Mes quarante-cinq jours de mitard purgés, la maison d’arrêt de la Santé me tend son hospitalité et une cellule en première division. Seulement pour quelques jours. Car mon voisin de cellule n’est autre que le témoin qui m’a balancé dans l’affaire du cinéma.
Le lendemain de mon arrivée, cette ordure adresse un courrier au directeur et au juge d’instruction dans lequel il fait savoir que ma seule présence met sa vie en danger.
Il est vrai que tous les témoins à charge dans cette affaire subissent des tabassages réguliers, à tel point que le juge instructeur me prie de les faire cesser. Paraît-il que des amis de la banlieue sud se chargeaient de ces expéditions punitives pour me venger.
Ce bon juge doit me prendre pour Don Corleone, le chef de la mafia dans Le Parrain, le film de Coppola.
Toujours est-il que je suis rapidement « balluchonné » vers une cellote du rez-de-chaussée de la deuxième division. Et qu’il me faut patienter pas moins de deux mois avant de recevoir la visite de mes enfants et de leur mère. La solitude du mitard n’est rien comparée à ce vide.
Lorsque je peux enfin les voir et les entendre, les gosses me racontent leurs histoires et leur dernière journée d’école. Comme à chaque fois, les questions fusent au sujet de mon retour à la maison. Ne voulant pas leur mentir, je préfère éluder.
Mon obsession (m’arracher) ne flanche pas et je cogite au meilleur plan pour arriver à mes fins. La solution s’impose à moi dans le courant du mois de juin 1977, à l’occasion d’un transfert au palais de justice d’Evry.
Habituellement, mes déplacements hors de la prison sont pris en charge par une escorte renforcée. Trois motards ouvrent la route, suivis de trois fourgons chargés de policiers en uniforme, plus deux véhicules bourrés de flics en civil.
À ma grande surprise, je suis accueilli ce jour-là au greffe par trois gendarmes. Certainement que les autres attendent dans la cour d’honneur, pensais-je. Mais non, un seul homme patientait : le chauffeur.
Le chef d’escorte, un homme de soixante ans environ, proche de la retraite, prend place à l’avant droit. Je me retrouve assis sur la banquette, flanqué d’un gendarme et relié par une chaîne à un autre, assis en face de moi. Une escorte light qui devrait faciliter l’exécution du plan prévu pour ce jour.
Si tout se passe bien, comme à chaque début d’audience, le juge demandera aux gendarmes de m’ôter les menottes. La porte communiquant avec le bureau voisin restant toujours grande ouverte. Lorsque le magistrat me demandera de signer mon procès-verbal, je me précipiterai vers le bureau voisin, je parcourrai le long couloir, puis je dévalerai l’escalier et retrouverai sur le parking la voiture où doivent m’attendre Piaf et son frère Milo, mes chers amis.
Mais cela prend une autre tournure. Car à l’issue des salutations, le juge m’avise de sa décision :
« Monsieur Lepage, vous gardez les menottes pendant toute la durée de l’audience. Aujourd’hui, il s’agit de vous confronter avec vos accusateurs, je ne veux pas que cela se termine en pugilat. »
Il a raison. Ces mecs qui m’accusent à tort provoquent en moi une rage incommensurable, la bataille serait inévitable. À plusieurs reprises, durant cette houleuse confrontation, les condés doivent se dresser entre eux et moi.
En attendant, voilà encore une nouvelle désillusion.
Lorsque le fourgon quitte le sous-sol du palais de justice, j’aperçois mes deux amis dans leur véhicule. La tristesse se lit sur leurs visages. Le trajet du retour me permet de gamberger à un autre plan pour retrouver l’air libre. Avec trois gendarmes pour m’escorter, le coup est jouable. Mes amis et moi avons déjà réussi des opérations plus ardues.
Dans ma cellote, je m’allonge (un tic) sur mon lit les mains derrière la tête. Un gars obsédé par son évasion est comme un animal pris au piège. Il trouvera toujours une solution. D’ailleurs, il n’a que ça à faire.
Après avoir peaufiné un plan mentalement, je me lève et m’installe à ma table pour réaliser un dessin à l’attention de mes gosses. Au verso, avec l’aide d’un stylo à plume magique dont l’encre a été remplacée par du savon liquide pour bébé, je dresse le plan pour mes amis. Lorsque le liquide sèche, les écrits disparaissent. Pour les faire réapparaître, il suffit de passer sur la feuille un fer (pas trop) chaud. Un truc magique que je peux dévoiler sans passer pour un indic : il a été depuis longtemps mis au jour par l’administration pénitentiaire – ou bien balancé. Depuis, bon nombre de systèmes plus sophistiqués ont fait leur apparition.
