9
Atlanta, mardi 30 janvier, 14 h 15
Alex s'impatientait. Daniel lui avait confisqué son cartable et ses clés de voiture. Elle remua sur son fauteuil. Il voulait la protéger, certes... Mais le temps filait...
Elle devait absolument passer à l'école de Hope, et chez Sissy, l'amie de Bailey. L'avion de Meredith s'envolait dans quelques heures et, demain, elle ne serait plus libre d'aller et venir. Tout ce qu'elle avait découvert pour l'instant, c'était que Bailey était appréciée à Atlanta et méprisée à Dutton. Et que la dernière personne à l'avoir vue était probablement sa fille. Elle n'avait pas beaucoup avancé.
Il faut que tu entres dans la maison de Bailey. Même si ça te coûte. Tu n'as que trop reculé l'échéance.
Mais elle devait se montrer prudente. On avait tout de même tenté de la tuer. Daniel lui avait interdit d'aller seule chez Bailey, et elle avait l'intention de lui obéir.
D'un autre côté, il était tard. Chaque minute qui passait était une minute perdue.
— Pardon, dit-elle en s'adressant à Leigh, la secrétaire. Vous savez si l'agent Vartanian en a encore pour longtemps ? C'est lui qui a les clés de ma voiture de location.
— Je l'ignore. Vous savez comme moi qu'il a du monde dans son bureau et qu'il donne ensuite une conférence de presse. Puis-je vous offrir quelque chose à boire ou à manger ?
L'estomac d'Alex gargouilla, et elle se souvint qu'elle n'avait rien avalé depuis le petit déjeuner.
— Je meurs de faim, avoua-t-elle. Vous n'avez pas de cafétéria?
— Elle est fermée depuis une heure. Mais je peux vous proposer des biscuits au fromage et de l'eau. Ce ne sera pas un festin, mais ça vous aidera à patienter.
Alex faillit refuser, mais son estomac gargouilla de nouveau, comme pour répondre à sa place.
— Merci, soupira-t-elle.
Leigh posa les biscuits et l'eau sur le comptoir.
— N'allez pas dire aux gens qu'on ne vous a offert que du pain et de l'eau au bureau d'investigation de Géorgie, plaisanta-t-elle.
Alex sourit.
— Promis.
Une porte s'ouvrit derrière elles pour laisser passer un homme grand et mince, portant des lunettes à large monture.
— Daniel est revenu ? demanda-t-il.
— Oui, mais..., protesta Leigh. Ed, attends... Il est avec Chase et...
Elle jeta un coup d'œil à Alex par-dessus son épaule.
— Quelqu'un d'autre, acheva-t-elle en prenant un air sibyllin. Tu ne peux pas entrer.
— C'est urgent, rétorqua-t-il. Je...
Il s'interrompit pour regarder Alex.
— Vous êtes Alex Fallon, dit-il sur un drôle de ton.
Alex acquiesça avec la sensation d'être la nouvelle attraction d'un zoo.
— Oui, répondit-elle.
— Enchanté. Je suis Ed Randall. Je fais partie de l'équipe scientifique qui travaille sur la scène du crime.
Il lui tendit la main par-dessus le comptoir et, comme elle avançait la sienne, il remarqua ses bandages.
— Vous avez eu un accident?
— Mlle Fallon a failli être écrasée par une voiture cet après-midi, expliqua Leigh d'une voix douce.
L'expression d'Ed Randall changea.
— Seigneur... Mais vous n'êtes pas sérieusement blessée, n'est-ce pas?
— En effet. Grâce aux réflexes d'un témoin qui m'a poussée hors de portée de la voiture.
Leigh ouvrit le bouchon de la bouteille et la tendit à Alex.
— Ed, ils vont bientôt sortir, assura-t-elle. Ils ont une conférence de presse dans moins de vingt minutes. A ta place, je ne les dérangerais pas.
Alex prit les biscuits et l'eau, puis elle alla se rasseoir. Ils poursuivirent leur conversation en murmurant. Elle crut entendre qu'ils parlaient de l'homme qui attendait Daniel quand ils étaient arrivés — celui qui s'était jeté sur lui en exigeant des réponses.
Une porte s'ouvrit derrière le comptoir et Daniel sortit, avec son patron et l'homme en question. Celui-ci était pâle comme un linge. Apparemment, on ne lui avait pas annoncé de bonnes nouvelles.
— Je suis désolé, monsieur, lui dit Daniel. Nous vous appellerons dès que nous en saurons un peu plus. Je sais que ça ne vous console pas, mais nous faisons de notre mieux.
— Merci. Quand pourrais-je...
Sa voix se brisa et Alex dut se mordre la lèvre pour ne pas pleurer devant tant de détresse. Elle comprit qu'il s'agissait d'un proche de la deuxième victime, probablement son mari.
— Nous vous rendrons le corps le plus vite possible, assura le patron de Daniel. Nous sommes sincèrement désolés de ce qui vous arrive, monsieur Barnes.
M. Barnes allait sortir, mais il s'arrêta net en apercevant Alex et devint encore plus blanc — si c'était possible.
— Vous..., murmura-t-il d'une voix à peine audible.
Alex jeta un regard éperdu à Daniel.
— Monsieur Barnes, intervint Daniel en s'approchant. Que se passe-t-il ?
— Il y avait sa photo dans le journal d'hier. Claudia l'avait remarquée.
Alicia... Apparemment, tout le monde était au courant que le meurtre d'Arcadie présentait d'étranges similitudes avec celui d'Alicia. Cet homme a vu la photo d'Alicia, pas la mienne. Alex eut soudain les genoux en coton.
