Devant la porte de la maison d’arrêt de la Santé m’attendent Ghislaine, Laurent, Sergio et Tony, un nouvel ami, rencontré durant mon incarcération. La famille est là, mais je suis désormais sans domicile. Ne voulant pas mettre mal à l’aise la mère de mes enfants, j’opte pour l’hôtel, en attendant de me débusquer un appartement.
La liberté me rend euphorique. Tous les jours, je rends visite à mes enfants, mais une chose m’importe plus que tout : organiser l’anniversaire de ma fille, qui aura dix-huit ans le 10 avril.
En attendant cette date, je dois remonter de l’oseille, ayant prévu de lui offrir une superbe automobile.
Dans l’espoir d’être un peu tranquille, je m’équipe d’une moto, une 850 TDM. Avec un engin pareil, je devrais pouvoir me faufiler dans les embouteillages et rouler en paix. J’ai le tort de croire que ma seule moto mettra assez de distance entre moi et mes poursuivants.
Je suis devenu SDF. Je vais d’hôtel en hôtel. J’ai aussi perdu mes équipiers : Djamel et les deux Nordine sont retombés pour braquage. Et c’est avec Tony que je jette les bases d’une nouvelle association, à laquelle se joint un autre ami, Vincent B.
On ne chôme pas, les services de police non plus. Ils n’ont pas perdu de temps. À croire que je suis le seul bandit digne d’intérêt sur Paris et dans toute la banlieue.
Le jour de l’anniversaire arrive, toute la famille est présente, de même que les amis, Jackie, la femme de Nordine, son amie Délhia et tous les autres. Ma fille a reçu son cadeau et la fête bat son plein. Alors que j’accompagne Ghislaine sur la piste de danse, un malaise m’oblige à m’allonger. Tout le monde s’affole en pensant à une crise cardiaque, mais ce n’est en réalité qu’une simple crise d’hypoglycémie. Me voilà sur un lit à l’hôpital, sous perfusion, mais les râles incessants de mon voisin, un homme d’un certain âge, me collent une irrésistible envie de fuir. Ce que je fais en arrachant les perfusions, avant de détaler sous les cris des infirmiers.
Moi qui venais de passer les pires moments de ma vie à subir les cris et les hurlements de pseudos ou de vrais malades accros aux tranquillisants, voilà qu’un vieux malade inoffensif réussit à me faire fuir. Ah, il est beau le gangster !
Le quotidien reprend son cours avec ses vicissitudes.
Une nuit, je me trouve en bonne compagnie dans un hôtel de Chilly-Mazarin. Pourtant occupé ailleurs, un bruit, plutôt un son, attire mon attention. Comme un scanner à la recherche d’une fréquence. D’autant plus inquiet que la télé est bien éteinte, je me précipite à la fenêtre, mais ne vois qu’un mur noir.
Une heure plus tard, je raccompagne la femme à une station de taxi de la porte d’Italie et retourne à l’hôtel, où un rendez-vous m’attend avec mon ami Marc.
Je l’informe immédiatement du bruit suspect qui a attiré mon attention pendant mes activités sexuelles et il me fait signe de baisser la voix, tout en m’invitant à sortir de la chambre pour discuter. Nous faisons le tour du parking sans rien apercevoir de suspect. Et pour cause : comme je l’apprendrais plus tard, les gendarmes avaient réquisitionné la chambre mitoyenne.
Le lendemain matin, Tony me réveille à 8 heures, en frappant à la porte. Nous avons prévu de nous rendre dans un magasin de motos pour acheter des cagoules – pour mettre sous les casques.
Direction Villejuif et la RN7, où je laisse le véhicule sous bonne garde, Tony étant trop fatigué pour m’accompagner. Mes achats effectués, je regagne le véhicule en arrivant par l’arrière. Parvenu à la hauteur de la portière, je fais brusquement demi-tour, mon attention ayant été captée par une petite anomalie. Un petit morceau de métal brillant incrusté sur l’essieu arrière.