Un refus de la part de mes amis ? Impensable. Chez nous, on va chercher celui qui veut s’arracher.
Ce courrier très spécial est acheminé par un maton-facteur. Contre rémunération.
Me voilà de nouveau dans un fourgon de l’administration pénitentiaire, en route pour le palais de justice d’Evry, en cette première semaine du mois de juillet 1977. Avec l’espoir de ne pas participer au voyage retour.
Dans quelques minutes, la liberté doit me tendre les bras. L’adrénaline m’envahit, m’empêchant de rester zen devant mon escorte composée de trois gendarmes et du chauffeur du fourgon cellulaire, comme la fois précédente. Le chef d’escorte est un homme d’une cinquantaine d’années et, à sa tronche, on devine qu’il aime les bonnes choses de la vie. Les deux autres, beaucoup plus jeunes, semblent nettement plus stricts. Plus tard, je découvrirai le pourquoi de cette escorte allégée : manque d’effectifs pendant la période des vacances.
Le fourgon cellulaire passe la porte de la prison à 14 heures, comme prévu, puis vire à droite en direction du boulevard Saint-Jacques. Je me prépare, concentré, tel un sportif : normalement, mes amis doivent passer à l’action à l’angle de la rue de la Santé et du boulevard Saint-Jacques.
La déception m’anéantit lorsque le fourgon franchit le carrefour sans encombre.
Le monde s’écroule autour de moi, projetant devant mes yeux un immense nuage noir.
Par la petite fenêtre ouverte, je tente de repérer des véhicules dans lesquels pourraient se trouver mes libérateurs. Aucune trace. Incompréhensible.
Ils ne peuvent pas avoir raté un tel rendez-vous sans qu’une catastrophe leur soit arrivée. Ils sont tellement turbulents, parfois…
Au palais de justice, je croise Jean-Claude et Antoine, eux aussi présents pour signer le dossier, définitivement clos.
Mon retour vers la zonzon est encore plus difficile que les fois précédentes.
Le lendemain, au parloir, Claire m’apprend que la lettre avait en partie brûlé sous l’effet du fer à repasser. Trop chaud ! Impossible de lire l’heure indiquée, du coup, mes amis se sont calés sur une sortie avant 13 heures. Courageusement, ils sont restés dans la rue de la Santé à bord d’une Estafette Renault de 8 heures à 13 h 30. Gilet pare-balles sur le dos, cagoule sur la tronche malgré la chaleur de l’été. Ils ont dû vivre un enfer, sans oublier l’angoisse de se faire retapisser5.
Ils m’exhortent de trouver une solution pour obtenir une nouvelle extraction, ce qui contribue à me remettre du baume au cœur.
Mon cerveau entre en ébullition pour inventer une histoire tenant suffisamment la route pour justifier d’une nouvelle comparution devant le magistrat. Soudain, l’évidence s’impose à moi. Vite, le stylo magique !
La lettre part via le courrier normal. Ce n’est pas prudent, mais je suis trop pressé pour attendre le jour de passage du maton facteur. Le juge va-t-il tomber dans le panneau ? L’attente est interminable et la fatigue ne m’emporte certaines nuits qu’aux premières lueurs du jour. Seul le parloir est en mesure d’apaiser l’extrême tension, même si mes rencontres avec Claire deviennent orageuses lorsque l’on aborde LE sujet, autrement dit, mon arrachage. Elle a une autre vision de notre avenir, mais finit par s’aligner sur ma décision, car elle ne peut me demander de passer toutes ces années en zonzon.
Malheureusement, l’imprévu brouille encore mes prévisions.
Un matin, alors que j’effectue mes séries de pompes et abdos en attendant l’heure de la promenade, un maton débarque pour m’annoncer la visite de mon avocat.
Curieux. Depuis le début de mon incarcération, il ne me rend visite que les samedis matin, or nous sommes mardi. Viendrait-il m’annoncer un non-lieu ? Encore un rêve…
Dans le couloir, encadré par mes deux gardes du corps, je penche plutôt pour un baluchonnage surprise.
