Plus de courrier, plus de journaux, même plus de radio. Juste un livre, et encore, c’est le maton qui choisit. Cela n’a pas que du mauvais, cela dit, sinon il y a un paquet de bouquins que je n’aurais jamais lus. Un livre tous les deux ou trois jours, c’est la règle. De quoi me distraire du lit de fer et du tabouret scellé au sol.
Le plus difficile cependant, ce n’est pas la simplicité du mobilier, mais la suppression des parloirs. Pour ne pas en rajouter, je me débarrasse très vite de mes dernières « libertas », devenues inutiles. Brisées en petits morceaux, elles disparaissent au fond de la cuvette des WC. Un déchirement.
Quarante-cinq jours de mitard, le prix à payer pour avoir caressé l’idée de scier mes barreaux. Quarante-cinq jours sans voir mes proches, sans le soutien moral de ceux que j’aime. Pas mal de détenus craquent dans de telles conditions, conformes avec les vingt-quatre règles du docteur Schein, exposées lors d’une conférence donnée à Washington devant un parterre de psychologues, de sociologues et de directeurs de prison. Un véritable enfoiré, ce prétendu docteur. Un Machiavel de la prison, dont le seul objectif était d’assécher toute émotion chez le détenu. Voici comment :
1) Transférer les prisonniers dans des régions suffisamment isolées pour rompre ou affaiblir sérieusement les liens intimes (amis, famille, milieu).
2) Isoler les leaders naturels.
3) Remplacer ces leaders par des prisonniers collaborateurs.
4) Interdire les activités de groupe qui ne correspondent pas aux objectifs de lavage de cerveau.
5) Espionner les prisonniers pour les confronter ensuite à des données intimes.
6) Amener (par la ruse) des prisonniers à rédiger des déclarations qui seront ensuite montrées à d’autres.
7) S’appuyer sur les opportunistes et recruter des informateurs.
8) Convaincre les prisonniers qu’ils ne peuvent faire confiance à personne.
9) Traiter les prisonniers collaborateurs de manière moins stricte que les autres.
10) Punir ceux qui affichent des attitudes non collaboratrices.
11) Retenir systématiquement le courrier.
12) Empêcher tout contact avec les personnes qui ne sympathisent pas avec la méthode et le régime auxquels est soumise la population.
13) Désorganiser toute norme collective.
14) Persuader collectivement les prisonniers qu’ils ont été abandonnés.
15) Saboter tout soutien affectif.
16) Empêcher les prisonniers de décrire dans les lettres qu’ils envoient à la famille ou aux amis leurs conditions de détention et d’isolement.
17) Ne laisser entrer dans la prison que les livres ou publications dont le contenu est neutre.
18) Placer l’individu dans des situations nouvelles en maintenant les nouvelles normes délibérément floues. Le pousser ensuite à se conformer, à se conduire de la manière souhaitée afin de gagner son approbation et de le soustraire à la pression de son entourage carcéral.
19) Mettre un individu dont la volonté a déjà été sévèrement affaiblie ou érodée avec d’autres détenus dont la réforme est plus avancée. Le travail de ces derniers consistera à saboter les ultimes supports affectifs de l’individu.
20) Utiliser les techniques d’invalidation du caractère, par exemple les humiliations, les injures, les cris afin d’induire des sentiments de culpabilité et de peur. Tout cela doit être accompagné de privation de sommeil et d’interrogatoires périodiques.
21) Répondre par de nouvelles agressions à toute tentative hypocrite de se conformer aux exigences des détenus collaborateurs.
22) Mettre en évidence de façon répétée, par le biais d’autres détenus, les situations passées et présentes dans lesquelles le prisonnier a failli à ses propres normes et valeurs.
23) Récompenser toute soumission et servilité. La pression peut alors être assouplie et le détenu être accepté en tant qu’être humain.
24) Mettre à disposition des supports émotionnels et sociaux afin de renforcer les attitudes nouvelles.
Après avoir subi un tel traitement pendant de nombreuses années, comment ne pas devenir une bête fauve ? Je vais moi-même l’endurer au cours de neuf années en QHS, avec la certitude qu’un an dans ces quartiers équivaut à trois ans dans une prison ordinaire.
Même avec toute la bonne volonté des visiteurs de prison…
Au mitard, le premier incident ne tarde pas.
