CHAPITRE IV
Dommage. Oui, dommage que la centrale KW.22, le bathyscaphe 0-10, ou même la fusée ravitailleuse BX.14 ne soient pas à l’écoute. Par radio. Dommage que personne, parmi la colonie terrienne de l’étoile 61 Cygne, ne puisse capter une onde hertzienne. Seul, l’astronef américain le pourrait, car il possède les installations nécessaires. Mais son équipage a déserté la BX.14.
Or, c’est justement cet équipage qui détient un motif pour lancer un communiqué de victoire. Une victoire sensationnelle. Brice s’en mord les doigts de rage, car il aurait bien voulu informer Korski. En priorité, avec une sorte d’accent triomphal.
Il tâte la radio de ses doigts impatients. Puis il renonce. Il renonce parce qu’il sait que c’est inutile. Son message partirait de l’hélicoptère, mais aucune oreille ne l’intercepterait. Alors, ce serait idiot, non ? Complètement idiot.
Il soupire, voilant ses regrets :
— La surprise n’en sera que plus spectaculaire. En voyant la chauve-souris accrochée à notre filet, Korski ouvrira de grands yeux. Il ne s’attend guère à notre réussite complète. Quand nous l’avons quitté, il semblait plutôt sceptique sur l’issue de notre mission.
— Et Nadia ? grogne Mervey. Tu penses à Nadia ? À la camarade Gordneff ?
Une aiguille s’enfonce dans le corps du commandant. Il se raidit. Son sang se fige dans ses veines. Deux minutes encore de ce discours acrimonieux, et son poing se détend dans la figure de son camarade. Il devine des allusions acerbes, piquantes. Mervey ne lui pardonne pas sa collusion avec les Russes. L’imbécile ! Croit-il s’en tirer seul, malgré ses connaissances en électronique ? Alors qu’un type calé comme le professeur y perd son latin…
— Nadia ? riposte-t-il. Eh ! bien ?
— Songe au choc que tu lui prépares. Au choc psychique. La vue d’une chauve-souris géante risque de l’incommoder. Gare à la défaillance ! Une femme, même soviétique, c’est fragile. Tu souhaites qu’elle défaille dans tes bras, hein ?
C’en est trop. Mervey pousse les bornes un peu loin et Brice se retourne d’un bloc. Il a branché le pilotage automatique. Son œil d’acier foudroie son compagnon. Ses poings se crispent, sa bouche se tire sous un sourire amer.
Skill prévoit de l’orage dans l’air. Il s’interpose. Ces deux-là vont se casser la gueule pour des histoires idiotes, qui n’en valent pas la peine. Le reproche s’adresse aussi bien à Brice qu’à Mervey.
— Vous trouvez que nous ne sommes pas assez dans la poisse, non ? Le moment semble mal choisi pour régler vos petites querelles personnelles. Face aux Russes, aux Australiens, nous devrions au contraire montrer notre unité.
— Juste ! acquiesce le commandant, reprenant le pilotage de l’engin. Ça n’en vaut pas la peine.
Sans bouger la tête, le regard fixé devant lui, à travers le cockpit, il s’adresse à l’électronicien :
— Dégoise ce que tu veux, Mervey. Je m’en balance. Ça tombera désormais dans l’oreille d’un sourd. Je suis sûr qu’à la longue, tu te fatigueras.
Une autre préoccupation met un terme à la discussion stérile. Une préoccupation de taille.
— Hé ! Skill…, remarque Brice. Je ne me trompe pas. Notre hélico perd régulièrement de l’altitude.
Le radionavigateur se penche sur l’altimètre :
— Exact. Ça t’amuse de nous flanquer la trouille ?
— Je t’assure, je ne m’amuse pas. Malgré tous mes efforts, je ne parviens pas à reprendre de la hauteur. Nous sommes comme attirés par le sol. Lentement, très lentement.
Skill lance un regard lourd vers le sol. Il aperçoit une région assez désertique. Des blocs de rocher et une végétation rabougrie. Un large plateau s’étend à perte de vue. Une herbe rare pousse entre les pierres.
— Nous survolons le continent qui nous sépare de celui des chauves-souris, explique Brice. Les autres fois, je passais plus haut. Beaucoup plus haut. Mais à cause de notre prisonnier…
Il désigne le grand oiseau toujours immobilisé dans les mailles du filet et que les Américains distinguent par la trappe laissée volontairement ouverte.