Pénétrant dans le cagibi exigu qui sert de parloir, je manque de tomber à la renverse, stupéfait de découvrir le juge en lieu et place de mon avocat. Il me salue avec un sourire, avant de rompre le silence, intrigué par ma mine déconfite :
« Vous avez l’air étonné de me voir ? Pourtant, vous m’avez adressé un courrier pour me dire que vous vouliez faire des révélations sur l’identité du coupable de l’assassinat de monsieur Ali. Donc, je suis venu pour vous entendre. »
Le con ! Je restais muet, statufié, à tel point que je n’aurais pas fait tache parmi les statues vivantes que l’on peut admirer sur les Ramblas, à Barcelone. Mon silence dure une éternité, tandis que je cherche mes mots, et c’est sur un ton coléreux, à la limite de l’hystérie, que je finis par apostropher le juge :
« Vous voulez ma mort ? »
Tout au long de l’instruction, il n’a jamais perdu son calme, malgré les nombreuses occasions que je lui ai fournies. Cette fois, il craque et sort de sa réserve :
« Comment ? Que dites-vous ? »
Je l’interromps brutalement, aussi énervé qu’aurait pu l’être un acteur :
« Vous ne savez pas ? Il n’y a que les indics que les juges viennent entendre entre les murs de la prison !
— Non, je l’ignorais. Vraiment, je suis désolé monsieur Lepage. »
Sa réponse est frappée au coin de la sincérité, mais son métier reprend le dessus et voilà qu’il tente une énième fois de me faire avouer :
« Maintenant que je suis là, vous pouvez me parler. »
Je prends mon air le plus renfrogné pour lui répondre, en gesticulant tel Jean-Paul Belmondo dans l’un de ses rôles :
« Non, je me tire. Je ne parlerai jamais à un juge en prison ! »
Je suis déjà debout pour saisir la poignée de la porte, la température de mon sang au bord de la fusion, lorsque le juge fait (enfin) entendre sa voix :
« Monsieur Lepage, je sens que vous avez besoin de me parler et je comprends parfaitement vos réticences par rapport à cet endroit. Mon bureau sera plus adéquat, je vous propose donc un rendez-vous au mois d’août. La date exacte vous sera communiquée par courrier. Cela vous convient-il ?
— Parfait, monsieur le juge. Au revoir. »
Dans le couloir, mon visage s’illumine de bonheur. Heureusement le juge ne me voit pas. Le feuilleton (on dit plutôt la série de nos jours) de mon évasion peut continuer. Le soir venu, je me mets au dessin, avant de coucher au stylo magique les quelques mots destinés à mes amis.
Tout est clair dans ma tête.
En prévision de mon arrachage, j’ai fait l’acquisition d’une caravane, que j’ai confiée à ma tante Madeleine, à charge pour elle d’y garder mes enfants cet été, sur un terrain de camping de Cabourg où elle a ses habitudes depuis plus de vingt années.
Claire attendra dans un appartement sur la commune d’Arcueil, dans le 94. Nous récupérerons les enfants dès que je serai prêt pour le départ en Amérique du Sud.
Mon avocat me rend visite au début du mois d’août pour m’annoncer la date de mon audience. Le juge est tombé dans le panneau, mais quel magistrat n’aurait succombé devant un « grand » gangster promettant de se mettre à table ? Mon avocat est en revanche nettement plus sceptique, connaissant ma mentalité, mais il élude le sujet.
Le 18 août 1977, vers 13 heures, je subis la fouille à corps rituelle des gendarmes, avant de rejoindre au greffe le même chef d’escorte que lors de la dernière extraction.
En me voyant passer les poignets menottés, le maton de faction devant la porte donnant sur la cour d’honneur me lance en souriant :
« À tout à l’heure, Lepage ! »
Sans trop savoir pourquoi, probablement pour faire le mariolle, je balance :
« Peut-être pas ! »
Dans le fourgon cellulaire, une grille de sécurité me sépare du pilote et du chef. Mes deux gardes du corps me font face, dont l’un est relié à mes menottes par une chaîne de soixante centimètres. Alors que le véhicule vire à droite en direction du boulevard Saint-Jacques, je peux voir l’extérieur par la petite fenêtre latérale, ouverte.