— Et qu'a dit votre femme, au sujet de cette photo ? demanda le patron de Daniel.
— Qu'elle connaissait la fille et qu'elle se souvenait de l'affaire. Claudia était petite, à l'époque, pourtant elle n'avait pas oublié. Elle n'avait même plus envie de sortir, hier soir, mais elle devait aller à cette fichue fête. J'aurais dû l'accompagner. J'aurais dû rester avec elle.
Barnes posa sur Alex un regard incrédule et horrifié.
— Vous êtes supposée être morte. Qui êtes-vous ?
Alex releva le menton.
— La jeune fille que vous avez vue sur la photo était ma sœur Alicia.
Elle s'interrompit, le temps de maîtriser le tremblement de ses lèvres.
— Votre femme connaissait donc ma sœur... Elle était de Dutton ?
L'homme acquiesça.
— Oui. Son nom de jeune fille est Silva.
Alex porta sa main bandée à sa bouche.
— Claudia Silva ?
— Tu la connaissais, Alex ? demanda Daniel.
— J'étais sa baby-sitter et celle de sa petite sœur.
Elle ferma les yeux et se concentra pour faire taire les cris qui lui perforaient le crâne. Je perds la tête... Elle ouvrit les yeux et repoussa les cris.
— Je suis réellement désolée pour votre femme, murmura-t-elle.
Il acquiesça d'un bref mouvement de tête et se tourna vers le patron de Daniel.
— Je veux que vous mettiez tous vos hommes disponibles sur cette affaire, Wharton. J'ai le bras long et...
Alex croisa le regard de Daniel.
— On assassine deux femmes originaires de Dutton et Bailey disparaît, dit-elle d'une voix rauque. Que se passe-t-il, ici ?
— Je n'en sais rien, répondit Daniel d'un air sombre. Mais nous allons le découvrir.
Ed Randall se racla la gorge.
— Daniel, il faut que je te parle. Tout de suite.
Daniel acquiesça.
— Très bien. Encore un peu de patience, Alex, et je pourrai te ramener chez toi.
Les hommes disparurent dans les bureaux, laissant Alex avec Leigh. Alex s'affala sur une chaise.
— Je ne peux pas m'empêcher de me sentir responsable, soupira-t-elle.
— Impliquée ne signifie pas responsable, protesta Leigh. Vous êtes une victime, vous aussi. Vous devriez d'ailleurs réclamer la protection des autorités.
Alex songea à Hope.
— Vous avez raison, je le ferai.
Elle se souvint brusquement qu'elle n'avait pas donné de ses nouvelles à Meredith depuis le centre commercial.
— Je dois téléphoner, dit-elle à Leigh. Je vais dans le couloir.
Ed s'appuya sur le bureau de Daniel.
— Nous avons du nouveau pour les couvertures, annonça-t-il.
Daniel fouillait fébrilement l'un de ses tiroirs, à la recherche d'un cachet d'aspirine.
— Je t'écoute.
— Elles proviennent d'un magasin de sport situé tout près d'ici.
— Juste sous notre nez, commenta Daniel. Tu crois qu'il l'a fait exprès ?
— L'hypothèse mérite d'être envisagée, intervint Chase. Ils ont des caméras de surveillance, dans ce magasin ?
Ed fit signe que oui.
— C'est un gamin de dix-huit ans qui les a achetées. Un blanc, un mètre soixante-quinze. Il a regardé la caméra bien en face, nous avons son visage. Il a payé en liquide. Le vendeur se souvient de lui, parce que c'était beaucoup d'argent.
Daniel avala à sec deux aspirines.
— Bien sûr qu'il a payé en liquide, fit-il remarquer.
Il remit le flacon dans son tiroir.
— J'ai peur de poser la question, mais il faut pourtant que je la pose. Combien, Ed ? Je t'écoute.
— Dix. Il en a pris dix.
Chase émit un sifflement.
— Dix?
Daniel eut un goût de bile dans la bouche.
— Il faut envoyer sa photo à toutes les unités.
— C'est déjà fait, répondit Ed. Mais le gamin n'a probablement rien à cacher. Acheter des couvertures, ça n'a rien d'illégal. Si quelqu'un l'a chargé de cette course, il n'a rien à se reprocher.
— Il pourra tout de même nous dire qui est ce quelqu'un, commenta Chase d'un ton sec. C'est tout ? Nous avons une conférence de presse à 17 heures.
— Non, ce n'est pas tout.
Ed posa un sac en plastique sur le bureau.
— Le cheveu trouvé sur la scène du crime de ce matin, dit-il.
— Celui de Claudia Barnes ? demanda Chase.
— Justement non. Ce cheveu n'appartient pas à Claudia.
— Ça, nous le savions déjà, intervint Daniel. Claudia était blonde et ce cheveu est plutôt châtain.
— Je l'ai passé au colorimètre, poursuivit Ed.
Il sortit une fausse queue-de-cheval.
— C'est ce que nous avions de plus proche, dit-il.
Daniel prit l'échantillon en fronçant les sourcils. Il comprit où Ed voulait en venir. La queue-de-cheval était d'un châtain caramel. Comme celui d'Alex.
— Merde, murmura-t-il.
— Quand j'ai vu Alex Fallon tout à l'heure, j'ai tout de suite fait le rapprochement, reprit Ed en regardant fixement Daniel.
Daniel passa l'échantillon à Chase en s'efforçant de maîtriser sa colère.
— Ce type se fiche de nous, dit-il.
Chase éleva le cheveu pour l'observer à la lumière.
— On trouve des postiches dans tous les endroits où on vend des shampoings colorants, maintenant. Il pourrait s'agir d'un faux cheveu.
