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Il fallait absolument trouver Gourou.
Le problème, c’était qu’il n’avait apparemment pas envie qu’on le trouve.
Entre Karen et les fichiers de l’ATF, nous avions une bio à peu près correcte, quoique incomplète, de l’individu. Pennebaker et Walker – Gourou et Wook –, deux gars du coin qui s’étaient retrouvés à Camp Pendleton, où ils avaient rejoint les rangs de la 1re division de Marines. Ils avaient tous deux servi en Irak en 2003 et 2004, d’abord contre la Garde républicaine irakienne puis contre des rebelles plus combatifs et plus dangereux, un mélange de miliciens locaux et de mercenaires étrangers qui se détestaient mutuellement et dont le seul lien était leur haine commune des troupes américaines et britanniques en Irak. Fait plus important, Pennebaker et Walker s’étaient battus côte à côte à Falloujah, pendant l’opération Phantom Fury, une semaine de combats de rues sanglants et sordides qui avait profondément marqué tous ceux qui y avaient participé. Ils avaient tous deux réussi à rentrer en Californie avec leurs quatre membres intacts et de bons états de service, mais selon tous les témoignages, c’étaient des hommes changés et désillusionnés qui avaient quitté l’Irak. Des hommes aigris et en colère, selon Karen. Ils avaient démissionné de l’armée dès qu’ils avaient débarqué sur le sol des Etats-Unis et avaient regagné le comté de San Diego. Peu de temps après, ils fondaient les Aigles de Babylone. C’était Pennebaker, semblait-il, qui avait trouvé le nom du club.
Deux ou trois camarades de guerre s’étaient joints à eux, ainsi que le jeune frère de Pennebaker, Marty, qui glandait depuis un moment et subsistait tant bien que mal. Les deux visages de la galerie de photos du club-house qui ne correspondaient pas à un des cadavres retrouvés sur place, c’étaient eux, les frères Pennebaker. Un an après la création du club, suite à une bagarre avec une bande de motards rivale, Marty s’était vidé de son sang dans une ruelle. Pennebaker avait pété les plombs. Il avait retrouvé le type qui avait saigné son frère et l’avait illico transformé en bouillie. Puis il avait surpris tout le monde en se livrant à la police.
Au procès, deux éléments avaient joué en sa faveur. Le motard qu’il avait tué était une ordure reconnue, avec un casier long comme un rouleau d’essuie-tout. En outre, l’histoire de Pennebaker avait touché les jurés, à une époque où l’opinion estimait que le gouvernement ne s’occupait pas des anciens combattants avec l’attention qu’ils méritaient. Gourou avait été condamné à sept ans de prison pour homicide involontaire. Il en avait purgé quatre seulement, à Ironwood, avant d’être libéré pour bonne conduite. Au printemps dernier.
Depuis, il avait disparu.
L’ATF n’avait pas la moindre idée de ce qu’il était devenu. Selon Karen, il était sorti de prison avec une nouvelle façon de voir les choses et ne voulait plus avoir rien à faire avec le club. Toujours selon Karen, il avait rencontré Walker une fois et il avait mis les bouts.
Plus de traces. Rien. Il avait disparu des écrans radar.
Je tenais plus encore à le retrouver. Il pouvait nous aider à mettre la main sur le Mexicain en nous révélant pour qui Walker et lui avaient travaillé autrefois. Et le fait qu’il ait soudain tout plaqué aiguisait ma curiosité. Pennebaker s’évapore et il arrive toutes sortes d’ennuis à ses anciens copains motards. Ça pouvait être une coïncidence. Il y en a vraiment, parfois.
Je ne le saurais qu’après l’avoir retrouvé.