— J’ai pitié de lui, ajoute-t-il. Je m’imagine ses émotions, ses inquiétudes, dans sa position inconfortable. Je n’ai pas trouvé d’autre solution pour le capturer et le ramener. Alors, humainement, je ne pouvais pas voler à cinq ou six mille mètres et à cinq cents kilomètres à l’heure.
Pourtant, malgré leur victoire sur les habitants des plates-formes aériennes, l’angoisse burine les visages des Américains. Tous, y compris Mervey, le farouche opposant de Korski. L’hélico se rapproche inexorablement du sol.
— Quelque chose cloche dans la mécanique, suggère Skill.
— Non, confirme le commandant. Tous les appareils de bord fonctionnent. La turbine n’est pas en cause. Seulement…
— Vas-y, encourage Mervey. Accouche de ta petite idée.
— Riga pourrait bien être à l’origine de cette anomalie. Il en possède les moyens.
— Comment le sais-tu ? rétorque l’électronicien. Tu ne l’as jamais vu. C’est sûrement une machine toute puissante, pétrie d’intelligence. Mais il faudrait, pour qu’elle réagisse, que les chauves-souris soient ses propres constructeurs. Or, je l’ai dit et je le redis, les chauves-souris n’arrivent pas à la cheville des Yos.
Skill trouve un terrain pour contredire son camarade. Il en profite, car question d’idées, il pencherait plutôt du côté de Brice :
— Toi non plus tu n’as jamais vu les Yos.
— Pas besoin de les rencontrer. Je les imagine. Des créatures, douées d’un haut degré scientifique. Pour nous balancer dans l’espace comme ils l’ont fait, il faut qu’ils possèdent une certaine culture, non ? Des moyens énormes. Or, les gros chiroptères peureux ne nous ont jamais inquiétés.
Le commandant pose l’hélicoptère sur le sol. Il arrête la turbine. Dans le silence, sa voix prend une expression anxieuse :
— Les Yos existent. C’est incontestable. Alors où se cachent-ils et pourquoi ne se montrent-ils pas ?
Skill descend le premier de l’engin. Les questions, bien des questions, demeurent sans réponse. Il hausse les épaules, scrute l’horizon à la jumelle. Il ne découvre qu’un décor aride, vide, abominablement torturé par la soif. Une région invivable pour des hommes.
Ce continent ne semble pas aussi privilégié que les trois autres. La nature ne s’y déchaîne pas avec toute sa luxuriance. Elle serait plutôt avare. Manque d’eau, de pluie, très certainement. Un désert de rocailles.
Brice examine pièce par pièce la turbine. Il ne décèle aucune anomalie. D’ailleurs, le réacteur repart normalement, rugit. Mais quand le pilote veut décoller, impossible, l’hélico ne s’arrache pas du sol. Il paraît rivé, captif d’une force invisible.
Skill et Mervey, en reconnaissance aux alentours, reviennent précipitamment, les visages animés. Ils ont sûrement rencontré quelque chose de stupéfiant.
— Viens voir, halète Skill.
— Ne fais pas cette gueule. Raconte, grogne Brice.
— Il y a une sorte d’entonnoir à trois cents mètres. Un puits, si tu veux.
— Un aven ?
— Non, une construction artificielle. Ça saute aux yeux.
Le commandant fronce le sourcil, songe à d’éventuelles complications. Comme si, déjà, tout n’était pas assez compliqué !
Il suit ses camarades. Devant l’excavation, il s’arrête, interdit. Il s’accroupit, se penche, palpe les rebords de l’ouvrage apparemment bétonné.
Il regarde l’orifice circulaire, en forme d’entonnoir. Cinq, six mètres de diamètre, aux parois évasées, cimentées. Enfin quelque chose qui ressemble au ciment.
L’entonnoir plonge dans le sol à une profondeur inappréciable. Brice se penche en vain, n’aperçoit pas le fond. Juste un trou noir, qui se rétrécit comme une cheminée étroite.
Mervey émet une hypothèse plausible :
— Une bouche d’aération ou de galerie. Mais comment descend-on dans cette cuvette ? Pas le moindre escalier.
Brice ricane :
— Des créatures, qui ne posséderaient aucun membre, n’auraient pas besoin d’escalier. Tout dépend de leur conformation. Je crois que cette fois, nous… nous…
Ses paroles lui rentrent dans la gorge. Quelque chose bouge, s’anime, au fond de l’entonnoir. Elle apparaît bientôt en pleine lumière.
