Un matin, le facteur sonna et remit à Camille une enveloppe sur laquelle ses nom et adresse étaient écrits par la main de l’inconnu. Son cœur bondit dans sa poitrine et, les tempes chaudes, elle s’isola discrètement dans la serre du grenier pour se délecter de cette prose tant attendue.

Benjamin, ou plutôt l’inconnu, la priait de porter sa robe noire de lin. Il avait donc remarqué ses écarts vestimentaires et, apparemment, souhaitait un retour à la normale. Confuse de s’être ainsi affichée, Camille descendit en douce dans sa chambre pour se changer. En ôtant son chemisier, elle songea avec amertume que le Zèbre, lui, n’avait pas noté de changement dans ses toilettes. Il devait même ignorer qu’elle possédait une robe sombre de lin.

Il avait suffi d’une injonction du jeune homme pour aviver tous ses espoirs. Depuis des semaines, elle s’efforçait de rétablir la ligne entre elle et Benjamin. Cette lettre la plongea dans un transport sans mélange.

Habillée de sa robe noire, elle se rendit au lycée en bus. Sa petite automobile n’avait pas résisté à la récente révision que lui avaient fait subir Alphonse et Gaspard.

Sitôt le portail franchi, Camille sentit ses jambes fondre dans ses bas. Dès que Benjamin la verrait ainsi vêtue, en noir, il la saurait consentante. Soudain affolée, elle se réfugia dans les latrines de l’établissement, à l’abri des regards. Face à la lunette béante, elle prit alors conscience de l’état d’hypnose dans lequel sa passion l’avait jetée. Le commerce des sens l’attendait à la sortie des classes ; et Camille était trop entière pour se dissimuler les conséquences de cette incartade. Elle ébranlerait nécessairement sa tribu Sauvage. Elle enviait celles qui ont la ressource de mentir. Il lui semblait que, si elle y parvenait, son bonheur serait comme étouffé ; et puis, si elle se lançait dans l’adultère, ce n’était pas pour en jouir les dents serrées.

La sonnerie des cours retentit dans les mornes couloirs du lycée. Il était l’heure. Elle ouvrit la porte, résolue à regagner son bercail ; mais à peine avait-elle foulé le plancher du corridor qu’une voix articula son nom.

Elle opéra un demi-tour et se retrouva devant l’ingambe « Cravache » – c’est ainsi que les élèves nommaient l’acariâtre proviseur du lycée – juché sur ses jambes grêles et dont la raideur faisait saillir la pomme d’Adam.

Ils échangèrent des propos anodins et le proviseur lui emboîta le pas sur un rythme mécanique, comme si une clef invisible avait soudain remonté les ressorts de ses mollets. Camille ne pouvait plus fuir. Le destin surgissait soudain en la personne de Cravache qui l’accompagna jusqu’au pas de la porte de sa classe, louant sa ponctualité et célébrant son sens du devoir. Tel un groom au garde-à-vous, il actionna vigoureusement la poignée. Elle dut pénétrer dans la salle, sous son regard d’automate bien huilé.

—  Je vous laisse, postillonna-t-il en claquant la porte derrière elle.

Les pupilles rivées au plancher, Camille s’assit sur sa chaise. Elle se savait dans la ligne de mire de Benjamin. Il était désormais au courant de ses dispositions. Sa robe noire parlait à sa place. Sans même lever les yeux, elle venait de lui céder. Des chuchotements remplirent l’air, tandis qu’elle égrenait à haute voix le chapelet alphabétique des noms des élèves.

—  … Poirier.

—  Présent.

—  Raterie… Raterie ?

Camille redressa la tête en direction de la chaise habituellement chauffée par le derrière de Benjamin.

Il était absent.

Elle traça une croix devant son patronyme et termina l’appel.