Le déjeuner avalé, je fais de ma veste roulée en boule un oreiller et m’allonge sur la plaque de fer servant de couche, le matelas ayant été confisqué pour la journée, comme le veut le règlement. L’idéal pour remettre mes os en place, sauf que ma petite sieste en position fœtale ne dure pas très longtemps.
À l’appui des coups de pied qu’il balance contre la porte, le maton gueule :
« Debout ! Tu n’as pas le droit de dormir la journée. »
Un taré, ce mec. La surprise passée, je l’insulte copieusement pour m’avoir tiré de mon sommeil. Lui ne va pas chercher sa réponse bien loin :
« Lepage, tu as un rapport d’incident. »
Une ultime insulte et je retrouve ma position allongée.
Le lendemain, ma sieste et mon écart de langage me valent quarante-cinq jours de mitard supplémentaires.
L’incident suivant manque de déboucher sur un véritable pugilat.
Je comparais au prétoire, derrière la barre de ce tribunal intérieur, sous la surveillance de trois matons censés protéger leur boss. Face à moi, flanqué du chef de détention et d’un brigadier, le directeur commence sans préambule :
« Lepage, j’en ai plus qu’assez que vous insultiez mes surveillants (ses choses).
— Je n’aime pas être réveillé brusquement.
— Si un jour il leur arrivait de vous frapper, je comprendrais leur réaction. »
Après ces menaces à peine déguisées, le tutoiement s’impose :
« Parce que tu crois que je me laisserais faire ? Comment justifierais-tu les traces de coups ou quelque chose de plus grave ? »
Il part en sucette sous mes yeux, empruntant brusquement le langage des taulards, la colère lui faisant oublier jusqu’au vouvoiement :
« Je dirai que tu es tombé dans l’escalier.
— Tu connais mal ta zonzon. Le QHS se trouve au rez-de-chaussée ! Autre chose : crois-tu que je sois orphelin ?
— Pourquoi me dis-tu cela ?
— S’il m’arrivait un accident, la même chose pourrait te toucher en sortant de ton boulot.
— Comment ! Tu me menaces ?
— Tout comme toi ! Et sache que je n’ai pas l’âme suicidaire. »
Bilan de ce duel verbal : quarante-cinq jours de mitard en plus.
Le soir même, je rédige un courrier à l’intention de mon avocat, dans lequel j’exprime le souhait de déposer plainte contre le directeur. Pour menaces de mort.
Deux jours plus tard, Maître Pelletier débarque dans la prison et obtient un entretien avec le directeur. Depuis, ma détention au QHS se déroule nettement mieux.
Après deux années passées dans ce trou abominable, à rayer absolument du guide des routards de la zonzon, un nouveau transfert me conduit à la maison d’arrêt de Bourgoin-Jallieu, dans le département de l’Isère. Zonzon fréquentée quelques jours à la suite de mon arrestation à Chamonix. Un éloignement qui sonne comme une sanction pour ma famille, à qui je me résous à demander d’espacer ses visites. Plusieurs détenus ont perdu des êtres chers sur les routes des parloirs, je ne voudrais pas en faire partie.
Cette prison est initialement prévue pour accueillir une centaine de prisonniers, mais dans sa configuration actuelle, en version haute sécurité, elle ne peut guère abriter plus de dix détenus. Pour un effectif d’une quarantaine de surveillants. De quoi faire monter sensiblement le prix d’un DPS, à la charge de la population française.
Les portes des autres cellules ont toutes été murées. Au gré des promenades, limitées à trois détenus maximum, je fais tout de suite la connaissance de deux hommes, Philippe El Shenaoui et Angelo Donnadoni, un Italien.
Tous les deux chauds comme la braise pour s’arracher, comme ils me le confient rapidement, ne doutant pas du fait que je suis un bon client.
Une nouvelle fois, la désillusion me frappe.
Le jour J, le mec qui a promis d’introduire le matériel, en l’occurrence des armes de poing, disparaît de la circulation. Il reste terré dans sa cellule et ne répond plus à nos appels.
Encore un qui rêvait devant ceux qui étaient déjà passés à l’acte. Il lui manquait juste ce courage indispensable à celui qui veut tenter de retrouver la liberté.
À la suite à cette défection, je me retrouve comme d’habitude préposé aux préparatifs. Une fois de plus, je fais partir un courrier à l’encre magique à l’intention de Claire. Elle n’est pas toujours d’accord avec mes options, mais elle m’aidera sans retenue. Le message est destiné à deux de mes amis (décédés depuis), Milo Dieudonné et Dédé Conquet. Leur réponse est rapide et nette : ils sont prêts à m’assister dans mon entreprise.