— Non, c'est un vrai, aucun doute là-dessus. Et il date.
Daniel eut un coup au cœur.
— Il date de quand ?
— L'un des gars du labo est spécialiste du cheveu. Il pense que ce spécimen est tombé depuis au moins cinq ans. Mais ça pourrait aller jusqu'à dix.
— Ou treize ? demanda Daniel.
Ed haussa les épaules.
— Possible. Je pourrais faire un test pour le savoir, mais du coup, il n'en resterait plus assez pour une analyse ADN.
— LADN d'abord, déclara Chase d'un ton grave. Daniel, demande à Alex de nous donner quelques cheveux. Je voudrais une comparaison.
— Elle va me demander pourquoi je lui réclame des cheveux.
— Débrouille-toi, mais ne lui dis rien. Du moins pas tout de suite.
Daniel fronça les sourcils.
— Elle ne fait pas partie de la liste des suspects, Chase, protesta-t-il.
— Non, mais elle a un rapport avec cette affaire. Si ça correspond, on le lui dira. Sinon, inutile de l'inquiéter pour rien.
La position de Chase se défendait. Daniel céda.
— Très bien, dit-il.
Chase resserra son nœud de cravate.
— Bon, c'est l'heure d'entrer en scène... Daniel, tu me laisseras répondre aux questions des journalistes.
— Attends une minute! objecta Daniel. Je peux répondre aux questions concernant mon enquête.
— Je sais, mais souviens-toi de ce que je t'ai dit à propos de l'association de « Vartanian » et de « Dutton ». Les gros bonnets veulent que je mène cette conférence de presse. C'est toujours la même histoire.
— Parfait, grommela Daniel.
Quand ils sortirent, Alex ne se trouvait plus dans la salle d'attente.
— Où est-elle ? demanda Daniel.
Il fouilla fébrilement ses poches pour s'assurer qu'il avait toujours ses clés de voiture. Elle avait pu prendre un taxi, bien sûr, mais tout de même, elle n'était pas inconsciente au point de...
— Du calme, Danny, répondit Leigh. Elle est dans le couloir, en train de donner un coup de fil.
— Merci, dit-il à Leigh.
— Daniel, lança Chase qui tenait la porte. Il faut y aller.
Daniel dut prendre la direction opposée à Alex, laquelle téléphonait depuis son portable, courbée en avant, l'un de ses bras enroulé autour d'elle, à l'autre bout du couloir. Ses épaules tremblaient et, quand il prit conscience qu'elle pleurait, cela lui fit un coup au cœur.
Il hésita néanmoins à la rejoindre. Il se sentait tellement oppressé qu'il en avait du mal à respirer. Il ne l'avait encore jamais vue pleurer.
— Daniel! protesta Chase en le tirant par l'épaule. Nous sommes en retard. Concentre-toi, bon sang! Tu lui parleras tout à l'heure. Et ne t'en fais pas, elle n'ira nulle part, puisque tu as ses clés.
Au regard surpris et plein de sympathie que lui lança Ed, Daniel comprit que ses sentiments se lisaient sur son visage. Il se reprit et suivit Chase, laissant Alex seule avec son chagrin.
Il la consolerait plus tard. Le plus urgent était de traquer cet assassin qui les provoquait. Il ne voulait plus qu'on trouve encore une femme dans un fossé. Et par-dessus tout, il voulait protéger Alex Fallon.
Atlanta, mardi 30 janvier, 14 h 30
— Je suis désolée, mademoiselle Fallon, dit Nancy Barker.
Elle paraissait aussi anéantie qu'Alex.
— Je ne sais pas quoi vous dire...
— Vous êtes sûre de ce que vous avancez ? insista Alex en s essuyant le visage du revers de sa main bandée.
Elle détestait pleurer. Ça ne servait à rien. Elle s'était préparée à ce qu'on lui annonce la mort de Bailey. Mais ça, c'était dur à encaisser. Surtout après ce qu'elle avait vécu aujourd'hui. Sans doute avait-elle atteint sa limite.
— Je sais que c'est dur à entendre, mais Bailey était accro à l'héroïne, et avec l'héroïne, les récidives sont fréquentes. Vous êtes infirmière. Vous le savez sûrement aussi bien que moi.
— En effet. Mais tous ceux qui fréquentaient Bailey m'ont assuré qu'elle s'en était définitivement sortie...
— Elle avait peut-être de gros soucis qui l'ont poussée à se réfugier de nouveau dans la drogue. On connaît le processus. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'elle a appelé nos services et qu'elle a laissé un message pour — je cite — « la personne qui s'occupe de ma fille, qui que ce soit ». Celui qui a pris l'appel savait que je m'occupais du cas de Hope et il m'a aussitôt contactée.
— Personne ne l'a donc vue, fit remarquer Alex.
Le choc initial passé, son cerveau se remettait à fonctionner.
— Quand a-t-elle appelé, exactement ? demanda-t-elle.
— Aujourd'hui, il y a environ une heure.
Une heure... Juste après que... Alex baissa les yeux vers ses mains... Daniel lui avait dit qu'il ne croyait pas aux coïncidences.
— Vous pourriez me faire écouter son message en me l'envoyant sur mon répondeur ? demanda-t-elle.
— Je ne sais pas. C'est un peu compliqué. Pourquoi voulez-vous l'entendre?
Alex sentit une pointe de désapprobation dans la voix de l'assistante sociale.
— Mademoiselle Barker, je ne veux pas avoir l'air de polémiquer pour rien, mais deux femmes originaires de la ville de Bailey ont été retrouvées mortes dans un fossé. Aussi, vous ne pouvez pas m'en vouloir de me montrer méfiante quand vous me dites que ma sœur a appelé vos services.