En m’accroupissant, je découvre une boîte métallique de forme rectangulaire, maintenue par des attaches en plastique comme en utilisent les électriciens. Et c’est en hurlant que je lance à Tony :
« Saute de la vago, il y a une bombe ! »
Pourquoi ai-je pensé à un engin explosif ? À part les flics, je ne me connaissais pas d’ennemis. Mais sait-on jamais.
Mon ami me rejoint précipitamment, s’agenouille et donne son verdict :
« Espèce de con, elle aurait explosé depuis longtemps ! C’est sûrement un bip. Les condés ont dû l’installer pendant que tu tirais à l’hôtel. »
Tout en parlant, il commence à démonter la « chose », tandis que je m’écarte de dix mètres. La prudence n’étant pas un vilain défaut.
Vérification faite, la boîte de métal contenait bel et bien un émetteur de marque Panasonic. Putain ! Les condés ne voulaient pas perdre ma trace.
Nous appelons aussitôt Marco qui me demande de passer le récupérer au plus vite à l’hôtel. Il attend sur le balcon et balance son sac de sport en moins d’une seconde, suivi du mien.
Une fois dans la vago, il ne prononce qu’une seule phrase :
« Fonce à la gare de Lyon, je retourne chez moi. »
Une heure plus tard, il saute dans le premier TGV en direction de Bellegarde. À son arrivée, une mauvaise surprise l’attend : les condés. Lui aussi, prudent pour deux, il les a retapissés, ce qui lui permet de rejoindre sa femme sans attirer l’attention, de disparaître avec elle à bord d’une voiture et de passer tranquillement la frontière suisse.
L’alerte aura été chaude !
Au gré d’une virée nocturne, je fais une escale dans le piano-bar tenu par Jackie, la femme de Nordine. Je lui explique que je suis à la recherche d’un appartement, mais pas vraiment en mesure de fournir la moindre feuille d’impôt, ni le moindre justificatif pour une location. Comment annoncer au propriétaire qu’il devra se passer de ces documents ? Lui dire que je sors de prison ? Le résultat serait le même que celui qu’obtiendrait un mec se présentant pour une embauche après plusieurs années d’enfermement. Immanquablement, il s’entendrait dire une phrase du type :
« Qu’avez-vous fait de telle année à aujourd’hui ? Merci, monsieur, on vous contactera. »
Bien sûr le mec pouvait toujours mettre un cierge à l’église, mais le résultat était là. Pas de location possible pour un ancien taulard.
Heureusement, Jackie est ma bonne fée ; elle en parle à Délhia, croisée lors de l’anniversaire de Ghislaine. Une très jolie fille, grande, fine, des cheveux bruns et de grands yeux noirs, très dynamique. Une femme au caractère bien trempé, qui sans aucune hésitation me propose une chambre avec salle d’eau indépendante dans son grand appartement. Le temps qu’elle me trouve autre chose.
Le lendemain j’emménage chez elle, à Bagnolet, dans le 93. Elle n’ignore pas grand-chose de ma vie, car Jackie l’a mise au parfum, par honnêteté. Au fil des mois, j’apprendrai tout de la sienne et découvrirai son grand courage. Elle n’a vraiment peur de rien, sauf des arêtes de poisson et des seringues.
Merveilleuse hôtesse, elle est par ailleurs très attirante, mais avant de lui faire la cour, je questionne Jackie pour savoir si elle a un mec dans sa vie. La mauvaise nouvelle tombe. Délhia sort avec un brave garçon… qui s’installe lui aussi dans l’appartement quelques jours plus tard. A-t-il pressenti un quelconque danger ? Fort probable, même si je m’efforce de ne plus voir en Délhia qu’une amie.
Un nouveau déménagement s’impose, et Délhia trouve la solution, une nouvelle fois. Elle débusque un appartement dans l’immeuble voisin, ce qui nous permet de continuer à nous voir très souvent et à dîner régulièrement ensemble avec son compagnon. Avec lequel une réelle amitié allait naître. Je ne remercierai cependant jamais assez Jackie de m’avoir permis de rencontrer Délhia qui deviendra plus tard l’actrice principale de ma vie. Quels regrets de n’avoir pas su ressentir les sentiments qu’elle me portait à cette période, aveuglé que j’étais par ma mentalité !