De vrais mecs de la banlieue sud.
Le plan mis au point prévoit ce que l’on appelle dans les prisons un « yoyotage », système qui permet d’échanger des marchandises ou des courriers par les fenêtres, à l’aide de cordes. L’idée est de balancer par-dessus le mur d’enceinte une pile R20 arrimée au bout d’un fil de pêche. À la réception, Milo attachera une corde plus solide au bout de laquelle aura été fixé un paquet contenant un pistolet automatique et une bombe lacrymogène. Un peu léger, comme matos, mais la fenêtre de la cellote ne fait que dix centimètres de largeur pour une hauteur de cinquante. L’administration pénitentiaire étant par nature peu généreuse en matière d’aération.
À cause de sa position sur la coursive, Philippe est toujours le premier à se rendre à la douche, à 7 h 15, avant le lever du jour en cette période. Il est donc désigné pour récupérer le précieux colis.
Cela peut être dévoilé maintenant, le QHS de Bourgoin-Jallieu n’existe plus : située dans un angle mort par rapport au mirador, la douche était le point faible de la taule.
Milo et Dédé sont censés klaxonner quatre fois de suite en passant devant la prison pour m’avertir de leur présence. Avant d’aller placer une voiture sur le parking d’un supermarché visible depuis la fenêtre de ma cellule.
Les quatre coups de klaxon résonnent dans la nuit de Bourgoin-Jallieu à 7 heures pile ce jour-là. Je me précipite à la fenêtre.
Quelques minutes plus tard, une Peugeot 504 se range sur le parking du supermarché, de laquelle sortent deux hommes : Milo et Dédé.
Leur mission consiste à accrocher le colis et à s’arracher au plus vite. Je ne veux pas de leur présence dans le secteur lors de notre évasion : il ne faut pas qu’ils ramassent le moindre jour de prison. Mais une intuition me dit qu’ils patrouilleront dans les parages.
Angelo et moi attendons dans la salle d’activité l’arrivée de Philippe. À l’ouverture de la porte, à 11 heures, nous neutraliserons les trois matons et le surveillant chef, avant de libérer les six autres détenus. Nous avons décidé de fuir tous les trois vers la Suisse, ensemble. Tel est le programme qui nous attend pour ce matin, si tout se passe au mieux.
Comme toujours dans ces cas-là, l’attente est infernale. Avec Angelo, nous jouons au baby-foot sans la hargne habituelle. Une partie fade, comme si notre vie ne dépendait plus de ce résultat. Mais voilà que Philippe nous rejoint. D’une voix dépitée, il débite la nouvelle :
« Quelle merde ! Le fil de pêche a rompu et la pile est partie de l’autre côté du mur. Et je n’avais rien d’assez lourd pour faire un nouveau lest ! »
La rage monte en moi et avec elle l’envie de tout fracasser dans la salle. Angelo parvient à me calmer. Me voyant énervé, Philippe lâche la question qui le taraude :
« Michel, j’espère que tu ne doutes pas de moi ? »
Pouvais-je mettre sa parole en doute ? Pourquoi me posait-il cette question ? N’avait-il pas sa bouteille de shampoing ou son savon pour faire le poids ?
Deux jours plus tard, Claire vient me raconter que Milo et Dédé ont attendu jusqu’à midi dans l’espoir de nous voir réussir. Et ils sont évidemment toujours disponibles pour m’aider.
Au mois de décembre, malgré mes recommandations, Claire me dépose un colis alimentaire pour les fêtes de Noël. Le seul autorisé dans toute l’année.
Dans le courant du mois de janvier, après une fouille complète de ma cellule, je me retrouve (bizarrement) dans une ambulance. M’emmènerait-on dans un hôpital psychiatrique ? L’administration pénitentiaire a l’habitude d’expédier les turbulents dans de tels endroits et l’inquiétude m’envahit. Peut-être que le médecin de la prison considère comme anormal que je supporte sans broncher les brimades et humiliations journalières.
