Un samedi matin, jour de ses huit ans, Natacha insista auprès de son père pour se rendre au marché de Laval. Elle avait exigé douze bouquets comme cadeau d’anniversaire et souhaitait choisir elle-même l’assortiment. Son idée était de refleurir le cimetière de Sancy. Cette perspective semblait la ravir plus que tout autre présent.

Le Zèbre et sa fille partirent tous deux au marché, sur le coup de dix heures. Natacha dévalisa le fleuriste, chargea sa cargaison dans les bras de son père et, tout à trac, lui lança :

—  Pourquoi tu ne vis plus avec Maman alors que vous vous aimez ?

—  Tu crois qu’elle m’aime encore ? bredouilla Gaspard, interloqué.

—  Bien sûr.

—  Comment le sais-tu ?

—  Je le sais, se contenta-t-elle de répondre.

Puis Natacha ajouta, en jetant un œil sur l’étal du marchand de jouets :

—  Si tu m’offres aussi un masque de Mickey, je te dirai pourquoi je le sais.

Le Zèbre céda au singulier racket de sa fille et acheta deux masques de son idole, un pour elle, un pour lui. Avec empressement, elle plaça aussitôt le sien sur son visage enfantin.

—  Alors ? reprit Gaspard.

Et Mickey de lui répondre :

—  C’est ma tortue qui me l’a dit. Tu sais, elle me parle quand je l’écoute vraiment.

Retirant son masque, Natacha poursuivit :

—  Maintenant dis-moi la vérité. Pourquoi vous n’habitez plus dans la même maison ?

Après un temps, le Zèbre murmura :

—  Je crois qu’elle ne me supporte pas quand je joue.

—  Eh bien moi c’est le contraire. Je t’aime parce que tu es le seul papa qui mette des masques de Mickey !

Sur ces mots, elle l’embrassa et lui plaqua l’autre masque sur la figure. Ce matin-là, les Lavallois purent voir déambuler sur le marché un père et sa fille. Ils avaient tous deux une drôle de tête de Mickey.