Une trentaine de mètres plus loin, j’aperçois mon neveu Francis au volant d’une puissante Mercedes. Les liens qui m’unissent à lui sont plus forts que cette chaîne qui me rattache au gendarme. Cela remonte à son adolescence, quand j’allais le récupérer au centre de rééducation de Savigny-sur-Orge, où ses parents l’oubliaient (trop) souvent à mon goût. À chaque fois, je m’engueulais avec le directeur du centre qui refusait de le laisser sortir en fin de semaine pour cause de punition.
Un peu plus loin, une Jaguar stationnée en double file, avec un mec au volant que je ne parviens pas à identifier. Puis une fourgonnette dont le pilote porte une casquette et des lunettes de soleil, également inconnu.
Mes amis ont répondu présent et je sens une nouvelle fois monter l’adrénaline.
Le fourgon arrive à l’extrémité de la rue de la Santé et commence à virer sur sa gauche : c’est l’endroit que nous avons choisi et je suis chaud comme la braise, prêt à l’action. Sauf qu’il ne se passe rien !
Le fourgon roule maintenant sur le boulevard Saint-Jacques, en direction de la place d’Italie. La Jaguar se hisse au niveau de la portière du fourgon. Son chauffeur porte des lunettes et un sweat doté d’une capuche qui lui cache la moitié du visage. En plein mois d’août, c’est un truc à se faire taper aux fafs6 ! Reconnaissant malgré tout Poukite, un mec de ma banlieue, je me prépare à jouer ma partition.
La Jag accélère brusquement pour venir se poster en travers de la route du fourgon, mais pas assez franchement. Avec dextérité, le chauffeur effectue un écart, grimpe sur le trottoir et poursuit sa route, tout en pestant contre ce conducteur imprudent :
« Putain, il ne sait pas conduire ce bougnoule ! »
Il confond probablement sweat et burnous.
Quant à moi, je peste intérieurement. Encore raté, la série noire continue. Je suis poissard, ou quoi ?
Le fourgon fonce désormais en direction de la place d’Italie, mais j’ai une absolue confiance en mes amis, ils ne lâcheront pas. Le moral commence à baisser à l’approche de la porte d’Italie. Logiquement, le chauffeur va opter pour le périphérique, puis enquiller sur l’autoroute du soleil qui deviendra celui de l’ombre… pour moi.
Les loustics ont encore au moins une fenêtre pour intervenir, mais voilà que la circulation ralentit. À travers le grillage de sécurité, je vois venir la catastrophe : un barrage de condés ! Ils filtrent la circulation tout en vérifiant les documents des vagos. Peu de risque pour qu’ils exigent ceux de leurs collègues, mais pour mes amis, c’est une autre limonade. Je les aperçois d’ailleurs qui tracent leur route vers la RN7 en direction de Villejuif.
C’est mort.
Ma cellote me tend à nouveau son confort. Je suis noir. Il me faut trouver une nouvelle histoire en béton et la présenter au juge.
Car j’y vais direct.
En entrant dans son bureau, j’affiche un air de chien battu, le regard baissé sur la pointe de mes chaussures. Un triste état que le juge ne manque pas de pointer :
« Cela n’a pas l’air d’aller, monsieur Lepage. N’ayez pas d’inquiétude, il est normal de ne pas vouloir payer pour une autre personne. Peut-on commencer ? »
Silencieux quelques secondes, je commence d’une voix penaude :
« Monsieur le Juge, la lettre que vous avez reçue a été écrite dans un moment de déprime totale. Je n’ai rien à vous dire aujourd’hui… »
Soudain très énervé, il aboie :
« Vous exagérez, monsieur ! Toute la procédure va être retardée, pour vous-même, mais aussi pour vos coaccusés !
— Je sais, mais je veux être certain de ne pas faire une bêtise. »
Prenant le temps de la réflexion, il me donne une dernière chance :
« Écoutez, je vous laisse huit jours pour vous décider. Ce délai dépassé, je renvoie le dossier devant le Procureur de la République. »
Je reprends mon souffle, soulagé.
Sur le chemin du retour au bercail, j’ai l’impression de reprendre vie. Je scrute tout de même les alentours du palais, lorsque j’entrevois le museau de la Mercedes pilotée par Francis. Mon sang bat à la vitesse du compte-tours d’une Formule 1, limite zone rouge. J’avais raison de croire en eux : mes complices, c’est de la bombe atomique !
Contrairement à ce que pensent la plupart des flics (et à ce que l’on peut lire dans certains livres), ils ne sont là que par amitié. Aucunement pour l’argent !