En attendant, la vie met sur ma route une jeune femme employée comme barmaid au piano-bar de Jackie. Quelque temps plus tard, elle insiste pour emménager dans mon appartement.
Notre vie commune ne durera que trois mois à temps complet. Une cohabitation qui sera stoppée par l’une de ces montagnes russes qui donnent tout son relief à mon chemin.
Entre-temps, je perds mon neveu et ami, Francis Chemith, abattu par la police lors d’une fusillade qui éclate à l’occasion du braquage d’un fourgon blindé en plein quartier de Pigalle. Pas moins de neuf balles dans le corps. Mon avocat m’apprend que les antigangs voudraient bien m’entendre sur le sujet.
Paraît-il qu’un larron se serait enfui de la scène du braquage, qui a également causé la mort d’un autre participant. Mais je ne me présente pas, sachant pertinemment le risque encouru : quelques mois de prison préventive, en attendant de découvrir le vrai fuyard.
La partie de cache-cache prend fin un dimanche matin, alors que je reviens de promener mes deux chiens, accompagné de mon ami Tony. Nous gravissons les quatre marches de l’entrée de l’immeuble, pénétrons dans le hall, j’appelle l’ascenseur… C’est à ce moment que plusieurs mecs armés surgissent de l’escalier de service, rejoints aussitôt par d’autres, jaillissant cette fois d’un appartement. Le traquenard parfait, inutile de faire les présentations.
Pas la moindre chance de s’en tirer. Les condés se jettent sur nous, avant de nous plaquer au sol en nous arrosant des insultes habituelles, doublées de coups de pied et de crosse. La routine, à peine troublée par les aboiements de mes chiens, qui n’ont malheureusement rien à voir avec des rottweillers.
« On monte à l’appartement avec Michel pour la perquise ! » ordonne le chef, non sans avoir vérifié que j’étais bien menotté. La perquise ? Je pense immédiatement au sac de sport rempli de billets de banque dissimulé derrière les doubles rideaux de la chambre. Je vais une nouvelle fois perdre quelque 350 bâtons d’économie ! Que dalle en comparaison de ma liberté envolée.
Mon amie, affolée, ouvre la porte, et un tsunami envahit l’appartement. Quelques secondes de pagaille et une voix venant de la cuisine demande :
« À qui appartient la boîte à chaussures rangée sur le haut d’un meuble de la cuisine ?
— À moi, dis-je. Ce sont mes économies.
— Oui, je vois ça. Tu ne fais pas confiance aux banques ?
— Pas trop ! »
Il se met à compter les billets un par un – je connais le montant exact, mais je ne vais quand même pas lui faciliter la tâche. De plus, il n’aurait aucune confiance en moi.
« Cela fait 45 plaques, dit-il au bout d’un moment. D’où vient cet argent ? Et les initiales écrites sur les billets, que signifient-elles ? »
Silence. Je préfère m’éviter un mensonge.
Un autre condé déniche un scanner sur la table du salon.
« À quoi te sert-il ? me demande-t-il.
— À écouter les délires des cibistes. »
À nous écouter, plutôt, pense-t-il tout haut, et son intuition se confirme lorsqu’un autre flic découvre la liste des codes utilisés de tous les services de police.
Un autre débusque un calibre 38 spécial sous un des coussins du sofa. Encore dix minutes et la perquise est terminée.
Bizarrement, aucun des condés n’évoque mon sac de sport. Pourtant il était bien là avant mon départ. Ma compagne a-t-elle réussi à planquer le magot ? Il ne réapparaîtra jamais. Majax est-il passé par là ? Envolé. Perdu, mais certainement pas pour tout le monde. À mon avis, des condés ont dû très vite poser des congés payés.
Tony, ma compagne et moi sommes transportés jusqu’au siège de l’OCRTIS8, à Nanterre, sachant qu’une garde à vue peut durer jusqu’à quatre-vingt-seize heures dans le cadre des affaires de stupéfiants.
Dans les couloirs, j’ai l’extrême surprise de croiser Délhia sous bonne escorte. Je l’ignore : pas censé la connaître. Elle m’adresse pourtant un sourire rempli de tristesse, pensant à cet instant plus à ma situation qu’à la sienne.