— Deux femmes ? s'étonna Nancy Barker. J'ai lu des articles à propos de la fille d'un sénateur, mais j'ignorais qu'il y avait une autre victime.
Alex se mordit la lèvre.
— La nouvelle n'est pas encore officielle...
Daniel allait l'annoncer pendant la conférence de presse. Elle décida qu'elle ne trahissait aucun secret.
— Vous comprenez mon appréhension, insista-t-elle.
— Je crois que oui, répondit Nancy Barker. Je ne sais pas comment vous transmettre ce message, mais je peux vous l'enregistrer.
— Ce serait formidable. Je peux passer aujourd'hui pour récupérer cet enregistrement ?
— Demain, plutôt. Vous connaissez la bureaucratie...
Elle avait l'air hésitante. Alex décida de jouer le tout pour le tout.
— Mademoiselle Barker, juste avant que vous ne receviez ce coup de fil, une voiture a tenté de m'écraser. Si un passant ne m'avait pas poussée, je serais sans doute morte à l'heure qu'il est.
— Seigneur...
— Vous comprenez, à présent...
— Seigneur, répéta Nancy Barker. Hope pourrait être menacée, elle aussi.
L'idée que quelqu'un pourrait s'en prendre à Hope fit frémir Alex. Mais elle s'efforça de répondre d'une voix assurée.
— J'ai l'intention de réclamer la protection de la police. S'il le faut, j'emmènerai Hope loin de Dutton.
— Avec qui est-elle, en ce moment ?
— Avec ma cousine Meredith.
Elle avait appelé Meredith, mais avait dû écourter leur conversation quand elle avait reçu l'appel de Nancy Barker.
— Meredith est pédopsychiatre à Cincinnati. Hope est en de bonnes mains.
— Très bien. Je vous tiens au courant pour le message.
Alex rappela Meredith en s'attendant à un sermon. Elle ne fut pas déçue.
— Tu rentres avec moi, déclara Meredith sans préambule.
— Certainement pas. Je viens de parler avec l'assistante sociale chargée du dossier de Hope. Quelqu'un a appelé les services sociaux en se faisant passer pour Bailey... Cette personne a annoncé qu'elle confiait Hope aux services sociaux.
— C'était peut-être vraiment Bailey, Alex.
— Ça s'est passé il y a une heure, juste après que cette voiture a tenté de m'écraser. Je ne peux pas m'empêcher de penser que quelqu'un voudrait que j'arrête de rechercher Bailey.
Meredith resta silencieuse quelques secondes, puis elle soupira.
— Vartanian est au courant, pour l'appel aux services sociaux?
— Pas encore. Il donne en ce moment une conférence de presse. J'ai l'intention de réclamer la protection de la police, mais je ne suis pas sûre de l'obtenir. Tu devrais peut-être emmener Hope avec toi dans l'Ohio.
— A propos de Hope... J'ai du nouveau... Je ne voulais pas allumer la télévision aujourd'hui parce que j'avais peur qu'ils ne parlent encore des meurtres, aux informations. Alors je me suis assise devant e piano et j'ai joué Brille brille, petite étoile. D'un seul doigt, comme tu t'en doutes.
— Et alors ?
— Hope a eu son drôle de regard ; tu vois de quoi je parle, celui qui donne la chair de poule...
— Où est-elle en ce moment ?
— Elle joue de ce fichu instrument. Je te parle depuis le porche d'entrée, c'est pour ça que tu ne l'entends pas. Vu qu'elle répète les mêmes six notes depuis deux heures, il fallait que je sorte pour ne pas devenir folle.
— Tu connais l'air qu'elle joue?
Meredith le fredonna.
— Je ne vois pas ce que ça peut-être, répondit Alex après avoir écouté. Et toi ?
— Non, mais si ça fonctionne comme pour le coloriage, nous en avons pour un moment.
Alex se tut pour réfléchir.
— Rends-moi un service, veux-tu ? Appelle son école pour savoir s'ils connaissent cette mélodie. Il s'agit peut-être d'une chanson apprise à l'école.
— Bonne idée. Au fait, tu as pensé à demander à l'institutrice si elle aurait remarqué chez Hope des problèmes de comportement ou de communication ?
— Je n'ai pas eu le temps de rencontrer son institutrice. C'était sur ma liste pour cet après-midi.
— Je poserai la question quand j'appellerai pour la chanson. Si le comportement de cette enfant n'est pas la conséquence d'un traumatisme, il faut que je le sache. J'aborderai les choses complètement différemment. Tu rentres quand ?
— Je suis obligée d'attendre que Daniel me raccompagne. Il a gardé mes clés de voiture.
Meredith eut un petit rire.
— Je suppose qu'il n'a trouvé que ce moyen pour que tu écoutes ses conseils.
— J'écoute les conseils, protesta Alex.
— Tu les écoutes, et ensuite tu agis comme bon te semble, rétorqua Meredith.
Elle soupira.
— Je ne peux pas repartir dans ces conditions, ajouta-t-elle.
— Tu restes ?
— Si je te laisse et qu'il t'arrive quelque chose, je ne me le pardonnerai jamais.
— Je n'ai besoin de personne pour me défendre, Meredith, objecta Alex.
Elle se sentait partagée entre la gratitude et l'agacement.
— Ça fait des années que je prends soin de moi, insista-t-elle.
— Non, répondit posément Meredith. Ça fait des années que tu prends soin des autres. Mais pas de toi. Dépêche-toi de rentrer. Je n'en peux plus de ce piano d'enfer.
