En effeuillant son courrier le lendemain matin, Camille trouva un mot de l’inconnu qui la laissa sans voix. Sous son masque, Benjamin la remerciait d’avoir mis sa robe noire de lin. Il l’avait donc surprise, malgré son absence. Sans doute s’était-il dissimulé dans un recoin du lycée pour l’apercevoir sans être vu. Elle lui sut gré de n’être pas venu à son cours. Il lui avait ainsi évité deux heures de gêne oppressante.
Le second paragraphe de la lettre la fit tressaillir. Il la sommait d’aller l’attendre le jour même à dix-huit heures, dans la chambre numéro sept d’un hôtel exploitant le filon des couples non bagués ; faute de quoi, il interromprait leur correspondance à sens unique.
Ce chantage n’était pas sans arranger Camille. Consciente de son manque d’audace, elle savait avoir besoin d’un soupçon de contrainte pour franchir les pas difficiles.
Afin d’atténuer la culpabilité qui commençait à sourdre en elle – car déjà sa décision de s’y rendre était irrévocable – Camille élabora une thèse officielle, acceptable à ses yeux de mère de famille.
Elle voulut croire qu’une fois l’adultère consommé, Benjamin ne présenterait plus guère d’attrait. Dans son idée, elle n’allait au rendez-vous que pour calmer son désir en l’exauçant, de façon à ce qu’ensuite tout pût rentrer dans l’ordre. Et puis, après tout, le Zèbre n’avait rien fait ces derniers temps pour qu’elle lui restât fidèle.
Camille se félicita de ne pas devoir affronter dans la journée la classe de Benjamin. Elle ne professait devant lui que le jeudi et le vendredi et la semaine était à peine entamée. Elle n’aurait pu soutenir son regard la déshabillant pendant qu’elle blanchirait de craie le tableau noir.
Au lycée, dans les couloirs, elle se faufila en relevant le col de son imperméable et passa une heure dans les toilettes, entre deux cours, pour ne pas risquer de le rencontrer. Cet abri lui paraissait plus sûr que la salle des professeurs dont il pouvait pousser la porte sans crier gare.
Sur le coup de dix-sept heures trente, Camille mit les voiles en direction du petit hôtel dont les volets mi-clos donnaient sur une ruelle peu fréquentée, à proximité de la gare de Laval. A la réception, elle fut gauche. Elle appréhendait à tout instant de rencontrer son boucher au bras d’une créature pulpeuse. Le patron au crâne luisant de sueur finit par lui tendre la clef du paradis, celle de la chambre réservée par l’inconnu, en lui adressant un coup d’œil égrillard. Elle balbutia un remerciement trop poli, s’agrippa à la rampe poisseuse de l’escalier, gravit les marches jonchées de mégots et s’engagea à l’aveuglette le long d’un corridor obscur.
Dans les chambres, des couples anonymes râlaient, soupiraient, gémissaient. Les cloisons bon marché servaient plus de caisse de résonance que d’isolant. Ce bourdonnement copulatoire était traversé de voix étouffées dont les exigences semblaient insatiables.
Troublée par cette symphonie de halètements et de grincements de sommiers, Camille trouva enfin l’interrupteur, glissa sa clef dans la serrure de la chambre sept et referma prestement la porte derrière elle. Personne ne l’avait vue. Au fond de la pièce, derrière un paravent qui avait dû être blanc, il y avait un bidet et une serviette encore immaculée.
Elle s’étendit sur le lit et reprit son souffle en respirant deux ou trois fois. Il était dix-huit heures.
Trente minutes plus tard, elle était toujours seule sur la couverture grossière. Elle entendit des pas dans le couloir. Une voix fluette parvint jusqu’à elle, puis une autre au timbre de contrebasse. C’était un couple, sans doute venu s’aimer clandestinement. Ils pénétrèrent dans la chambre jouxtant celle où elle s’impatientait et titubèrent sur le pucier, quasiment séance tenante.
Emoustillée par l’atmosphère, Camille n’était plus qu’attente. Il y eut encore du passage dans le corridor. Elle priait pour que ce fût Benjamin ; mais ce n’était que d’autres amants sans visage qui échouèrent dans les lits de l’étage.
Une démarche retint cependant son attention. Les lattes disjointes du couloir grinçaient légèrement, comme s’il se fût agi de quelqu’un de frêle. Camille crut identifier la foulée de Benjamin. Les pas se rapprochèrent. Il y eut un silence ; puis on frappa.
— Entrez, dit Camille d’une voix mal assurée.
Une enveloppe fut alors glissée sous la porte. Camille se redressa, s’empara de la lettre et la décacheta fébrilement. Il était écrit : « Pas encore. » Les pattes de mouche étaient bien celles de l’inconnu.