Les condés essaient de la pousser à bout pour qu’elle leur avoue me connaître, avant de lui demander si elle ne s’adonne pas à la prostitution. C’est mal la connaître. Elle ne voit pas qui est Michel Lepage, pas plus que Tony ni Vincent. Quant au reste, non, elle ne fait pas la pute.
Elle sera remise en liberté après une garde à vue digne du grand banditisme, mais les condés n’en ont pas terminé avec moi. Ils sont trois à me questionner chacun leur tour.
« Ce matin, qu’est-ce que tu foutais devant l’hôtel Floridor, avenue des Ternes ?
— À quelle heure ?
— 10 heures !
— Impossible, je promenais les chiens dans mon quartier, où vous m’avez serré.
— Ne te fous pas de ma gueule ! Et la poursuite en moto, c’était peut-être ton sosie ?
— Quelle poursuite ? »
Voilà qu’il me narre une course-poursuite invraisemblable, moi pilotant une moto, d’après leurs dires, suivi d’une voiture :
« Devant l’hôtel Floridor, Vincent se trouvait à bord d’une R21, tu étais là pour le protéger, au guidon d’une Yam 850 TDM. Avec une visière opaque, d’accord. Mais on t’a tous reconnu, depuis le temps qu’on te chasse. On n’a aucun doute là-dessus, tu comprends ? Vincent a échangé un sac de sport avec un homme, un Libanais, contre une mallette. À partir de là, vous vous arrachez, on vous filoche, mais vous nous repérez. C’est là que commence la course poursuite… Toi, sur la moto, tu remontes l’avenue de Wagram, tu fais le tour de l’Arc de triomphe et tu t’engages à fond sur l’avenue de la Grande-Armée. Tu grilles plusieurs feux rouges, Vincent fait de même au volant de sa bagnole. Puis tu enquilles le périph. Tu n’as pas le trac, plusieurs fois tu frôles le 220 km/h, tout en slalomant entre les voitures. À la hauteur de la porte de Bagnolet, tu nous largues. On tape le véhicule de Vincent qui finit contre le rail de sécurité. Il quitte la voiture et tente de s’arracher en courant, traversant le périph, tout en balançant tout ce qu’il a dans ses poches. On le rattrape sur la bretelle qui débouche du côté de Bagnolet. Et sais-tu ce que nous avons trouvé dans la mallette que Vincent a balancée ?
— Non et je m’en branle !
— Tu t’en foutras moins devant le juge. Six kilos d’héroïne. D’ailleurs on se demande ce qu’un braqueur comme toi fait dans le trafic de came.
— Eh bien tu vois, toi-même tu le dis ! Je n’ai rien à voir dans ton film.
— OK ! On va se rendre à Bagnolet pour visiter les parkings souterrains. La concierge nous a indiqué que tu y louais un box. »
Je « bats le coup », non sans pressentir une catastrophe monumentale.
Une heure plus tard, le convoi de trois voitures arrive devant la porte donnant accès au sous-sol de la résidence dûment surveillée par trois condés équipés de pistolets mitrailleurs. Trois lardus m’accompagnent jusqu’à mon box, dans lequel se trouve déjà Vincent, également en bonne compagnie.
Un spectacle terrifiant se déroule sous mes yeux, celui d’un arsenal complet étalé sur une couverture. Pistolets mitrailleurs, armes de poing, fusils à pompe, cagoules, gyrophares. Autrement dit, l’outillage du parfait braqueur.
Me désignant du doigt des cartons ouverts et un sac, un condé me questionne :
« Sais-tu ce qu’ils contiennent ?
— Non.
— Quatre-vingts kilos de chichon et trois kilos d’héroïne dans le sac. »
Au cours de l’enquête, il sera révélé que l’héroïne était d’une pureté rare, autour de 92 %. Ce qui m’attira cette question de la part du juge, plus tard :
« Monsieur Lepage, vous vouliez faire mourir les clients ? »
En attendant, c’est le chef de la BRI qui est à la manœuvre :
« Tu reconnais ton matos ?
— Ce n’est pas à moi.