Il arrêta sa Jaguar et fit descendre sa vitre. Il était furieux.
— Qu'est-ce qui se passe, encore? s'énerva-t-il.
Ils s'étaient donné rendez-vous dans un endroit isolé et n'avaient pas l'intention de sortir de leurs véhicules, mais on ne pouvait pas écarter tous les risques. Il ne fallait surtout pas qu'on les voie ensemble.
— Tu voulais que je l'empêche de chercher Bailey... Ce matin, le type que j'ai engagé pour la surveiller m'a dit qu'elle avait filé droit au tribunal. Je lui ai demandé de l'arrêter si elle en faisait trop.
— En le laissant décider du moment et de la manière ?
— Il est allé trop loin, je suis d'accord.
— Beaucoup trop loin. Est-ce que tu sais au moins pourquoi elle s'est rendue au tribunal ?
— Non. Il n'a pas pu la suivre à l'intérieur. On l'aurait sûrement reconnu.
Il leva les yeux au ciel.
— Pour l'amour de Dieu... Tu as engagé un gros balourd recherché par la police pour surveiller Fallon... Décidément, il n'y a que des crétins complètement nuls, dans cette ville.
L'autre se redressa comme si on l'avait piqué. Il ne permettait pas qu'on le traite de crétin ou de nul.
— Ça fait une semaine que tu as Bailey, protesta-t-il. Tu prétendais lui soutirer la clé au bout de deux jours. Si tu avais tenu tes engagements, la sœur ne serait jamais venue fouiner par ici, parce que moi, j'aurais pu tenir les miens, et Bailey Crighton aurait déjà été retrouvée dans un fossé quelque part du côté de Savannah.
Les yeux noirs lancèrent des éclairs.
— N'empêche que ta maladresse risque de nous exploser à la gueule. Merde ! Tu aurais pu engager un type un peu plus malin ! Essayer de l'écraser en plein jour... Il est complètement demeuré ! Il est devenu gênant. Débarrasse-toi de lui.
— Comment?
— Ce n'est pas mon problème. Fais-le. Et cette fois, pas de bourde. Ensuite, tâche de découvrir pourquoi Alex Fallon est passée ce matin au tribunal. Il ne faudrait pas qu'elle réclame les dossiers du procès.
— Elle n'y trouverait rien.
— C'est ça... Elle était supposée croire que Bailey était une junkie qui avait abandonné sa fille, mais elle n'y a pas cru. Je me méfie.
L'autre n'était pas sûr qu'elle ne trouverait rien dans les dossiers, aussi détourna-t-il la conversation sur l'autre problème.
— Et toi? Comment comptes-tu gérer le cas Bailey?
L'homme à la Jaguar eut un sourire de serpent.
— Bailey a replongé dans la came.
L'autre en fut étonné. Il savait qu'elle n'y avait pas touché depuis cinq ans.
— Volontairement?
Le sourire s'élargit.
— Non, ça n'aurait pas été drôle. D'ici à demain, elle me suppliera de lui filer sa dose, comme au bon vieux temps. Et pour l'avoir, elle me dira tout. Mais je ne t'ai pas appelé pour Bailey et sa sœur. Je veux savoir ce qui se passe avec les deux cadavres.
L'autre battit des paupières.
— Je croyais...
— Tu croyais que c'était moi ? Tu es encore plus con que je ne le pensais !
L'autre en rougit de colère.
— Ce n'est pas moi non plus. Et puisque ce n'est pas l'un des nôtres...
— Tu as l'air bien sûr de toi... Comment peux-tu savoir que ce n'est pas l'un des nôtres ?
— Bluto n'a pas les couilles pour tuer quelqu'un, et Igor n'est qu'un petit salaud pleurnichard. Il est terrorisé. Il ne cesse de donner des rendez-vous à Bluto, il le rencontre dans le parc en plein jour. Il va tout faire péter, s'il continue comme ça.
— Tu aurais dû me le dire plus tôt, répondit-il d'une voix douce mais chargée de méchanceté.
L'estomac de l'autre se noua quand il comprit ce qu'il venait de faire.
— Attends une minute, protesta-t-il.
Une lueur cruelle passa dans les yeux noirs de l'homme à la Jaguar. ,
— Tu es là-dedans jusqu'au cou, maintenant, Joli-Cœur. Plus possible de reculer.
C'était la vérité. L'autre s'humecta les lèvres.
— Ne m'appelle pas comme ça, protesta-t-il.
— Les surnoms, c'était ton idée. Ce n'est pas ma faute si le tien ne te convient pas.
Le sourire moqueur disparut.
— Tu es un idiot. Tu fais des histoires pour un surnom, alors qu'on ne sait pas qui a balancé ces femmes dans un fossé. Tu penses qu'Igor peut tout faire exploser ? Tu considères Alex Fallon comme une menace ? Mais ces deux-là ne sont rien comparés aux récents meurtres ! Les médias ont déjà fait le rapprochement. Hier soir, toutes les télés diffusaient la photographie de la fille Tremaine. Tu sais quoi, sur ces meurtres, bon sang ?
L'autre eut soudain la bouche sèche.
— Au début, j'ai pensé qu'il s'agissait d'un plagiaire. D'un cinglé que le récent battage autour de Simon avait excité.
— Je me fous de ce que tu as pensé. Je te demande ce que tu sais.
— La deuxième victime est Claudia Silva. Elle avait une clé attachée autour du doigt de pied.
Une allumette s'embrasa et l'habitacle de la Jaguar se remplit de fumée.
— Est-ce que Daniel a trouvé la clé de Simon ?