Les Américains reculent vivement. Malgré leurs nerfs d’acier, malgré leur sang-froid et bien qu’ils soient vaccinés contre certaines surprises, ils n’oublieront pas de sitôt cette vision.
Un immense végétal. Oui, c’est à peu près ça si l’on accepte que le langage humain ne possède pas tous les mots nécessaires à une comparaison. Que le vocabulaire affirme une certaine carence…
Un végétal immonde, dégoulinant de suc. Une sorte de pistil dressé sur un paquet de racines, s’achevant par une grosse boule percée d’orifices. D’un vert foncé, presque noir. Un pistil apparemment fragile, dodelinant, d’un mètre de haut. Des racines mouvantes, articulées, de couleur violette. La sphère supérieure est légèrement rosée et des points extrêmement brillants s’allument au fond des orifices, comme autant d’yeux scrutateurs.
Ce qui stupéfie les Terriens, ce n’est pas tellement l’apparence vivante de ce végétal, mais son comportement. Il s’élève de l’entonnoir, comme refoulé par une force gigantesque. Il émerge avec facilité, sans soutien matériel, à la façon des hélicoptères.
Il prend pied sur le bord de l’excavation. Au bout de quelques secondes, plusieurs autres créatures analogues s’extirpent de la cheminée par le même procédé ascensionnel. Le tour de la cuvette se peuple de grands végétaux verdâtres.
Brice, la chemise collée au dos par la sueur, éprouve un certain vertige. Ces… plantes bizarres l’impressionnent davantage que les chauves-souris. Il hoquette :
— Je ne m’imaginais pas les Yos comme ça.
Il dégaine son revolver. Skill se précipite, lui arrache l’arme des mains. Il songe que sa promptitude a évité un petit drame, car le commandant semblait bien décidé.
— Tu aurais tiré, Brice ?
— Oui, pour voir.
— Tu es cinglé ! Toutes ces…, ces saletés se seraient précipitées sur nous. Ne montrons aucune agressivité. C’est parfois une mauvaise initiative.
Pour affirmer sa bonne volonté, Skill jette le revolver au loin, s’adresse aux végétaux immobiles d’une voix enrouée par l’émotion :
— Bon. Discutons tranquillement. Que nous voulez-vous ?
Brice et Mervey se rangent épaule contre épaule, de chaque côté de leur camarade. Ils forment à eux trois une barrière de force, de chair, de puissance. Les créatures vertes exercent une sorte de fascination.
Mervey se retourne vers l’hélicoptère. Il tressaille longuement :
— Regardez… La chauve-souris !
D’un bloc, les deux autres Américains pivotent. Ils assistent à une scène hallucinante. Le chiroptère, détaché du filet, flotte dans le vide, à un mètre du sol, suspendu à un fil invisible. Il se rapproche de l’excavation.
— Une onde porteuse ! devine Brice, soufflé. Car cela n’est pas le comportement habituel des créatures ailées. La chauve-souris semble paralysée, véhiculée contre son gré. Observez son regard. Il luit de panique.
Le gros oiseau disparaît, aspiré par l’entonnoir. Puis c’est au tour des Américains. Ils se sentent immobilisés. En vain, essaient-ils de remuer leurs bras, leurs jambes. Seuls, leurs cerveaux raisonnent et broient du noir.
— Cette fois, confirme le commandant, les Yos nous emmènent vers Riga. Nous ne serions pas fâchés, enfin, de voir cette supermachine. Après tout, pourquoi Korski et Nadia bénéficieraient-ils de ce privilège ?
— Tu es sûr, Brice, qu’il s’agit d’un privilège ? clame Skill, s’enfonçant dans la bouche d’aération.
Sa voix se perd dans le conduit bétonné. Il descend, descend, pendant plusieurs secondes, dans une cheminée noire comme un tunnel. Il se sent extraordinairement léger. Son poids paraît réduit à néant. Il flotte comme une plume et l’impression devient presque voluptueuse.
Derrière lui, Brice et Mervey plongent à leur tour dans les entrailles de ce continent fantastique, où la vie se concentre sous terre. Mais quelles idées poursuivent les étranges habitants à parure végétale ?
***
L’interminable galerie s’achève dans une salle étrange, peuplée d’inquiétants appareils qui ne rappellent en rien ceux qui existent sur la Terre.
Justement. Sans comparaison possible, l’imagination galope librement. Les Américains, réunis, broient toujours du noir. Ce n’est pas leur genre, mais ils sentent confusément que quelque chose va se passer dans leur vie.