— Tu te fous de ma gueule ? Le propriétaire dit que tu loues le box depuis plusieurs mois. »
N’ayant pas grand-chose à répondre devant cette évidence, je lâche en prévision de la suite :
« Je l’ai sous-loué à un mec.
— Comment s’appelle-t-il ? demande le condé, très intéressé.
— Un dénommé Carlos.
— Des Carlos, ce n’est pas ce qui manque. J’espère que ce n’est pas l’autre con de terroriste. Son nom de famille ?
— Il m’est inconnu. J’ai fait sa connaissance dans un bar par l’intermédiaire d’un pote.
— Un bar arabe, je suppose ?
— Non ! C’était chez des Serbes. »
Il faut toujours suivre l’actualité pour offrir des réponses acceptables. Le condé n’insiste pas trop, d’autant que Vincent, au même instant, mais dans une autre pièce, fait à peu près les mêmes déclarations que moi.
Nous voilà tous les deux transférés dans les sous-sols du palais de justice de Nanterre, où mon ami occupe une geôle mitoyenne de la mienne. L’occasion d’échanger quelques mots pas forcément inutiles pour la suite de l’histoire.
« La mallette était censée contenir cinq lingots d’or, m’explique Vincent. Je devais juste la récupérer et la livrer quelque part à un dénommé Carlos, en échange de quoi je devais toucher cinq barres. »
Message reçu 5 sur 5. Les mecs l’avaient envoyé sur un coup foireux sans l’aviser du véritable contenu de la mallette.
Les condés viennent interrompre brusquement nos bavardages…
Présentés devant une magistrate du Palais de justice de Paris, nous sommes, Vincent et moi, inculpés pour trafic de stups. Comme je suis l’unique locataire du box, j’écope en prime d’une mise en examen pour détention d’armes et de faux documents administratifs, plusieurs cartes grises vierges, cartes d’identité et autres fausses quittances d’assurance.
Détail bizarre dans cette affaire, alors qu’elle avait cerné l’hôtel, la police n’a pas jugé utile de sauter les « Libanais ». Ils sont repartis libres, chargés de quelques millions. Ce qui m’invite à penser que les stups ont monté un beau « travail » pour me faire tomber.
Tony est au passage rattrapé pour un trafic de H dans lequel Vincent et moi sommes écartés. Une histoire qui remonte à plusieurs mois et qui va lui coûter très cher. Un mec lui a un jour emprunté sa R19, lorsqu’il s’est fait sauter par les stups en sortant d’un box, à Neuilly-sur-Seine, avec dans le coffre quelque 250 kilos de H. Dans le box, il y en avait plus d’une tonne. Tony aura beau clamer son innocence, il prendra trois piges de ballon.
Cette garde à vue m’aura par ailleurs permis de faire une découverte au sujet de ma compagne. Elle m’avait assuré travailler comme serveuse dans un restaurant de Nice, alors qu’en fait elle s’adonnait à la prostitution. Et moi, je n’avais rien deviné. Dès lors, nos rapports changent. Je ne peux plus la regarder comme avant, dans la mesure où elle m’a menti, tout en me faisant courir le risquer de tomber pour proxénétisme, moi qui ai un profond respect pour les femmes. Nous allons désormais jouer à un autre jeu, il faut bien assurer les parloirs pour transmettre les messages, sans oublier les choses plus intimes.
Me voilà de nouveau dans une voie de garage, pour un bon moment vu l’addition des délits : la maison d’arrêt de la Santé. Mon cerveau n’attend pas pour entrer en ébullition et se concentrer sur la seule question qui vaille : comment écourter ce séjour ? C’est le fameux optimisme du bandit, que résume parfaitement cette phrase signée Oscar Wilde : « Il faut viser la Lune car, en cas d’échec, on atterrit toujours dans les étoiles. » Ou au mitard, entre quatre murs gris.
La première visite de Ghislaine m’apporte un peu de réconfort, en même temps que les dernières nouvelles, pas toutes bonnes. Sergio s’est fait serrer pour une bagarre. Rien de bien grave, mais des larmes emplissent mes yeux lorsqu’elle lâche en plein milieu de la discussion :
« J’avais retrouvé un père. »
Malgré mes absences, malgré tous les désagréments qu’une vie de bandit procure aux proches, elle dit cependant comprendre mon choix de vie.
