Riga vous a expliqué pourquoi. Le sas Trois se manœuvrera automatiquement lorsque vous voudrez quitter Aquontas.

Le Yos coupe la communication. Korski se caresse le menton :

— Disent-ils la vérité ? Enfin, espérons-le. Il ne nous reste qu’à regagner la surface.

Ils montent à bord du 0-10. Dès qu’ils ont verrouillé l’obturateur d’entrée, l’imposante porte du sas s’ouvre. La mer envahit la demi-sphère, la remplit jusqu’au sommet. Lentement, le bathyscaphe s’achemine vers la sortie, s’éloigne de la Cité.

La remontée s’effectue sans incident, comme une manœuvre de routine. Josiane Kervec affiche toute sa dextérité. Jamais un seul instant elle n’a perdu son sang-froid.

Elle imagine Thierry sur la Terre. À Paris, ou chez lui, dans son petit appartement de banlieue. Comment se réadapte-t-il ? Comment explique-t-il sa longue absence, la disparition du 0-10 ? Ceux qui l’écoutent doivent le prendre pour un fou…

De retour à la centrale, Korski retrouve Brice qui l’a précédé. Le commandant désigne l’étui de cuir, à sa ceinture, où il a glissé le pistolet au napalm.

— Ça a marché ?

— Je le pense, dit le Russe.

— Je le pense aussi, confirme Brice. J’ai contacté Gly. Il a visité les grottes sur le continent Un. Vides. Plus trace des Abrix, ni des Fags non plus.

— Et Kssu ? Vous l’avez relâché ?

— Oui, comme convenu. Mais je le cherche en vain depuis plusieurs minutes. Pourtant, les trois hélicos n’ont pas décollé. Je crois que la mort de Quas l’a secoué.

Nadia, qui vient de se mêler au groupe, désigne soudain le ciel. Un étrange objet apparaît. Si étrange, que l’Américain fronce les sourcils.

— Qu’est-ce que ce bazar ?

L’objet vole manifestement. Il se déplace et maintenant il s’abaisse juste à la verticale de la centrale et de ses annexes. Il ressemble à un cocon translucide. À l’intérieur, quelque chose s’agite. Quelque chose de légèrement bleuté.

Le curieux véhicule se pose non loin du groupe des Terriens. Il s’apparente à un œuf. Et une créature, ovoïde également, s’en extirpe. L’engin sans moteur n’émet aucun son.

Nos amis reconnaissent un Yos. Mais ils ne savent pas l’identifier puisque tous les habitants d’Aquontas se ressemblent. Néanmoins, celui-ci s’avance vers les hommes. Il porte, sur la poitrine, une sorte de petite boîte métallique. En plein soleil, les courtes étincelles dues à l’ionisation de son corps se remarquent beaucoup moins.

Le Yos désigne la petite boîte métallique. Une voix en sort, en anglais :

— Je suis Alk’Ki. J’ai mis au point personnellement ce traducteur linguistique car, jusqu’à présent, seul Riga pouvait vous parler en tête-à-tête. Or, j’ai quelque chose de grave à vous apprendre.

Les visages de nos amis se tendent, revêtent une anxiété certaine. Ils savent que Alk’Ki s’oppose au premier magistrat.

— Pan’Os vous a trompés. Il n’a pas renvoyé vos compagnons sur la Terre. Pas plus que les Abrix ou les Fags.

— Comment ? sursaute Brice.

— Ceux que Kssu voulait transformer en robots ont bien quitté le continent Un, mais ils ont regagné leurs cellules à Aquontas.

La plus cruelle des désillusions accable les Terriens. Korski soupire :

— Je le prévoyais confusément. Pan’Os n’avait pas l’intention de renoncer.

— Riga lui a obéi, dit Alk’Ki. D’autre part, pour le soustraire à vos menaces, il a prudemment ramené Kssu à la Cité. Là-bas, le Zürg se trouve à l’abri. Tout le plan de Pan’Os, ou plus exactement celui de Kssu, risque de voir le jour.

La colère envahit les traits de Brice. Il crispe les poings :

— Si j’avais su, j’aurais descendu le Zürg pendant que je le tenais en mon pouvoir. Maintenant, que pouvons-nous faire ?

— Je mûris une idée depuis longtemps, marmonne Korski. Depuis le moment où j’ai appris l’existence des Zürgs. Merci, Alk’Ki, de nous avoir prévenus. Voudriez-vous nous aider ?

— Si je le peux, assure le Yos, j’en serais ravi. Ne me demandez pas de me révolter ouvertement contre le pouvoir de Pan’Os. Notre peuple, pacifiste, ne possède aucun esprit révolutionnaire.

— Non, j’attends de vous une aide plus…, technique. Vous connaissez bien les Zürgs ?

— Oui, acquiesce Alk’Ki. Ils ont toujours vécu sur Ustrula.

— Je ne parle pas des biomutés, précise le professeur. Je parle des Zürgs primitifs, avant leur biomutation par Riga.

— Oui, oui, je comprends bien.

— De quel genre de créatures s’agit-il exactement ?

— Biologiquement, ils nous ressemblent. Ils sont constitués de cellules électroniques à charge positive. Ils n’ont jamais pu utiliser leur énergie d’une façon rationnelle.

— Où vivent-ils ?

— Dans l’atmosphère d’Ustrula. Pour se déplacer, ils utilisent certains courants électromagnétiques.

Korski note soigneusement toutes ces précisions avec le plus grand intérêt. Il demande encore :

— Et…, ils sont nombreux ?

— Impossible de le savoir.

— Leur mode de reproduction ne doit pas être le même que celui des organismes vivants ?

— Non. Quand leurs cellules ont consommé leur énergie, elles s’usent, se fragmentent, et d’autres les remplacent.

— Bon, bon, soupire le Russe. Eh bien ! Si Alk’Ki veut nous aider, je crois que nous pourrions faire un excellent travail.

Quel plan germe dans l’esprit de Korski, et quel intérêt espère-t-il en retirer pour lui et ses compagnons ? Vainement, Brice se pose la question. Chez les atomistes, personne ne paraît au courant. Seul le professeur sait où il veut en venir.

Un nouvel espoir secoue la colonie terrienne.