La clé de Simon... La carotte qu'il agitait depuis sa tombe pour les narguer. Depuis sa vraie tombe, cette fois. Au moins, Daniel avait réglé ce problème.
— S'il l'a trouvée, il n'en a pas parlé.
— Il ne va sûrement pas te le dire, crétin. Il est retourné dans la maison de ses parents ?
— Pas depuis l'enterrement.
— Et toi, tu as fouillé la maison ?
— Une bonne dizaine de fois.
— Tu n'es pas à une près. Ça fera onze.
— Il peut accéder au contenu du coffre sans la clé, tu le sais.
— Ouais. Mais il n'est peut-être pas au courant. Par contre, s'il trouve la clé, il cherchera le coffre. Si ce n'est pas déjà fait. Le salaud qui assassine ces femmes sait, lui. Et il veut que les flics sachent aussi. Débrouille-toi pour que Daniel ne mette pas la main sur la clé de Simon.
— Il n'est pas allé à la banque. Ça, j'en suis sûr. Mais il sort avec la fille Fallon. Toute la ville les a vus s'embrasser sur son porche, la nuit dernière.
De nouveau, ce sourire de serpent...
— Ça pourrait nous être utile. Mais d'abord, occupe-toi d'Igor. L'autre se sentit soudain glacé.
— Je ne tuerai pas Rhett Porter.
Il avait utilisé le vrai nom d'Igor, pour apitoyer l'homme à la Jaguar. Mais celui-ci sourit de plus belle.
— Bien sûr que tu vas le tuer, Joli-Cœur. Puis il remonta sa vitre et la Jaguar démarra.
L'autre resta là, à regarder droit devant lui. Il allait obéir, comme toujours. Parce qu'il était mouillé jusqu'au cou dans cette affaire. Rhett Porter devait disparaître. Il ordonna à son estomac de se calmer. Après tout, il n'en était pas à un près.
Atlanta, mardi 30 janvier, 15 h 25
— L'assistante sociale va l'enregistrer pour me le faire écouter, conclut Alex.
Elle était installée dans un fauteuil, devant le bureau de Daniel. Son regard alla de Daniel à Chase Wharton, lequel paraissait crispé, même s'il affichait un visage impassible. Du coin de l'œil, elle se risqua à observer Ed Randall : il la fixait avec une telle intensité qu'elle avait l'impression d'être en vitrine. Chase se tourna vers Daniel.
— Appelle Papadopoulos, dit-il. Qu'il s'assure que cet enregistrement soit suffisamment audible pour qu'on puisse isoler les bruits de fond.
— Qui est Papadopoulos ? demanda Alex en croisant les mains. Ils paraissaient admettre comme une évidence que Bailey n'avait pas pu passer ce coup de fil, et cela l'angoissait.
— C'est mon ami Luke, répondit Daniel. Celui qui a ramené ta voiture tout à l'heure.
— En parlant de voiture..., commença-t-elle.
Daniel lui jeta un regard tellement furieux qu'elle n'osa pas poursuivre. Puis elle prit son courage à deux mains.
— Il me faut mes clés, Daniel. Je ne peux pas passer la journée ici. Je dois aller à l'école de Hope. Elle fait des trucs bizarres qu'on ne comprend pas. Et il faudrait aussi que je passe chez Bailey. Puisque le shérif refuse de fouiller sa maison, il faut bien que je m'en charge.
Chase se tourna vers Ed.
— Prends une équipe pour fouiller la maison de Bailey Crighton. Je veux que vous la passiez au peigne fin. Alex, vous pouvez l'accompagner si vous le désirez.
Les mains d'Alex se figèrent sur ses genoux. Les cris recommençaient. De plus en plus forts. Du calme. Du calme. Elle ferma les yeux et se concentra. Alex, ce n'est qu'une maison. Elle ouvrit les yeux et fixa Wharton d'un air résolu.
— Merci, dit-elle. J'irai.
— Je réunis tout de suite l'équipe, dit Ed. Vous monterez dans ma voiture, mademoiselle Fallon ?
Elle croisa le regard inquiet de Daniel.
— Je préfère prendre la mienne, mais vous me suivrez de près jusqu'à Dutton. Je pense que cela suffira à calmer les inquiétudes de l'agent Vartanian. Daniel ?
Ed eut un petit sourire amusé et elle décida qu'il lui plaisait, même s'il la regardait bizarrement.
— Je vous appelle dès que je suis prêt, dit-il en sortant.
11 referma soigneusement la porte derrière lui.
— Daniel m'a raconté pour la petite, reprit Chase. Il y a du nouveau de son côté ?
— Elle ne cesse de jouer un air sur un vieil instrument qui se trouve dans le pavillon que je viens de louer. Toujours les mêmes six notes. Ma cousine n'a pas reconnu la mélodie, et moi non plus.
— Sœur Anne la reconnaîtra peut-être, fit remarquer Daniel d'un air songeur. Nous pourrons lui demander ce soir, quand nous lui amènerons Hope.
Alex ouvrit de grands yeux.
— Je croyais que tu serais trop occupé pour...
Il lui jeta un regard contrit.
— Je n'aurai sûrement pas le temps de manger avec toi, mais il faut absolument que cette enfant rencontre sœur Anne. Elle se mettra peut-être à parler... La disparition de Bailey est liée aux récents meurtres, j'en suis certain.
— Je suis de ton avis, intervint Chase. Mademoiselle Fallon, nous allons vous mettre sous protection de la police, vous et votre nièce. Ce ne sera pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre, parce que nous manquons de personnel pour ça, mais nous passerons régulièrement devant votre pavillon. Nous vous donnerons une liste de numéros à appeler en cas d'urgence. N'hésitez pas à vous manifester si vous vous sentez en danger.