Le fourgon s’engage sur l’autoroute en direction de Paris, filoché par le mini-convoi composé de la Jaguar, de l’Estafette et de la Mercedes. J’ai beau être classé DPS, les gendarmes ne semblent pas surveiller leurs arrières. Qui attaquerait un fourgon protégé par quatre gendarmes pour libérer un détenu ? Impensable !
Les deux gendarmes se félicitent : l’instruction écourtée, ils rentreront plus tôt à la caserne. De temps à autre, je tire sur la chaîne me reliant à mon ange gardien pour tenter d’avoir du mou. Il résiste sans un mot, comme dans un jeu muet.
Le paysage défile et l’angoisse me rend nerveux. À la hauteur de la porte d’Orléans, un gendarme s’en aperçoit.
« Vous allez bien ? » me demande-t-il.
Qu’est-ce que ça peut bien lui foutre ?
Le lion de Belfort et la place Denfert-Rochereau ne sont plus qu’à quelques centaines de mètres et les véhicules de mes potes suivent toujours, de très près.
Soudain, la Jag double le fourgon cellulaire et vient se positionner d’un coup de volant en travers de sa route. L’Estafette pile à notre hauteur, deux mecs cagoulés en surgissent et braquent le chauffeur et le chef d’escorte à l’aide de fusils à pompe.
Tout s’enchaîne très vite.
Un cagoulé met les choses au point :
« Si vous bougez, vos tronches explosent. »
Le chef rétorque calmement :
« Fais pas le con, mon gars, dans six mois c’est la retraite et j’ai des gosses. »
Le fourgon complètement immobilisé, je passe à l’action en glissant la chaîne derrière le cou de mon gardien, avant de le tirer contre moi. Impossible pour lui désormais de se saisir de l’arme fixée à son ceinturon.
Dans le même temps, je décoche un coup de pied au visage du deuxième, qui glisse au sol, K.-O.
Bruce Lee n’aurait pas mieux fait.
La porte s’ouvre pour laisser entrer deux hommes cagoulés et armés. Ils montent à bord avec agilité en braquant les gendarmes, qui n’opposent aucune résistance.
Au moment de les suivre, j’oublie la chaîne qui se tend et résiste. Je gueule, croyant que le gendarme tente de me retenir, et voit Francis lui assener un coup de crosse sur le crâne, faisant jaillir le sang. Il lâche prise et je saute du fourgon, mes pieds touchent enfin le bitume de la liberté tant espéré. Enfin libre !
J’ai envie de crier, mais mon neveu me tend un 357 tandis que nous courons vers la Jaguar. Les autres se glissent dans la Mercedes et les deux véhicules démarrent dans un formidable crissement de pneus, abandonnant l’Estafette sur place.
Aucune force ne pourra stopper notre fuite !
Un complice équipé d’une paire de cisailles, extirpée d’un sac de sport, coupe les menottes qui m’entravent les poignets, me donnant une sensation supplémentaire de liberté.
Soudain, en plein carrefour, deux képis font mine de se mettre en travers de notre route en portant la main sur leur arme. Ils suspendent tout mouvement en apercevant les canons de notre artillerie aux fenêtres de l’auto, préférant devant cette puissance de feu s’occuper de la circulation.
Dix minutes plus tard, dans le sous-sol de l’immeuble abritant la planque, les cagoules tombent et je reconnais tous les protagonistes de cet arrachage mémorable. Je les remercie très chaleureusement.
Nous rejoignons Claire qui se propose, passé les effusions, de préparer un repas pour fêter mon retour. Francis s’est déjà saisi d’une bouteille de champagne et nous voilà réunis devant la télévision pour regarder le journal et écouter toutes les inepties qui ne manqueront pas d’être dites. Mon portrait apparaît en grand format dans le dos des présentateurs. Tandis que des policiers viennent se plaindre du fait que les gangsters qu’ils se donnent tant de mal à serrer s’évadent trop facilement à leur goût.
À quelques centaines de kilomètres de là, ma tante Madeleine a invité des campeurs dans la caravane à l’heure de l’apéro. Lorsque mon visage apparaît en plein journal télévisé, mon fils Sergio, âgé de trois ans, se met à hurler :
« C’est mon père, je le reconnais ! »
Ma tante tente de le persuader de son erreur, pour rassurer les campeurs, mais Sergio n’en démord pas.