La Santé m’apporte un nouvel ami sur un plateau, prénommé Imed. Je le reverrai à l’extérieur, mais nos chemins se croiseront plus souvent au ballon. Lui aussi est du genre turbulent.
Une quinzaine de jours après sa libération, on me demande de quitter la cour de promenade avant l’heure, officiellement pour recevoir la visite de mon avocat. Sauf que je ne le verrai jamais. Un comité de réception musclé me cueille derrière la première porte pour me conduire directement dans un fourgon de transfert.
L’administration pénitentiaire ne m’a pas oublié : la valse des transferts semble vouloir reprendre de plus belle.
Mon petit voyage me conduit à Fleury-Mérogis. Je demande au directeur une faveur : mon affectation dans le même bâtiment et au même étage que mon fils Sergio.
« C’est moi qui dirige ma prison, me répond-il. Pas la mafia ! »
Clair et net.
Sergio est au bâtiment D4 ; il m’affecte au D3. Je l’agonis d’insultes ; il me fait sortir manu militari de son bureau en me promettant le mitard.
Son mitard, je n’ai même pas l’occasion de le tester. Une heure plus tard, un nouveau fourgon cellulaire me transporte vers la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, dans les Yvelines. Où je retrouve une tête connue : celle du directeur, que j’ai croisé en fin de peine à Moulins. Après avoir évoqué quelques souvenirs, il me demande :
« Tu as une idée de la raison de ton transfert ?
— Non, aucune.
— Suspicion d’évasion. »
Encore ! Cette fois, je ne feins pas la surprise, car je n’avais vraiment rien sur le feu.
Le bâtiment F sera mon nouveau domicile. En promenade, je fais la connaissance de Didier Lunel et de Farid Dellys. Au bout de quelques jours, Farid me demande si je veux bien de lui comme codétenu en cellule. Je préfère être seul, mais c’est un gentil mec, très propre et sportif, alors j’accepte. Un prélude à la chance.
Nous consacrons la plupart de nos heures passées hors de la cellule à faire du sport. Le reste du temps, nous nous remémorons nos souvenirs.
Jusqu’au jour où Farid me fait part d’un projet d’évasion qu’il est en train de concocter. Il s’agit pour lui de profiter d’un transfert en train. Un gars est prêt à l’aider, dont il me glisse le nom : Christian Baldéras. Putain, je le connais bien, il est de la même banlieue que moi ! Un mec gentil.
Quelques instants de réflexion, et je fais à Farid une contre-proposition. Un truc que je n’ai jamais tenté jusqu’à présent : une évasion par hélicoptère. Sans la moindre hésitation, mon compagnon de cellule se dit prêt à participer. À mon grand étonnement, en fait, car il risque au maximum cinq piges, sans compter les remises de peine. Cela vaut-il vraiment le coup de s’embarquer dans une pareille aventure pour si peu ? Une évasion par les airs alourdira l’addition en cas de rechute, mais mon compagnon de cellote doit avoir ses raisons.
Un rendez-vous est arrangé avec Christian, sur le stade de football, pour discuter des conditions dans lesquelles il pourrait nous aider à nous arracher au moyen de ce « ventilo ». Lui aussi accepte sans l’ombre d’une hésitation, objectant simplement qu’il n’a ni argent, ni armes pour faciliter cette évasion.
Aucun problème. Sergio, qui a retrouvé la liberté après deux ou trois mois de « vacances », l’assistera dans toutes les phases de l’opération. Mon fils lui expliquera la marche à suivre et fournira matériel et aide financière. L’opération consistera essentiellement à louer un hélico en prétextant un baptême de l’air et à braquer le pilote pour le détourner de sa route et le contraindre à mettre le cap sur la prison. La compagnie choisie est basée sur l’aérodrome de Saint-Cyr-l’École, à quelques kilomètres de la zonzon.
Le jour de l’arrachage est fixé au dernier dimanche du mois d’août, à l’occasion de la promenade du matin…