— Je n'hésiterai pas. Merci.
Elle se leva et lui tendit la main.
— Mes clés ?
Daniel les lui donna, à contrecœur.
— Appelle-moi. Et ne quitte pas Ed.
— Je ne suis pas sotte, Daniel. Je serai prudente.
Elle se tourna vers la porte.
— Et mon cartable ?
Les yeux bleus de Daniel lancèrent des éclairs.
— N'exagère pas, Alex.
— Tu me le rendras tout à l'heure?
— Oui, grommela-t-il. C'est ça. Tout à l'heure.
— Et tu viendras avec Riley?
Il ne put s'empêcher de sourire.
— Oui, avec Riley.
Elle lui rendit son sourire.
— Merci.
— Je t'accompagne jusqu'à la sortie, dit-il. Viens. Passons par là.
Il la poussa dans un petit couloir. Dès qu'ils furent seuls, il la prit
par le menton et la dévisagea intensément.
— Je t'ai vue pleurer, il y a un moment, murmura-t-il. Tu es sûre que ça va?
Elle rougit et lutta contre le désir de se soustraire à son regard inquisiteur.
— J'ai passé un mauvais moment quand l'assistante sociale m'a parlé du message de Bailey. Ça m'a fait une décharge d'adrénaline, tu vois ce que je veux dire ? J'avais la tête vide... Mais ça va, maintenant. Je t'assure.
Il caressa du pouce sa lèvre inférieure. Puis sa bouche se posa sur la sienne et elle se sentit soudain apaisée, en dépit de son cœur qui battait.
Il s'écarta d'elle, à peine, juste assez pour la laisser reprendre son souffle.
— Tu es certain qu'il n'y a pas de caméra de surveillance dans ce couloir ? murmura-t-elle.
Elle le sentit sourire contre sa bouche.
— Il y en a sûrement une. Alors, autant qu'ils jasent pour quelque chose...
Elle oublia la caméra quand il l'embrassa de nouveau, plus passionnément que la première fois. Puis il se recula brusquement, le souffle court.
— Tu devrais y aller, dit-il.
Elle acquiesça d'un air incertain.
— Je crois, oui... On se voit plus tard...
Elle se détourna pour partir, mais fit la grimace.
— Aïe ! s'exclama-t-elle en frottant son cuir chevelu et en jetant un coup d'œil du côté de la manche de Daniel.
— Ça fait mal !
Il libéra les mèches qui s'étaient accrochées à son bouton et lui embrassa le crâne.
— Voilà une femme qui a failli passer sous une voiture et qui se plaint parce qu'on lui tire un peu les cheveux.
Elle s'esclaffa.
— A ce soir, lança-t-elle. Et préviens-moi si tu n'as pas le temps de passer.
Daniel alla rejoindre Chase qui l'attendait dans son bureau. Il se laissa tomber dans son fauteuil, conscient du regard curieux que celui-ci posait sur lui.
— Vas-y, je t'écoute, dit-il.
— Que veux-tu que je te dise ? répondit Chase d'un ton amusé.
— Que je ne devrais pas parce que je mène une enquête. Que je vais trop vite. Vas-y.
— Je ne sais pas si tu vas trop vite... Il s'agit d'un choix personnel qui ne me concerne pas. Sans compter que tu es têtu et que tu ne ferais pas grand cas de mes conseils. Quant à l'enquête... A toi de me dire si ça pose problème.
— Je n'en sais rien. Pour l'instant, je pense simplement que je dois la protéger.
Il montra d'un air piteux les cheveux qu'il venait d'arracher à Alex. Il n'était pas fier de lui.
— Ça me semble proche, murmura-t-il en les comparant au postiche d'Ed.
Chase s'installa dans un fauteuil.
— Qu'est-ce que tu lui as dit, pour les cheveux ?
Daniel lui jeta un regard mauvais.
— Je ne lui ai rien dit.
Chase fit les yeux ronds.
— Tu les lui as arrachés ? Comme ça ?
— Pas comme ça. J'ai fait preuve d'un peu de finesse, tout de même.
Elle serait furieuse quand elle l'apprendrait. Si elle l'apprenait. Mais ils n'en étaient pas là.
Chase haussa les épaules.
— Tu trouveras bien un moyen de te justifier, si tu es obligé de lui en parler. Pour l'instant, tu as raison, il faut se concentrer sur la nécessité de la garder en vie. Et pour ça, il faut arrêter le salaud qui copie un meurtre remontant à treize ans. Je veux savoir pourquoi il fait ça maintenant. Tu crois que ça a un rapport avec la belle publicité à laquelle Dutton a eu droit la semaine dernière?
On va bientôt se retrouver en enfer, Simon.
Daniel se mordit la lèvre. Il était temps de tout raconter à Chase.
— Ça a un rapport avec Simon, Chase.
Chase plissa les yeux.
— Ce n'est pas ce que je te demandais...
— Sans doute. Mais c'est ce que je te réponds.
Il parla à Chase de la lettre du frère de Bailey, de la visite de l'aumônier de l'armée. Et de cette petite phrase. On va bientôt se retrouver en enfer...
Chase fronça les sourcils.
— Depuis combien de temps sais-tu tout ça, Daniel ?
Depuis dix ans... Non, c'était faux. Les photos n'avaient pas forcément un rapport avec le meurtre d'Alicia ou avec ceux de cette semaine.
Tu mens, Daniel. Tu te mens à toi-même.