On m’installe sur la civière. Les chevilles entravées, mes poignets reliés par des menottes aux garde-fous de la civière, je pars pour un transfert vers l’inconnu, secret oblige. Par une petite bande vitrée non recouverte de peinture, je vois défiler le paysage et les panneaux indicateurs (quel vilain mot !) situés en hauteur. Grenoble, Valence, Saint-Étienne. Où me conduisent-ils ? Je ne vois bientôt plus que la cime des arbres et le ciel. J’ai aussi la nette sensation que le véhicule grimpe une route de montagne. Depuis combien de temps roule-t-on ? On m’a confisqué la montre, comme à chaque transfert, mais cela fait une éternité que je suis dans cette ambulance.
Soudain apparaît dans un virage une immense croix plantée au sommet d’une montagne. Le terminal de mon voyage est proche et, si je ne me trompe pas, je suis dans la merde. Tous les détenus passés dans le coin décrivent cette croix dominant la vallée et la ville de Mende. Et son QHS. La terreur de tous les prisonniers classés DPS.
Encore quelques kilomètres et je saurai si ce quartier de haute surveillance n’usurpe pas sa terrible réputation.
Le comité d’accueil ne me rassure pas. On dirait qu’ils attendent un fauve. Leurs regards et leurs tronches m’annoncent des temps difficiles.
Méfiant, je me carre dos au mur, prêt à me défendre.
Le chef de détention remarque ma nervosité.
« Quelque chose ne va pas, Lepage ? demande-t-il.
— Pour l’instant, tout va bien. Mais connaissant la réputation de vos sbires, je prône la prudence.
— Ce sont des surveillants, ils ne font que leur travail. Vous semblez ne pas me reconnaître, j’étais brigadier à Fleury-Mérogis lors de l’assassinat dans la salle de cinéma. Ne vous inquiétez pas, beaucoup de choses ont changé à Mende.
— Bien sûr ! Je verrai ça dans le temps ! »
Pour l’instant, pas question de baisser la garde. Sous bonne escorte, je rejoins déjà une cellule du rez-de-chaussée. Mon paquetage suit ou du moins une partie, de nombreuses choses étant interdites dans cette taule hors normes.
Finalement, on m’attribue deux cellules. Dans l’une, je suis censé vivre. J’ai droit à quelques vêtements, à cinq livres maxi, aux effets de toilette et à une radio, mais sans l’antenne, considérée ici comme une arme – pour écouter la radio, il faut en confectionner une avec une fourchette et un bout de fil électrique, avec la certitude de la confiscation à la première fouille et, à la clef, un rapport d’incident.
L’autre cellule, la plus comique (enfin, pas pour le détenu), sert à entreposer les boîtes de conserve, confiture et autres denrées. Et le nécessaire de rasage. Il faut en effet l’accord du chef de détention pour se servir d’un rasoir. Pour le principe, je décide de demander mon nécessaire deux fois par jour. Ma barbe poussant rapidement.
Si l’envie me prend de vouloir des sardines en boîte (à cette époque, on ne disposait pas de poisson frais en zonzon), je dois également faire appel à un maton qui l’ouvrira et versera la totalité du contenu dans une assiette en plastique. À charge pour moi d’avaler toutes les sardines dans la journée, ne disposant pas de frigo en cellote.
Voilà l’une des raisons de mon embonpoint.
La confiture, on me la sert dans un verre Duralex, le pot restant dans l’autre cellule. Je me battrai avec les autres détenus contre cette absurdité. Sans succès.
La période qui s’ouvre s’annonce particulièrement difficile. D’autant que je ne veux pas voir ma famille se balader trop souvent sur les dangereuses routes de la Lozère.
Mon fils Laurent est maintenant âgé de onze ans, Sergio en a neuf et ma fille Ghislaine sept. Claire commence à se lasser de tous ces voyages. Malgré tout, elle me suit courageusement dans mon périple.
Nous sommes cinq détenus dans l’établissement, pour environ cent cinquante cellules, mais jamais nous ne croisons les autres. Mesure de sécurité oblige, on se rend au parloir et en promenade un par un. Aucune chance de pouvoir se parler par la fenêtre, fermée par une imposante grille faisant toute la largeur et toute la hauteur du mur. La seule façon de pouvoir communiquer entre nous, c’est de vider les toilettes de toute leur eau et de transformer le conduit en téléphone.