Ils ne savent pas quoi avec précision. Pour le moment, ils se retrouvent allongés sur des couchettes aux formes bizarres, dans des sortes de creusets. Ils n’aiment pas tellement ce liquide transparent qui barbote autour d’eux. Un liquide limpide comme une eau de source, plutôt tiède.
À moitié immergés dans ce bain, ils essaient vainement de s’en extirper. Oui, vainement, car des attaches magnétiques les fixent solidement à leurs couchettes improvisées.
Un, deux, trois, quatre corps allongés, côte à côte, immobiles. Brice tourne ses yeux de droite à gauche. C’est à peu près les seuls mouvements qu’il peut esquisser.
Il sursaute. La chauve-souris gît à côté de lui, dans les mêmes conditions. Elle pousse de faibles gémissements. Ses ailes repliées enveloppent son corps.
— Les gars…, remarque Brice. Le chiroptère se trouve dans le même bain que nous. C’est le cas de le dire !
— Très drôle ! grimace Mervey, se contorsionnant.
Le commandant essaie un truc. D’avance, il connaît son échec, mais il épuise toutes ses chances. Il n’aura pas de regret.
— Hé ! L’oiseau… Vous m’entendez ?
La chauve-souris comprend-elle que l’homme s’adresse à elle ? En tout cas, elle émet un gloussement informe qui, dans son langage, doit signifier quelque chose. Elle glousse même plusieurs fois.
— Qu’est-ce qu’elle te raconte ? blague Skill, devinant les intentions de son chef d’équipage.
— Heu !… Heu…, grogne Brice. Je prends mon temps pour traduire. Je crois qu’elle a compris que je lui parlais. C’est déjà une victoire, non ?
Les créatures végétales ont disparu, laissant seuls leurs prisonniers. Dans la salle silencieuse, des angoisses naissent, se précisent. Mervey s’inquiète surtout du bain dans lequel il trempe.
— Nous sommes en train de ramollir, constate-t-il. Je ne sais pas si c’est une idée, mais si j’étais à la place de ceux qui nous ont capturés, j’agirais de la même façon.
— Pour quoi faire ? demande Skill.
— Parbleu, pour vous disséquer !
— Tu es dingue ?
— Non, je raisonne logiquement. Nous représentons pour ces créatures des échantillons physiologiques et biologiques extrêmement intéressants. Nos botanistes ramassent bien des plantes pour les étudier. Or, ils les décortiquent, lambeau par lambeau…
— Tais-toi ! hurle le radionavigateur. Tais-toi donc ! Si je n’étais pas rivé à l’horizontale, je t’administrerais une correction de première, car tu parles dans le vide.
— Dans le vide ! répète Mervey. Voire. Qu’en penses-tu, Brice ?
Celui-ci met ses compagnons d’accord :
— Même si je pensais comme toi, Mervey, je ne serais pas assez idiot pour en délecter les oreilles des autres !
La réponse vexe l’électronicien. Il grommelle :
— N’empêche. On ne nous laisse pas mijoter dans ce bain uniquement pour nous tenir au frais ! Alors, il faut bien imaginer quelque chose, et tant qu’à faire, quelque chose de raisonnable. Demande donc à la chauve-souris ce qu’elle en pense !
L’arrivée de plusieurs créatures végétales dispense Brice de répondre. Les nouveaux venus, une dizaine, se rangent autour des couchettes. Les orifices percés dans leurs sphères supérieures brillent étrangement.
Du pistil, se déploient trois ou quatre appendices jusque-là amalgamés, invisibles. Des sortes de membres extrêmement mobiles, flexibles, terminés par des ventouses. De cette même couleur verdâtre.
Les ventouses se promènent sur les corps des Terriens et cette palpation crée une sensation écœurante. Quelque chose de chaud, de visqueux, de poisseux.
Cette étude prélude certainement un examen plus approfondi. Les suggestions de Mervey reviennent à la mémoire de Brice et de Skill. Des frissons agitent leur musculature. Ils évoquent des instruments tranchants, entamant leur chair, fouillant leurs organes…
Ils avalent leur salive, la gorge serrée. Tout ça à cause de Mervey. Si celui-ci n’avait pas fait preuve de zèle, ils ne broieraient pas des idées comme ça dans leurs pauvres têtes.