— Depuis hier soir, répondit-il. Mais j'ignore de quelle manière Wade et Simon sont liés à ces meurtres.
Dis-lui, pour les photos. Mais s'il le lui disait, Wade allait lui retirer l'affaire. Il ne voulait pas prendre ce risque, aussi décida-t-il de s'en tenir à ce dont il était certain.
— Simon n'a pas pu tuer Janet ou Claudia, ni enlever Bailey, ni tenter d'écraser Alex.
Chase soupira. Il paraissait visiblement soulagé.
— Tu as raison, dit-il.
— Je vais chez les Barnes, annonça Daniel. Mon hypothèse, c'est que l'assassin attendait Claudia dans le parking. Je voudrais interroger le gardien.
— Tu en es où, pour la voiture de Janet Bowie ?
— Nous savons où elle a loué son minivan pour aller au Fun-N-Sun.
Nous savons aussi qu'elle ne l'a pas rendu, qu'elle a déposé les enfants à l'école à 19 h 30 et qu'elle a appelé son petit copain à 20 h 6.
— Donc, l'assassin l'a coincée entre 19 h 30 et 20 h 6. Où se trouvait-elle, d'après toi, quand il l'a enlevée?
Daniel fouilla dans les fax que Leigh avait apportés sur son bureau pendant qu'ils donnaient la conférence de presse.
— Voilà des renseignements provenant de l'opérateur téléphonique de Janet, fit-il. Elle a appelé Lamar d'un parking, à environ deux kilomètres de l'endroit où elle aurait dû ramener le minivan, c'est-à-dire à trente minutes environ de l'école.
— Il a donc eu vingt minutes pour lui tomber dessus. Où et quand, c'est la question qu'il faut se poser. Il faudrait retrouver ce minivan. Il n'a pas pu se volatiliser.
— Il faudrait aussi retrouver la voiture. Je vais appeler la société de location pour savoir si elle ne l'aurait pas laissée sur leur parking, quand elle a pris le minivan.
Chase se leva et s'étira.
— J'ai besoin d'un café. Tu en veux?
— Oui, merci. Je n'ai dormi qu'une heure cette nuit.
Il appela le gérant de la société de location de voitures et raccrochait déjà quand Chase revint avec du café et des sucreries provenant du distributeur.
— Barre de céréales, ou biscuits aux pépites de chocolat ? demanda Chase.
— Biscuits aux pépites de chocolat, répondit Daniel.
Il prit le paquet de biscuits et l'ouvrit en faisant la grimace.
— J'avais dans mon réfrigérateur de délicieux restes d'un repas préparé par la mère de Luke, mais j'ai oublié de les apporter.
— Tu n'as qu'à piquer son déjeuner à Luke.
— Il l'a déjà mangé, tu penses... Bon, revenons à notre affaire, j'ai eu la société qui a loué le minivan à Janet. Elle leur a bien laissé sa 24 jeudi. Et vendredi matin, quand ils sont arrivés, ils ont constaté qu'elle n'y était plus. Leur parking est équipé d'une caméra de surveillance Je prendrai l'enregistrement correspondant au laps de temps entre jeudi soir et vendredi matin.
— Vérifie aussi le parking que t'a signalé l'opérateur téléphonique. Avec un peu de chance, ils auront aussi des caméras de surveillance, et on assistera en direct à l'enlèvement de Janet.
— Il y a des chances, dit Daniel tout en mastiquant un biscuit. Parce que je suis persuadé que l'assassin a obligé Janet à appeler son petit copain. C'est comme pour le coup de fil de Bailey aux services sociaux...
— Tu crois qu'Alex serait capable de dire si c'est bien la voix de Bailey ou non ?
— Elle ne l'a pas vue depuis cinq ans, et ça m'étonnerait qu'elle puisse identifier sa voix au téléphone. Je demanderai plutôt dans le salon où travaillait Bailey.
— Le pronostic n'est pas très bon pour Bailey, commenta sobrement Chase. Ça fait déjà cinq jours qu'elle a disparu.
— Je sais. Mais elle reste notre piste principale. J'espère qu'Ed trouvera quelque chose d'intéressant dans sa maison. J'ai appelé hier l'aumônier de l'armée qui lui avait rendu visite, mais il ne s'est toujours pas manifesté.
— Tu n'obtiendras rien de cet aumônier et tu le sais. Concentre-toi sur la petite fille. Emmène-la chez Mary McCrady. Si elle a vu quelque chose, plus tôt elle nous le dira, mieux ce sera.
Daniel fit la grimace. Mary travaillait dans le département de psychologie.
— Cette enfant n'est pas un malfaiteur, Chase.
Chase leva les yeux au ciel.
— Tu sais bien que nous n'avons pas le choix. Tu peux faire de la sensiblerie tant que tu veux quand il s'agit de la tante, mais je veux la gamine dans le bureau de Mary dès demain matin.
Il se leva et marcha vers la porte, puis se retourna.
— Quand j'ai appris ce qui s'était passé à Philadelphie, je me suis dit que tu avais réglé tes comptes avec ton passé, mais ce n'est pas le cas, n'est-ce pas ?
Daniel secoua lentement la tête.
— Non, ce n'est pas le cas.
— Tu crois que tu vas pouvoir ligoter tes démons ?
— On verra, répondit Daniel en riant.
Mais Chase n'avait pas le cœur à plaisanter.
— Tu es l'un de mes meilleurs agents et je t'empêcherai de gâcher ta carrière.
Puis il sortit, laissant Daniel avec sa pile de fax et les cheveux d'Alex.
Dépêche-toi, Vartanian.
Les démons avaient une longueur d'avance. Il n'avait plus de temps à perdre.