XVIII

Quelles saloperies, ces blessures par balle ! La mienne m'en a fait voir ! De vertes et de pas mûres !

Le voyage vers la Démence, je l'ai effectué sous un chargement de peaux de mouton qui puaient atrocement le suint. En compagnie d'Annie et de Pépère. Alex, moins repérable, avait eu le droit, lui, de se faire véhiculer dans la cabine, à côté de notre chauffeur, Petit Brun.

Moi, j'ai fait le jambon dans le sandwich, entre Annie et Pépère. Espace vital exigu et inconfort maximum. En prime, je n'étais pas frais. Vraiment pas ! Fièvre et douleur. La civilisation, c'est chouette, mais je me passerais d'une bonne part de ses avantages. Les armes à feu: par exemple...

N'empêche que j'ai regretté le camion quand il a fallu le laisser pour entrer dans la Frange et se mettre à la marche à pied, On n'est jamais content, faut croire... Mais pour les kilomètres à pince, je n'étais pas à la hauteur.

Annie et Pépère étaient très excités par l'aventure. Chaque plante, chaque insecte leur faisaient pousser des cris de bonheur. Annie a toujours été passionnée par les bestioles et la nature. Elle m'en oubliait presque. Pépère, lui, sentait s'exalter sa curiosité de chercheur bien né. Il en bavochant.

J'étais nettement moins intéressé. Et Alex, qui me donnait un coup de main pour progresser, ne l'était pas tellement non plus. Petit Brun, notre guide, s'occupait surtout à repérer les dangers avant qu'ils ne puissent nous atteindre.

Quand on a touché au but, j'étais quasi dans la vape. Je tenais debout parce que c'était la mode...

Je croyais mes misères terminées. Une opération rapide, pour extirper le bout de plomb vachard, et les bienheureux champignons guérisseurs.

Tintin, oui !

D'abord, Gamal a exigé l'avis d'un spécialiste ès médecine. Ensuite, le spécialiste en question, un gus constipé qui donnait l'impression d'avoir avalé un pique-feu, et qui m'en a fait bougrement baver en sondages et explorations, a opté pour la négative. La balle s'était coincée dans un os. Seule solution à son avis pour la sortir de là : une opération chirurgicale complexe à effectuer dans les meilleures conditions possibles. Irréalisable sur place. Donc, conclusion, on allait m'évacuer sur la Suisse, illico presto, dans le premier avion qui passerait par là.

J'ai mobilisé ce qui me restait de forces - pas bien lourd - pour protester. Je ne voulais pas partir bon Dieu !

Et j'ai eu tout le monde contre moi. 

La spécialiste, avec coup d'œil réfrigérant :

- Vous tenez à rester infirme ?

Annie, prête à pleurer, suppliante :

- Je t'en prie, Gérald, sois raisonnable.

Thomas, regard noir minéral, et voix ultravelours :

- Déconne pas, Gérald !

Alex a approuvé. Et Pépère. Hans aussi, qui m'a vanté, avec son lourd accent, les délices des hôpitaux helvétiques. Il ne pigeait pas du tout pourquoi je ne rêvais pas d'y faire un séjour.

Gamal a employé des arguments plus réalistes :

- Gérald, nous avons beaucoup à faire, en ce moment. Nous préparons la révolte. Le Général Cathelin va nous aider. Il couvrira nos besoins en armes et nous fournira des troupes d'appoint au moment voulu. Tu es blessé et nous ne pouvons pas te soigner efficacement sur place... Je le regrette, mais je n'hésiterai pas à te faire embarquer de force dans le premier avion Suisse qui atterrira dans la Démence... Actuellement, tu ne peux aucunement nous aider...

Il n'ajoutait pas que je serais plutôt une gêne, mais j'étais assez grand garçon pour le comprendre tout seul.

J'ai capitulé. Bon, bon, O.K. ! pour la Suisse...

C'est comme ça que j'ai été dirigé, pas bien longtemps après, vers un terrain d'atterrissage improvisé. L'avion amenait du matériel guerrier. En échange, il embarquerait fois passagers. Pépère, Annie, et ma pomme.

Alex, Thomas et Hans restaient, les chançards ! Le moment venu, ils participeraient à la bagarre. Très motivés tous les trois. Les Cracheurs de Feu, ils en avaient pas mal à leur rendre. Tout spécialement Thomas, avec son côté rancune de chameau !

Malgré la fièvre et la douleur, qui empiraient, j'étais salement jaloux !