Brice glapit, d’une voix vibrante :
— Bande de poireaux abâtardis ! Qu’est-ce que vous mijotez ?
Ces paroles restent sans effet. Ou plutôt si. Elles provoquent chez les végétaux un mouvement de recul instinctif. Le cercle des pistils s’écarte. Mais apparemment, Brice est resté incompris.
Il marque cependant un point. Un léger point. Le bruit incommode les créatures. Ça explique peut-être pourquoi elles vivent sous terre, où les sons se propagent beaucoup moins qu’en surface.
— Gueulez, les gars ! exulte le commandant. Gueulez aussi fort que vous pouvez ! Vous avez remarqué ? Ils n’aiment pas ça.
Skill et Mervey s’époumonent, lancent des cris discordants. Dans la salle aux murs bétonnés, cela crée un concert assourdissant, une cacophonie épouvantable. Le cercle des créatures végétales s’élargit de plus en plus. Les grosses boules trouées dodelinent d’une façon désastreuse à la cime des tiges flexibles, comme si le bruit les alourdissait.
— Stop ! Stop ! ordonne Brice. Gardez des réserves pour plus tard. D’autre part, j’aurais une autre expérience à tenter.
— Dans quel genre ? s’informe Skill.
Le chef d’équipage de la BX.14 attend que le silence soit rétabli. Puis il concentre toute sa pensée. Sous l’effort mental qu’il s’impose, son front se ride, ses muscles se raidissent. Au bout d’une minute, il relâche son attention, attend encore quelques secondes.
La déception altère son visage :
— Dommage… Dommage. Ça ne marche pas.
— Qu’est-ce qui ne marche pas ? demande Mervey.
— La télépathie.
— Tu as tenté d’entrer en contact télépathique avec ces végétaux ? Voyons, Brice, tu n’as jamais été doué et tu fais un piètre médium.
— Possible. Mais ça valait la peine d’essayer. Si j’avais réussi, nous aurions pu communiquer avec eux.
Skill soupire :
— Ils ne sont pas télépathes et disposent donc d’un langage. Tu crois qu’il s’agit des Yos ?
— Ça se pourrait, dit le commandant.
— Il existerait alors sur cette planète divers types d’intelligence. Les chauves-souris, les végétaux… Tu es d’accord pour les classer dans les races évoluées ?
— Oui. Toutes deux ont bâti quelque chose d’artificiel. Ça prouve une civilisation. Reste à savoir si les deux races s’ignoraient jusqu’à présent ou si elles avaient déjà établi des contacts. Dans ce dernier cas, pourquoi la chauve-souris aurait-elle été capturée en même temps que nous ?
— Bien des choses nous échappent, marmonne Mervey. Je crois plutôt que, grâce à nous, les végétaux viennent de découvrir les chauves-souris pour la première fois. N’oubliez pas. Les deux races vivent sur des continents différents et apparemment elles ne disposent d’aucun moyen de communication.
Maintenant, les cavernicoles se rapprochent de nouveau. Lentement, très lentement. Alors Brice donne encore l’exemple. Il tonitrue. Ses camarades l’imitent et une nouvelle fois, la ronde effarante des pistils gonflés de sève s’élargit.
— On ne pourra quand même pas gueuler sans arrêt ! remarque Skill avec inquiétude. Un moment viendra où nos cordes vocales protesteront.
Les créatures végétales quittent la salle. Elles se concertent, décident quelque chose. Au travers de hublots pratiqués dans les parois du laboratoire, elles observent les Terriens.
Leur initiative porte ses fruits. Déjà, sur les couchettes, les hommes se sont tus, vaincus par un sommeil artificiel. Inconscients, ils s’offrent sans défense à leurs vainqueurs.
Alors, ceux-ci pénètrent de nouveau dans le labo. Ils encerclent les quatre corps étendus, immobiles. Leurs têtes étranges se penchent, leurs membres à ventouses se déploient, palpent avec une certaine appréhension.
Une sorte de gazouillis accompagne leur travail. Sans doute un langage, un langage incompréhensible pour des non-initiés.
Armés d’instruments inquiétants, ils vont commencer leur opération. Tout confirme que le pauvre Mervey a deviné juste. La salle n’est autre qu’un laboratoire de vivisection. D’ailleurs, dans des bocaux rangés dans des armoires, nagent d’étranges organes prélevés sur d’autres êtres vivants.
Or, qui pourrait arrêter le geste des cavernicoles ? Personne. Surtout pas Korski, ignorant du drame atroce.