Ma détention est évidemment entrecoupée d’incidents avec le personnel pénitentiaire, dont l’un me fait écoper de quarante-cinq jours de mitard. Le parloir ressemble à un petit bunker, un hygiaphone et une double rangée de barreaux me séparant de mes visiteurs. Pour couronner le tout, un maton se tient debout derrière la famille et un autre dans mon dos. Deux « invités » indésirables qui ne manquent pas de m’énerver chaque fois. Une fois plus que les autres. Claire est là, derrière la vitre et les barreaux, avec mon père et mes trois enfants. Laurent raconte une anecdote qui nous fait exploser de rire. Le maton planté dans mon dos rit aussi, et là, j’explose, lui envoyant une gifle en pleine tronche.
En moins de deux minutes, ses collègues qui sont accourus me rouent de coups après m’avoir entravé les poignets. Triste spectacle pour les miens dont les cris me parviennent, me faisant bientôt regretter ma réaction.
De retour dans ma cage de quatre mètres carrés, crade et sombre, je ne peux m’empêcher de songer aux oubliettes du château d’If, avec sa minuscule fenêtre et sa porte doublée de barreaux. Pas étonnant qu’Edmond Dantès s’en soit arraché ! Le plus terrible, c’est la tinette. Un simple seau pour faire ses besoins, un robinet juste au-dessus, pas de lavabo. C’est là que je dois me brosser les dents. Pas très bon pour mon moral, mais mon optimisme reprend le dessus et j’oublie ce trou à merde. Je vais trouver le moyen de m’arracher ! Plus qu’une obsession : un impératif.
Au quatrième jour de mitard, la neige tombe toute la nuit en s’accumulant sur le grillage de la promenade. Lorsque je pénètre dans la cour, j’ai l’impression d’entrer dans une grotte, à cause des stalactites qui se sont formées par dizaines. Je sautille sur place pour ne pas me transformer en statue de glace, les chaussons administratifs n’étant pas en mesure de me protéger du froid, pas davantage que les deux centimètres d’épaisseur de mes vêtements de coton – le fameux droguet.
Dans ce frigo, mon regard est attiré par les fils de fer qui maintiennent le grillage de protection aux poutrelles de fer. Le lendemain, je me rends en promenade avec un coupe-ongles escamoté lors d’une fouille, en vue d’effectuer un petit test… lequel s’avère positif : érodé par les hivers et la pluie, le fil n’est pas difficile à sectionner.
Malgré cette découverte, je décide d’attendre les beaux jours, ne voulant pas prendre le risque de devoir me terrer sous la neige dans la forêt voisine. Les beaux jours venus, je couperai plusieurs fils de fer, je soulèverai le grillage et je me glisserai hors de la cour, profitant du relatif relâchement des gardiens, dû au fait qu’aucune tentative d’évasion n’est venue troubler leur vie ces derniers temps. Une fois sorti de là, je foncerai jusqu’à la grande porte d’entrée de la prison, dans laquelle est intégrée une petite porte jamais fermée à clef. J’ai repéré cette anomalie depuis la fenêtre de ma cellote. Une aubaine. Je gagnerai ensuite à pied la ville de Mende, où je volerai une voiture avant de disparaître dans la nature.
Comme toujours, je trouve mon plan infaillible. Mais je suis un poissard.
Un autre détenu, prénommé Patrick, a pensé à la même stratégie que moi, à une nuance près.
Un jour, alors que je me trouve allongé sur mon lit en attendant mon tour de promenade, les bruits stridents de sifflets et deux coups de feu troublent ma sieste.
Une évasion !
Qui s’est porté candidat ? Ce n’est pas le genre de chose que l’on annonce au téléphone à ses codétenus. Il me faudra d’ailleurs plus de trois ans pour savoir. Le temps de faire connaissance avec Patrick entre les murs de la maison centrale d’Ensisheim, en Alsace.
Après avoir escaladé un mur en bout de pignon, il s’est retrouvé sur le toit du bâtiment de la détention, à environ douze mètres de hauteur. De là, il s’est élancé dans le vide en visant le haut du mur d’enceinte, cinq mètres plus bas. Comme Spiderman, sauf qu’à l’atterrissage, ses pieds ont glissé sur le haut du mur d’enceinte. Il s’est retrouvé six mètres plus bas, au pied du mur, mais du mauvais côté. De toute façon, il ne serait pas allé bien loin avec un fémur et un genou brisés. En guise de punition, il a été roué de coups et s’est retrouvé au mitard pour quarante-cinq jours.
Quant à moi, il ne me restait plus qu’à escompter une nouvelle occasion dans une autre taule, certain que les mesures de sécurité allaient ici redoubler.